Comment la classe développe son combat historique?

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Comme je n’ai pas parlé, je tenais à remercier par écrit le CCI pour la tenue de la permanence. Les échanges étaient nourris, très intéressants et ont répondu à certaines de mes questions. Néanmoins, je souhaitais préciser mon interrogation initiale qui reste partiellement sans réponse.

Les grèves et autres mouvements sociaux qui émergent sur la scène internationale et sur un terrain de classe peuvent-ils se faire écho d’un pays à l’autre ? J’étais présente lors de la manifestation du 29 septembre à Paris et j’ai remarqué que beaucoup étaient intéressés par le tract [du CCI] justement parce qu’il était question des luttes au Royaume-Uni.

Si la lutte « au-delà de “sa” corporation, “son” entreprise, “son” secteur d’activité, de “sa” ville, “sa” région » est un discours de plus en plus audible (depuis le mouvement des retraites, les syndicats sont obligés d’appeler de plus en plus rapidement à l’extension factice des luttes), ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de « soutien et de solidarité » […] au-delà de “son” pays », sauf lorsqu’il est question de mouvement sur un terrain qui n’est pas celui de la classe ouvrière comme les Gilets Jaunes ou Black Lives Matter par exemple.

Dès lors, comment peuvent se manifester ce soutien et cette solidarité de classe lorsqu’il faut traverser des frontières ?

Bien à vous,

C.

Nous saluons la préoccupation de la camarade de revenir sur une question qui n’a pas été suffisamment clarifiée pour elle lors de notre permanence en ligne. C’est une démarche importante d’aller au bout des questions, au bout des confusions ou divergences pour rechercher toujours la position ou la compréhension la plus juste. L’une des forces du prolétariat réside dans sa conscience, cette capacité à comprendre son identité, sa place dans la société et sa responsabilité historique. Cette conscience nécessite une recherche constante de la vérité pour se défaire des pièges idéologiques de la classe ennemie mais plus généralement de toutes les idéologies qui lui sont étrangères. Pour accéder à cette vérité, le prolétariat doit débattre sans cesse, confronter les positions les unes aux autres, les confronter à la réalité. Ce que fait la camarade en nous interrogeant ainsi relève de cette démarche fondamentale.

L’autre force du prolétariat, c’est son unité. Ces deux forces ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, bien au contraire et c’est là que le lien peut se faire avec le questionnement de notre lectrice.

L’unité du prolétariat ne peut se faire que par une démarche consciente, c’est-à-dire par la capacité de la classe ouvrière à se concevoir comme une seule classe à travers le monde, par-dessus toutes les divisions que le capitalisme instaure artificiellement : nationale, corporatiste, raciale, religieuse (et les fausses unités qui vont avec : le peuple, la corporation, la communauté etc). Ces divisions sont lourdes à dépasser car elles trouvent un fondement dans le fonctionnement même de la société capitaliste qui repose sur la concurrence de chacun contre tous les autres, et construit des divisions pertinentes pour le capital dans ce cadre concurrentiel mais totalement aliénantes pour le prolétariat.

En particulier, les divisions nationales sont fortement structurantes pour le capital. La bourgeoisie ne peut se passer de l’adhésion de la classe ouvrière à son idéologie nationaliste, tant en termes de mobilisation pour le capital national que pour l’enrôler dans la guerre le moment venu. Cette idéologie nationaliste est d’autant plus un poison qu’elle s’oppose à la nécessaire compréhension par la classe ouvrière que la seule division réelle dans le capitalisme oppose les classes entre elles et rien d’autre.

Cette unité ne peut donc se décréter, elle s’inscrit au contraire dans un processus long et heurté, qui passe par l’affrontement aux idéologies étrangères au prolétariat : le nationalisme, le corporatisme, toutes les idéologies parcellaires s’attachant aux maux du capitalisme plus qu’à ses racines : féminisme, anti-racisme, etc.

Le prolétariat s’affronte à ces idéologies par le débat, la confrontation des idées et l’analyse de la réalité. Mais là aussi le processus de développement de la conscience de la classe ouvrière ne se décrète pas.

En effet, si l’unité du prolétariat passe par sa conscience, inversement la conscience du prolétariat se développera dans son unité. La première expression de cette unité, même embryonnaire et encore marquée par le nationalisme ou le corporatisme, c’est la lutte. Lorsque la classe ouvrière défend ses conditions de vie et de travail face aux attaques de la bourgeoisie, elle mène une première étape vers la reconnaissance de son identité et dans le même mouvement, vers son unité.

