Andreas Malm : la rhétorique "écologique" en défense de l'État capitaliste

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Face à la gravité de la crise climatique et de ses conséquences, de plus en plus de voix s’élèvent pour incriminer la responsabilité du système capitaliste, un clair indice que la mystification selon laquelle ce serait l’Homme –l’espèce humaine en général– qui se trouverait à son origine ne suffit plus pour contrecarrer, stériliser la réflexion en cours au sein du prolétariat sur ce plan. Dans la fabrique et l’adaptation permanente de l’idéologie bourgeoise, au fourre-tout académique-universitaire nébuleux de l’Anthropocène succède désormais le brouillard du fourre-tout du Capitalocène. Particulièrement, les théories d’Andreas Malm[1] (Maitre de conférences en géographie humaine à l’université de Lund en Suède et membre de l’organisation trotskiste la Quatrième Internationale - Secrétariat unifié) y occupent une place privilégiée et sont mises en avant à grand renfort de publicité avec un large retentissement international.

Constatant qu’ « aucun discours ne poussera jamais les classes dirigeantes à agir », dans son livre ‘Comment saboter un pipeline’ « Andreas Malm invite le mouvement [écologique] à dépasser le pacifisme et à recourir à l’action violente non contre les personnes mais contre les infrastructures du capitalisme fossile ». Son « idée-force, résumée dans L’Anthropocène contre l’histoire (2017) : ce n’est pas l’humanité qui est devenue une force géologique – c’est le sens du mot ‘anthropocène’ forgé par le prix Nobel de chimie néerlandais Paul Crutzen en 2002 mais l’économie et le capitalisme fossile qui sont nés en Angleterre avec la machine à vapeur de James Watt, d’où la préférence d’Andreas Malm pour le mot ‘capitalocène’. Car le Suédois cherche à concilier marxisme et environnementalisme. (…) il relie l’écologie au marxisme souvent déconsidéré dans les milieux écologistes pour son productivisme : il justifie le passage à l’action violente dans une galaxie dominée par le pacifisme ; et ne renie pas l’État comme allié dans la transition écologique au sein d’un communisme de guerre qu’il a théorisé dans ‘La Chauve-souris et le Capital’ (2020) »[2]

Tour à tour dénoncé comme « ennemi public n°1 »[3] ou encensé comme un « penseur fondamental » et « l'un des plus originaux sur le sujet du changement climatique », il passe pour le « nouveau gourou des écologistes radicaux ». La propagande bourgeoise n’hésite pas à l’ériger en « Lénine de l’écologie », rien de moins !

Pourtant il existe un contraste saisissant dans la façon où le « Lénine de l’écologie » est traité par la classe dominante : là où Lénine -et avec lui les révolutionnaires du passé- auxquels Malm est comparé ou auxquels ce dernier se réfère, ont été voués aux gémonies, calomniés, censurés, contraints à l’exil, poursuivis par les polices de toutes les variantes possibles des différents régimes politiques du capitalisme, démocratie bourgeoise en tête, Malm, lui, a pignon sur rue. Il jouit d’une place bien en vue à l’université, ses ouvrages sont traduits en plus d’une dizaine de langues et mis facilement à la disposition d’un large public. Pour ceux qui ne lisent pas, ils ont été relayés par une grande production hollywoodienne (mettant en scène un groupe de jeunes qui décide de faire sauter un oléoduc au Texas), « How to blow up a pipeline », largement diffusé au plan mondial. Comment expliquer cette large publicité mondiale offerte par la classe dominante à son prétendu ennemi, à celui qui prétend combattre son système ? Quelle est la raison de cette sollicitude de la part de la classe dominante pour Malm ?

