Soumis par Révolution Inte... le
Le vendredi 5 mai, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), déclarait que « le Covid-19 n’est plus une urgence de santé publique de portée internationale » et prônait « le retour à la normale ».
Avec « au moins 20 millions de morts » selon directeur générale de l’OMS, (1) la pandémie de Covid-19 a révélé de manière éclatante la décrépitude du capitalisme mondial mais aussi l’incurie et le cynisme avec lequel États et gouvernements ont « géré » la situation. Face au délabrement des systèmes de santé partout dans le monde, fruit de décennies de crise économique et d’attaques massives, la classe dominante de tous les pays n’a eu que le mensonge, le vol, l’imposition arbitraire de « mesures de protection » tels que des confinements drastiques venant tout droit du Moyen-Âge. Et alors que les grandes puissances s’enorgueillissaient au printemps 2021 d’avoir produit des vaccins dans un temps record, force est de constater aujourd’hui qu’aucune politique vaccinale cohérente et généralisée n’est mise en place à l’échelle mondiale.
« Pourquoi faire ? », répondront les responsables des États ou des organismes internationaux. Puisque le Covid-19 peut désormais être considéré « de la même manière que nous considérons la grippe saisonnière, à savoir une menace pour la santé, un virus qui continuera de tuer, mais un virus qui ne perturbe pas notre société ou nos systèmes hospitaliers », comme le déclarait, il y a plusieurs semaines, le chef des programmes d’urgence de l’OMS, Michael Ryan. Cette déclaration illustre à elle seule l’état d’esprit de la bourgeoisie mondiale face aux effets macabres du capitalisme. Le Covid « saisonnier » pourra bien faire des centaines de milliers de morts par an dans le monde, tant qu’il « ne perturbe pas » le fonctionnement de la société capitaliste, vivons avec ! Voilà ce que prône désormais ouvertement tous les États et les gouvernements : l’indifférence la plus totale vis-à-vis de la santé des populations humaines aux profits des uniques intérêts de la bourgeoisie. Cette classe qui ne peut qu’employer les procédés les plus perfides et sournois pour tenter de cacher à la face du monde que son propre système n’a de cesse de plonger l’humanité dans l’abîme.
Toute autre fut la méthode employée par les soviets au cours de la Révolution en Russie alors que la classe ouvrière devait faire face aux ravages de la grippe espagnole, du typhus ou encore du choléra. Nous avons commencé à aborder cette question dans la Revue internationale en publiant un article relatif à l’évolution de la situation sanitaire dans la Russie des soviets en juillet 1919, un an après la mise sur pied du Commissariat de l’hygiène publique. (2)
Nous prolongeons ici la réflexion par la critique du livre La santé et la révolution écrit par un collectif d’auteurs. Si comme nous allons le voir, les auteurs ne peuvent s’empêcher de clore leurs études par un plaidoyer à peine voilé en faveur du capitalisme d’État, ce petit livre a le mérite de mettre en évidence le rôle central que joua la classe ouvrière organisée pour faire face aux défis sanitaires en plein processus révolutionnaire et face aux assauts de la contre-révolution menés par les armées blanches et les grandes puissances capitalistes européennes, « et néanmoins, dans les conditions matérielles parmi les plus difficiles qu’il soit possible d’imaginer, la méthode alors mise en œuvre par le prolétariat, notre méthode, en tout point opposée à celle de la bourgeoisie aujourd’hui confrontée à la pandémie du coronavirus, parvient à des résultats qui, à l’époque, constituent un pas en avant considérable ». (3)
Qu’elle fut donc cette méthode ? En quoi, celle-ci permis un pas en avant considérable et une expérience inestimable pour le futur ?
Face à l’urgence sanitaire et aux épidémies, la réaction de la classe ouvrière organisée en soviets
Au lendemain de la prise du pouvoir, la Russie se trouve dans une situation désastreuse. Trois années de guerre ont fait des ravages au sein de la société et accentué des fléaux déjà bien connus : la misère, la famine, les pénuries, la dégradation des infrastructures de santé ou de transports. Mais aussi de nombreuses épidémies telles que le typhus, le choléra, la variole, la diphtérie ou encore la tuberculose.
