Soumis par Revue Internationale le
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L'existence du parti révolutionnaire du prolétariat est directement conditionnée par la vie de la classe, par l'existence d'un mouvement de lutte, par la tendance au sein de la classe à l'indépendance idéologique, en un mot par l'existence d'un mouvement ouvrier vivant et indépendant. L'œuvre de la recherche théorique et de la formulation doctrinale n'est pas le caractère distinctif du parti, quoique cette œuvre reste une de ses tâches constantes.
Dans une certaine mesure on peut dire que la constitution du parti est nécessairement précédée par l'accomplissement préalable d'une certaine somme de travail théorique. La doctrine, le socialisme en tant que science ne découle nullement de la lutte de classe ; mais, tout comme cette dernière, il a ses racines dans le développement historique de la société et de son mode de production, et dans le développement culturel et dans la science qui s'en suit. Le travail de la recherche théorique reste donc une tâche constante des militants révolutionnaires, indépendamment de la conjoncture de la lutte de classe contingente, tandis que l'existence du parti est conditionnée par ce travail théorique et est directement fonction de la contingence, de la conjoncture de la lutte de classe.
Un siècle d'expérience du mouvement ouvrier nous apporte cet enseignement et confirme ce que nous venons d'énoncer plus haut. Chaque période prolongée de recul du mouvement ouvrier, ou de stagnation de lutte, entraîne l'effondrement, la disparition inévitable du parti. L'alternative est alors posée ainsi : ou le maintien organisationnel du parti, ce qui ne peut se faire qu'au dépens de sa doctrine et de son programme révolutionnaire ; en voulant à tout prix coller aux masses, il finit par refléter l'état d'esprit contingent, arriéré, s'accommodant ainsi et composant idéologiquement avec cette période de recul, c'est-à-dire qu'il tombe dans l'opportunisme ; ou bien le parti cesse d'exister momentanément dans sa fonction comme tel -c'est-à-dire qu'il prend conscience de l'impossibilité momentanée, pour lui, de jouer un rôle déterminant dans la vie de la classe- et renonce consciemment à la volonté d'être, dans l'immédiat, l'organisme politique dirigeant des mouvements contingents. C'est alors, non seulement organisationnellement et numériquement mais également dans sa fonction que le parti disparaît pour donner naissance à sa place à un organisme d'élaboration et de développement des fondements théoriques de l'idéologie de la classe, un organisme maintenant et développant la conscience des buts historiques de la classe, à travers laquelle se continue la prise de conscience du prolétariat. Cet organisme que nous nommons fraction -mais dont le nom, fraction, groupe ou autre, importe peu, l'important étant la conscience qu'on a de sa fonction historique- est le chaînon qui assure la continuité historique de la classe et l'outil le plus indispensable pour la construction du futur parti quand les conditions objectives de reprise de la lutte de classe auront surgi.
Nous avons cité la résolution que Marx a présenté lors de la discussion dans la Ligue des Communistes après l'échec des mouvements révolutionnaires de 1848. Dans cette résolution, Marx combat violemment la tendance Wilich-Shapper qui voulait maintenir la Ligue des Communistes, dans une période de recul et de réaction, dans sa forme et sa fonction telle qu'elle l'était dans la période de montée révolutionnaire. La scission dans la Ligue s'est faite sur ce point. Pendant les premières années, la tendance Wilich-Shapper semblait avoir remporté la victoire, non seulement du fait qu'elle avait gardé la majorité et maintenu l'organisation de la Ligue mais aussi par toutes la manifestations bruyantes et tapageuses qu'elle suscitait ou auxquelles elle participait avec les autres formations politiques de l'émigration allemande, tandis que la fraction de Marx et Engels semble être réduite au silence ou ne pas exister. Mais 13 ans après, dans une période de reprise réelle de luttes ouvrières, lors de la fondation de la 1ère Internationale, nous retrouverons Marx, Engels et leurs camarades occupant les premières places du mouvement, prenant une place prépondérante dans le travail de constitution des partis du prolétariat, alors que la tendance Wilich-Shapper sera complètement volatilisée, ne laissant derrière elle aucune trace et dont l'apport théorique et pratique à la nouvelle organisation de la classe aura été nul.
Le chartisme disparaît avec la disparition des conditions qui lui ont donné naissance. Le parti bolchevik - que les trotskistes aiment tant à citer et à prendre pour exemple sans trop connaître son histoire véritable - fut en réalité, dans la période entre 1905 et 1917, plutôt une fraction - avec fonction de fraction - qu'un parti. Par contre le trotskisme n'a pu se constituer en parti dans une période de recul qu'à la condition de cesser d'être révolutionnaire.