La réponse à ces questions et le secret de cet enthousiasme bourgeois pour Malm, on les découvre sous la plume de Malm lui-même (dès 2009 dans son ouvrage « Fossil Capital ») résumés et condensés en quelques phrases qui pourraient presque passer inaperçues sous le monceau de ses écrits, mais qui révèlent et démasquent toute la quintessence de sa démarche : pour lui, le changement climatique « serre la vis aux marxistes comme à tous les autres. Tout argument du type "une solution - la révolution" ou, de manière moins abrégée, "les relations de propriété socialistes sont nécessaires pour lutter contre le changement climatique" est désormais indéfendable. L'expérience des deux derniers siècles indique que le socialisme est une condition épouvantablement difficile à atteindre ; toute proposition visant à le construire à l'échelle mondiale avant 2020 et à commencer ensuite à réduire les émissions serait non seulement risible, mais irresponsable. (...) Si la temporalité du changement climatique oblige les révolutionnaires à un peu de pragmatisme, elle oblige les autres à commencer à réfléchir à des mesures révolutionnaires. »[4]

La lutte pour le Communisme ne serait donc plus d’actualité, mais dépassée, rendue caduque par l’urgence climatique. Ainsi, par ce grossier tour de passe-passe, Malm ne fait que défendre et ‘théoriser’ le très vulgaire « nous sommes tous dans le même bateau », cher à l’idéologie bourgeoise et au cœur de la mystification de l’unité nationale et de la paix entre les classes ! En récusant la validité de la perspective de la révolution prolétarienne et du communisme, selon lui inappropriée et inapte à apporter une solution aux problèmes que confronte l’humanité et (y compris à la question des dévastations écologiques) dans la situation historique actuelle, Malm, genou à terre, proclame son allégeance à la classe dominante.

Son antisocialisme viscéral et déclaré donne la jauge de la validité de son ‘marxisme’ : détachées du combat pour le communisme, les références à Marx, Trotski ou Lénine ne forment dès lors plus qu’un ramassis de formules creuses où règnent amalgames et falsifications ! La bourgeoisie a eu tôt fait de déceler le parti dont elle pouvait tirer du ‘marxisme’ de Malm émasculé de sa finalité révolutionnaire ! C’est bien ce qui lui vaut la reconnaissance et toute la sollicitude de la part de la classe dominante, ainsi que la place de choix qu’elle lui réserve dans ses campagnes officielles !

Une méthode et une approche bourgeoises de part en part

Face à la menace du réchauffement climatique qu’il identifie comme la priorité politique n°1 pour l’humanité, Malm prétend, à l’aide de toute une théorie (Le Capital fossile) qui a la couleur, l’apparence du matérialisme historique et la prétention d’actualiser et faire avancer le marxisme, détenir LA solution pour s’attaquer à son ‘moteur’, qui peut être ramenée à la simple assertion suivante : pour combattre le réchauffement climatique il s’agit d’éliminer définitivement les émissions de gaz à effet de serre qui en sont responsables. Cela passe par la mesure radicale d’éradiquer le secteur des énergies fossiles de la production capitaliste et de « fermer cette activité pour de bon. » [5] Et le problème sera réglé !

Cette approche du sauvetage écologique de la planète réduit au ‘tout décarbonation’ est dénoncée par une partie du camp écologiste et du monde scientifique, (mêmes si ceux-ci ne sont pas eux-mêmes non plus en capacité d’apporter de réelles alternatives) comme une aberration, « un exemple de l’étroitesse d’esprit contemporaine, qui mène à l’erreur maintes fois relevée (…) : une sous-estimation systématique de la multiplicité des interactions caractérisant les systèmes naturels et sociaux. »[6] et la position de Malm elle-même fait l’objet de critiques : « On pourrait démanteler tous les oléoducs, toutes les mines de charbon et tous les SUV « et découvrir que nous sommes toujours condamnés à l’extinction » parce qu’il resterait encore à s’attaquer à « la dégradation des sols, la raréfaction de l’eau douce, la dysbiose des océans, la destruction des habitats, les pesticides et autres produits chimiques synthétiques », chaque problème étant « comparable, en termes d’échelle et de gravité, à l’effondrement climatique ». Nous ne sommes pas ici aux prises avec le seul capital fossile mais avec « tout le capital » »[7]

En bon idéologue bourgeois en matière d’écologie, Malm incarne complètement la démarche typiquement capitaliste consistant à aborder chaque problème surgissant dans la société capitaliste séparément les uns des autres (en proposant pour chacun une prétendue ‘solution’) ainsi qu’à les traiter indépendamment de ce qui se trouve à leur racine : le système capitaliste comme un tout et sa crise historique. Une approche et une méthode bien éloignées du matérialisme historique et qui n’a rien à voir avec le marxisme.

