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“La grève la plus longue de l’histoire de la SNCF”. Tel est désormais le titre officiel de ce mouvement mené par les cheminots, en décembre et janvier. Même combativité et détermination du côté des agents de la RATP, mobilisés eux aussi sans relâche durant des semaines.
Et ils ne furent pas seuls. En ces mois de décembre et janvier, plusieurs journées d’action ont vu se rassembler des centaines de milliers de manifestants pour s’opposer à cette impitoyable “réforme” des retraites, devenue le symbole de la dégradation continue de nos conditions d’existence, à nous tous, les exploités, travailleurs du public ou du privé, précaires ou en CDI, jeunes ou vieux.
Après des années d’atonie, ce mouvement social sonne le réveil de la combativité du prolétariat en France. La classe ouvrière a commencé à relever la tête. En se battant pour leur dignité et en se serrant les coudes, entre les différents secteurs, entre les différentes générations, les travailleurs ont pu constater qu’ils pouvaient lutter ensemble, unis et solidaires. La renaissance de ce sentiment d’appartenir à une même classe, de tous être frappés par la même exploitation, les mêmes attaques iniques des gouvernements successifs, de pouvoir enfin se rassembler dans la rue avec les mêmes mots d’ordre, les mêmes revendications, d’exprimer par des pancartes, des slogans, dans les discussions sur le pavé, ce besoin et cette envie d’être solidaires dans la lutte… tout cela représente la victoire essentielle de ce mouvement. Ce n’est qu’une petite graine, fragile, mais elle est une promesse pour l’avenir.
Malgré l’ampleur de cette mobilisation, le gouvernement a néanmoins pu rester “droit dans ses bottes”. Après des semaines de grève, après des manifestations hebdomadaires rassemblant des centaines de milliers de personnes et une immense détermination, ce mouvement n’est en effet pas parvenu à instaurer un rapport de force favorable aux travailleurs.
Or, avec l’aggravation de la crise économique mondiale et la course permanente aux profits, le gouvernement va attaquer encore et encore. Pour freiner ces attaques à venir, les prochaines luttes devront donc aller plus loin, en s’inspirant notamment de la dernière victoire du prolétariat en France, celle de 2006. Le Président Chirac et le gouvernement Villepin avaient en effet dû retirer leur Contrat Première Embauche. Pourquoi ? Qu’ont-ils perçu dans ce mouvement qui les a tant inquiétés ?
À l’époque, les étudiants comprennent vite que ce “Contrat Poubelle Embauche” va imposer une nouvelle aggravation de la précarité et de la pauvreté à tous les jeunes travailleurs. Indignés par cet avenir insupportable, ils se mobilisent massivement. Ils organisent alors eux-mêmes, dans toutes les universités, et sans aucun syndicat, des assemblées générales massives, ouvertes à tous les travailleurs, actifs ou retraités. Leurs AG, qui se tiennent dans les amphithéâtres des universités, sont la force du mouvement, le poumon de la lutte. C’est dans ces AG que se discutent presque chaque jour les actions à mener, les moyens de coordonner la lutte d’une université à l’autre, d’organiser les manifestations chaque samedi afin que le maximum de travailleurs puisse y participer. C’est grâce aux débats intenses en leur sein, que les étudiants (pour la plupart des jeunes travailleurs précaires) décident d’aller chercher la solidarité des salariés en envoyant des délégations massives dans les gares, les dépôts de la RATP, dans certaines usines (comme à Citroën). Semaine après semaine, le mouvement ne cesse de s’amplifier avec des manifestations hebdomadaires de plus en plus importantes. Les syndicats (et notamment la CGT) ne sont pas à la tête des cortèges. Ce ne sont pas eux qui organisent ce mouvement massif. Les ballons de la CGT sont même refoulés par les étudiants à la queue des manifestations.
Si le gouvernement a fini par reculer, c’est parce qu’il a perçu le danger de cette dynamique ; il lui fallait arrêter ce processus à l’œuvre, stopper ces jeunes travailleurs précaires, encore scolarisés, entraînant les salariés dans leur lutte et dans leurs AG, mettre fin au développement de cette solidarité symbolisée par ce slogan “Jeunes lardons, vieux croûtons, tous la même salade”. Le mouvement du printemps 2006 fut ainsi un gigantesque camouflet à un autre slogan, celui de la bourgeoisie, et lancé par l’ex-Premier ministre Raffarin : “Ce n’est pas la rue qui gouverne !”
