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(D'après Révolution Internationale N° 189; avril 90)
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Aujourd'hui encore plus que par le passé, il importe de rétablir la vérité sur le rôle véritable de Lénine et de ses compagnons bolcheviks, de mettre en évidence que toute sa vie fut consacrée à la lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière et non à l'établissement sur celle-ci d'une des formes les plus barbares d'exploitation et d'oppression comme l'a été le stalinisme.
Avant même que de se faire connaître par l'établissement d'une terreur policière sans commune mesure dans l'histoire, le stalinisme a commencé sa carrière comme défenseur de la thèse de la "construction du socialisme dans un seul pays". Dès 1925, Staline se fait le porte-parole de cette conception qui s'inscrit complètement en faux avec toute la vision qui avait été défendue auparavant dans le mouvement ouvrier. En effet, dès ses origines, celui-ci se présente comme un mouvement international dans la mesure où, comme l'écrivait Engels dès 1847 : "La révolution communiste (...) ne sera pas une révolution purement nationale ; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés (...) Elle exercera également sur tous les autres pays du globe une répercussion considérable et elle transformera complètement et accélérera le cours de leur développement. Elle est une révolution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel" ("Principes du Communisme"). Ce n'est nullement un hasard, non plus, si le mot d'ordre qui conclut le "Manifeste Communiste" de 1848 est "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous". De même, la première organisation importante du prolétariat est l'"Association Internationale des Travailleurs" (1864-1872) ou 1ère Internationale. Par la suite, ce sont aussi des internationales (Internationale socialiste, 1889-1914 ; Internationale communiste, 1919-1928) qui ponctuent le développement et les combats de la classe ouvrière à l'échelle mondiale. Enfin, il est également significatif que l'hymne du mouvement ouvrier soit, dans tous les pays, l'"Internationale".
En fait, un des critères décisifs de l'appartenance d'une formation politique au camp du prolétariat est l'internationalisme. Ainsi, en 1914, lorsqu'éclate la guerre mondiale, la participation à l'"Union sacrée" et à la "Défense nationale" des secteurs dominants de la plupart des partis socialistes d'Europe (les "social-chauvins" comme les appelait Lénine) signe leur trahison vis-à-vis de la classe ouvrière et leur passage à la bourgeoisie.
C'est pour cela que la thèse du "socialisme en un seul pays" constitue une véritable trahison des principes de base de la lutte prolétarienne et de la révolution communiste, trahison contre laquelle ceux qui continuent de défendre le programme prolétarien, tel Trotsky dans le parti communiste d'Union soviétique, engagent un combat sans merci. En particulier, cette thèse, présentée par Staline comme un des "principes du léninisme", constitue l'exact contraire de la position de Lénine :
"La révolution russe n'est qu'un détachement de l'armée socialiste mondiale, et le succès et le triomphe de la révolution que nous avons accomplie dépendent de l'action de cette armée. C'est un fait que personne parmi nous n'oublie (...). Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et prémisse fondamentale, l'intervention unie des ouvriers du monde entier." ("Rapport à la Conférence des comités d'usines de la province de Moscou", 23 juillet 1918).
Lénine, défenseur exemplaire de l'Internationalisme Prolétarien
L'internationalisme intransigeant de Lénine, marque de son adhésion totale au combat du prolétariat pour son émancipation, est une constante de toute sa vie. Il s'exprime en particulier en 1907, lors du Congrès de Stuttgart de l'Internationale socialiste, lorsque, en compagnie de Rosa Luxemburg, le plus grand nom du prolétariat d'Allemagne et de Pologne durant tout le début du 20ème siècle, Lénine mène le combat pour faire adopter par les délégués un amendement durcissant la résolution contre la guerre impérialiste. De même, Lénine participe activement au combat de la gauche de l'Internationale pour faire du Congrès extraordinaire de Bâle en 1912 une manifestation retentissante contre la menace de guerre. Mais c'est au cours de la 1ère guerre mondiale que l'internationalisme de Lénine trouve toute sa mesure. Sa dénonciation des "social-chauvins", mais aussi des "centristes" qui ne savent opposer à la boucherie impérialiste que des gémissements pacifistes, fait partie des pages les plus lumineuses de l'histoire du mouvement ouvrier. En particulier, à Zimmerwald, en septembre 1915, Lénine est l'animateur de la gauche de la conférence rassemblant les délégués des différents courants socialistes qui, en Europe, s'opposent à la guerre. Sa position se distingue de celle du "Manifeste" adopté par la conférence en affirmant clairement que "la lutte pour la paix sans action révolutionnaire est une phrase creuse et mensongère" et en appelant à la "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile"..."mot d'ordre... précisément... indiqué par les résolutions de Stuttgart et de Bâle".