Alors que l’humanité, le prolétariat mondial, sont confrontés à l’accélération de la décomposition du système capitaliste où les effets combinés de la crise économique, de la crise écologique/climatique et de la guerre impérialiste s’ajoutent, interagissent et démultiplient leurs conséquences en une spirale dévastatrice, et que, parmi ces différents facteurs, celui de la guerre (en tant que décision délibérée de la classe dominante) forme l’élément accélérateur déterminant d’aggravation du chaos et de la crise économique, tout cela est occulté par Malm[8] !

Nulle trace dans ses écrits de la crise économique du capitalisme ou des répercussions catastrophiques sur la société et l’environnement de l’organisation de l’ensemble de la société en vue de la préparation permanente de la guerre depuis l’entrée du système capitaliste en décadence. Alors que justement, le retour de la guerre de ‘haute intensité’ entre États forme, à elle-seule et au niveau immédiat, (et il existe bien d’autres raisons fondamentales à l’impossibilité du Capital à trouver une solution à la crise écologique) un puissant motif d’abandon des mesures de ‘transition écologique’ et de la réduction des émissions des gaz à effet de serre. En effet : « Pas de guerre sans pétrole. Sans pétrole, il est impossible de faire la guerre (…) Renoncer à la possibilité de s'approvisionner en pétrole abondant et pas trop cher revient tout simplement à se désarmer. Les technologies de transport [qui n'ont pas besoin de pétrole, hydrogène et électricité] sont totalement inadaptées aux armées. Des chars électriques à batterie posent tellement de problèmes techniques et logistiques qu'il faut les considérer comme impossibles, tout comme tout ce qui roule sur terre (véhicules blindés, artillerie, engins de génie, véhicules légers tout-terrain, camions) Le moteur à combustion interne et son carburant sont tellement efficaces et souples qu'il serait suicidaire de les remplacer. »[9]

Tout attaché à nous convaincre qu’il existe une solution à la crise climatique au sein du capitalisme Malm propose un « programme de transition écologique » en dix point : « 1°) imposer un moratoire sur toutes les nouvelles installations d’extraction de charbon, de pétrole ou de gaz naturel 2°) fermer toutes les centrales électriques alimentées par ces combustibles 3°) produire 100% de l’électricité à partir de sources non fossiles, principalement le vent et l’énergie solaire 4°) mettre fin au développement du transport aérien, maritime et terrestre ; convertir le transport terrestre et maritime à l’électricité et à l’éolien ; rationner le transport aérien pour garantir une juste distribution jusqu’à ce qu’il puisse être totalement remplacé par d’autres moyens de transport 5°) développer les réseaux de transport public à tous les niveaux, des métros aux trains à grande vitesse intercontinentaux 6°) limiter le transport de nourriture par bateau et avion et promouvoir systématiquement des approvisionnements locaux 7°) mettre fin à la destruction des forêts tropicales et lancer de grands programmes de reforestation 8°)isoler les vieux bâtiments et imposer que les nouveaux produisent leur propre énergie sans émission de dioxyde de carbone. 9°) démanteler l’industrie de la viande et diriger les besoins humains en protéines vers des sources végétales 10°) diriger l’investissement public vers le développement des technologies d’énergie renouvelable et durable les plus efficaces, et des technologies d’élimination du dioxyde de carbone. » [10]

Tout ce que Malm a le toupet de présenter comme l’équivalent du Manifeste Communiste de Marx, destiné à en prendre le relais et à lui succéder, ne se distingue absolument en rien de ce que les gouvernements occidentaux défendent (en paroles) et prétendent vouloir mettre en œuvre !