Bien sûr, cette dimension politique des luttes prolétariennes n’est pas toujours consciente. En particulier aujourd’hui, la classe ouvrière subit le poids de la décomposition du capitalisme et n’a pas encore les capacités à se défaire du piège syndical, principal véhicule de toutes les idéologies qui divisent. Mais le fait qu’elle entre en lutte est déjà une victoire, déjà un effort remarquable dans une société à ce point embourbée dans sa décomposition.

C’est par la lutte, et seulement par la lutte, que la classe ouvrière pourra vivre concrètement son identité de classe, comprendre que tous ceux qui luttent, luttent pour la même chose. Même si chacun travaille dans un secteur différent, vit dans un pays différent. Même si chacun ne se conçoit pas comme vivant les mêmes conditions que les autres. Par la lutte et la répétition des luttes, la classe ouvrière trouvera les conditions pour dépasser ses divisions et s’ancrer dans son unité. Plus les luttes se développeront, plus elles seront massives, plus elles seront en mesure de concrétiser la nature unitaire et solidaire de la classe ouvrière.

Bien sûr ces luttes ne déboucheront pas toujours sur des victoires. Au contraire, la classe ouvrière a subi et subira encore des défaites. Mais chacune de ces défaites renferme en elle les ferments d’une prochaine lutte plus unitaire et plus consciente, à condition que le prolétariat soit en mesure de comprendre pourquoi il a perdu, qu’est-ce qui lui a barré la route.

Les éléments les plus conscients de la classe ouvrière voudraient bien sûr que ce processus soit plus rapide, que les victoires soient plus nombreuses que les défaites, que les divisions nationales soient dépassées dès les premières lueurs de combativité. Ils voudraient que les leçons des défaites soient tirés le plus largement possible pour que les pièges de la bourgeoisie finissent par ne plus fonctionner. Nous savons que rien n’est gagné d’avance et que l’ennemi sera difficile à abattre. Il se pourrait même que ça n’arrive pas et que la décomposition sociale entraîne l’humanité à sa perte.

Alors nous comprenons parfaitement l’impatience de la camarade et nous partageons l’importance qu’elle donne à tout ce qui pourrait permettre de « traverser les frontières ».

C’est là souligner toute l’importance et le rôle des organisations révolutionnaires et de tous ceux qui partagent leurs positions et souhaitent appuyer leur intervention. Ce sont les révolutionnaires qui seuls peuvent aujourd’hui porter une perspective plus large, démontrer l’inconsistance des divisions portées par la bourgeoisie en général et les syndicats en particulier, démontrer l’unité de la classe ouvrière à travers le monde : l’unité de ses intérêts, l’unité des attaques qu’elle subit. Cette intervention des révolutionnaires est aujourd’hui essentielle : elle n’aura rien de magique, elle ne remplacera pas l’école de la lutte, mais elle lui donnera un éclairage et une perspective indispensables pour permettre le développement d’une conscience large dans la classe que ses conditions de vie et l’avenir que le capitalisme promet à la planète et à ses habitants ne sont pas une fatalité et que son rôle pour ouvrir la voie à une autre société est déterminant.

Aujourd’hui, l’écho des positions révolutionnaires est encore très faible dans la classe mais cela n’enlève rien à son rôle crucial. C’est pour cela que tous les éléments conscients dans la classe doivent se regrouper autour des organisations révolutionnaires et participer à leur activité : l’analyse de la situation, le débat, l’intervention. L’importance de cette activité ne se mesure pas à l’audience qu’elle obtient immédiatement mais à ce que l’histoire a montré : l’intervention des révolutionnaires a toujours été déterminante dans les victoires de la classe ouvrière alors même que leurs erreurs ont aussi pu avoir des conséquences désastreuses.

Pour nous, cette perspective n’est pas immédiate. Mais il est indispensable de se préparer alors que la classe ouvrière aujourd’hui relève la tête et montre qu’elle est toujours une force sociale sur la scène de l’histoire. Pour les révolutionnaires, il ne fait aucun doute qu’il faut dès aujourd’hui être présents et une force active dans ce processus. Pour reprendre l’image de la camarade, nous sommes les « passeurs » des frontières pour la classe ouvrière.

GD, 3 mars 2023

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