Les ouvriers n'ont aucun camp bourgeois à choisir!

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Depuis plusieurs mois, les principales villes d’Israël sont le théâtre de manifestations mobilisant des centaines de milliers de personnes pour protester contre les propositions du gouvernement Netanyahou de « réformer » la Cour suprême, qu’il considère comme un obstacle à sa politique. Mais ces manifestations, organisées sous la bannière de la défense de la démocratie et du « vrai » patriotisme israélien, n’offrent qu’une fausse alternative à la classe ouvrière. Cet article a été rédigé alors que les manifestations battaient leur plein, mais nous pensons que la pause actuelle dans les mobilisations de rue ne devrait pas durer longtemps.

Dans la phase terminale de la décadence du capitalisme, la classe dirigeante s’enlise de plus en plus dans la corruption et l’irrationalité. Elle est de moins en moins capable de contrôler son propre appareil politique, étant de plus en plus déchirée par des rivalités entre factions. La vie politique dans l’État d’Israël exprime toutes ces tendances sous une forme exacerbée.

Le gouvernement de Netanyahou est accusé de pots-de-vin et de corruption. Une des motivations de son gouvernement pour tenter de réduire l’autorité de la Cour suprême est d’empêcher les poursuites à son encontre. Comme Trump aux États-Unis, il est plus que disposé à utiliser sa fonction pour un gain personnel évident.

En outre, le gouvernement dirigé par le Likoud de Netanyahou ne peut survivre que parce qu’il est soutenu par des groupes ultra-religieux et le parti néo-fasciste du Pouvoir juif, qui sont unis derrière une volonté d’annexer ouvertement les territoires occupés en 1967, en justifiant ce dessein par des appels à la Torah. L’attitude de ces organisations à l’égard de la situation des femmes, des homosexuels et des Arabes palestiniens exprime, à l’instar de leurs ennemis islamistes détestés, une descente accélérée dans l’irrationalité et l’obscurantisme.

Le projet du gouvernement Netanyahou de museler la Cour suprême est donc également motivé par l’abandon explicite de toute solution « à deux États » pour le problème israélo-palestinien et la création d’un État purement juif du Jourdain à la mer. Ce qui implique nécessairement l’assujettissement et peut-être la déportation massive de la population palestinienne.

Toutefois, ces propositions ont provoqué des manifestations massives et soutenues durant plusieurs semaines. Celles-ci ont obligé Netanyahou à suspendre son plan et à faire un compromis avec ses partisans encore plus à droite au sein du gouvernement, en accordant au Pouvoir juif un certain nombre de postes dans le futur gouvernement. Le point le plus controversé est la formation d’une sorte de milice privée sous le contrôle direct du chef du Pouvoir juif, Itamar Ben-Gvir. Cette milice serait chargée du maintien de l’ordre en Cisjordanie. En pratique, elle servirait de couverture aux faits accomplis par les colons armés (un rôle déjà joué par les forces militaires et policières en place, mais qui provoque toutes sortes de dissensions entre les différentes branches de l’État).

Un conflit au sein de la bourgeoisie

Le mouvement de protestation a récemment inclus des grèves de travailleurs dans les aéroports, les d’hôpitaux, des municipalités et autres. Mais il ne s’agit pas d’un mouvement de la classe ouvrière contre l’exploitation capitaliste. Dans la plupart des cas, les grèves étaient plutôt des lock-out, soutenus par les employeurs. Les hauts responsables de l’appareil politique, militaire et de renseignement ont également fortement soutenu les manifestations, toujours ornées de drapeaux israéliens, et qui dénoncent l’assaut du gouvernement contre la Cour suprême comme une attaque contre la démocratie, voire comme un acte « antisioniste ». Les Arabes israéliens et palestiniens, qui ont déjà une connaissance de première main des délices de la démocratie israélienne, sont restés largement à l’écart des manifestations. Si de nombreux manifestants expriment des craintes réelles quant à leur avenir sous le nouveau régime politique, il ne fait aucun doute que ce mouvement est entièrement dominé par l’affrontement entre des forces bourgeoises rivales.

Le fait qu’il s’agisse d’un conflit au sein de la bourgeoisie est encore souligné par la critique des plans du gouvernement par le président américain Biden et d’autres dirigeants occidentaux. Les politiques provocatrices du gouvernement Netanyahou à l’égard des territoires occupés ne sont pas en accord avec la politique étrangère américaine actuelle. Celle-ci visant à se présenter comme une force de paix et de réconciliation dans la région et qui adhère toujours, verbalement en tout cas, à la solution des deux États. Netanyahou a répondu en insistant sur le fait que l’amitié entre les États-Unis et Israël est indéfectible, mais qu’aucune puissance étrangère ne peut dire à Israël ce qu’il doit faire. En somme, il exprime la tendance générale au chacun pour soi en politique internationale. Déjà, le soutien manifeste du gouvernement à l’expansion de facto par l’intermédiaire des colons a provoqué une nouvelle série d’affrontements armés en Cisjordanie et la crainte d’une nouvelle intifada. 

Les illusions envers la démocratie israélienne

Les forces politiques de gauche et libérales de la classe dirigeante, qui soutiennent les manifestations et exigent le retour à une véritable démocratie en Israël, n’ont jamais hésité à travailler main dans la main avec les forces de droite lorsqu’il s’agissait de défendre les intérêts de l’État sioniste. Un exemple bien connu : pendant la guerre de 1948, c’est l’Irgoun (1) de droite commandée par Begin et le groupe Lehi ou gang Stern qui ont été le plus directement impliqués dans l’atroce massacre des Arabes palestiniens à Deir Yassin en avril 1948, où des dizaines, voire des centaines de civils ont été tués de sang-froid.

