Révolution Internationale n° 411 - Avril 2010

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Suivre les syndicats ou prendre en mains nos luttes ?

La situation est de plus en plus insoutenable. La crise économique frappe de plein fouet. Les tentes pullulent le long du périphérique parisien, la pauvreté explose, les associations caritatives sont débordées. Aujourd’hui, ce sont des familles entières, des travailleurs, des retraités qui se nourrissent à la soupe populaire. Et demain risque d’être encore plus noir. De nouvelles attaques orchestrées par l’Etat nous attendent. Aux licenciements et aux fermetures d’usines dans le privé font écho des dizaines de milliers de suppressions de postes dans le public. Partout les conditions de travail se dégradent. Une attaque symbolise à elle seule ces ravages qui touchent tous les secteurs de la classe ouvrière : la «réforme » des retraites. Nous ne savons pas encore exactement ce que la sainte trinité Etat-Patrons-Syndicats va nous concocter pour la rentrée de septembre mais une chose est d’ores et déjà certaine, tout va être fait pour diminuer considérablement les pensions. Jamais depuis les années 1930, la classe ouvrière n’avait été frappée aussi durement.

Face à cette situation dramatique, la colère est grande au sein du prolétariat. Il n’y a plus guère d’illusions sur l’avenir que réserve le capitalisme : une misère croissante, dans tous les pays, quelle que soit la couleur politique des gouvernements. L’abstention importante aux dernières élections régionales en est l’une des manifestations1. Les ouvriers ont bien conscience qu’en l’absence d’une lutte de grande ampleur, le capital va continuer d’asséner ses coups sans répit. Et pourtant, en France2, s’il y a de très nombreuses petites grèves, aucun mouvement d’ampleur ne se dégage. Pourquoi ? Parce que les syndicats font bien leur boulot ! Depuis le mouvement des étudiants contre le CPE, en 2006, qui avait fait trembler la bourgeoisie, les syndicats n’ont de cesse d’organiser des journées d’actions toutes plus stériles les unes que les autres. Officiellement, les syndicats clament œuvrer à l’unité de la lutte ouvrière. Mais sur le terrain, ils réalisent en réalité un véritable travail de sape. Prenons un seul exemple : la dernière journée d’action du 23 mars. Ce jour-là, cinq des principales confédérations (CFDT, CGT, SUD, FSU et UNSA) ont lancé un appel commun, public-privé, “pour la défense de l’emploi, du pouvoir d’achat et des retraites.” Mais en coulisse s’est jouée une toute autre partition. Les jours précédents, les syndicats ont en effet multiplié les manifestations sectorielles : la Justice (le 9 mars) puis la Protection Judiciaire de la Jeunesse (le 11 mars), les hôpitaux de Paris (où les salariés ont occupé le siège de leur direction le 11 et le 12), l’Education Nationale3 (le 12 et le 18 mars), les sans-papiers (le 18 mars aussi mais pas au même endroit), la Poste (le 19 mars)… Et pour enfoncer le clou, le jour de la «grande journée d’action unitaire » du 23, les syndicats ont organisé de multiples rassemblement à Paris : outre le cortège principal qui avait rendez-vous à 14h à République, Force Ouvrière a défilé séparément à 10h place Vauban, à la même heure une AG interprofessionnelle s’est tenue à la Bourse du Travail, les IUFM4 ont eu quant à eux “leur” propre AG à 12h aux Batignolles, les infirmières de l’EN ont défilé séparément à 13h, une AG spécifique aux enseignants s’est tenue à 18h, elle aussi à la Bourse du travail… Sous la bannière “Unité”, la journée du 23 mars fut donc une véritable caricature de la division syndicale !5

Dans les entreprises, les syndicats oeuvrent là-aussi jour après jour pour que jamais les luttes ne convergent. Lorsqu’une grève éclate, ils se gardent bien de proposer aux ouvriers en lutte d’aller massivement se rendre aux usines ou aux administrations voisines. Et si jamais cette idée vient spontanément à l’esprit des grévistes, ils s’empressent de la remplacer par une rencontre entre quelques chefs syndicaux et rédiger une belle mais platonique déclaration de soutien.