Malm ne fait que se poser ainsi en défenseur (mais attention, en défenseur ‘critique’ !) des mesures de décarbonation prises par les États occidentaux. Ainsi emboite-t-il le pas au GIEC qui, il y a déjà une décennie[11], a inauguré une nouvelle phase dans les politiques de lutte contre le réchauffement climatique en présentant le recours à la géo-ingénierie[12] comme désormais inévitable. Pour le GIEC, l’État bourgeois et les gouvernements, il s’agit désormais de s’appuyer sur la haute technologie en ‘innovant’ pour ‘compenser’ les effets catastrophiques produits par le capitalisme et ses contradictions sur la nature[13]. « Si Andreas Malm s’attèle à une critique de la géo-ingénierie, il ne la discrédite pas complètement, estimant qu’il sera difficile de faire l’économie de certains outils capables de capter le carbone »[14] (c’est-à-dire les technologies à émissions négatives’ - « l’euphémisme utilisé pour désigner les techniques de géo-ingénierie de la famille de l’élimination du dioxyde de carbone sans effrayer les populations. »)[15]) En « attendant mieux » (et il risque d’attendre un bon moment) l’urgentiste Malm apporte son soutien aux « moyens du bord », le recours croissant aux potions magiques de l’État bourgeois et de ses docteurs Folamour pour « soigner la Planète » qui ne font qu’aggraver exponentiellement la situation au lieu de l’atténuer et générer de nouvelles calamités aux conséquences de plus en plus imprévisibles et destructrices pour le genre humain, la classe ouvrière et le support de la société, l’environnement naturel.

Pour Malm, l’état d’urgence motive la défense de l’État capitaliste et du capitalisme d’État

Selon Malm, comme ça urge au point de vue réchauffement, et qu’on ne peut plus compter sur la capacité du prolétariat à se doter de ses organes révolutionnaires pour remettre en cause l’ordre capitaliste, il faut faire avec ce qu’on a sous la main pour éteindre l’incendie. En adversaire résolu du Communisme, pour lui, ce sont l’État capitaliste, les décisions étatiques et l’action politique sur le terrain de l’État qui forment l’alpha et l’oméga de sa vision politique et bornent son horizon. Selon lui, à moins de faire preuve d’une ‘irresponsabilité aussi délirante que criminelle’, il faut reconnaître la nécessité d’ « abandonner le programme classique consistant à démolir l’État (…) – un aspect du léninisme parmi d’autres qui semblent bien mériter une nécrologie »[16] et se concentrer sur le seul outil qui reste à disposition, l’État bourgeois[17]. Le "Lénine de l'écologie" rejette et abandonne l'une des contributions les plus importantes de Lénine au mouvement révolutionnaire : la restauration et la clarification de la position marxiste sur l'État. On ne peut guère aller plus loin dans la remise en cause et l’abandon du marxisme !

Tout en critiquant cet « outil bien imparfait » et comme « il y a à peu près aucune chance qu’un État capitaliste fasse quoi que ce soit (…) de sa propre initiative. Il faudrait qu’il y soit forcé, en usant de toute la panoplie des moyens de pression populaire à notre disposition, des campagnes électorales au sabotage de masse. »[18] « Car si un État pouvait prendre le contrôle des flux commerciaux, traquer les trafiquants d’animaux sauvages, nationaliser les compagnies de combustibles fossiles, organiser la capture [du CO2] dans l’air, planifier l’économie pour faire baisser les émissions d’une dizaine de pour cent par an et faire toutes les autres choses à faire, nous serions en bonne voie pour sortir de l’urgence. »[19]

Il appelle à ce « qu’une pression populaire s’exerce sur lui, [change] les rapports de force qu’il condense, contraignant les appareils à rompre l’attelage et à commencer à bouger en employant toutes les méthodes déjà rapidement évoquées. »[20] « (…) il faut des décisions et des décrets de l’État – ou autrement dit, l’État doit être arraché des mains de tous les Tillerson et Fridolin de ce monde pour qu’un programme de transition du type de celui esquissé plus haut soit mis en œuvre. »[21] Il s’agit donc de « [sauter] sur la moindre occasion pour faire bouger l’État dans cette direction, rompre avec le business-as-usual aussi nettement que nécessaire et soumettre au contrôle public les secteurs de l’économie qui œuvrent à la catastrophe. »[22]

Malm travestit l’impossibilité et l’incapacité complète du système capitaliste comme un tout d’apporter une solution à la question écologique, en faisant passer cette impuissance pour un problème d’inertie de l’État, pris en otage par les intérêts égoïstes des barons du secteur des énergies fossiles.