La force armée contrôlée par le « sionisme travailliste », la Haganah, et le nouvel État indépendant qu’elle a établi par la force des armes, ont officiellement condamné le massacre, mais cela n’a pas empêché la coopération avec les forces d’élite de la Haganah (2) à Deir Yassin. Plus important encore, non seulement les forces officielles ont participé à la destruction d’autres villages, mais elles n’ont pas hésité à tirer profit de la terreur exercée sur les Arabes palestiniens, poussés à quitter la Palestine par centaines de milliers, en résolvant ainsi le problème de l’établissement d’une majorité juive « démocratique ». Par la suite, ces réfugiés ont croupi dans des camps pendant des décennies et n’ont jamais été autorisés à rentrer chez eux. Ils n’en ont pas moins été opprimés par les États arabes, qui les ont utilisés comme un casus belli permanent contre Israël. Quant à la gauche sioniste plus radicale, à l’image d’une organisation comme la Jeune garde (Hashomair Hatzair), et plus largement le mouvement des kibboutz, loin d’établir une enclave socialiste en Israël, leurs fermes collectives ont incarné les bases militaires les plus efficaces dans la formation du nouvel État.

Depuis les années 1970, si la droite sioniste (Begin, Sharon, Netanyahou, etc.) domine de plus en plus la politique israélienne, c’est parce qu’elle tend à représenter la solution la plus décomplexée au problème de la relation d’Israël avec la Palestine dans son ensemble : la force nue, un camp militaire permanent, des lois d’apartheid. Mais cela a toujours été la logique interne du sionisme, avec sa fausse promesse originelle d’une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ».

L’hypocrisie de la gauche antisioniste

Il n’est donc pas difficile pour les factions bourgeoises « antisionistes », telles que les trotskistes et les partisans de la « lutte nationale palestinienne », de prouver que le projet sioniste ne pouvait réussir que sous une forme de colonialisme, soutenu d’ailleurs par l’une ou l’autre des grandes puissances impérialistes : d’abord les Britanniques avec leur politique fourbe de « diviser pour mieux régner » en Palestine, (3) puis les États-Unis dans leurs efforts pour déloger les Britanniques de la région, et même l’URSS stalinienne à l’époque de la guerre de 1948.

Mais les gauchistes qui ont soutenu d’abord les groupes de libération palestiniens (OLP, FPLP, PDFLP, etc.) puis les islamistes du Hamas et du Hezbollah, ne nous disent pas l’autre côté de l’histoire. Comme tous les nationalismes à l’époque de la décadence capitaliste, le nationalisme palestinien participe pleinement à la logique de l’impérialisme, notamment depuis les liens établis par le Mufti de Jérusalem avec les impérialismes allemand et italien dans les années 1930 jusqu’au soutien de l’OLP par les régimes arabes régionaux ainsi que par la Russie et la Chine, et le soutien des gangs islamistes par l’Iran, le Qatar et d’autres. En soutenant les « nations opprimées », ils se font les apologistes des pogroms anti-juifs et des attentats terroristes perpétrés par l’opposition nationaliste au sionisme. Et ce depuis les premières réactions à la déclaration Balfour au début des années 1920 et la « grève générale » de 1936 contre l’immigration juive en Palestine, jusqu’aux agressions violentes contre des civils juifs (au couteau, à l’arme à feu ou à la roquette) encore perpétrées par des agents ou des partisans du Hamas et d’autres groupes islamistes.

Les porte-parole de la classe dirigeante qui répandent des illusions sur la paix au Moyen-Orient dénoncent souvent la « spirale de la violence » qui oppose sans cesse Juifs et Arabes dans la région. Mais cette spirale de la haine et de la vengeance fait partie intégrante de tous les conflits nationaux, dès lors que l'« ennemi » est défini comme une population entière. Pour sortir de ce piège mortel, il n’y a qu’une seule voie : celle qu’a tracée la Gauche communiste italienne dans les années 1930 : « Pour les vrais révolutionnaires, il n’y a naturellement pas de question “palestinienne”, mais seulement la lutte de tous les exploités du Proche-Orient, Arabes et Juifs compris, qui fait partie d’une lutte plus générale de tous les exploités du monde entier pour la révolution communiste ».

Mais près d’un siècle plus tard, les guerres et les massacres incessants dans la région ont montré les immenses obstacles au développement d’une unité de classe entre prolétaires juifs et arabes, à la lutte pour la défense de leurs conditions de vie, et à l’ouverture d’une perspective de lutte pour une nouvelle société où l’exploitation et l’État n’existeraient plus. Plus que jamais, une telle perspective aura pour impulsion les pays centraux du capitalisme, où la classe ouvrière dispose d’un potentiel bien plus important pour surmonter les divisions que lui impose le capital, et ainsi porter l’étendard de la révolution avec les travailleurs du monde entier.

Amos, 22 avril 2023

 

1 Organisation armée de la droite sioniste née en 1931 d’une scission au sein de la Haganah.

2 Organisation armée la plus importante du mouvement sioniste entre 1920 et 1948. Elle servit d’ossature à la création de l’armée israélienne (« Tsahal ») à partir de 1948.

3 Cf. l’analyse de ces manœuvres impérialistes dans la revue de la Gauche communiste italienne, Bilan, en 1936 : « Le conflit Juifs / Arabes : La position des internationalistes dans les années trente : Bilan n° 30 et 31 », Revue internationale n°110, (3e trimestre 2002).

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Conflit au sein de la bourgeoisie israélienne