Soumis par Révolution Inte... le
Du 25 février au 11 mars, l’armée française a mené un exercice militaire d’une ampleur inédite depuis vingt ans : 14 départements concernés, 12 000 militaires engagés, dont plusieurs centaines de parachutistes. Cet exercice baptisé Orion devait simuler une intervention dans un pays frontalier d’un État puissant. Toute ressemblance avec un conflit actuel ne serait évidemment que pure coïncidence ! « Bienvenue dans la guerre », nous dit le général commandant les opérations.
On ne saurait mieux dire : l’armée française « renoue avec les opérations de grande ampleur » et s’entraîne à « un conflit de haute intensité », avec opérations amphibies, aéroportées, aériennes, aéronavales et finalement terrestres.
Mais le but n’est pas uniquement de tester les capacités opérationnelles de ces braves soldats : cet exercice est également « une occasion unique pour la population d’aller à la rencontre de son armée, de découvrir ses matériels et de mieux comprendre son action. [...] Le soutien de la population, portée par une cohésion nationale affirmée et résiliente, est l’une des clés du succès d’une intervention d’ampleur pour protéger notre souveraineté ». C’est donc également une opération de relations publiques pour faire accepter à une population qui a perdu l’habitude de ces déploiements en kaki la possibilité d’un conflit impliquant directement le pays.
Depuis la fin de la Guerre froide, et pour des raisons très matérielles, les grandes nations militaires (à part les États-Unis) ont rogné sur les budgets militaires successifs, jusqu’à un niveau qui préoccupe maintenant tous les gouvernements. Trump avait été le premier à dire aux Européens qu’il fallait qu’ils prennent leur part et augmentent significativement leurs dépenses militaires face à des « menaces » diverses, notamment la Russie et la Chine. L’invasion de l’Ukraine a montré qu’effectivement « le recours à la force n’est désormais plus un tabou et la perspective d’un conflit majeur ne relève plus de la science-fiction ».
Mais après des décennies de coupes budgétaires et de réductions d’effectifs, l’armée française n’est pas en mesure de relever le gant : matériels vieillissants et en disponibilité insuffisante, effectifs et préparation en-dessous des besoins, production et stocks d’armes et de munitions très faibles demandaient une réponse claire de la part de l’État, et Macron a commencé à apporter cette réponse en promettant 413 milliards d’euros aux armées pour les sept ans qui viennent. C’est un tiers de plus que ce qui était initialement prévu. Entre le beurre et les canons, la bourgeoisie effectue toujours les mêmes choix ! Le but est clair : « Nous devons avoir une guerre d’avance » (Macron).
Toutes les bourgeoisies se réarment
L’irruption de la guerre sur un champ de bataille européen n’est pas une première depuis la fin de la guerre froide (la dislocation de l’ex-Yougoslavie en 1992 avait déjà entraîné un grave conflit sur le continent), mais le niveau de ce conflit et les buts de guerre des belligérants marquent une claire escalade militaire. Les gouvernements des grandes puissances ne s’y sont pas trompés : après les rodomontades militaires de la Chine et l’appel américain à ne pas les sous-estimer, le champ de bataille ukrainien a montré l’impréparation militaire de tous ces pays dans une situation impérialiste profondément belliciste. La période de décomposition que connaît aujourd’hui le capitalisme n’a jamais arrêté l’escalade des oppositions entre États, et les soubresauts économiques de plus en plus marqués depuis la crise du Covid ne pouvaient que laisser augurer d’un retour à l’intensification du militarisme sur le devant de la scène. Les conséquences de la crise économique devenant de plus en plus aiguës, chaque État doit défendre ses intérêts propres, y compris contre ses « alliés » qui sont aussi de féroces concurrents, ce qui attise le chacun-pour-soi et la fragmentation des liens politiques internationaux.
En témoigne le fait que, suite à la « trahison » australienne de l’épisode Aukus, la France a compris qu’elle devait consacrer plus de moyens à défendre ses positions propres sans tenir compte de ses « alliés », par exemple dans la région indo-pacifique et en Afrique : « La future [Loi de Programmation Militaire, ndr] intègre en ce sens le fait que la France puisse avoir à défendre seule ses intérêts à la tête d’une coalition hors de l’Alliance atlantique si les États-Unis regardent ailleurs ». La bourgeoisie française a parfaitement tiré les conclusions de la crise ukrainienne : il lui faut renouveler, moderniser, développer son armée.
Chaque État ne voyant donc que dans le réarmement comme porte de sortie, et ce réarmement devant se faire aux frais du prolétariat, la bourgeoisie doit attaquer les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière. En même temps, ces dépenses d’armement totalement improductives mais de plus en plus monstrueuses attisent toujours plus la crise économique et en particulier l’inflation. C’est donc sur le dos de la classe ouvrière, à travers toujours plus d’attaques contre ses conditions de travail et d’existence que chaque État va continuer à renforcer son arsenal militaire.
