Résolution sur la situation en France (1992)

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1 La situation en France confirme et s’inscrit pleinement dans le cadre de la situation internationale sur les plans essentiels des tensions impérialistes et du chaos mondial, de la crise économique et de la lutte de classe. En effet, sur le plan impérialiste, avec la tendance générale au "chacun pour soi", avec la dissolution de fait du bloc occidental, la France a perdu les "garanties de stabilité" de son rang dans le monde qui découlaient du rôle spécifique qu’elle avait au sein de ce bloc, et elle se trouve happée dans la dynamique générale de chaos amplifiée par la tendance à la formation de nouveaux blocs. Elle subit de plein fouet, à l’instar de tous les autres pays du cœur du capitalisme, les effets dévastateurs de la crise économique mondiale et doit affronter une guerre commerciale de plus en plus déchaînée. La lutte de classe y a été marquée, avec la même profondeur que dans les autres, pays d’Europe Occidentale, par le recul de la conscience dans la classe et la paralysie de la combativité ouvrière.

C’est dans ce cadre global qu’il faut donc appréhender les spécificités du capital national et de la bourgeoisie en France imprimant leurs marques sur les orientations et options de la politique impérialiste de ce pays, sur sa capacité à affronter la guerre commerciale, de même que sur les conditions que va trouver la classe ouvrière pour le redéveloppement de ses luttes.

2 La politique impérialiste de la France est caractérisée par le fait qu’elle fait partie des "grands" tant au niveau de sa place sur le plan économique (quatrième exportateur mondial) qu’au niveau de sa puissance militaire et par la possession de zones d’influence stratégique particulièrement en Afrique. Mais en même temps, elle ne peut revendiquer une place de tout premier plan et rivaliser ni avec les USA bien sûr, ni même avec l’Allemagne dont la puissance économique et l’influence en Europe la surpassent largement.

Dans la situation ouverte par la disparition des anciens blocs, et pour défendre au mieux ses intérêts dans le monde, la France ne peut que chercher à marchander son alliance entre Washington et Berlin. Si, à l’heure actuelle, elle se range plutôt aux côtés de l’Allemagne, c’est essentiellement parce qu’elle compte en tirer beaucoup plus qu’en se ralliant aux USA (avec ces derniers elle ne peut accéder qu’à une place de second lieutenant derrière la Grande-Bretagne). Dans ce but, la France cherche à exploiter ses avantages sur son puissant allié tant sur le plan des armements (vente de matériel militaire sophistiqué comme le "Rafale", mise en place de projets militaires communs) que sur celui des positions géostratégiques (accéder à la Méditerranée). Cependant l’impérialisme français est contraint en même temps de se protéger des appétits de l’Allemagne, appétits d’autant plus redoutables que celle-ci est un pays voisin qui a longtemps été l’un de ses principaux rivaux. A cette fin, il essaie de contenir la montée en puissance de cet "allié" d’aujourd’hui en cherchant à le brider dans le carcan de la CEE (c’est pour cela, et parce que c’est le cadre dans lequel elle espère pouvoir exprimer ses ambitions, que la France est actuellement le défenseur le plus décidé de l’Europe) ou d’y faire contrepoids en jouant circonstanciellement la carte des USA (comme au début de la crise yougoslave).

Ce qui marque donc (et qui marquera encore plus à l’avenir) la politique d’alliance impérialiste de la France, c’est l’instabilité et l’insécurité qui raccompagne inévitablement.

L’option pro-allemande a déjà valu à la France les représailles des USA au Tchad et en Algérie (ce qui l’a amenée à réagir énergiquement pour défendre ces positions, importantes pour elle), de même qu’elle avait déjà été punie, par son éjection du Moyen-Orient, pour les velléités d’indépendance vis-à-vis de l’autorité américaine qu’elle avait exprimées lors de la crise du Golfe. Demain, les USA n’auront aucune hésitation à employer tous les moyens pour la déposséder d’autres zones d’influence, en particulier en réduisant au maximum sa marge de manœuvre en Méditerranée et l’éjectant de la corne de l’Afrique.

