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(D'après Révolution Internationale N°184; le 15/10/89)
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L'emprise de l'Etat sur l'économie n'est pas un phénomène propre aux régimes staliniens. C'est un phénomène qui relève avant tout des conditions de survie du mode de production capitaliste dans la période de décadence[1]. "Si la tendance au capitalisme d'Etat est donc une donnée historique universelle, elle n'affecte cependant pas de façon identique tous les pays" (Revue Internationale n° 34).
Le capitalisme d’États dans le bloc de l'Est, une monstruosité de l’histoire
Ainsi, dans les pays de l'Est, la forme particulière que prend le capitalisme d'Etat, se caractérise essentiellement par le degré extrême d'étatisation de leur économie. C'est sur cette caractéristique qu'a d'ailleurs reposé le mythe de leur nature "socialiste" distillé pendant des décennies par l'ensemble de la bourgeoisie mondiale, qu'elle soit de gauche ou de droite. L'étatisation de l'économie à l'Est n'est pas un acquis d'Octobre 17, comme le prétendent les staliniens et les trotskystes de tous bords. C'est un produit monstrueux de la contre-révolution stalinienne (qui s'est imposée avec la défaite de la révolution russe) qui trouve sa source dans les circonstances historiques de la constitution de l'URSS. En effet, contrairement au reste du monde, le développement du capitalisme d'Etat en URSS n'est pas un produit direct de l'évolution "naturelle" du capitalisme dans la période de décadence. "L'État capitaliste en URSS se reconstitue sur les décombres de la révolution prolétarienne. La faible bourgeoisie de l'époque t saris te a été complètement éliminée par la révolution de 1917 (...) De ce fait, ce n'est ni elle, ni les partis traditionnels qui prennent en charge en Russie-même l'inévitable contre-révolution résultant de la défaite de la révolution mondiale. Cette tâche est dévolue à l'Etat qui a surgi après la révolution et qui a rapidement absorbé le parti bolchevik (...) Par ce fait, la classe bourgeoise s'est reconstituée, non à partir de l'ancienne bourgeoisie (...) ni à partir d'une propriété individuelle des moyens de production, mais à partir de la bureaucratie du Parti-État et de la propriété étatique des moyens de production" (Revue Internationale 34)[2]. Telles sont les circonstances particulières qui expliquent qu'en URSS la tendance universelle au capitalisme d'Etat ait pris cette forme extrême, caricaturale où la classe dominante s'est complètement confondue avec l'appareil d'Etat. C'est cet avatar du capitalisme décadent où tout le pouvoir économique et politique a été concentré entre les mains d'une bureaucratie parasitaire, qui est à l'origine des convulsions actuelles des régimes staliniens. Contrairement à la classe dominante dans les pays du bloc occidental, la bureaucratie stalinienne est une bourgeoisie dont le seul souci n'est pas de faire fructifier le capital en tenant compte des critères de compétitivité sur le marché, mais de se remplir les poches au détriment des intérêts de l'économie nationale. C'est ce mode de "gestion" aberrant, fondé sur une distorsion permanente, phénoménale, de la loi de la valeur, (dont l'origine se trouve dans la situation de relative autarcie du capital russe avant sa participation à la deuxième guerre mondiale) qui explique l’anarchie totale de toute l'infrastructure économique de l'URSS et qui a rendu ce pays particulièrement vulnérable face à l’aggravation considérable de la crise tout au long des années 80. C'est ce mode de "gestion" que l'URSS a exporté dans ses pays satellites, en pillant leur économie et en leur imposant par la force armée le même type de régime au lendemain de la seconde guerre mondiale.
De plus, cette faiblesse congénitale résultant de la structure-même du capitalisme d'Etat dans les pays à régime stalinien, s'est trouvée accentuée encore par le poids considérable des dépenses d'armements que l'URSS a été contrainte d'intensifier face à la pression du bloc occidental depuis le début de cette décennie. En obligeant le capital russe à accélérer son effort de guerre, l'offensive militaire déployée par le bloc US après la chute du Shah d'Iran et dont l'objectif visait à encercler l'URSS à l'intérieur des frontières de son glacis direct, a constitué un facteur supplémentaire qui a précipité la banqueroute totale de ce pays[3].
C'est face à cette situation de catastrophe économique que le rétablissement des mécanismes du marché, préconisé par les secteurs les moins irresponsables de la bureaucratie stalinienne, est devenu une nécessité vitale aujourd'hui afin de tenter de maintenir un tant soit peu l'économie à flot. C'est bien à cette nécessité impérieuse que s'efforce de répondre le programme de la perestroïka dans les pays du bloc de l'Est.
Les convulsions du stalinisme à l’agonie
Cependant, la mise en application de telles réformes économiques comporte des obstacles pratiquement insurmontables. Non seulement, parce que les mesures d'austérité draconiennes qu'elle implique (politique de "vérité des prix" et fermeture des entreprises non rentables) risquent de provoquer des explosions sociales dont les grèves massives des mineurs de Sibérie l'été dernier ne sont qu'un signe avant-coureur, mais, de plus, un tel programme ne peut que se heurter à la résistance acharnée de toute la clique des apparatchiks qui vont tenter de défendre bec et ongles le maintien de leurs privilèges.