Ce sale boulot est d’ailleurs de plus en plus visible. La bourgeoisie la plus éclairée sent bien le danger d’une prise de conscience progressive du rôle profondément anti-ouvrier des syndicats. Des journaux commencent à tirer la sonnette d’alarme et à prévenir des risques de “débordement”. Le Monde diplomatique de mars finit ainsi l’un de ses articles : “Gageons que, pour calmer un peu le populo mécontent, les syndicats les plus institutionnels, faisant désormais partie, aux côtés de la droite et de la ‘gauche’ social-démocrate, d’un bloc de pouvoir unifié de fait […], organiseront quelques innocentes marches […] entre République et Nation […]. Il est cependant possible que l’option ‘promenade urbaine’ ne soit plus suffisante et que le populo […] finisse par trouver qu’il en a également assez de se sentir promené.” Avec la crise économique qui va encore s’aggraver et jeter à la rue des dizaines de milliers d’ouvriers et la ‘réforme’ des retraites qui est ostensiblement une attaque de TOUTE la classe ouvrière, les syndicats ne vont pas pouvoir continuer longtemps à éviter des manifestations relativement massives. Ils vont donc devoir changer de tactique. Probablement, ils vont nous faire le coup du “Tous dans la rue derrière les syndicats” pour soi-disant construire un rapport de force qui leur permettrait de mieux “négocier” les réformes. Il ne faudra pas ici se laisser berner. Quels que soient les masques qu’ils portent, ceux de la conciliation ou de la radicalité, du corporatisme ou de “l’unité interprofessionnelle”, les syndicats mènent toujours volontairement les ouvriers à la défaite. En décembre 1995, visiblement tous ‘unis et combatifs’ contre le plan Juppé, ils avaient crié victoire pour mieux laisser passer dans les mois qui ont suivi toutes les attaques que contenait ce même plan (en particulier celle qui lançait la casse de la Sécurité sociale). Au printemps 2003, sous ce même drapeau de l’union et de la combativité, ils ont en fait orchestré l’isolement et l’épuisement des ouvriers du secteur le plus décidé alors à lutter : les travailleurs de l’EN. En effet, en 2003, la bourgeoisie a mené simultanément deux attaques de front : une attaque générale contre les fonctionnaires (réforme des retraites) et une plus spécifique à l’EN (réforme des statuts des personnels administratifs ATOS). Les syndicats ont mobilisé les personnels de l’EN sur la question de cette attaque spécifique, les laissant ainsi se battre seuls pendant des mois. Lorsque, au printemps, la réforme des retraites a jeté dans la rue des centaines de milliers de fonctionnaires, l’attaque sur les ATOS a été retirée, entraînant de fait une démobilisation des enseignants, épuisés et à bout financièrement. La précedente réforme des retraites est alors passée et la bourgeoisie, grâce aux syndicats, a fait passer son message : “ce n’est pas la rue qui gouverne”6. Il est d’ailleurs tout à fait possible que ce piège soit à nouveau tendu dans les mois à venir. Pour faire passer la nouvelle réforme de retraites, le gouvernement va peut-être reculer un peu, au moment propice de l’éventuelle mobilisation, sur les suppressions de postes d’enseignants ou de surveillants à l’EN ou d’infirmières dans les hôpitaux.

Les syndicats sont les chiens de garde du capital. Ils sabotent les luttes, divisent, distillent le poison du corporatisme de l’intérieur. Pour faire face aux attaques, il faut que les ouvriers prennent en main leurs luttes, de façon autonome, qu’ils s’organisent en tant que classe, qu’ils tissent des liens au-delà des secteurs et des corporations, public-privé, chômeurs-travailleurs-retraités… Pour cela, lors des manifestations, il ne faut pas rester sous des banderoles à défiler entre collègues de la même boîte mais débattre, organiser des AG spontanées et ouvertes à tous, en fin de manifestation. Quand, sur un lieu de travail, une grève éclate, l’AG ne doit pas être aux mains des représentants syndicaux mais des travailleurs ; les mots d’ordre et d’action doivent s’y décider collectivement ; les représentants chargés de telle ou telle tâche doivent être mandatés et révocables à tout moment. Pour ne pas rester isolés, il faut aller chercher la solidarité en actes des autres travailleurs des usines ou des administrations voisines en allant à leur rencontre par délégations massives.

La lutte aux mains des syndicats mène toujours à la défaite !

Seule la lutte organisée par les ouvriers eux-mêmes permettra de développer la solidarité prolétarienne et de créer un rapport de force en faveur de notre classe !

Pawel (27 mars)

 

1)  Lire notre article sur les élections régionales dans ce numéro.

2)  Des luttes un peu plus importantes se déroulent en ce moment même en Grèce, Etats-Unis, Russie… Lire nos brèves sur “Les luttes dans le monde” dans ce numéro.

3)  ‘EN’ dans la suite de l’article.

4)  Institut universitaire de formation de maîtres.

5)  Et le cirque va se poursuivre, car une nouvelle journée d’action est prévue le 30 mars pour… les infirmières !

6)  Phrase lancée par l’ex-Premier ministre J.P. Raffarin à la fin du mouvement.