Ce qu’il propose, c’est d’utiliser à fond les mécanismes de l’État bourgeois démocratique, en les appuyant d’une bonne dose de ‘désobéissance civile’ pour la bonne cause : Malm apporte sa contribution aux tentatives de tous les États occidentaux de faire revenir les masses de plus en plus abstentionnistes vers les urnes et le bulletin de vote. Et entretient ainsi les illusions sur la démocratie bourgeoise en invitant tous ceux que l’avenir de la planète inquiète à en faire le cadre de leur action !

Et en même temps, Malm défend que pour traiter les causes de l’urgence chronique la coercition étatique est « nécessaire et urgente » et exige « une nouvelle hiérarchisation des tâches pour les appareils répressifs des États du monde entier. »[23] Afin de justifier et légitimer la nécessité de la violence et d’une répression plus actives de la part de l’État au plan écologique, il prend pour modèle et source d’inspiration les mesures drastiques de contrôle étatique et de militarisation de vastes secteurs de la société prises par l’Etat soviétique lors du Communisme de guerre dans la Russie de 1918-21 en butte aux interventions militaires impérialistes, à la guerre civile et à la famine. Sur la même lancée Malm rappelle les énormes sacrifices consentis par les ouvriers et les paysans russes pour justifier, aujourd’hui aussi, l’exigence d’« une forme de renoncement nécessaire » et l’impossibilité « d’éluder l’interdiction de la consommation d’animaux sauvages, l’arrêt de l’aviation de masse, l’abandon progressif de la viande et d’autres choses synonymes de belle vie. »[24] Un thème finalement à l’unisson des campagnes bourgeoises prônant la ‘sobriété’ sous prétexte de la défense de la planète pour imposer les attaques sur les conditions de vie de la classe exploitée, rendues indispensables par la crise économique.

Au nom de la défense de la planète, les exploités doivent agir en citoyens, se conformer aux exigences et se soumettre aux intérêts du grand orchestrateur qu’est, dans la tête de Malm, l’État dans la lutte contre le réchauffement climatique.

La valise pleine de mesures capitaliste d’État sous le bras, Malm racole en faveur de son programme clé en main pour l’État bourgeois. « L’appel à la nationalisation des compagnies de combustibles fossiles et à leur transformation en équipements de capture directe dans l’air devrait être la revendication centrale pour la transition dans les années qui viennent. »[25] « Cela commence par une nationalisation de toutes les entreprises privées qui extraient, transforment et distribuent des combustibles fossiles. La meute déchainée que constitue ExxonMobil, BP, Shell, RWE, Lundin Energy et toutes les autres devra être maitrisée et la manière la plus sûre de le faire est de ramener ces compagnies dans le giron du secteur public, soit par l’acquisition, soit par la confiscation sans compensation – qui parait plus défendable. »[26]

  • « Il faut les nationaliser (…) pas seulement ‘se débarrasser de ces entreprises (…) mais pour les transformer en compagnies assurant un service d’élimination du carbone’. En faire un service public de la restabilisation du climat. »[27]

Ainsi, Malm se pose-t-il ouvertement en gestionnaire de l’État et du Capital et veut nous faire croire que l’État bourgeois aux mains de forces politiques déterminées peut contraindre le Capitalisme à mettre en œuvre la solution de l’abandon des énergies fossiles !