Ainsi, des défis gigantesques se posaient déjà à la révolution en Russie et ce d’autant, que son isolement rapide ne lui avait pas permis de trouver le soutien du prolétariat mondial. Mais comme le livre le met bien en évidence, la classe ouvrière en Russie puisa sa force dans son organisation collective et centralisée puisque les soviets furent au cœur de la prise en charge de la politique sanitaire. Ainsi, dès la prise du Palais d’Hiver, le comité révolutionnaire mis en place des détachements sanitaires à Petrograd et Moscou en vue de venir en aide aux blessés. Ces « secouristes de l’insurrection » étaient d’abord composés d’ambulanciers, d’infirmiers et d’infirmières militaires ralliés aux bolcheviques et aussi des ouvrières épaulant les médecins. Après quoi, les soviets étendirent les prérogatives des détachements à la prise en charge de l’ensemble de la santé civile. Un grand pas en avant fut ensuite franchi lorsque le gouvernement des soviets se dota d’un Commissariat du peuple à la santé. Désormais, la politique menée aussi bien pour faire face aux victimes de la guerre encore en cours comme aux épidémies fut l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
Cette politique globale tranche déjà drastiquement avec celle mise en œuvre par les différents États lors de la pandémie de Covid-19 consistant à imposer aux populations des mesures visant avant toute chose à pénaliser le moins possible la production capitaliste. Comme l’indique les auteurs du livre : « il n’a jamais été question de prendre des mesures pourtant de bon sens, comme la production massive de matériel médical par les États où la levée des brevets sur les vaccins pour que tous y aient accès. En effet, outre écorner ses profits, cela aurait attenté au droit sacro-saint de la bourgeoisie de disposer à sa guise de son capital. On a là une nouvelle démonstration de ce que la propriété privée des capitalistes passe toujours avant l’intérêt de la collectivité, et dans ce cas précis, de l’humanité tout entière ».
Pour contrer les épidémies, mobilisation et sensibilisation pour tous
Alors que les États n’ont pas hésité à recourir abondamment au mensonge « pour dissimuler les pénuries de masques, le manque de soignants, de lits de réanimation et de vaccins, et leur responsabilité dans cette situation », à aucun moment, il n’a été question de mobiliser la population dans la lutte contre la pandémie, les gouvernements préférant imposer les mesures sanitaires (confinement, port du masque…) par la coercition.
La politique menée par la « République des soviets » fut là aussi animée par une toute autre démarche. Dans toutes les batailles sanitaires qu’elle dût mener, la première mesure consistait à dire la vérité à la population : exposer le plus clairement possible l’état de la situation, les mesures de protection à adopter, le mode d’organisation préconisé pour faire face à la situation. Mais il s’agissait aussi d’appeler à la mobilisation des masses ouvrières. Ce fut le cas aussi bien au cours de l’épidémie de choléra qui frappa le Sud de la Russie ainsi que Moscou et Petrograd à partir de l’été 1918 que pour l’épidémie de variole en 1919 ou encore la grippe espagnole qui fit près de trois millions de morts en Russie. Cette méthode reposant à la fois sur l’adhésion et la participation de larges masses de la population et la centralisation de la politique menée par le gouvernement des soviets (Commissariat à la santé) fut pleinement mise en œuvre lors de l’épidémie de typhus entre 1918 et 1919. Comme l’indiquent les auteurs, l’expérience de la lutte contre l’épidémie fournit « les bases d’un nouveau système de santé reposant sur l’action des travailleurs eux-mêmes, la centralisation, la gratuité et la prévention ».
Dès lors, avec la fin de la guerre civile, des avancées notables furent réalisées dans la formation du personnel médical, la lutte contre la tuberculose, la prise en charge des addictions, la lutte contre la prostitution ou encore l’amélioration de la maternité. En un mot, la prise en charge de la société par la classe ouvrière permettait de l’arracher aux conditions « arriérées » dans lesquelles elle végétait.
Face au fléau des pandémies, il n’y a rien à attendre de l’État !
Dans la dernière partie de ce livre, les auteurs montrent à quel point la politique de santé connut une véritable régression sous le stalinisme. La dégénérescence de la révolution en Russie, s’exprimant notamment par la fusion du parti avec l’État et la dévitalisation totale des soviets, engendra une nouvelle classe dominante exploitant la classe ouvrière sous la forme d’un véritable capitalisme d’État. Par conséquent, la politique menée en matière de santé, n’avait plus pour but de participer à l’amélioration et à l’émancipation de la condition humaine mais à pouvoir permettre à l’État d’exploiter toujours plus la force de travail. La mise en place d’une « médecine du travail » menant des études sur les causes de certaines maladies et la mauvaise santé des travailleurs ou encore recensant les pathologies, n’avaient pas d’autre objectif : permettre une plus grande productivité, donc une plus grande exploitation de la classe ouvrière. De même, la création de crèches et de structures d’accueil pour les enfants plus âgés dans les usines ne fit qu’enchaîner toujours plus les ouvriers et les ouvrières à leur lieu de travail et à l’État capitaliste.