L'internationalisme de Lénine ne s'éteint pas avec la victoire de la révolution en Octobre 1917. Au contraire, il conçoit celle-ci uniquement comme premier pas et marchepied de la révolution mondiale. C'est pour cela qu'il prend un rôle déterminant, en compagnie de Trotsky, dans la fondation de l'Internationale Communiste, en mars 1919. En particulier, c'est à Lénine qu'il revient de rédiger un des textes fondamentaux du congrès de fondation : les "Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat".
Du temps de Lénine, l'I.C. n'avait rien à voir avec ce qu'elle est devenue par la suite sous le contrôle de Staline : un instrument de la diplomatie de l'Etat capitaliste russe et le fer de lance de la contre-révolution à l'échelle mondiale. A son premier congrès, l'I.C. s'affirme et agit pratiquement comme "l'instrument pour la république internationale des conseils ouvriers, l'Internationale de l'action de masse ouverte, de la réalisation révolutionnaire,l'Internationale de l'action" ("Manifeste de l'I.C.", rédigé par Trotsky).
Mais la vie militante de Lénine ne saurait se résumer à son internationalisme inflexible. Sur pratiquement toutes les questions importantes qui se posaient à la classe ouvrière, les positions de Lénine figuraient parmi les plus claires et intransigeantes.
Les combats de Lénine pour la Révolution
Dès le début de son activité militante, à la fin du 19ème siècle, Lénine se distingue dans le mouvement socialiste en Russie par son combat en profondeur contre le "populisme" et le "socialisme agraire". Pendant des années, ce courant avait fait reposer l'élimination du joug tsariste sur l'action de petites minorités d'intellectuels révoltés adeptes de l'action terroriste, et avait idéalisé la paysannerie comme agent de la régénération de la société en Russie. Aux billevesées d'un mouvement qui, en 1917-18, allait se retrouver, avec les "socialistes révolutionnaires", aux côtés de la bourgeoisie, Lénine oppose la vision marxiste qui fait du prolétariat la seule classe capable, non seulement de conduire le renversement du tsarisme, mais aussi de réaliser la seule alternative possible au capitalisme, la révolution socialiste. Durant la même période, Lénine est également à l'avant-garde de la lutte contre le "marxisme légal" qui, au nom de la nécessité du développement du capitalisme en Russie comme condition de la constitution d'un prolétariat fort, conduit à se mettre à la traîne et à la solde de la bourgeoisie libérale.
Cette action déterminée en faveur du combat de classe, Lénine la poursuit au début du siècle lorsqu'il oppose (en particulier dans "Que faire") à l'opportunisme des "économistes" (qui préconisent de se mettre à la queue des illusions réformistes pesant sur les ouvriers) la vision d'une lutte politique pour la prise de conscience dans le prolétariat de ses objectifs révolutionnaires. Cette même détermination, nous la retrouvons, lors du 2ème congrès du "Parti Ouvrier Social-démocrate de Russie, en 1903, dans la défense par Lénine et les "bolcheviks" du parti révolutionnaire en tant qu'organisation de combat composée de militants convaincus et déterminés. En cette circonstance, Lénine s'oppose aux "mencheviks" qui proposent une conception floue et opportuniste du parti et qui véhiculent, en réalité, l'idéologie petite bourgeoise caractéristique des éléments intellectuels pour qui l'action révolutionnaire est conçue comme une sorte de "hobby". Ce combat contre les "mencheviks" se poursuit lors de la révolution de 1905, en Russie. Ces derniers, considérant que les conditions de la révolution prolétarienne ne sont pas encore mûres dans ce pays, n'ont rien d'autre à proposer aux ouvriers que de constituer une force d'appoint pour la bourgeoisie "démocratique", c'est-à-dire à renoncer à la défense de leurs intérêts de classe. En revanche, même s'ils ne sont pas encore tout à fait clairs sur la nature de la révolution de 1905 (révolution démocratique bourgeoise contre le tsarisme ou "répétition générale" de la révolution prolétarienne), Lénine et les bolcheviks ont le mérite de mettre en avant la nécessité pour le prolétariat de préserver et défendre fermement son indépendance et ses intérêts de classe. De plus, au cours de cette révolution, Lénine est un des premiers (avec Trotsky) à avoir compris, contre la majorité des bolcheviks (et notamment de Staline) que les "soviets", c'est-à-dire les conseils ouvriers, que s'était donnés la classe ouvrière dans son combat, constituaient l'organe de sa prise de pouvoir, "la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat".
