Une condition de la révolution : rompre avec la tradition

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Dans tous les pays du monde, le premier Mai 1948 va servir d'occasion et de prétexte pour mobiliser les masses ouvrières. Tous les États, officiellement ou officieusement, les partis politiques, les organisations syndicales vont rivaliser d'ardeur et montrer leur habileté dans le mouvement d'enveloppement et d'abrutissement universel de larges masses, et l’église elle-même viendra apporter sa bénédiction divine.

Le premier Mai a cessé d’être une journée de manifestation de l'unité internationale de prolétariat pour devenir une journée internationale de manifestation de son asservissement idéologique au capitalisme.

Et rien n'indique mieux cet asservissement que le fait de la pénétration au sein prolétariat des idées nationales, du bien-être, de la grandeur, de la libération ou de la défense nationale. De symbole de l'internationalisme prolétarien, le premier Mai est devenu un moyen supplémentaire extrêmement subtil et très efficace de pénétration idéologique par la classe ennemie.

Des groupements se disant révolutionnaires, comme les anarchistes et les trotskistes, prétendent redonner au premier mai son caractère de classe, son caractère révolutionnaire. Ils appellent les ouvriers à "reconquérir" le premier Mai. Ce faisant, ils montrent leur attachement infantile et superstitieux à l’enveloppe et non au contenu, à la phrase plus qu'à son essence.

Nous savons combien est fort l'enchaînement de la tradition ; c'est là un des secrets qui a toujours servi et permis aux classes conservatrices de maintenir leur domination sur les masses opprimées. La continuation de la lutte révolutionnaire et émancipatrice du prolétariat ne se fait pas par la fidélité aux rites traditionnels, aux symboles sacrés, aux images saintes ; au contraire, c'est en se libérant de tout ce fatras superstitieux et fétichiste que l'on peut poursuivre l'action révolutionnaire.

Le prolétariat n'a plus besoin d'une journée internationale de grève transformée, aujourd’hui, en fête nationale du travail. Le gréviste du premier Mai, aujourd’hui, ne marque en rien une conscience de classe par rapport au non-gréviste ; et souvent, c'est le contraire qui est vrai. Aussi, n'hésitons pas à nous désolidariser et à nous placer en dehors de toute l'agitation, en dehors de tous les appels à la grève. Entre l'affirmation de la lutte de classe qui est la nôtre et la grève-manifestation de ce premier de Mai, qui rassemble physiquement les ouvriers sur un fond de destruction de leur conscience révolutionnaire, il ne peut y avoir rien de commun mais, au contraire, opposition intransigeante, absolue.

En tant que journée de lutte de classe, le premier Mai appartient intégralement au passé, à l'histoire du mouvement ouvrier. Il exprime une étape historique de formation du prolétariat, de sa prise de conscience ; il est lié à cette période d'ascension du capitalisme pendant laquelle le prolétariat devait et ne pouvait lutter que pour des revendications immédiates, pour l'obtention, par sa lutte, de réformes économiques et politiques, dans l’intérêt de sa classe. La lutte pour le suffrage universel, pour le droit d'association, pour le droit syndical, pour la liberté de la presse, pour la journée de huit heures, voilà le contenu concret de la journée du premier Mai.

Avec la fin de cette période du capitalisme, c'est la fin des possibilités internes de réformes du régime, en même temps que la fin nécessaire de la lutte du prolétariat pour ces objectifs limités, désormais stériles.

Le déclin du capitalisme, faisant de la guerre permanente et des destructions catastrophiques le mode de vie de la société, donne à la mission historique du prolétariat un objectif concret, immédiat et pratique.

Sa lutte ne peut désormais avoir un caractère de classe que dans cet objectif : la lutte révolutionnaire permanente pour la destruction du régime et de l'État capitaliste.

La mobilisation du prolétariat sur la base des objectifs du passé, c'est son immobilisation dans le présent et l'interdiction d'une orientation vers l'avenir. Les objectifs passés et les traditions servent ainsi de voie d'accès largement ouverte à la pénétration corruptrice de l'idéologie capitaliste, en même temps qu'ils deviennent un barrage enrayant et contredisant la marche en avant de l'esprit révolutionnaire de la classe.

Ce n'est pas l'accaparement par les partis socialistes et staliniens - qui, en donnant aux manifestations du premier Mai des objectifs nationalistes, lui enlève son caractère de classe - qu'il importe de dénoncer ; ce qui plus important, c'est de comprendre que c'est la nature de cette journée, intimement et inséparablement liée à la lutte pour des objectifs aujourd’hui dépassés et périmés, qui permet l'utilisation et l'accaparement de cette manifestation traditionnelle par ces partis au profit du capitalisme.

Le capitalisme sait qu'en emprisonnant le prolétariat dans le passé, il lui interdit l'avenir et il s'y emploie de toutes ses forces. Surtout les socialistes et les staliniens, ces principales forces agissantes du capital au sein du prolétariat, prouvent, par leur exaltation de la tradition du premier Mai, avoir compris cela ; autant les anarchistes, trotskistes et autres groupes prouvent, en cette circonstance comme en tant d'autres, n'avoir rien compris ; et, sans se rendre compte et tout en bêlant, ils suivent le capitalisme, la corde (de la tradition) au cou.

Les révolutionnaires doivent une bonne fois pour toutes se libérer d'un sentimentalisme dissolvant et comprendre que la journée du premier Mai, en tant que manifestation de lutte de classe, appartient désormais à l'histoire du mouvement ouvrier.

La journée du premier Mai, en tant que manifestation du présent, ne peut contenir la lutte de classe ; elle est et ne peut être qu'une manifestation d'asservissement du prolétariat, une journée du capitalisme.

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