Cependant, entichés du catéchisme gauchiste, notre groupe d’auteurs ne peut s’empêcher de trouver dans la barbarie stalinienne des résidus de la période révolutionnaire : « Le système de santé soviétique, tel qu’il perdura pendant plusieurs décennies, était envié par beaucoup […]. Dans des pays comme les Démocraties populaires en Europe de l’Est ou à Cuba, qui sans avoir connu de révolution ouvrière tentaient d’échapper, entre autres, à leur retard dans le domaine médico-social, on prit donc pour modèle le système de santé soviétique. Avec ses avantages, on l’a vu, ainsi qu’avec ses tares : celles d’une société dominée, écrasée par la bureaucratie. Mais malgré tout, et même s’il ne devint jamais un système de santé socialiste, ce système de santé conserva longtemps des traits de son caractère populaire, novateur et progressiste d’une révolution ouvrière victorieuse ».
Les prétendues prouesses médicales des « économies soviétiques » relèvent davantage de la farce plutôt que de la réalité historique. En URSS comme chez tous ces pays satellites, les populations manquaient de tout. Aussi bien de nourriture que de médicaments. Les auteurs reprennent ici à leur compte un vieux mensonge propagé par les canailles de la gauche et de l’extrême gauche du capital consistant à présenter un État tel que Cuba comme le nec plus ultra de la médecine. La pandémie a rappelé l’état de délabrement sanitaire de cet autre résidu du stalinisme. Puisque là-bas aussi les soignants durent faire face à l’afflux de malades sans disposer suffisamment de médicaments, d’oxygène, d’antigènes, de gel ou de seringues, etc.
Derrière ce clin d’œil nostalgique à la prétendue survivance des avancées de la révolution d’Octobre, via le stalinisme, se cache le credo consistant à considérer l’URSS comme un « État ouvrier dégénéré », perverti par la bureaucratie stalinienne. Aujourd’hui, cette erreur de Trotsky, repris à leur compte par les organisations de l’extrême gauche du capital comme Lutte ouvrière en France, sert à entretenir l’illusion qu’un État « bien géré » pourrait être un outil au service de l’intérêt général. Or, s’il est en apparence placé au-dessus des classes sociales, l’État demeure toujours l’expression de la domination d’une classe donnée dans la société. Dans le capitalisme, l’État incarne donc la domination de la bourgeoisie. De plus, depuis l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, la tendance générale vers le capitalisme d’État est une des caractéristiques dominantes de la société. La pandémie a pleinement confirmé que le capitalisme d’État, défendu bec et ongle par tous les partis de gauche et d’extrême gauche, n’est en rien une solution aux contradictions du capitalisme. Bien au contraire, il en est une claire expression, même s’il peut en retarder les effets au prix de leur amplification à terme ! (4)
S’il parvient un jour à renverser le capitalisme, le prolétariat devra poser les fondations de la société communiste dans un monde ravagé par les guerres, le dérèglement climatique et environnemental ou encore des problèmes sanitaires considérables. Cette tâche gigantesque ne s’effectuera pas avec le concours de l’État mais contre celui-ci, en vue de son dépérissement et sa disparition.
Surtout, cette tâche sera l’œuvre de la classe ouvrière elle-même, organisée et consciente de ses buts. Pour cela, s’appuyer sur les expériences du passé, comme la révolution d’Octobre 1917, et savoir en tirer les leçons essentielles demeure une tâche indispensable pour bâtir la société du futur !
Vincent, 7 mai 2023
1 Pour le moment, le décompte officiel fait état de 7 millions de morts.
2 « La prise en charge de la santé dans la Russie des soviets », Revue internationale n°166, (premier semestre 2021).
3 Ibid.
4 – « La pandémie de Covid et la période de décomposition du capitalisme », Revue internationale n°165, (deuxième trimestre 2020).
– « Pandémie et développement de la décomposition », Revue internationale n°167, (deuxième semestre 2021).