C'est le mouvement vivant des luttes de classe qui fait le parti et non le parti qui fait le mouvement. Cette vérité évidente et simple est totalement méconnue de tous ceux qui demeurent des trotskistes-qui-s'ignorent et qui croient même fermement ne pas l'être.
"Tu as parfaitement raison de dire qu'il est impossible de surmonter l'apathie contemporaine par la voie des théories. Je généraliserai même cette pensée en disant que jamais encore on a pu vaincre l'apathie par des moyens purement théoriques ; c'est-à-dire que les efforts de la théorie pour vaincre cette apathie ont engendré des disciples et des sectes ou bien des mouvements pratiques qui sont restés infructueux, mais qu'ils n'ont jamais suscité un mouvement mondial réel, ni un mouvement général des esprits. Les masses n'entrent dans le torrent du mouvement, en pratique comme en esprit, que par la force bouillonnante des événements." (Lettre de Lassalle à Marx -1854)
Un exemple nous est donné avec l'article de Chazé que nous avons déjà cité. Chazé qui s'est récemment converti à la notion de fraction, après l'avoir combattue pendant 15 ans, nous donne, par son article, un échantillon prouvant que, malgré sa conversion, il n'a pas compris grand-chose à cette notion. Il s'est donné pour but de nous expliquer pourquoi la constitution du parti était "hier non, aujourd'hui oui". Pour le faire, il aurait fallu nous démontrer que les luttes de classe actuelles se développent et dépassent, par leur combativité et leur orientation, le niveau d'avant 1939, ce qui lui est assez difficile de faire en comparant les petites grèves dans le présent avec l'étendue des grèves des années 1936-38.
Il est vrai que Chazé dit, dans son article, qu'à la suite des grèves de 1936 on enregistrait une tendance, parmi les ouvriers, de rupture avec le stalinisme, tendance que l'éclatement de la guerre aurait stoppée. Mais c'est là une appréciation qui ne correspond à aucune réalité et qui a toujours été répétée par la Fraction italienne et par nous-même qui voyons dans les années 1936-38 se faire jour, non pas un processus de détachement des ouvriers du stalinisme mais au contraire une accentuation d'un processus de dissolution de la conscience de classe et un entraînement des ouvriers derrière le stalinisme dans le courant de la guerre impérialiste. Cette appréciation, Chazé ne la tire pas des écrits de la Gauche communiste mais bien de l'arsenal du trotskisme qui proclamait que la France est entrée dans une période révolutionnaire. Certes Chazé ne reprend pas à son compte l'erreur par trop grossière de Trotsky mais son appréciation, si elle diffère de degré, ne diffère pas de sens. Et alors si le sens du cours des années après 1936 consistait dans un processus de détachement des ouvriers d'avec les partis traitres et leur idéologie nationaliste-chauvine, les trotskistes n'avaient pas tellement tort de poser la question de la formation d'un nouveau parti révolutionnaire, tout comme le fait Chazé aujourd'hui.
Mais comment le capitalisme peut déclencher la guerre quand il se fait jour dans le prolétariat un processus de rupture avec les forces idéologiques du capitalisme ? On ne peut se sortir de cette contradiction à moins de professer cette idée que les deux cours se font simultanément, le capitalisme évoluant vers la guerre et le prolétariat vers la révolution ; ou bien encore en séparant la situation internationale qui évoluerait vers la guerre et les situations nationales accusant un cours de reprise de conscience de classe. Mais en faisant ainsi on n'échappe pas à la contradiction ; on ne fait que la repousser et l'aggraver.
Avec le développement achevé du capitalisme, le décalage des situations dans les divers pays tend à disparaître et ne joue plus un rôle déterminant dans les événements. Le capitalisme développé égalise les situations nationales particulières en les fondant dans une situation mondiale générale dont elles ne sont plus qu'une expression de ce tout. Seuls des opportunistes et des renégats avérés, comme les chefs de la 3ème Internationale et du stalinisme pouvaient invoquer la thèse du "développement inégal" dont parle Marx et la hisser opportunément à la hauteur d'une loi immuable de l'histoire, les premiers, pour justifier leur coalition avec la bourgeoisie internationale contre la jeune révolution prolétarienne d'Octobre, et les seconds pour justifier leur politique du "socialisme dans un seul pays" et pour étrangler la révolution chinoise.