Pour créditer ‘sa solution’ Malm développe toute une vision complètement mystificatrice de la nature de l’État bourgeois au-dessus des classes, arbitre de l’intérêt général et du bien de tous, pouvant/devant agir pour le bien commun de l’ensemble de la société ; un vieux refrain de l’idéologie bourgeoise rabâché depuis des décennies tout particulièrement par les forces politiques de la gauche capitaliste (depuis les Sociaux-Démocrates, les Staliniens et à leur suite les Trotskistes).

Contrairement à ce que laisse supposer Malm, l’État n’est pas ‘neutre’, ni l’endroit où la classe exploitée pourrait exercer et faire respecter sa volonté. Au contraire ! Expression de la société divisée en classes antagoniques, l’État est l’instrument exclusif aux mains de la classe dominante pour maintenir sa domination et garantir ses intérêts de classe, il est par définition l’outil de défense de son système avec lequel elle impose la logique de son système.

L’État n’est pas plus non plus un organe de ‘rationalisation’ de ‘régulation’ des contradictions du capitalisme auxquelles il pourrait apporter une ‘solution’.

La mainmise omniprésente et croissante de l’État sur l’ensemble de la vie sociale depuis plus d’un siècle ne correspond pas à la mise en place de solutions viables aux contradictions de son système (au plan social, économique et impérialiste) exacerbées par sa décadence.

Le développement tentaculaire de l’État est au contraire l’expression des contradictions et de l’incapacité du monde bourgeois à les surmonter, de l’impasse dans laquelle il se trouve historiquement.

Dans la situation historique actuelle, après plus d’un siècle de décadence, l’accumulation des contradictions au fondement de l’existence du système capitaliste, et de leurs effets se traduit par la tendance croissante de la classe dominante à perdre le contrôle sur son système qui part en lambeaux et pourrit sur pied. Loin de représenter un frein à cette tendance, l’État s’avère lui-même de plus en plus ouvertement un vecteur de l’irrationalité destructrice qui caractérise et domine l’ensemble du système capitaliste. L’État et son action deviennent eux-mêmes un facteur d’aggravation de plus en plus avéré de la crise historique du système capitaliste dans la phase terminale de son existence, celle de sa décomposition.

Il n’y a donc rien à attendre de la possibilité d’agir sur le terrain de l’État et toute illusion à ce sujet doit être fermement rejetée.

C’est dans ce cadre que Malm nous invite pourtant à distinguer parmi les différentes parties qui forment l’appareil d’État certaines d’entre elles qui seraient plus recommandables que d’autres et qu’il fait du pied à la gauche du capital (un classique pour les trotskistes !) présentée (de façon critique !) comme des alliés progressistes[28] : « Cela ne veut pas dire que les formations sociale-démocrates n’ont pas un rôle à jouer. Au contraire elles sont peut-être notre meilleur espoir, comme on a pu le voir au cours de ces dernières années. Rien n’aurait été meilleur pour la planète qu’une victoire de Jeremy Corbin au Royaume-Uni en 2019 et de Bernie Sanders aux États-Unis en 2020. S’ils avaient pu se retrouver aux commandes des deux bastions traditionnels du capitalisme, il y aurait eu de réelles occasions de s’appuyer sur la crise actuelle et celles qui sont sur le feu pour rompre avec le business-as-usual. »[29] Sans commentaires ! Là encore une tromperie de plus véhiculée par Malm pour embrouiller la conscience ouvrière sur la véritable nature de ces partis bourgeois et rabattre population et ouvriers sur les partis socialistes ou sociaux-démocrates (qui ont maintes fois prouvés leur nature anti-ouvrière). Encore un mensonge destiné à masquer qu’à notre époque tous les partis bourgeois sont également réactionnaires, et qu’il n’y a pas plus à attendre de l’un que de l’autre !

Sur les questions de l’État comme de ses forces de gauche, il faut au moins reconnaître à Malm ‘le mérite’ de la clarté : il dévoile sans far la logique de fond commune à l’ensemble du courant trotskiste : la défense du capitalisme d’État !

