Autorisation du glyphosate par l’UE: Le bal des hypocrites

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Le glyphosate est un herbicide très efficace. C’est le désherbant le plus vendu au monde; pulvérisé chaque année sur des millions d’hectares, son utilisation a été environ multipliée par cent dans le monde en quarante ans. Mais le glyphosate est classé depuis le 20 mars 2015 comme probablement cancérigène par le Centre international sur le cancer (CIRC) qui regroupe de nombreuses études indépendantes et, entre autres, celles de l’INSERM. Pour sa part, l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) conclue (sans surprise) que le produit est sans danger s’il est utilisé « normalement » tout en reconnaissant des lacunes dans les analyses sur les effets délétères potentiels sur les écosystèmes.

Les études d’impact sont biaisées et ne portent que sur le seul glyphosate, alors qu’il est toujours utilisé avec des additifs. En 2023, une étude du CNRS alertait sur la responsabilité des pesticides dans la disparition des oiseaux en Europe qui ont perdu 60 % de leur population en à peine quarante ans, de même que sur la biodiversité des sols. Monsanto, qui produit le Roundup, a répliqué en faisant rédiger des articles favorables, signés par des chercheurs de renom qui se sont ensuite répandus et amplifiés sur les réseaux sociaux, tout en exerçant de fortes pressions sur les scientifiques… et notamment ceux du CIRC. Cette pratique a été révélée par les Monsanto papers.

Cette molécule de synthèse a accompagné le développement de l’agriculture intensive, en favorisant les productions à moindre coût sur des surfaces gigantesques et le glyphosate est l’un 1500 pesticides utilisés dans le monde (450 en Europe). C’est donc l’un des piliers de la production agricole capitaliste dans le monde soumis à une âpre concurrence sur le marché mondial, ce qui éclaire la décision de la Commission européenne, elle-même un haut lieu de la concurrence infra-européenne, de reconduire l’usage du glyphosate pour 10 ans. Les États membres n’étaient pas parvenus à la majorité qualifiée pour moduler le texte initial (par exemple une durée de sept ans) mais l’écrasante majorité étaient d’accord sur la reconduction : le texte a donc été reconduit en l’état, ce qui satisfait tout le monde.

En réalité, on comprend bien que, pour toutes les puissances agricoles dont la France, malgré les intentions démagogiques affichées en 2017 avec Nicolas Hulot comme ministre de l’Écologie, il n’est pas question de renoncer à ce pesticide aussi efficace que controversé, en dépit des risques sanitaires, tant qu’il n’existe pas de solution alternative, selon les mots du gouvernement. La France, voulant ménager les sensibilités écologiques à l’approche des élections européennes, s’est abstenue, prétendant hypocritement que cela équivalait voter contre !

En fait, il y a des alternatives, par exemple mécaniques, mais qui ne font pas le poids comme il transparaît dans le propos d’un agronome : « Ceux qui ont le plus à perdre, ce sont les très grosses exploitations […] Elles ont construit des systèmes très cohérents, conçus dans une extrême dépendance au glyphosate », dont l’utilisation est bien plus rapide et économique que la combinaison d’autres méthodes, qui nécessitent plus de main-d’œuvre et de temps, et donc en ce sens, il n’y a pas d’alternative. Face à la logique capitaliste implacable à laquelle se conforme l’Union Européenne comme l’ensemble des principales puissances agricoles, l’alternative mécanique est inadaptée au marché mondial où la production agricole intensive de l’Europe tient les premiers rangs.

Cette décision a provoqué une large indignation légitime, d’une part, et les protestations hypocrites de la gauche. Tous à gauche citent d’abord la promesse démagogique d’Emmanuel Macron en 2017 d’interdire l’herbicide dans les trois ans… mais elles font rarement référence aux enjeux de la concurrence mondiale et préfèrent montrer du doigt l’influence, selon eux, déterminante des lobbies de l’industrie chimique et de l’agriculture dans cette décision qui est un vieux refrain pratique pour ne pas aller au fond du problème. Ainsi Manuel Bompart (LFI)  déclarait : « Le travail de lobbying de ce grand groupe Bayard Monsanto a porté ses fruits » ou encore « Tout le monde sait que les lobbies des pesticides au niveau européen utilisent des moyens financiers considérables pour peser sur les décisions politiques ».

Dans notre article « Derrière les lobbies, la main bien visible du capitalisme d’État », nous disions que « présents à tous les niveaux de la sphère politique, les lobbies font partie de la défense de chaque capital national, dont l’État est le garant ». La gauche présente les lobbies comme des entités « extérieures » à l’État. En réalité, ils font partie intégrante du capitalisme d’État. Il n’y a qu’à voir la pléthore de capitalistes qui accompagne les chefs d’État en voyage quand des contrats économiques majeurs sont en jeux. Présenter mensongèrement les États comme des entités « neutres », qui pourraient échapper à la « logique libérale » des patrons et des lobbies, est le fonds de commerce de l’idéologique démocratique en général et des gauchistes en particulier. Il est en réalité le principal administrateur du capital national et entretient de ce fait, des rapports très étroits avec les entreprises.

La France s’est alignée sur la FNSEA nous dit-on, mais depuis quand les intérêts respectifs devraient diverger ou du moins dans quel monde ? Pour Lutte Ouvrière : « Tant que les industriels contrôleront la production, avec le soutien des États à plat ventre devant les intérêts des capitalistes, la santé passera après les profits ». C’est une vision mensongère de l’État, faible et lâche, qui induit là-aussi une séparation entre l’État et le capitalisme, alors que depuis l’apparition du capitalisme d’État, précisément, lors de la Première Guerre mondiale et la période de décadence, l’État contrôle toute la vie sociale et seul celui-ci peut prendre en main l’économie nationale de façon globale et centralisée et atténuer la concurrence interne qui l’affaiblit afin de renforcer sa capacité, à affronter comme un tout la concurrence entre nations sur le marché mondial.

Ce que ne veulent pas dire toutes les officines de gauche ou gauchistes, c’est que les États et leurs industriels ne peuvent pas faire autrement que défendre leurs intérêts face à la concurrence mondiale acharnée dans ce secteur stratégique comme dans bien d’autres. Leurs assertions sur les intérêts des lobbies ou les profits des multinationales ne sont des écrans de fumée visant à cacher que le problème mettant en danger la santé humaine, c’est le capitalisme lui-même.

Luc, 19 décembre 2023

Questions théoriques: 

Rubrique: 

Crise environnementale