Quelles que soient les péripéties qui marqueront le jeu des alliances, la bourgeoisie française est parfaitement consciente qu’elle ne pourra pas faire l’économie d’une participation directe sur le terrain à de futures confrontations impérialistes. C’est pour cela qu’elle se prépare dès à présent aux besoins de celles-ci, tant en ce qui concerne la nécessaire adaptation d’une partie de son armement, que l’implication

future du contingent qui constitue une pièce maîtresse du dispositif militaire français.

3 La situation économique de la France, déjà actuellement difficile, va considérablement s’aggraver, du fait bien sûr de la crise mondiale, mais également pour les raisons plus particulières suivantes :

-  le tarissement de débouchés dont elle avait pu bénéficier et constitués par la reconstruction de la partie Est de l’Allemagne;

- la perte d’importants marchés militaires, au Moyen- Orient en particulier, où les USA se sont accaparé depuis la guerre du Golfe la grande majorité des débouchés militaires dans la région;

- la tendance à l’affaiblissement de sa compétitivité face à ses principaux concurrents qui va peser plus lourd dans un contexte de guerre commerciale exacerbée. Celle-ci résulte des facteurs suivants :

  • la faiblesse du tissu industriel français qui est le produit de la façon dont historiquement le capital français s’est développé et maintenu à travers ses chasses gardées coloniales, le dispensant ainsi des efforts d’industrialisation plus poussés que d’autres pays comme l’Allemagne déployaient;
  • l’accident électoral de 81 qui n’a pas permis à la bourgeoisie française, dans les premières années du gouvernement de gauche, sous peine que celui-ci se discrédite trop rapidement, d’attaquer la classe ouvrière au niveau requis. Il en a résulté pendant cette période un effort insuffisant d’investissements, et progressivement, au cours des années 80, un retard relatif du capital national. Pendant la seconde moitié des années 80, une exploitation accrue de la force de travail a en partie permis à la bourgeoisie française de compenser le handicap d’un rendement moindre du capital mais, cependant, la différence avec les autres capitaux nationaux ne fera que s’accentuer, alors que la conjoncture ne permet évidemment pas de rattraper le retard dans les investissements.

Afin de résister au mieux dans la guerre commerciale, la France va être amener à défendre de façon encore plus acharnée ses alliances commerciales actuelles et même à en contracter de nouvelles, parfois circonstanciellement, comme on peut le voir déjà aujourd’hui quand elle joue :

  • la carte allemande contre les USA au sein du programme Airbus,
  • l’Europe contre le Japon ou la Grande-Bretagne dans la construction automobile,
  • l’alliance avec l’Allemagne (en contrepartie d’avantages stratégiques déjà évoqués) pour défendre sa production agricole contre l’offensive américaine sur ce plan,
  • l’Europe (et les USA) contre la politique des taux d’intérêts de l’Allemagne.

4 La situation de la lutte de classe en France depuis ces deux dernières années n’a pas présenté de spécificité, par rapport à la dynamique générale dégagée au niveau international, et cela tant en ce qui concerne le recul dans la conscience que l’absence de combativité, malgré des attaques considérables de la part de la bourgeoisie française, en particulier sous la forme de licenciements. Aux évènements mondiaux et aux campagnes de la bourgeoisie qui sont à l’origine de cette situation, il faut ajouter l’utilisation par la classe dominante d’une stratégie mise en place dans plusieurs pays d’Europe visant à déclencher des luttes prématurées afin d’accentuer le désarroi de la classe ouvrière. Cette stratégie, dont la situation en France a fourni un exemple très significatif, s’est traduite à l’automne 91 par toute une série de grèves (infirmières, Renault) orchestrées par les syndicats, le PCF et les gauchistes en collusion avec le gouvernement.

Cependant, sans que l’on puisse présager ni du moment ni du rythme de reprise des luttes, la combativité de la classe ouvrière va de nouveau s’exprimer, alors que les exigences de la guerre économique mondiale, ainsi que le maintien voire le renforcement du fardeau des dépenses militaires, vont contraindre la bourgeoisie française à porter des attaques de plus en plus massives et frontales contre la classe ouvrière qui, en particulier, vont se traduire par des licenciements massifs dans les secteurs les plus importants, une augmentation importante du chômage, une intensification de l’exploitation sur le lieu de travail, la compression de tous les budgets sociaux, notamment de la santé, et des coups très

durs portés sur les retraites.

