Blum ouvre l’ère de la Quatrième république

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Les événements politiques qui se sont déroulés depuis que nous avons écrit notre dernier article sur la "signification politique des élections" ont complètement confirmé notre appréciation et nos pronostics. En même temps, les événements se sont chargés de faire table rase des affirmations sur le réveil de la lutte de classe en France et dont la menace aurait dicté, à la bourgeoisie, la formule gouvernementale du tripartisme (voir "le Prolétaire" et la FFGC), ou cette autre affirmation ridicule de Lasré au meeting de la FFGC : "Le Parti socialiste est une survivance du passé, condamné à disparaître plus ou moins rapidement". L’erreur, aujourd’hui patente, de ces deux groupes est due à leur analyse superficielle et incorrecte de la situation réelle de la France et du monde.

Ceci dit, revenons aux événements.

Après une courte période de tâtonnement, les partis politiques de la nouvelle chambre n’ont pu résoudre la crise ministérielle qu’en faisant appel à la personnalité de Léon Blum.

Il serait trop long d’entrer dans les détails et d’énumérer toutes les péripéties de la crise ministérielle. Chaque parti s'employait à manœuvrer au mieux pour mettre dans l’embarras le parti concurrent et damer le pion à son adversaire.

En tête venait naturellement le "premier parti de France", le PCF. En qualité de "premier", il revendiquait "l'honneur et la responsabilité" de présider le nouveau gouvernement. Ce n’est pas que le PC prenait réellement au sérieux sa revendication. Personne, y compris lui-même, ne s’inquiétait de cette revendication ; mais en la posant, il entendait surtout mettre dans l’embarras le parti socialiste et accroître le désarroi dans ses rangs (que le dernier échec électoral a quelque peu troublés).

Si les socialistes ont finalement vote pour la candidature de principe de Thorez - et ils ne l’ont pas fait sans répugnances -, c'était pour couper court à la manœuvre d’enveloppement des staliniens et pour mettre, une bonne fois pour toutes, fin à leur démagogie, tout en s’assurant que la candidature de Thorez ne restera jamais qu’à l’état de principe. D’autre part, en laissant subsister le doute sur leur attitude finale dans la candidature Thorez et en se refusant à accepter le marché stalinien de partage des présidences (la présidence de l'assemblée aux socialistes à la condition qu’ils votent pour Thorez), les socialistes ont fait apparaître les staliniens comme de vulgaires maquignons. En effet, les staliniens, surpris et déroutés, ont voté contre la présidence Vincent Auriol qui fut élu contre eux. Ainsi les socialistes ont réalisé tous les bénéfices :

  • étouffer la manœuvre stalinienne dans l’œuf et voter pour Thorez à l'état de “principe” ;
  • discréditer les staliniens en mettant en évidence leur marchandage grossier ;
  • faire endosser aux staliniens la responsabilité de rompre la solidarité de "gauche" par leur vote contre Vincent Auriol ;
  • et finalement prendre eux-mêmes la place dans une nouvelle majorité anti-stalinienne avec le fauteuil de la présidence de la chambre pour prime.

La première manche du match PC-PS a donc été gagnée avec brio par les socialistes.

La seconde manche MRP-PS ne fut pas moins brillamment enlevée. En laissant au MRP toute la responsabilité de la charge contre les staliniens, les socialistes se sont réservés tout l’avantage. L’exclusif jeté par le MRP contre une présidence stalinienne devait entraîner la réciproque et rendre impossible une présidence MRP. Dès lors, les socialistes, qui se sont préservés habilement, paraissent les seuls susceptibles de résoudre la crise.-

Après avoir laissé les autres partis tourner en rond et s’épuiser sous la conduite "impartiale" du président Auriol, les socialistes abattent enfin leur carte maitresse : Leon Blum.- Le coup fut frapper juste. Tous les partis l'ont reçu et se sont inclinés car, et ce n’est pas le moins significatif de cette crise, c’est Léon Blum, l’homme extra-parlementaire qui dicte à tous les partis du parlement ses conditions ; et la première qu’il pose est le retrait de toute candidature opposée à "l’accord général".

Dans l’article sur la signification des élections, écrit au lendemain même des élections, nous avions analysé longuement la situation politique en France et la place occupée par le PS. Il va de soi que nous n'avons pas corrigé notre appréciation pleinement confirmée par les récents événements et l’élection de Blum à la présidence.