Les constructions politiques de Malm sont une partie intégrante des campagnes idéologiques de la classe dominante au service direct de ses intérêts. Elles ont pour but de leur fournir l’emballage radical prétendument anticapitaliste dont elles ont besoin pour stériliser le début de réflexion sur la responsabilité du capitalisme dans le désastre écologique et la détourner sur le terrain de l’État et la démocratie bourgeoise ! De ce fait Malm mérite bien sa décoration de ‘l’Ordre de Lénine’ de l’Ecologie :

  • Les ‘théories’ de Malm prolongent et poursuivent la campagne déclenchée depuis 1989 contre le Communisme, cette fois-ci au nom du réalisme face à la crise climatique, qui en raison de son urgence, change la donne et rend inopérante la lutte pour le Communisme.
  • En niant que la solution à la crise climatique exige la destruction de l’État bourgeois, des rapports sociaux capitalistes qu’il garantit et le remplacement du système capitaliste par une société sans classe, le mot révolution, dans la bouche de Malm, change de sens et ne signifie plus qu’aménagement et gestion du système capitaliste.
  • Qu’il s’agisse des moyens à mettre en œuvre prônés par Malm – l’encouragement à la désobéissance civile et l’action individuelle ou de masse du sabotage contre les gros émetteurs de gaz à effet de serre (dégonfler les pneus des SUV des plus riches, cibler un aéroport de jets privés ou une usine de ciment…) – ou de leur but : faire pression sur l’État capitaliste pour qu’il prenne enfin les bonnes décisions – ils n’ont pour vocation en réalité que d’enfermer ceux qui pourraient se laisser séduire par ce discours dans les limites de l’ordre capitaliste. En laissant intactes et en préservant les relations sociales d’exploitation de l’ordre capitaliste, à la racine des maux qui assaillent la société, c’est tout bénéfice pour la classe dominante : ce ne sont que des impasses stériles qui garantissent le statu quo et l’impuissance.

Dans la prochaine partie de cet article, nous aborderons pourquoi les questions sociale et écologique ne peuvent être résolues qu’en même temps et que seul le prolétariat est le détenteur de la solution.

Scott


[1] Depuis les années 1990, Andreas Malm « s'engage de manière durable dans le combat contre la colonisation de la Palestine contre l'islamophobie en Europe et contre « l'impérialisme américain » (…) Il écrit pour le journal d'un syndicat suédois, Arbetaren, de 2002 à 2009. À partir de 2010, il écrit dans le journal Internationalen, l'hebdomadaire du parti trotskyste, Parti socialiste suédois qui fait partie de la Quatrième Internationale - Secrétariat unifié, et dont il est membre. Il participe au magazine de gauche radicale américaine Jacobin. Il est une des personnes qui, depuis le début, participent en Suède à l'International Solidarity Movement. Il participe à des groupes de désobéissance civile contre le changement climatique. » (Wikipédia)

[2] Le Monde, 21 avril 2023

[3]Malm a été cité comme la principale inspiration des ‘Soulèvements de la Terre’ « prônant l’action directe et justifiant les actions extrêmes allant jusqu’à la confrontation avec les forces de l’ordre », dans le décret de tentative de dissolution de ce mouvement par l’État français.

[4] Andreas Malm, Fossil Capital, The Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming, Edition Verso, 2016, p. 383

[5] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p.158

[6] Hélène Torjman, La croissance verte contre la nature, Editions la Découverte, 2021, p247

[7] Socialalter n°59 « Sabotage : on se soulève et on casse ? » (août-septembre 2023) Dans cet entretien Malm présente les critiques que lui adresse le journaliste du Guardian George Monbiot.