La Fraction belge et la FFGC ont poussé des cris d'enthousiasme lorsqu'en fin 1945 et début 1946 elles ont appris la constitution du PCI en Italie. Elles voulaient expliquer cette constitution par une situation révolutionnaire particulière à l'Italie et parlaient volontairement de décalage, de divorce existant entre les ouvriers d'Italie et ceux des autres pays du monde. Il n'y a aucun doute que leur enthousiasme ne reposait pas sur les stupides théories de décalage et sur les vertus du prolétariat italien, mais était le produit de leur extrême jeunesse politique qui incline naturellement à l'exaltation et à leur fameuse tendance au fétichisme pour tout ce qui vient d'Italie. Elles ont fini d'ailleurs par déchanter et reconnaître qu'en Italie la situation était franchement réactionnaire ; mais cela seulement après que les camarades d'Italie, plus vieux et plus instruits sur la situation réelle aient calmé leurs ardeurs.
De même que la situation, la lutte révolutionnaire du prolétariat est internationale, c'est-à-dire que la lutte d'un prolétariat dans un pays donné ne peut être envisagée du point de vue d'une situation nationale mais doit être comprise comme une expression locale d'une situation générale, mondiale. On ne peut comprendre la lutte de classe sur le plan national qu'en la considérant en tant que lutte d'un secteur ayant le monde entier pour front de combat. C'est en cela que consiste l'erreur de ceux qui considèrent la révolution d'Octobre comme une révolution bourgeoise ; et ils commettent cette erreur parce qu'ils examinent Octobre du point de vue national russe au lieu de la situer dans la situation internationale et comme une manifestation de cette situation dans le secteur russe.
Ce qui est vrai pour la lutte du prolétariat l'est également pour la constitution de son organisme politique, le Parti. La constitution du Parti ne relève pas de la situation particulière de tel ou tel pays pris isolément mais d'une situation générale, d'un cours historique valable internationalement.
Mais laissons là toutes ces réflexions qui nous ont été suggérées par des "appréciations" sur les années d'avant-guerre contenues dans l'article de Chazé et auxquelles il n'a sûrement pas trop réfléchi en écrivant son article. D'ailleurs cette constatation d'une tendance de rupture d'avec le stalinisme et la collaboration de classe, voisine dans le même article avec cette autre constatation d'un "courant emportant le prolétariat à l'acceptation et la participation à la guerre". Cela arrange tout et il ne reste plus qu'à s'appuyer sur l'une ou l'autre constatation et de s'en servir d'argument selon le besoin. Tout cela n'explique pas encore pourquoi "hier non et aujourd'hui oui". Qu'y a-t-il donc de changé entre hier et aujourd'hui ?
Examinant la situation actuelle Chazé constate : "Et 18 mois après l'arrêt des hostilités, la situation générale internationale aussi bien que nationale évolue manifestement vers des horizons bien noirs... le spectre d'une nouvelle guerre est devant nous". On ne peut être plus catégorique et plus clair. Cela ressemble tout à fait à la situation d'avant 1939. Tout homme sensé serait enclin à tirer d'une telle analyse de la situation la seule conclusion qui convienne au problème de la construction du Parti, c'est-à-dire tout comme hier : "Non".
Mais c'est mal connaître Chazé, le nouveau type de militant de la GCI. Tout comme pour le passé (comme nous venons de le voir) il constate à nouveau deux courants existants simultanément : l'un sombre, noir, le spectre de la guerre, l'autre tout rose, d'une "cassure amorcée entre les dirigeants politiques, syndicaux et une partie des travailleurs", "le divorce amorcé ne pourra que s'approfondir peu à peu..." L'énigme de cette contradiction, de l'existence simultanée de ces deux courants opposés est résolue quand on sait qu'un courant, le premier, existe dans la réalité et que le second n'existe que dans la tête et le cœur de Chazé. De ce fait, il lui est infiniment plus proche et plus cher que le premier et domine toutes ses pensées. Avec un peu de bonne volonté, il finit par se rassurer presque complètement et par nous rassurer à notre tour.
Il s'est donné pour tâche de nous démontrer pourquoi "Hier, non et aujourd'hui, oui" et il a presque réussi à nous démontrer que le "oui" était aussi bien valable hier qu'aujourd'hui. Il s'est proposé de nous donner l'opposition, la différence entre hier et aujourd'hui et il a abouti à nous démontrer leur identité. Ses explications n'expliquent rien sinon l'ordre arbitraire de ces quatre mots dans la construction de sa phrase qui pourraient être tout aussi bien intervertis, ces mots se prêtant à bien des combinaisons. La constitution du Parti, aujourd'hui comme hier, demeure une impossibilité. Il nous a donné une image renversée de la réalité, et la réalité de son imagination. Empêtré de plus en plus dans ses explications contradictoires, à bout de souffle et d'arguments, il nous renvoie finalement à l'Italie.
Et là, comme chacun le sait, c'est un argument décisif et sans appel.