Cette spirale infernale ne peut que renforcer un véritable tourbillon de contradictions économiques, politiques et sociales. On comprend mieux pourquoi « le soutien de la population [...] est l’une des clés du succès ». La guerre dans le capitalisme n’est pas une option particulière choisie par des dictateurs plus ou moins paranoïaques : elle est une nécessité du système. Comme le disait Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ».
Une tentative d’embrigader la jeunesse !
La bourgeoisie française ne peut pas, de but en blanc, annoncer qu’elle prépare une guerre prochaine, ni montrer à quel point cela va être coûteux. L’expédition en Ukraine des armements promis, comme les canons Caesar ou les blindés AMX-10, avec tout ce qui les accompagne (munitions, pièces de rechange, formation des équipages…) ne fait déjà pas l’objet d’une grande publicité, et la bourgeoisie sait parfaitement que le prolétariat en France n’est absolument pas prêt à se sacrifier pour défendre le Capital national.
L’autre souci pour elle est que le coût colossal des équipements militaires pèsera évidemment sur les finances publiques, et par contrecoup sur la bourse des prolétaires. D’ores et déjà, l’augmentation significative du budget de la Défense pour l’année 2023 constitue un poids qui pèsera sur les investissements dans les infrastructures, que ce soit l’Éducation, la Santé ou les services publics. Et ce n’est qu’un début ! La bourgeoisie se prépare à un « conflit de haute intensité » et mettre les moyens pour y embrigader les prolétaires.
C’est de cette façon qu’on peut interpréter la réforme, pour le moment avortée, du Service National Universel (SNU) et de la réserve nationale.La bourgeoisie française aimerait renforcer les « forces morales » et la « résilience » de la société, en ayant en vue le « modèle » que constitue la « résistance ukrainienne ». L’État aimerait doubler la réserve nationale, déjà composée de 40 000 personnes, mais considérée pour l’instant comme « un système qui pompe de l’argent et qui n’est pas très sérieux ».
Du point de vue de l’État, le premier problème avec ces réservistes est qu’ils ne sont pour l’instant pas aptes à soutenir les militaires professionnels en opérations. Et l’autre gros problème est que, pour modifier la doctrine d’emploi de ces réservistes, il faudrait en changer totalement le recrutement et les équiper. Ce qui est coûteux. Mais tout un travail a déjà été mis en place pour rendre plus attractive l’appartenance à cette réserve nationale, notamment auprès des entreprises.
En même temps, la bourgeoisie française tente de promouvoir une réforme du SNU qui lui permettrait d’encadrer et d’exercer plus de poids idéologique sur les jeunes. En 2022, seulement 32 000 jeunes de 15 à 17 ans sur les 800 000 potentiellement concernés se sont engagés dans cette formation idéologique qui comprend port de l’uniforme, lever des couleurs, initiation à l’autodéfense, à « l’engagement civique », aux « questions de mémoire », etc. Il était donc question de rendre ces douze jours de formatage obligatoires pour tous les jeunes, ce qui évidemment pose quelques soucis budgétaires, mais démontre la volonté de l’État capitaliste de s’adresser de façon plus pressante aux jeunes pour leur inculquer quelques principes de civisme et d’éducation à la défense du Capital national…
Seul le prolétariat peut repousser la guerre
Pour le prolétariat, tous ces bruits de bottes sont une menace très concrète. La bourgeoisie, pour qui l’intérêt national a toujours été le cœur de ce qu’elle défend, pousse constamment le prolétariat à se sacrifier sur l’autel du Capital national, à défendre la nation et tout ce qu’elle représente : l’État capitaliste, l’exploitation, la répression des mécontents, la division de la société en classes, les privilèges de la classe bourgeoise… Dans la situation actuelle, où chaque nation est de plus en plus amenée à défendre impitoyablement ses intérêts, il est central pour chaque bourgeoisie que « son » prolétariat accepte de les défendre aussi, et par conséquent abdique toute velléité de défendre ses intérêts propres : l’internationalisme, le combat pour une société sans classes, sans exploitation, contre toutes les divisions que le capitalisme génère dans la société. Toute la propagande en faveur de la « défense nationale » n’est qu’une tentative de la bourgeoisie de faire accepter par le prolétariat l’« union sacrée », la guerre, le militarisme, l’inéluctabilité des carnages guerriers que l’on voit se multiplier partout sur terre. La seule alternative à cette politique militariste barbare et à la propagande infâme qui l’accompagne, c’est de refuser, absolument, les sacrifices qu’elle implique, en luttant sur notre terrain de défense de nos intérêts économiques, en opposant à la politique du chacun-pour-soi la solidarité prolétarienne, l’unité de nos luttes contre la bourgeoisie et son État. Les luttes actuelles dans de très nombreux pays (en France, au Royaume-Uni et en Allemagne notamment), les grèves, les manifestations massives sont justement la meilleure des réponses que le prolétariat peut apporter. Elles sont le signe que les exploités ne sont pas prêts à accepter ces fameux sacrifices que chaque État veut lui imposer à tout prix.
HG, 5 avril 2023