[8] Face à l’actuelle guerre impérialiste au Moyen-Orient et sur la question clé de l’internationalisme, Malm signe son appartenance au camp du capitalisme, en choisissant la défense d’un camp bourgeois (en faveur de l’impérialisme palestinien) contre un autre : « Au cours d'une conférence a l'université de Stockholm en décembre 2023, Andreas Malm loue les massacres et atrocités commis par le Hamas lors de l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.» (Wikipédia) Malm « voit derrière cette attaque « la résistance palestinienne », clame même que c’est « fondamentalement un acte de libération » (…)et a fait savoir qu’il se réjouissait des ripostes du Hamas. « Je consomme ces vidéos comme une drogue. Je les injecte dans mes veines. Je les partage avec mes camarades les plus proches », a-t-il indiqué. » (Journal du Dimanche, 10.04.2024) Ce soutien abject aux atrocités du Hamas montre à quel point il est non seulement étranger aux intérêts du prolétariat mais l’ennemi de celui-ci

[9] Conflits n°42

[10] Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire, Editions La Fabrique, 2017, p.203

[11] Dans son cinquième rapport en 2014.

[12] La géo-ingénierie est l'ensemble des techniques qui visent à manipuler et modifier le climat et l'environnement de la Terre.

[13] Le recours tous azimuts aux nouvelles technologies est vu comme une impasse dangereuse et inquiétante par les scientifiques les plus lucides : «  (…) Ce modèle procède de la même vision et des mêmes structures socio-économiques mises en place à la fin du XVIII°S, celles d’un capitalisme industriel dominé par une quête frénétique de ressources et de rendement, où le progrès technique est le moyen de ces fins. Ce mode de production nous a menés là où nous sommes. Il est donc vain d’en attendre des solutions à la destruction de la nature qui est en cours. Au contraire (…) l’instrumentalisation de la vie et des processus vivants ne fait que s’approfondir, se sophistiquer et s’étendre à de nouveaux domaines aidée en cela par la puissances des outils de sciences et technique dans une dynamique perverse et contre-productive. L’agriculture industrielle pollue l’air, les sols et l’eau, détruit la paysannerie et les écosystèmes et n’a plus pour vocation de nourrir les êtres humains mais de fabriquer de l’essence et des produits chimiques. Que fait-on ? On accélère, en mettant tout en œuvre pour accroître encore la productivité et le rendement des cultures par des manipulations génétiques des plantes (…) L’extraction et l’usage des énergies fossiles émettent des gaz à effet de serre : on fabrique des agrocarburants qui, in fine, en émettent encore plus.(…) L’urgence climatique est telle qu’on imagine des procédés visant à ‘capturer et stocker le carbone’ : non seulement ces procédés sont extrêmement énergétivores, donc à l’origine de grosses émissions de CO2, mais ils fragilisent la croûte terrestre, ce qui est une manière étrange de sauver la planète. Bref la recherche de l’efficacité se retourne contre elle-même. » (Hélène Torjman, La croissance verte contre la nature, Editions la Découverte, 2021, pp.98-99)

[14] Le Monde, 21 avril 2023

[15] Hélène Torjman, La croissance verte contre la nature, Editions la Découverte, 2021, p.97

[16] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p.173

[17] « Mais quel État ? Nous venons d’affirmer que l’État capitaliste est incapable par nature de prendre ces mesures. Et pourtant il n’ya pas d’autres formes d’État disponible. Aucun État ouvrier fondé sur des soviets ne naitra miraculeusement en une nuit. Aucun double pouvoir des organes démocratiques du prolétariat ne semble près de se matérialiser de sitôt, ni un jour. Attendre une autre forme d’État serait aussi délirant que criminel et il nous faudra donc tous faire avec le lugubre État bourgeois, attelé comme toujours aux circuits du capital. » Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p.173

[18] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p.166

[19] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p.192

[20] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p.172

[21] Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire, Editions La Fabrique, 2017, p. 210

[22] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p.172

[23] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p.153-154

[24] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p.188

[25] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p. 163

[26] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p.158

[27] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p. 163

[28] Partis de gauche, avec lesquels Malm collabore directement comme par ex. en France l'Institut La Boétie, le think tank de La France Insoumise. Une preuve de plus son appartenance au camp bourgeois !

[29] Andreas Malm, La Chauve-souris et le Capital, Editions La Fabrique, 2020, p. 137

Personnages: 

Questions théoriques: 

Rubrique: 

Marxisme et écologie