Soumis par Revue Internationale le
L'actualité de la méthode de Bilan
A l'occasion des forts résultats électoraux des partis de l'extrême-droite en France, en Belgique, en Allemagne, en Autriche, ou lors de violentes ratonnades pogromistes de bandes d'extrême-droite plus ou moins manipulées, contre les immigrés et réfugiés dans l'ex-RDA, la propagande de la bourgeoisie « démocratique », partis de gauche et gauchistes en tête, a de nouveau brandi le spectre d'un « danger fasciste ».
Comme à chaque fois que la racaille raciste et xénophobe de l'extrême-droite sévit, c'est le choeur unanime de la réprobation des « forces démocratiques » qui s'élève, toutes tendances politiques confondues. Avec force publicité, tout le monde stigmatise les succès « populaires » de l'extrême-droite aux élections, et déplore la passivité de la population, complaisamment présentée comme de la sympathie, envers les agissements répugnants des sbires de cette mouvance. L'Etat « démocratique » peut alors faire apparaître sa répression comme garante des « libertés », la seule force capable d'enrayer le fléau du racisme, de conjurer le retour de l'horreur du fascisme de sinistre mémoire. Tout cela fait partie de la propagande de la classe dominante, qui multiplie les appels à la « défense de la démocratie » capitaliste, dans la continuité des campagnes idéologiques qui chantent le « le triomphe du capitalisme et la fin du communisme ».
Ces campagnes « anti-fascistes » reposent en fait en grande partie, sur deux mensonges : le premier qui prétend que les institutions de la démocratie bourgeoise et les forces politiques qui s'en réclament, constitueraient un rempart contre les « dictatures totalitaires » ; le deuxième qui fait croire que des régimes de type fasciste pourraient surgir aujourd'hui dans les pays d'Europe occidentale.
Face à ces mensonges, la lucidité des révolutionnaires des années 1930 permet de mieux comprendre ce qu'il en est dans le cours historique actuel, comme le montre l'article de Bilan, dont nous reproduisons ci-dessous des extraits.
Cet article fut écrit il y a près de 60 ans, en pleine période de victoire du fascisme en Allemagne et un an avant l'instauration du Front populaire en France. Les développements qu'il contient sur l'attitude des « forces démocratiques » face à la montée du fascisme en Allemagne, ainsi que sur les conditions historiques du triomphe de tels régimes, demeurent pleinement d'actualité dans le combat contre les porte-parole de l' « anti-fascisme. »
La Fraction de gauche du Parti Communiste d'Italie, contrainte à l'exil (en particulier en France) par le régime fasciste de Mussolini, défendait, à contre-courant de tout le « mouvement ouvrier » de l'époque, la lutte indépendante du prolétariat pour la défense de ses intérêts et de sa perspective révolutionnaire : le combat contre le capitalisme dans son ensemble.
Contre ceux qui prétendaient que les prolétaires devaient soutenir les forces bourgeoisies démocratiques pour empêcher l'arrivée du fascisme, Bilan démontrait dans les faits, comment les institutions et les forces politiques « démocratiques », loin de s'être dressées en Allemagne en rempart contre la montée du fascisme, firent le lit de celui : « ... de la Constitution de Weimar à Hitler se déroule un processus d'une continuité parfaite et organique. » Bilan établissait que ce régime n'était pas une aberration, mais une des formes du capitalisme, une forme rendue possible et nécessaire par les conditions historiques : « ... le fascisme s'est donc édifié sur la double base des défaites prolétariennes et des nécessités impérieuses d'une économie acculée par une crise économique profonde. »
Le fascisme en Allemagne, tout comme « la démocratie des pleins pouvoirs » en France, traduisaient l'accélération de l'étatisation (de la « disciplinisation », dit Bilan) de la vie économique et sociale du capitalisme des années 1930, capitalisme confronté à une crise économique sans précédent qui exacerbait les antagonisme inter-impérialistes. Mais ce qui déterminait que cette tendance se concrétisait sous la forme du « fascisme », et non sous celle d'une « démocratie des pleins pouvoirs », se situait au niveau du rapport de forces entre les deux principales forces de la société : la bourgeoisie et la classe ouvrière. Pour Bilan, l'établissement du fascisme reposait sur une défaite préalable, physique et idéologique, du prolétariat. Le fascisme en Allemagne et en Italie avait pour tâche l'achèvement de l'écrasement du prolétariat entrepris par la « social-démocratie. »
Ceux qui aujourd'hui prêchent la menace imminente du fascisme, outre qu'ils reproduisent la politique anti-prolétarienne des « antifascistes » de l'époque, « oublient » cette condition historique mise en lumière par Bilan. Les actuelles générations de prolétaires, en particulier en Europe occidentale, n'ont été ni défaites physiquement ni embrigadées idéologiquement. Dans ces conditions, la bourgeoisie ne peut se passer des armes de « l'ordre démocratique ». La propagande officielle ne brandit l'épouvantail du monstre fasciste que pour mieux enchaîner les exploités à l'ordre établi de la dictature capitaliste de la « démocratie. »
Dans ses formulations, Bilan parle encore de l'URSS comme d'un « Etat ouvrier » et des Partis Communistes comme des partis « centristes. » Il faudra en effet attendre la seconde guerre mondiale pour que la Gauche italienne assume entièrement l'analyse de la nature capitaliste de l'URSS et des partis staliniens. Cependant, cela n'empêcha pas ces révolutionnaires, dès les années 1930, de dénoncer vigoureusement et sans hésitation les staliniens comme des forces « travaillant à la consolidation du monde capitaliste dans son ensemble. », « un élément de la victoire fasciste ». Le travail de Bilan se situait en pleine débâcle de la lutte révolutionnaire du prolétariat, au tout début de la gigantesque tâche théorique que représentait l'analyse critique de la plus grande expérience révolutionnaire de l'histoire : la révolution Russe. Il était encore imprégné de confusions liées à l'énorme attachement des révolutionnaires à cette expérience unique, mais il constitua un moment précieux et irremplaçable de la clarification politique révolutionnaire. Il fut une étape cruciale dont reste entièrement vivante aujourd'hui la méthode, celle qui consiste à analyser sans concessions la réalité en se situant toujours du point de vue historique et mondial de la lutte prolétarienne.
CCI.
- Sous le signe du 14 juillet
« C'est sous le signe d'imposantes manifestations de masses que le prolétariat français se dissout au sein du régime capitaliste. Malgré les milliers d'ouvriers défilant dans les rues de paris, on peut affirmer que pas plus en France qu'en Allemagne ne subsiste une classe prolétarienne luttant pour ses objectifs historiques propres. A ce sujet le 14 juillet marque un moment décisif dans le processus de désagrégation du prolétariat et dans la reconstitution de l'unité sacro-sainte de la Nation capitaliste. Ce fut vraiment une fête nationale, une réconciliation officielle des classes antagonistes, des exploiteurs et des exploités ; ce fut le triomphe du républicanisme intégral que la bourgeoisie loin d'entraver par des services d'ordre vexatoires, laissa se dérouler en apothéose. Les ouvriers ont donc toléré le drapeau tricolore de leur impérialisme, chanté la Marseillaise, et même applaudi les Daladier, Cot, et autres ministres capitalistes qui avec Blum, Cachin ont solennellement juré de "donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et la paix au monde" ou, en d'autres termes, du plomb, des casernes et la guerre impérialiste pour tous. »
Bilan n° 21, juillet-août 1935