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Tout le monde n'est pas aussi convaincant, ni aussi convaincu que Chazé dans la nécessité et la possibilité de la construction immédiate du nouveau Parti. On chuchote, dans la GCI, que Bordiga en personne serait très réservé à l'égard du PCI dont il considère la constitution fort prématurée. C'est peut-être à cela que nous devons d'entendre, de temps à autre, des acclamations moins catégoriques et des avis plus sceptiques. Il est vrai que la plupart des articles dans les "Internationalistes" de Belgique et de France se terminent presque toujours par des appels enflammés pour la constitution du Parti. Cela est devenu une sorte de manie douce et inoffensive. Mais il faut tout de même signaler la présence, rare il est vrai, d'autres articles essayant d'analyser plus sérieusement ce problème.
Dans "l'Internationaliste" de Belgique nous trouvons, par exemple, des affirmations aussi superficielles que celle-ci : "Au même titre que la guerre de 1914-18, celle de 1939-45 se solde par une période d'intense lutte de classe" (n°13 – octobre 1946). Une affirmation aussi déroutante par sa légèreté, établissant un parallèle entre les batailles formidables qu'a livrées le prolétariat mondial au lendemain de 1918 et les grèves d'aujourd'hui, ne peut être que le fait d'un militant qui n'a connu les luttes ouvrières d'autrefois pas même dans les manuels d'histoire. Mais il n'est pas moins déroutant de lire, dix lignes plus loin, que les ouvriers sont, dans les circonstances actuelles, non seulement "incapables de transformer leurs luttes en une bataille pour le socialisme" mais encore "leurs luttes restent dirigées vers des buts qui sont loin de combattre le capitalisme, comme après 1918, mais le renforcent."
Faut-il apprendre à l'auteur de ces lignes que des luttes qui se dirigent vers des buts" qui "renforcent le capitalisme" ne peuvent en aucune façon être qualifiées de lutte de classe et encore moins d'intense lutte de classe, comme il dit, même si des millions d'ouvriers y participent. Il n'existe pas de lutte de classe ayant pour direction le renforcement de l'ennemi de classe car, dans ces conditions, la lutte cesse d'être une lutte de classe. Les luttes armées des ouvriers derrière les forces du capitalisme et dirigées vers des buts de renforcement de ce dernier, comme par exemple en Espagne en 1936-38 ou pendant la Résistance et la Libération nationale s'appellent : la guerre impérialiste. Il en est de même pour les grèves ou toute autre forme de lutte où sont incorporées physiquement les masses ouvrières mais dont les objectifs restent ceux de la classe ennemie. Dans de telles luttes, les révolutionnaires n'ont pas à pousser des "hourra!", ni à se frotter les mains d'aise en clamant : "Dans le monde entier les ouvriers entrent en lutte", mais à expliquer sans cesse aux ouvriers le rôle de dupes et de victimes qu'ils jouent réellement. Seules les luttes dont les objectifs sont la défense des intérêts immédiats et historiques des ouvriers présentent un caractère de lutte de classe du prolétariat et peuvent être prises pour mesure de l'intensité de sa lutte et seules de telles luttes engendrent les conditions pour la constitution du Parti de classe.
Après de telles prémisses, après avoir salué les ouvriers qui, dans le monde entier, entrent en lutte "malgré les appels" de leurs chefs réformistes et staliniens mais dont le seul défaut consisterait en ce que ces luttes "renforcent le capitalisme" (rien que ça...), il n'est pas trop étonnant que l'article sur un appel au prolétariat à former son Parti de classe pour "couronner par des victoires les actuelles et futures périodes de luttes de classe". C'est ce qu'on appelle vulgairement : mettre la charrue avant les bœufs.
Pour illustrer cette période "d'intense lutte de classe" que nous vivons présentement, d'après les camarades de la Fraction belge, et qui poserait la tâche de la construction immédiate du Parti, on pourrait citer l'exemple de leur propre journal "l'Internationaliste". Ce journal qui tire à quelques centaines d'exemplaires paraissait au début tous les 15 jours. Au moment où il annonçait que nous sommes entrés dans la phase de "la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile (en 1945), il s'est vu obligé de ne paraître plus que... mensuellement ; et quelques temps après avoir découvert "l'intensité de la lutte de classe dans le monde entier, il se voit, lui, dans la triste obligation de suspendre sa parution, faute de moyens. Ceci n'est pas une boutade. Le développement de la presse révolutionnaire ne relève pas du caprice ou du savoir-faire des individus mais suit la courbe de la lutte de classe et de la maturation de la conscience de classe chez les ouvriers. L'anémie progressive de la presse révolutionnaire est aussi un indice de la paralysie dont est frappée la classe et non le signe du développement intensif de ses luttes.