Toutefois il faut souligner quelques points :

Le vote massif de l’assemblée (575 sur 590), les déclarations de tous les groupes lors du vote et plus particulièrement celle de Paul Raynaud (et il s'y connaît) proclamant Blum comme l’homme de l’heure, comme le meilleur représentant des intérêts français et rappelant opportunément les récents accords Blum-Truman. Mais il est juste, qu’aussi grande que soit l’autorité personnelle de Blum, Le Troquer avait raison de rappeler que Blum c'est aussi et surtout le chef du Parti socialiste qui a un programme et une conception gouvernementale. Ce programme et cette conception, personne ne peut mieux s'en servir que l’homme qui les a fondés et les a, durant les derniers mois, amplement commentés et précisés dans "Le Populaire". Blum n’est pas une personnalité neutre ; c’est l’homme du Parti socialiste, c’est le Parti socialiste personnifié.

Et, si la France peut en ce moment se personnaliser dans cet homme et dans ses conceptions, c’est parce que le Parti socialiste, dont ils font partie, est l’expression politique la meilleure du capitalisme français et les garants les plus qualifiés de son État.

* * *

Ce n'est pas seulement en France que Blum réalise l’unanimité autour de lui ; son élection est saluée chaleureusement à Londres et à Washington. Son choix, dit avec raison la presse anglo-américaine, facilitera grandement le rapprochement de la France avec ces pays et permettra une collaboration des plus efficace. Ceux qui croyaient apercevoir une hostilité de la part de Washington à l'égard du socialisme européen pourront facilement se convaincre du contraire à la lecture de la presse américaine commentant l’élection de Blum.-

Nous ne connaissons pas encore les commentaires russes. Il ne serait pas étonnant qu'ils soient plutôt frais, à moins qu’à mauvaise fortune la Russie ne préfère, pour raison diplomatique, faire bonne figure.

A en juger par les réticences des staliniens en France, nous pouvons supposer les sentiments véritables de la Russie à l’égard du gouvernement Blum et de l’orientation de la France.

Quoi qu'il en soit, les staliniens, défenseurs du bloc russe en France, auront plus de mal à user de leur arme préférée, l’agitation ouvrière, contre le gouvernement Blum. On sait que les staliniens usent assez adroitement de leur position avantageuse dans la classe ouvrière et dans la CGT qu'ils ont domestiquée, pour obliger les autres partis à leur faire constamment des concessions sur le plan gouvernemental.

Lors de la présentation de la candidature de Thorez, l’Union des Syndicats de la Région Parisienne a voté une résolution faisant sien le programme gouvernemental du Parti communiste, exprimant ainsi une menace non déguisée de chantage à l’agitation ouvrière. Mais cette arme stalinienne assez redoutée par les autres partis serait peu efficace contre Blum dont la popularité est trop grande parmi les ouvriers qui font de lui le père des 40 heures, de la semaine des deux dimanches et des congés pays. Pourtant les ouvriers feraient mieux de méditer sur la déclaration de Blum au procès de Riom, justifiant en ces termes sa gestion au gouvernement de "Front populaire" : "J'AI ASSURÉ LA PROPRIÉTÉ AUX PROPRIÉTAIRES, MAINTENU LES OUVRIERS DANS LES USINES ET ASSURÉ LA RUE À LA FORCE PUBLIQUE."

Toute la politique de Blum et du Parti socialiste est dans cette phrase et les ouvriers feront bien de se la rappeler. La pause, l’arbitrage obligatoire, le gouvernement Blum de "Front populaire" furent une étape décisive vers la guerre impérialiste.

Tout comme hier, et plus qu’hier, le capitalisme français se trouve aujourd’hui devant des difficultés d’ordre intérieur et international.

L’avènement de la politique de Blum et du Parti socialiste donne tout son sens à l’inauguration de la quatrième République de la bourgeoisie française.

G. Marco

P.S. Cet article ayant été écrit antérieurement à la formation du gouvernement socialiste homogène sous la direction de Blum, nous commenterons cette situation dans le prochain "Internationalisme" et, surtout, la très intéressante et importante déclaration de Blum à l’occasion de la présentation de son Ministère.-

Pour l’instant nous ne ferons que reproduire un passage de l’article du "Monde" du 18 décembre, commentant la formation du gouvernement Blum :

  • "On se félicite de voir les communistes hors du gouvernement. Ce qui semblait indispensable est devenu réalité. L’opération s’est faite sans douleur, sans doute parce que le sacrifice est partagé par le concurrent MRP. Il n’en reste pas moins que le charme est rompu de ce sortilège que constituait leur nécessaire présence dans l'État. On espère du même côté (la droite) qu’à la faveur des difficultés du pouvoir la discorde s’aggravera entre les deux partis ouvriers."

On ne pouvait pas mieux dire.

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