Pour le moment, la classe ouvrière est incapable de s’élever à un tel niveau dans la lutte. Mais les étudiants d’hier sont les salariés d’aujourd’hui. Ils doivent se souvenir et transmettre cette expérience à leurs camarades de travail, aux plus jeunes comme aux plus vieux.
Les plus vieux, justement, portent en leur mémoire une immense expérience ouvrière, celle de Mai 68. Ce mouvement montre la capacité des travailleurs à étendre leur lutte, de proche en proche, d’usine en usine, de ville en ville. Il faut que les ouvriers aujourd’hui à la retraite racontent cette page de l’Histoire. À partir de 1967, la situation économique se détériore sérieusement en France, poussant le prolétariat à entrer en lutte. Dès le début 1967, se produisent des affrontements importants à Bordeaux (à l’usine d’aviation Dassault), à Besançon et dans la région lyonnaise (grève avec occupation à Rhodia, grève à Berliet), dans les mines de Lorraine, dans les chantiers navals de Saint-Nazaire, à Caen… Ces grèves préfigurent ce qui va se passer à partir du milieu du mois de mai 1968 dans tout le pays. On ne peut pas dire que l’orage ait éclaté dans un ciel d’azur. Entre le 22 mars et le 13 mai 1968, la répression féroce des étudiants mobilise de manière croissante la classe ouvrière portée par ses élans instinctifs de solidarité. Le 14 mai, à Nantes, de jeunes ouvriers lancent un mouvement de grève. Le 15 mai, le mouvement gagne l’usine Renault de Cléon, en Normandie ainsi que deux autres usines de la région. Le 16 mai, les autres usines Renault entrent dans le mouvement : drapeau rouge sur Flins, Sandouville et le Mans. L’entrée de Renault-Billancourt dans la lutte est alors un signal : c’est la plus grande usine de France (35 000 travailleurs) et depuis longtemps. Existe alors un adage : “Quand Renault éternue, la France s’enrhume”. Le 17 mai, la grève commence à toucher toute la France. C’est un mouvement totalement spontané. Partout, les jeunes ouvriers sont devant. Il n’y a pas de revendications précises : c’est un ras-le-bol qui s’exprime. Le 13 mai, une grande manifestation rassemble 9 millions de personnes dans la rue. C’est un véritable raz de marée ! Le 18 mai, il y a un million de travailleurs en grève à midi. Le 22 mai, il y en a 8 millions. C’est alors la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Tous les secteurs sont concernés : industrie, transports, énergie, postes et télécommunications, enseignement, administrations, médias, laboratoires de recherche, etc. Au cours de cette période, les facultés occupées, certains bâtiments publics comme le Théâtre de l’Odéon à Paris, les rues, les lieux de travail deviennent des lieux de discussion politique permanente. “On se parle et on s’écoute” devient un slogan.
Le même besoin de solidarité anime aujourd’hui la classe ouvrière. Combien de fois a-t-on pu entendre dans les cortèges des mots d’ordre tels que : “c’est tous ensemble que nous devons lutter”, ou bien “ce n’est pas seulement pour nous que nous nous battons, mais pour tous les autres secteurs et les générations à venir”. L’enthousiasme de se retrouver tous ensemble dans la rue chaque semaine en manifestant, d’être unis et solidaires, au-delà des secteurs et des corporations, en témoigne. Après une décennie d’atonie sociale, le mouvement actuel ne pouvait être qu’un premier petit pas sur la longue route qui mène vers les luttes massives. Pour réaliser les pas suivants, pour parvenir à construire un rapport de force face au gouvernement, et freiner ses attaques, il faudra éviter le piège de la grève “par procuration” et parvenir à étendre le mouvement dès le début à tous les secteurs, en prenant nos luttes en main, en nous auto-organisant, en nous regroupant dans des assemblées générales, massives, souveraines et autonomes, pour y débattre et prendre ensemble les décisions, pour lutter en tant que classe. Le mouvement actuel, malgré toutes ses faiblesses, porte les germes de cette dynamique future, car il a remis au-devant de la scène sociale le fait que les travailleurs subissent tous la même exploitation, les mêmes attaques et, surtout, qu’ils peuvent mener ensemble une lutte animée par le besoin d’unité et de solidarité.
Plus que jamais, l’avenir appartient à la lutte de classe !
Claudine, 13 janvier 2020