Ce qui est le cas pour "l'Internationaliste" de Belgique peut être constaté par tous les petits journaux des petits groupes révolutionnaires dans tous les pays. La même remarque peut être faite en ce qui concerne leur recrutement. Depuis des années que la FB fait de la propagande, nous ne croyons pas trahir un secret en le disant, ses forces numériques ne dépassent le nombre que l'on peut compter sur les doigts des deux mains. Nous doutons fort que la répétition enthousiaste de "Construisons le Parti" à la façon dont les étudiants du Quartier latin scandent "Formons le monôme" ait amené un seul nouvel adhérant à la FB dans cette dernière période de lutte intense du prolétariat. Cet état d'esprit du militant qui s'égosille sans vouloir regarder autour de lui, sans remarquer les choses les plus simples est vraiment triste. Nous nous excusons de troubler les rêves mirifiques de la FB mais il est temps de redescendre sur terre et de ne pas craindre d'examiner la réalité même si elle doit vous décevoir.
À côté de ce genre d'article, nous en trouvons d'autres qui méritent d'être signalés par l’effort de raisonnement et d'examen qu'ils présentent. Tel l'article du camarade Maurice publié dans "l'Internationaliste" n° 12 de septembre 1946, portant le titre : "L'État capitaliste totalitaire et les grèves". Dans cet article le camarade Maurice pose la question de savoir si "toute l'économie de l'État capitaliste ne devra pas parcourir sa courbe avant que la prémisse historique soit fournie pour la réaffirmation de la classe prolétarienne."
On peut essayer de répondre affirmativement ou négativement à la question ainsi posée. Mais la réponse, quelle qu'elle soit, doit s'appuyer sur l'étude objective du développement du capitalisme et de la lutte de classe de ces dernières trente années. Cette question se pose d'autant plus que la situation actuelle offre cette hypothèse qui "ne peut nullement être exclue pour un marxiste, que les travailleurs soient condamnés à traverser la cruelle perspective qui les jetterait dans la troisième guerre impérialiste avant que les conditions historiques soient déterminées pour qu'ils puissent réapparaître sur la scène sociale."
Parlant de la grève revendicative et des luttes économiques des ouvriers dans les pays où l'étatisme totalitaire n'est pas achevé, c'est-à-dire précisément les pays où ces mouvements revendicatifs ont lieu et peuvent avoir lieu, il rejette la thèse si chère aux trotskistes et à Chazé que ces grèves puissent être "le phénomène économique déterminant directement la formation d'un organisme de classe."
"Jadis, écrit-il plus loin, la lutte revendicative était une lutte de classe ; aujourd'hui, la lutte revendicative peut se dérouler sans que soient compromis le programme et la fonction des syndicats actuels lesquels, malgré la différence de l'étiquette, remplissent la même fonction que précédemment les corporations fascistes."
Ici nous sommes très loin des "cassures et divorces amorcés" entre une partie des travailleurs et l'appareil politique du capitalisme que sont les partis "ouvriers". Ici, loin de monter en épingle quelques grèves économiques qui justifieraient la thèse de l'accélération d'un cours d'intense lutte de classe, on insiste sur "la multiplication des grèves" qui ne parviennent pas à identifier l'ennemi -l'État capitaliste-, ne déclenchent pas le cours révolutionnaire mais déterminent leurs conditions pour le gouvernement "fort". Une telle période, et c'est la réalité de la période présente, ne détermine pas les conditions pour la constitution du Parti, à moins de ne concevoir le Parti comme précédant les conditions et déterminant le renversement du cours.
Sans partager entièrement tous les entendus et toutes les réflexions de l'auteur, nous partageons avec lui le sens général de son article. Nous ajouterons cependant qu'il est très regrettable que l'auteur ait cru nécessaire de farcir son article avec des épithètes comme : rufians, chipoteurs, pontifes etc. Cela ne rend pas sa pensée plus claire ni sa démonstration plus décisive. Cela ne fait que suivre la déplorable habitude prise par "l'Internationaliste" de recourir à des termes aussi recherchés. Il est vrai que Maurice doit être un cousin germain de Vercesi. C'est une maladie de famille.
Nous avons examiné jusqu'à présent les conditions qui sont nécessaires et actuellement inexistantes pour la construction d'un nouveau Parti de classe. Nous pouvons maintenant passer aux méthodes dont se servent les "constructeurs". Ce sera l'objet de notre prochain article.
Marcou
(*) Voir le commencement dans "Internationalisme" n° 17 et n° 18