Contrairement à ce qu’a été capable de faire le PS pendant 10 ans, c’est-à-dire diluer, masquer, camoufler des attaques cependant importantes, celles qui sont portées aujourd’hui et surtout celles qui sont à venir, d’une ampleur jamais vue par les générations actuelles de la classe ouvrière de ce pays, ne manqueront pas de faire renaître la combativité et de participer au développement de la conscience dans la classe ouvrière.

5 La situation de faiblesse relative de sa classe politique, faiblesse aggravée depuis 1981, n’a pas fondamentalement handicapé la bourgeoisie française dans la défense de ses intérêts impérialistes. Sur ce plan elle a été, durant toutes ces années, et même dans la situation plus difficile pour elle oj> verte par l’effondrement du bloc de l’Est, capable d’agir au mieux de ses possibilités, sans trop de faux pas.

Sur le plan intérieur, malgré l’affaiblissement important des forces de gauche aujourd’hui dans l’opposition -syndicats, gauchistes et surtout PC depuis l’effondrement du stalinisme- malgré l’usure très sérieuse qu’a subie le PS, tout particulièrement ces derniers mois, la bourgeoisie a montré sa capacité à gérer la situation notamment face à la classe ouvrière.

De même, la montée de l’extrême-droite -fraction qui ne peut en aucune manière être appelée aux affaires dans la période actuelle- confirmée par les élections cantonales et régionales de mars 92, si elle exprime la faiblesse relative de la classe politique ainsi que le développement de la décomposition de la société, ne signifie pas, en revanche, une tendance à la perte de contrôle par la bourgeoisie de son jeu politique comme le montre sa capacité à préparer activement, et dès à présent, la relève du PS à la tête de l’Etat par la droite classique, même si cette dernière reste affaiblie par ses propres divisions qui risquent d’être aggravées par les choix de politique étrangère (pro Allemagne et pro US).

De même, si la multiplication des scandales qui éclatent au grand jour en impliquant ostensiblement de larges franges de Ta classe politique, (le PS au premier rang d’entre elles), est bien sûr le résultat du développement de la décomposition générale de la société et en particulier de la classe dominante, il convient cependant d’être clair sur le fait que ce phénomène n’a pas la même ampleur ni surtout les mêmes conséquences, quant à la cohésion de l’Etat, comme c’est le cas, de façon spectaculaire, dans certains pays de la périphérie, et notamment les pays anciennement dirigés par des régimes staliniens.

C’est pour toutes ces raisons qu’il serait faux et illusoire de parler de crise politique de la bourgeoisie française.

Bien au contraire, la situation actuelle illustre sa capacité d’utiliser à son avantage ses propres faiblesses ainsi que les manifestations de sa propre décomposition.

Il en est ainsi de l’utilisation qu’elle fait de la montée du parti de Le Pen. Aujourd’hui, toute la publicité faite autour du thème de la montée du fascisme, rehaussée par l’organisation de mobilisations et manifestations en résistance à celle-ci, ont pour but de développer une idéologie de défense de la démocratie.

Cette manœuvre, qui s’inscrit dans les campagnes que mène sur le même thème la bourgeoisie à l’échelle internationale pour tenter d’entraîner la classe ouvrière hors de son terrain de classe, a de surcroît en France des objectifs plus spécifiques : il s’agit d’un volet d’une politique visant à recréer une gauche dans l’opposition, s’articulant à terme autour du PS, ou d’une scission de celui-ci, passé dans l’opposition. En effet, la seule force électorale oppositionnelle de gauche, le PC, est extrêmement affaiblie. Le principal syndicat, la CGT, est contrôlé par ce même parti. Il est donc urgent pour la bourgeoisie de s’employer à reconstituer son front anti-ouvrier, vu l’état actuel de celui-ci et la nécessité qu’elle aura d’affronter le renouveau de la combativité ouvrière. C’est dans cette perspective qu’il faut également comprendre les tentatives de la CGT, ainsi que l’a manifesté son dernier congrès, pour prendre certaines distances vis-à-vis du PC

Cependant, même s'il est faible, le nouveau front anti- ouvrier que la bourgeoisie tente à l’heure actuelle de reconstituer pourra se montrer, dans un premier temps en particulier, d’une efficacité redoutable contre une classe ouvrière affaiblie reprenant le chemin de ses luttes. 

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