Racisme, pollution, danger nucléaire, guerres... Comment lutter contre la barbarie capitaliste?

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Nous publions ci-dessous une lettre d’une de nos lectrices qui, indépendamment de ses jugements de valeur et critiques à l’emporte-pièce de notre activité, manifeste une volonté passionnée de mener un combat dans le monde actuel. Dans un monde où il apparaît de plus en plus clairement que l’humanité est menacée par les guerres, les famines, les accidents écologiques et nucléaires, les épidémies; un monde où les discriminations raciales ou ethniques conduisent à des déchaînements de barbarie aveugle (comme en Yougoslavie

ou à Los Angeles), les réactions de révolte contre toute cette pourriture sont tout à fait légitimes. Malheureusement la révolte, en soi, contre te) ou tel aspect de la domination capitaliste (le racisme, la guerre, la destruction de l’environnement, le danger du nucléaire, etc...) non seulement ne suffit pas, mais elle ne peut conduire au mieux qu’à l’impuissance, au pire qu’à participer à des mouvements qui, loin de servir les intérêts des exploités, servent en réalité ceux de la bourgeoisie et de son système décadent et barbare.

  • "Vos analyses de la situation actuelle, bien que justes sur certains aspects, s’appuient très souvent sur des faits inexacts. (...) Vous fonctionnez sur des schémas anciens, trop systématiques... je suis issue du mouvement ADS (Alternative Démocratie Socialisme) - fusion des reconstructeurs et des refondateurs du PCF - (sortie depuis peu) je ne pense pas être une bourgeoise (chômage longue durée!) et les camarades de ce mouvement ne le sont pas non plus (...) Je milite dans un collectif contre le racisme et pour l’égalité des droits, qui regroupe, des citoyens, des organisations politiques, et associations ; nous ne sommes pas des bourgeois, nous travaillons au quotidien, répondant aux demandes de défense des travailleurs dits immigrés, "déboutés du droit d’asile". Je n’ai jamais vu à ces réunions, permanences d’accueil, actions collectives, les militants de votre organisation (...) Vous donnez beaucoup de leçons de morale, mais vous restez extérieurs aux mouvements sociaux....

Quel dommage que des groupes comme le vôtre préfèrent œuvrer en cercle fermé, loin de la vie réelle ; c’est aussi à cause de cela que le capitalisme prospère...

Salutations fraternelles, N.C. (Rouen)

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NOTRE REPONSE

■ Nous comprenons le dégoût légitime de tous ceux qui, comme notre lectrice, veulent défendre les intérêts des exploités face à la misère, l’oppression, l’injustice qui frappent telle ou telle partie de la société (les "jeunes", les "noirs", les "immigrés", les "femmes", etc.). La classe ouvrière ne peut pas ne pas se sentir concernée par cette oppression et ces injustices puisque c’est elle qui en est la première victime. Mais la question que pose notre lectrice est la suivante : est-ce à travers une multitude de luttes partielles, hétéroclites, contre telle ou telle "injustice" (telle que le racisme, par exemple) qu’on peut mettre fin à cette situation ?

Les luttes interclassistes: un poison pour la classe ouvrière

Ces dernières décennies ont vu se développer des "mouvements sociaux" (pour reprendre les termes de notre lectrice) : antinucléaires, anti-racistes, écologistes, féministes, régionalistes, etc. Ce qui caractérise tous ces mouvements, c’est d’abord le fait qu’il regroupent toutes sortes d’individus, certes pour la plupart "sincèrement révoltés", mais qui proviennent de toutes les classes de la société. On y retrouve aussi bien des ouvriers que des éléments de la petite-bourgeoisie, quand ce n’est pas des représentants de la classe dominante elle-même qui, non seulement participent à ces mouvements, mais en prennent encore l’initiative (la plupart de ces "mouvements" sont aujourd’hui animés par les partis bourgeois de gauche ou d’extrême-gauche).

Dans ces grands "élans humanitaires" qui mêlent indistinctement toutes les catégories de la population, toutes les classes et couches sociales, les prolétaires ne peuvent que se retrouver noyés dans un pseudo-combat où leur identité et leur autonomie de classe est complètement dissoute au milieu de tout ce fatras interclassiste. Ce terrain pourri par excellence ne peut que conduire les ouvriers à abandonner leur propre terrain de lutte contre le système capitaliste et à se laisser dévoyer par l’idéologie "réformiste" et stérile de ces mouvements sans perspective.