C'est pour cela que cette transition vers le rétablissement d'une économie de marché ne peut se faire de façon progressive, harmonieuse, dans la mesure où c'est l'identité-même du régime stalinien, sa raison d'être qui risque d'être remise en question. L'instauration d un nouveau mode de gestion de l'économie qui soit plus apte à affronter la concurrence mondiale implique nécessairement la disparition de la bourgeoisie sous sa forme actuelle en même temps que celle du parti unique avec lequel elle s'est confondue. Face à un tel enjeu, on comprend les résistances de la fraction conservatrice des partis staliniens. C'est le parti comme corps, comme entité sociale et comme classe dominante qui s'exprime à travers ces résistances. Car si un parti peut se suicider, une classe dominante, elle, ne se suicide pas. Ainsi, toute tentative de réforme économique ne peut absolument pas se faire sans une remise en question de toute la structure politique de l'appareil d'Etat et de l'idéologie qui la cimente. C'est pour cela que la perestroïka (la réforme économique) s'accompagne nécessairement de la "glasnost"(la réforme politique). En ce sens, la démocratisation de ces régimes ne constitue pas seulement un moyen de mystification du prolétariat face aux mesures d'austérité contenues dans le programme de la perestroïka, mais elle est aussi et surtout un levier sur lequel s'appuient les réformateurs pour déboulonner la vieille garde conservatrice intéressée à maintenir le statu quo. La mise en oeuvre effective de telles réformes économiques ne peut, par conséquent, conduire qu'à un conflit ouvert entre les deux secteurs de la bourgeoisie, la bourgeoisie "d'Etat" et la bourgeoisie "libérale" (même si cette dernière se recrute également dans l'appareil d'Etat).
L'effondrement d’un système basé sur la terreur
La violence de ces convulsions ne se limitera pas au seul conflit entre les différentes cliques bourgeoises au sein de l'appareil d'Etat. C'est toute la société dans cette partie du monde qui va être aspirée dans de telles convulsions. En effet, l'indispensable démocratisation du régime, en permettant que s'exprime un mouvement de contestation risque de cristalliser l'énorme mécontentement qui existe au sein d'un prolétariat et d'une population soumis depuis des décennies à la plus brutale des contre-révolutions. Lorsque l'étau de la terreur se relâche, lorsque la force armée perd de sa crédibilité, toute la haine accumulée pendant plus d'un demi-siècle vis-à-vis de ce régime risque d'exploser avec une violence à la mesure de toute l'oppression subie par la population. C'est ce qu'illustrent les mouvements nationalistes qui secouent depuis plusieurs mois les républiques du Caucase, les pays baltes, la Moldavie, l'Ukraine, de même que le caractère spectaculaire des luttes ouvrières de cet été en URSS.
Et dans la mesure où c'est également sur la force militaire que l'URSS a pu maintenir la cohésion interne de son bloc, l'incapacité actuelle de ce pays à déchaîner la répression comme c'était le cas dans le passé entraîne une dynamique d'éclatement du bloc. C'est pour cela que les forces centrifuges qui poussent à la sécession d'avec le pouvoir central de Moscou dans les pays satellites (tels la Hongrie et, dans une moindre mesure, la Pologne) peuvent aujourd'hui s'exprimer sans que les armées du Pacte de Varsovie ne soient à même d'intervenir avec la brutalité sanguinaire qu'on connaît comme c'était le cas, notamment en 53 en RDA, en 56 en Hongrie, en 68 en Tchécoslovaquie. Telle est la véritable signification des discours "pacifistes" de Gorbatchev de "non ingérence dans les affaires intérieures" de ces pays. Ainsi, l'incapacité actuelle de l'URSS de maintenir la cohésion de son bloc signifie que c'est tout son empire qui est en train de s'effondrer. Ce phénomène de dislocation, d'implosion interne du bloc de l'Est, résulte des convulsions qui ravagent sa puissance dominante.
La Perestroïka a donc ouvert une véritable boîte de Pandore en créant des situations de plus en plus incontrôlables. La politique centriste de Gorbatchev est, en réalité, un exercice de corde raide, d'équilibre instable entre les deux tendances dont l'affrontement est inévitable. La conclusion sanglante de cet affrontement, telle qu'on l'a vue récemment en Chine, donne une image de la brutalité des convulsions qui vont frapper à leur tour les pays du bloc de l'Est. Et ces affrontements seront d'autant plus violents que, en URSS comme dans ses pays satellites, se sont accumulées des quantités incroyables de haine au sein de la population à l'égard de la camarilla stalinienne synonyme de terreur, de massacres, de tortures, de famines et d'une arrogance cynique phénoménale.
Ainsi, dans ces pays s'est ouverte une période d'instabilité, de secousses, de chaos sans précédent dont les implications dépasseront très largement leurs frontières. En particulier, les convulsions qui vont encore s'accentuer dans le bloc de l'Est, en retirant à l'URSS son statut de puissance mondiale, ouvrent les portes à une déstabilisation des constellations impérialistes qui étaient sorties de la seconde guerre mondiale avec les accords de Yalta.[1] Voir notre brochure "La décadence du capitalisme"
[2] L'effondrement de l'intérieur de la révolution en URSS au cours des années 20 a constitué une aubaine pour l'ensemble de la bourgeoisie mondiale. D'une part, cet effondrement signifiait la fin de la menace représentée par l'URSS des premières années qui ont suivi la révolution d'Octobre 17 et contre laquelle s'était mobilisée l'ensemble de la bourgeoisie en soutien des armées blanches. D'autre part, cette contre-révolution venue de l'intérieur permettait d'accréditer le mensonge de la nature “socialiste” du régime stalinien qui, pendant des décennies, a permis de dévoyer, de paralyser les luttes du prolétariat et de faire de l'idée même d'une révolution socialiste un véritable repoussoir. C'est le même mensonge que la bourgeoisie occidentale continue d'exploiter aujourd'hui en présentant la mort du stalinisme comme la "mort du communisme.
[3] Voir la Revue Internationale n'44, 51, 52, 53.