Documents de la Gauche communiste - Bilan, 1935

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L'actualité de la méthode de Bilan

A l'occasion des forts résultats électoraux des partis de l'extrême-droite en France, en Belgique, en Allemagne, en Autriche, ou lors de violentes ratonnades pogromistes de bandes d'extrême-droite plus ou moins manipulées, contre les immigrés et réfugiés dans l'ex-RDA, la propagande de la bour­geoisie « démocratique », partis de gauche et gauchistes en tête, a de nouveau brandi le spectre d'un « danger fasciste ».

Comme à chaque fois que la ra­caille raciste et xénophobe de l'extrême-droite sévit, c'est le choeur unanime de la réprobation des « forces démocratiques » qui s'élève, toutes tendances poli­tiques confondues. Avec force pu­blicité, tout le monde stigmatise les succès « populaires » de l'extrême-droite aux élections, et déplore la passivité de la population, complaisamment pré­sentée comme de la sympathie, envers les agissements répugnants des sbires de cette mouvance. L'Etat « démocratique » peut alors faire apparaître sa répression comme garante des « libertés », la seule force capable d'enrayer le fléau du racisme, de conjurer le retour de l'horreur du fascisme de sinistre mémoire. Tout cela fait partie de la propagande de la classe dominante, qui multiplie les appels à la « défense de la dé­mocratie » capitaliste, dans la continuité des campagnes idéolo­giques qui chantent le « le triomphe du capitalisme et la fin du communisme ».

Ces campagnes « anti-fascistes » reposent en fait en grande partie, sur deux mensonges : le premier qui prétend que les institutions de la démocratie bourgeoise et les forces politiques qui s'en récla­ment, constitueraient un rempart contre les « dictatures totali­taires » ; le deuxième qui fait croire que des régimes de type fasciste pourraient surgir au­jourd'hui dans les pays d'Europe occidentale.

Face à ces mensonges, la lucidité des révolutionnaires des années 1930 permet de mieux com­prendre ce qu'il en est dans le cours historique actuel, comme le montre l'article de Bilan, dont nous reproduisons ci-dessous des extraits.

Cet article fut écrit il y a près de 60 ans, en pleine période de vic­toire du fascisme en Allemagne et un an avant l'instauration du Front populaire en France. Les dévelop­pements qu'il contient sur l'attitude des « forces démocra­tiques » face à la montée du fas­cisme en Allemagne, ainsi que sur les conditions historiques du triomphe de tels régimes, demeu­rent pleinement d'actualité dans le combat contre les porte-parole de l' « anti-fascisme. »

La Fraction de gauche du Parti Communiste d'Italie, contrainte à l'exil (en particulier en France) par le régime fasciste de Mussolini, défendait, à contre-courant de tout le « mouvement ouvrier » de l'époque, la lutte indépendante du prolétariat pour la défense de ses intérêts et de sa perspective révo­lutionnaire : le combat contre le capitalisme dans son ensemble.

Contre ceux qui prétendaient que les prolétaires devaient soutenir les forces bourgeoisies démocra­tiques pour empêcher l'arrivée du fascisme, Bilan démontrait dans les faits, comment les institutions et les forces politiques « démocratiques », loin de s'être dressées en Allemagne en rempart contre la montée du fascisme, fi­rent le lit de celui : « ... de la Constitution de Weimar à Hitler se déroule un processus d'une continuité parfaite et orga­nique. » Bilan établissait que ce régime n'était pas une aberration, mais une des formes du capita­lisme, une forme rendue possible et nécessaire par les conditions historiques : « ... le fascisme s'est donc édifié sur la double base des défaites prolétariennes et des nécessités impé­rieuses d'une économie acculée par une crise économique pro­fonde. »