Après l'écrasement de la révolution, alors que la démoralisation et le désarroi pèsent sur la classe ouvrière et son avant-garde, alors que se développe dans le parti le courant des "liquidateurs" qui tend à renoncer à la nécessité d'une organisation politique du prolétariat, Lénine se retrouve de nouveau aux avant-postes dans le combat pour la défense de l'organisation. Ainsi, comme en 1903, sa lutte pour la construction d'une organisation militante constitue le complément indissociable de la lutte pour l'indépendance de classe du prolétariat, pour sa prise de conscience des buts et des moyens de son combat.
Cette lutte permanente de Lénine, nous la retrouvons, comme nous l'avons vu, tout au long de la guerre mondiale qu'il analyse comme la manifestation de l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence mettant à l'ordre du jour la révolution prolétarienne internationale. Elle va s'intensifier encore, évidemment, lorsqu'éclate la révolution de février 1917, en Russie. Dès que Lénine réussit à retourner dans ce pays, il mène le combat pour la préparation de la révolution communiste. En particulier, ses "Thèses d'Avril" constituent le véritable programme de la révolution : aucun soutien, même "critique", de la guerre impérialiste et du gouvernement provisoire bourgeois qui s'est mis en place suite à la révolution de février ; seul le renversement du capitalisme peut mettre fin à la guerre ; contre la république parlementaire : tout le pouvoir aux soviets ; nécessité d'une propagande patiente du parti auprès des masses ouvrières pour les convaincre de ces nécessités ; "prendre l'initiative de la création d'une Internationale révolutionnaire, d'une Internationale contre les social-chauvins et le 'centre'".
Ce combat, Lénine doit le mener d'abord au sein du parti bolchevik qui, sous la conduite de Staline et de Kamenev, s'était retrouvé aux côtés des socialistes révolutionnaires et des mencheviks dans le soutien au gouvernement provisoire. S'appuyant sur la base ouvrière du parti, il réussit à le gagner à ses positions et à l'armer politiquement pour la révolution.
Ensuite, toute l'action de Lénine consiste à préparer les conditions d'une insurrection victorieuse, y compris en s'opposant à une insurrection prématurée, en juillet. Mais lorsque la situation est mûre, il mène un nouveau combat déterminé en faveur de la prise du pouvoir immédiate par les soviets. En même temps, il rédige un de ses livres fondamentaux, "L'État et la révolution", dans lequel il rétablit la conception marxiste de l'Etat, falsifiée par les opportunistes. Il insiste sur le fait que la classe ouvrière ne peut, en aucune façon, utiliser l'Etat bourgeois pour ses propres desseins ; qu'elle doit le détruire de fond en comble et mettre en place la dictature du prolétariat organisé en conseils ouvriers ; que l'Etat qui surgit de la révolution doit être basé sur la plus large démocratie des masses ouvrières et semi-prolétariennes, lesquelles doivent contrôler en permanence les fonctionnaires qu'elles ont élu et pouvoir les révoquer aussitôt qu'ils s'écartent du mandat reçu ; que ces fonctionnaires ne peuvent bénéficier d'aucun privilège particulier ; que cet Etat constitue, en fait, un "demi-Etat" voué, non à son renforcement, mais à son extinction à mesure que la révolution avancera.
On est là bien loin de la conception de l'Etat policier, de la terreur sur les masses exploitées, des privilèges pour les "apparatchiks" sur lesquels s'est établi le stalinisme. En fait, il existe autant de différence entre Lénine et le stalinisme qu'entre la révolution et la contre-révolution.
D'ailleurs, après la prise du pouvoir par les soviets, en Octobre 17, Lénine va être conduit à mener le combat contre les premières manifestations de ce qui allait devenir le stalinisme.
La lutte de Lénine contre l'essor du stalinisme
La guerre civile déchaînée par les "blancs" avec le soutien de toute la bourgeoisie mondiale, l'effondrement économique et la famine qui en résultent, l'isolement tragique dans lequel la défaite du prolétariat mondial plonge la révolution en Russie ne peuvent que mener celle-ci dans une impasse. L'État qui a surgi après la révolution échappe de plus en plus au contrôle d'une classe ouvrière désarticulée par la guerre civile et la catastrophe économique. Il tend à absorber de façon croissante le parti bolchevik au sein duquel le poids des bureaucrates se fait sentir toujours plus.
Staline est justement le représentant le plus éminent de cette couche de bureaucrates dont le pouvoir et les privilèges naissants entrent en opposition avec la révolution à l'échelle mondiale. C'est pour cela qu'il se fait le porte-drapeau du "socialisme en un seul pays" : il ne s'agit plus de faire de l'URSS un levier de la révolution internationale, mais de se replier sur le renforcement de l'économie nationale et de son Etat. Et dans un monde dominé par le capitalisme, l'une et l'autre se développent nécessairement sur le terrain capitaliste.