D’ailleurs, ces agitations interclassistes qui véhiculent l’illusion qu’on peut aujourd’hui remédier aux "défauts de la société capitaliste", en luttant pour que ce système soit plus "juste" et plus "démocratique" (Cf. la revendication du "droit de vote" pour les immigrés), ne constituent pas un phénomène nouveau.

Dans le ressac de l’explosion sociale qui l’avait terrorisée, après 1968, la bourgeoisie s’était déjà efforcée de récupérer tout sentiment de révolte contre son système, en détournant toute tentative de contestation de l’ordre capitaliste sur le terrain d’une multitude de luttes partielles, éclatées, cloisonnées et enfermées dans des thèmes spécifiques où chaque problème était traité en soi, "combattu" indépendamment des autres manifestations de l’oppression capitaliste. On avait ainsi assisté à l’éclosion et à la médiatisation d’une série de mouvements de toutes sortes : pour la "libération" des femmes, pour l'avortement, pour la défense des homosexuels, contre le racisme, contre les centrales nucléaires, etc... Dans une ambiance pop-mu-sic et psychédélique, les "jeunes", les "étudiants", les "mecs cools", les "nanas branchées", les "homos” étaient conviés à communier dans la nouvelle religion des luttes "au quotidien" du journal "Actuel" ou de "Hara- Kiri". Quant à la classe ouvrière, les idéologues patentés de la bourgeoisie ou les anciens soixant’huitards récupérés (tel Cohn- Bendit) avaient décrété qu’elle s’était tout simplement "embourgeoisée" et que son combat de classe révolutionnaire appartenait désormais au passé (ces fameux "schémas anciens" que critique notre lectrice 1)

Que sont devenus les animateurs de ces mouvements soi-disant "contestataires" et très "médiatisés" des années 70 ? Ils sont devenus, pour la plupart, de respectables gestionnaires du capital national. Lalonde et Kouchner sont ministres. Les femmes "libérées" sont directrices de maisons d’édition. Quant aux ouvriers immigrés qui ont encore la "chance" d’avoir du travail, malgré tous les "collectifs anti-racistes" qui prétendaient défendre leurs intérêts, ils continuent, eux, d’être exploités comme les autres prolétaires, et leur seul avenir, c’est celui de l’exclusion, du chômage et de la misère la plus totale. Malgré toutes les grandes manifestations pacifistes orchestrées contre la guerre du Vietnam dans les années 70 et tout récemment encore lors de la guerre du Golfe, le monde continue à être mis à feu et à sang par les rivalités impérialistes des différentes bourgeoisies nationales. Les protestations contre les centrales nucléaires n’ont ni empêché qu’elles soient construites n’importe comment, ni qu’elles continuent à être exploitées de façon totalement aveugle et irresponsable par le capital.

Ainsi, les vagues "collectifs pour l’égalité des droits" d’aujourd’hui et dans lesquels milite notre lectrice sont exactement de la même eau que tous ces mouvements interclassistes "qui regroupent des citoyens" et dans lesquels les éléments prolétariens ne peuvent que nier leur appartenance de classe. Cette lutte "au quotidien" que préconisent ces "collectifs" est non seulement parfaitement impuissante et totalement étrangère au combat de la classe ouvrière mais, de plus, elle constitue aujourd’hui une arme redoutable de la bourgeoisie contre le prolétariat. C’est en effet, grâce à ces mouvements anti-racistes, pacifistes, écologistes etc. que la classe dominante s’efforce aujourd’hui de pousser les prolétaires à abandonner leur propre terrain de lutte autonome contre le capitalisme, non seulement pour se fondre dans la "population en général", mais encore pour resserrer les rangs derrière telle ou telle fraction de la bourgeoisie. Qu’on se souvienne, par exemple, de la grande manifestation "anti-raciste” de "protestation" nationale contre la profanation des tombes juives du cimetière de Carpentras organisée par le PS en 1989, et à la tête de laquelle se trouvait Mitterrand et son copain Harlem Désir. La bourgeoisie a su parfaitement exploiter la mystification de Tanti-racisme" pour sceller, derrière cette grande manifestation "populaire", l”'union sacrée" entre exploiteurs et exploités.