Le fascisme en Allemagne, tout comme « la démocratie des pleins pouvoirs » en France, tra­duisaient l'accélération  de l'étatisation (de la « disciplinisation », dit Bilan) de la vie économique et sociale du capitalisme des années 1930, capitalisme confronté à une crise économique sans précédent qui exacerbait les antagonisme inter-impérialistes. Mais ce qui déterminait que cette tendance se concrétisait sous la forme du « fascisme », et non sous celle d'une « démocratie des pleins pouvoirs », se situait au niveau du rapport de forces entre les deux principales forces de la société : la bourgeoisie et la classe ou­vrière. Pour Bilan, l'établissement du fascisme reposait sur une dé­faite préalable, physique et idéo­logique, du prolétariat. Le fas­cisme en Allemagne et en Italie avait pour tâche l'achèvement de l'écrasement du prolétariat entre­pris par la « social-démocratie. »

Ceux qui aujourd'hui prêchent la menace imminente du fascisme, outre qu'ils reproduisent la poli­tique anti-prolétarienne des « antifascistes » de l'époque, « oublient » cette condition histo­rique mise en lumière par Bilan. Les actuelles générations de pro­létaires, en particulier en Europe occidentale, n'ont été ni défaites physiquement ni embrigadées idéologiquement. Dans ces condi­tions, la bourgeoisie ne peut se passer des armes de « l'ordre démocratique ». La propagande officielle ne brandit l'épouvantail du monstre fasciste que pour mieux enchaîner les exploités à l'ordre établi de la dictature capi­taliste de la « démocratie. »

Dans ses formulations, Bilan parle encore de l'URSS comme d'un « Etat ouvrier » et des Partis Communistes comme des partis « centristes. » Il faudra en effet attendre la seconde guerre mon­diale pour que la Gauche italienne assume entièrement l'analyse de la nature capitaliste de l'URSS et des partis staliniens. Cependant, cela n'empêcha pas ces révo­lutionnaires, dès les années 1930, de dénoncer vigoureusement et sans hésitation les staliniens comme des forces « travaillant à la consolidation du monde ca­pitaliste dans son ensemble. », « un élément de la victoire fas­ciste ». Le travail de Bilan se si­tuait en pleine débâcle de la lutte révolutionnaire du prolétariat, au tout début de la gigantesque tâche théorique que représentait l'analyse critique de la plus grande expérience révolutionnaire de l'histoire : la révolution Russe. Il était encore imprégné de confu­sions liées à l'énorme attachement des révolutionnaires à cette expérience unique, mais il constitua un moment précieux et irremplaçable de la clarification politique révolu­tionnaire. Il fut une étape cruciale dont reste entièrement vivante au­jourd'hui la méthode, celle qui consiste à analyser sans conces­sions la réalité en se situant tou­jours du point de vue historique et mondial de la lutte prolétarienne.

CCI.



  • Sous le signe du 14 juillet

« C'est sous le signe d'imposantes manifestations de masses que le prolétariat français se dissout au sein du régime capitaliste. Malgré les milliers d'ouvriers défilant dans les rues de paris, on peut affirmer que pas plus en France qu'en Alle­magne ne subsiste une classe prolé­tarienne luttant pour ses objectifs historiques propres. A ce sujet le 14 juillet marque un moment décisif dans le processus de désagrégation du prolétariat et dans la reconstitu­tion de l'unité sacro-sainte de la Nation capitaliste. Ce fut vraiment une fête nationale, une réconcilia­tion officielle des classes antago­nistes, des exploiteurs et des ex­ploités ; ce fut le triomphe du répu­blicanisme intégral que la bourgeoi­sie loin d'entraver par des services d'ordre vexatoires, laissa se dérou­ler en apothéose. Les ouvriers ont donc toléré le drapeau tricolore de leur impérialisme, chanté la Mar­seillaise, et même applaudi les Daladier, Cot, et autres ministres capitalistes qui avec Blum, Cachin ont solennellement juré de "donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et la paix au monde" ou, en d'autres termes, du plomb, des casernes et la guerre impérialiste pour tous. »

Bilan n° 21, juillet-août 1935

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