La défaite internationale du prolétariat ne pouvait conduire qu'à la contre-révolution bourgeoise en Russie-même. Staline et sa clique se sont faits les agents de cette contre-révolution. Et si, en Russie, celle-ci a pris les formes les plus barbares qu'on puisse imaginer : la terreur policière, les déportations massives, les "procès de Moscou" contre les anciens dirigeants du parti, l'extermination de toute la génération de 1917, c'est justement qu'il fallait extirper jusqu'à la moindre trace tout ce qui pouvait rappeler l'esprit et la grandeur d'Octobre.
Avant sa mort, en janvier 1924 (en fait il était déjà impotent depuis mars 1923), Lénine, pas plus que n'importe quel révolutionnaire, ne pouvait imaginer ce que serait le stalinisme. Cependant, il est conscient d'un certain nombre des dangers qui se profilent. C'est ainsi que, dès 1920, dans le débat au sein du parti bolchevik à propos des syndicats, Lénine affirme que : "Notre Etat est tel aujourd'hui que le prolétariat totalement organisé doit se défendre, et nous devons utiliser ces organisations ouvrières [les syndicats] pour défendre les ouvriers contre leur Etat..." ("Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotsky", 30/12/1920). Jusqu'à la fin de sa vie, Lénine a mis en garde contre le danger de la gangrène bureaucratique, même s'il était incapable de proposer une parade efficace contre un phénomène inéluctable. De même, dans les derniers jours de sa vie active, il tente (notamment dans son "testament" du 4 janvier 1923) d'écarter Staline du poste de Secrétaire général où il est en train d'accumuler un pouvoir énorme dont il abuse de façon brutale. Mais cette tentative est vaine : Staline contrôle déjà la situation, même s'il n'est pas encore le satrape, le tyran sanguinaire qu'il deviendra par la suite.
Lénine combattant marxiste du prolétariat
Aujourd'hui, la plupart des plumitifs de la bourgeoisie, en établissant une identité entre le stalinisme et le communisme, rangent dans le même sac Staline, Lénine et Marx. Mais il se trouve, de temps à autre, un "expert" pour affirmer que si Lénine est tout entier à jeter aux poubelles de l'histoire, il n'en est pas de même de Marx, dont certaines analyses sont encore "utiles" et "pertinentes". Cette opposition (dont sont friands les conseillistes) entre l'oeuvre de Lénine et celle de Marx, ne constitue rien d'autre, sous couvert d'"objectivité" qu'une crapulerie supplémentaire pour essayer d'enterrer la perspective communiste. En effet, toute l'activité militante de Lénine se situe sur le terrain du marxisme, c'est-à-dire du point de vue du prolétariat. L'internationalisme, le rejet des conceptions populistes et réformistes, la lutte pour une organisation politique du prolétariat basée sur un programme clair, la mise en avant de la nécessité de détruire l'Etat bourgeois et de l'exercice du pouvoir par les masses ouvrières, la capacité-même de tirer les leçons de l'expérience vivante de la classe ouvrière (notamment le rôle des soviets à partir de 1905), toutes ces caractéristiques de l'activité de Lénine appartiennent pleinement à l'héritage de Marx. La différence majeure entre ces deux révolutionnaires, c'est que le premier vivait à une époque où la révolution prolétarienne n'était pas encore à l'ordre du jour, alors que le second s'est justement trouvé aux avant-postes de celle-ci. C'est dans la pratique vivante de la révolution que Lénine a appliqué les enseignements du marxisme. Et c'est bien cela qui chiffonne nos "experts". Tant que le "marxisme" reste "théorique" (en fait, pour les révolutionnaires, il a toujours constitué un guide pour l'action, même quand la révolution n'était pas encore à l'ordre du jour), on peut toujours en faire une discipline universitaire. Mais lorsqu'on doit l'appliquer à la révolution elle-même (à l'exemple de Lénine), on fait la fine bouche car, de révolution réelle, on ne veut surtout pas.
Comme tous les révolutionnaires, comme Marx lui-même, Lénine a commis des erreurs. Mais de la même façon qu'on ne peut critiquer les erreurs de Marx qu'en se situant dans le cadre du marxisme, on ne peut faire la critique de celles de Lénine qu'en partant des apports considérables qu'il a donnés au mouvement ouvrier, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique. Ces apports, en même temps que l'ensemble du marxisme, le prolétariat devra les refaire siens s'il veut être en mesure de mettre fin à la barbarie capitaliste et de s'acheminer vers la société communiste.