C’est bien parce que les révolutionnaires sont conscients des dangers que représentent aujourd’hui jpour le prolétariat tous ces mouvements qui prétendent contester tel ou tel aspect partiel de la domination capitaliste qu’ils doivent non seulement "rester extérieurs" à ces mouvements (c’est malheureusement ce que nous reproche notre lectrice), mais encore les dénoncer aux yeux des prolétaires, pour ce qu’ils sont en réalité : un poison mortel pour la seule lutte capable de mettre fin à l’oppression capitaliste sous toutes ses formes, la lutte de classe.

Seule la lutte de classe du prolétariat peut mettre fin à toutes les formes d’oppression du capitalisme

En réalité, la fonction essentielle de tous ces "mouvements interclassistes" consiste à empêcher les éléments sincèrement révoltés d’aller à la racine des problèmes en se posant la question de fond : qui est responsable de tous ces maux ? Qui est responsable des discriminations raciales, des guerres, de la pollution, des accidents nucléaires et autres catastrophes ? Car c’est uniquement en allant à la racine des choses, en comprenant que tous ces maux trouvent leur origine dans le mode de production capitaliste, qu’on peut alors répondre à la question : quel type de lutte peut réellement faire cesser un tel état du monde. Qui peut proposer une alternative autre que le fameux cautère sur une jambe de

bois ? C’est bien parce que toutes les injustices sociales trouvent leur source commune dans le mode de production capitaliste que le seul moyen d’y mettre fin, c’est de s’attaquer à ce système dans son ensemble. Et la seule force de la société qui puisse abattre le capitalisme, c’est la classe dont les intérêts sont totalement antagoniques à ceux de la bourgeoisie : la classe ouvrière, laquelle ne pourra affirmer sa force, renverser le capitalisme et construire une autre société qu’en défendant de façon autonome ses intérêts de classe exploitée, en refusant de se laisser dissoudre et atomiser dans des mouvements qui englobent toute la "population".

Ainsi, si aujourd’hui, la bourgeoisie utilise toutes ces agitations dispersées et enfermées dans des spécificités particulières, c’est justement parce que ces "luttes" participent à masquer la responsabilité du capitalisme dans la barbarie actuelle, et par conséquent à nier (au nom d’un hypothétique résultat immédiat) la nécessité de détruire ce système de fond en comble.

Les révolutionnaires ne combattent pas pour supprimer à coups de "réformes" illusoires telle ou telle situation malheureuse du système qui fait bouger les petits bourgeois pleurnichards (racisme, pollution, sexisme, etc), et où ces derniers entraînent derrière leur idéologie du "peuple de gauche" des individus sincèrement écoeurés par toute la misère et les horreurs du monde actuel. Les révolutionnaires combattent patiemment, à long terme, pour développer un rapport de force en faveur de la classe ouvrière, pour défendre les intérêts généraux du prolétariat dans son ensemble (et pas seulement des ouvriers "immigrés"). Leurs tâches consistent à participer activement au développement de la conscience et de l’unité du prolétariat face à toutes les entreprises de division, de dévoiement, de mystification, de la bourgeoisie. Lutter et militer dans ce sens signifie favoriser le développement et l’affirmation des luttes de la classe ouvrière sur le seul terrain qui soit le sien, celui de la défense de toutes ses conditions de vie face à l’austérité et à la misère que lui impose quotidiennement le capitalisme en crise. Contrairement à ce que pense notre lectrice, ce combat des révolutionnaires ne se développe pas "en cercle fermé, loin de la vie réelle", mais au contraire partout où peut s’exprimer la vie réelle de la seule classe capable d’offrir un avenir à l’humanité, c’est-à-dire partout où le prolétariat peut et doit s’affirmer comme classe distincte du reste de la société : dans ses assemblées générales, dans ses grèves et manifestations, dans ses comités de luttes, ses cercles de discussions, les meetings des groupes révolutionnaires, et tout autre lieu où il peut forger ses armes politiques en vue du renversement du capitalisme.

Seul le combat de la classe ouvrière contre l’exploitation et la misère contient, avec sa dimension historique, la possibilité de supprimer toutes les discriminations du capitalisme par l’abolition des classes sociales et de l’esclavage salarié.

A.G.

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Courrier des lescteurs