À propos de la Commune de Paris

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Tirer les leçons d'un mouvement révolutionnaire quel qu’il soit présente des tas de difficultés. On aurait facilement tendance à sombrer dans la louange, à chanter la vertu des morts et leur œuvre, à faire des promenades "centenaire de la Commune", comme le font par exemple tous ceux qui vénèrent celui qui écrasa les prolétaires insurgés à Cronstadt. L’esprit religieux qui anime ces gens-là les poussent à idolâtrer non pas n’importe quoi, mais tout ce qui peut leur amener un peu de publicité; la loi du profit, en somme.

Ils veulent créer le parti révolutionnaire, centralisé et tout, et donc à la suite de leur maitre, quelle leçon tirent-ils de la Commune ?

Il n'y avait pas de parti centralisé, c’est bien pour ça qu’il lui est arrivé du malheur. Il suffit de lire la préface de Léon Trotsky

"les leçons de La Commune"[1](1) écrite en l921 pour s’en rendre compte : l'analyse historique compte peu, c’est par tous les moyens trouver dans le passé la justification des thèses que l’on défend dans le présent qui est important. Aussi Trotsky ne voit-il rien de bon dans les événements de la Commune. Dans tout ce que Marx y trouve de positif, au point d’en modifier le manifeste Communiste, Trotsky, soucieux de prouver que l’important c’est le Parti, ne voit que les échecs, les "erreurs",  les faiblesses, et la SEULE leçon qu’il tire de l'histoire de la Commune, "c’est qu’il faut une forte direction du Parti".

Cette "méthode" d’analyse, qui consiste à expliquer l’histoire par la tangente, est propre à tous les idéologues de toutes les religions. Ayant découvert ou expérimenté "la vérité", "la solution", on fait fi de l'évolution historique, de la dialectique, pour justifier ses positions et son travail militant par la refonte de l’histoire : « si la Commune avait eu un Parti, etc…" On explique toutes les faiblesses dues à l’immaturité de la classe ouvrière et aux conditions économiques du siècle passé par le remède, la panacée, ce qui fait que nous sommes beaux et que nous avons raison de faire n’importe quoi, n'importe quand, et n’importe où, le Parti centralisé et organisateur et tout ça, dont nous sommes les constructeurs. Pour un peu ils diraient "si on avait été là" ces incroyables. Ils ne se rendent pas compte.

Cette histoire du Parti fait couler beaucoup d'encre. Après la version trotskyste-léniniste "tout dans le Parti, rien dans la classe" (ou plutôt les masses comme ils disent, puisque tout ce qui caractérise la classe tout ce qu'il y a de "bon" en elle se trouve concentré dans le ·Parti), la version des "conseillisto-anarcho-spontnaéistes" simplifie tout. Tout dans la classe, et le parti c’est la classe. Et réciproquement. Ainsi, la Commune se trouve sublimisée, l’exemple même d’une révolution prolétarienne, bien différente en cela de la Révolution -puis- bolchévique, qui elle est bourgeoise du fait de l’existence d’un parti distinct.

Ces deux points de vue sur la Commune de Paris et sur la révolution russe de 1917, pour opposés qu'ils soient, n’en sont pas moins sujets à la même erreur : ne regarder qu’une face du mouvement ouvrier. Trotsky voit la réussite de la révolution prolétarienne, déterminée par la forte direction du Parti ; celui-ci étant, en fin de comptes, indispensable, le mouvement, l’énergie, la Puissance, la force théorique et pratique de la classe ouvrière Comptent peu. Les "ultra-spontanéistes" voient la révolution dans ce qui échappe aux Trotskystes le prolétariat agissant, et à la lumière du 1917 Russe jettent tout le mal sur cette organisation du parti bolchévique et par extension à toute organisation de révolutionnaires.

Pour justifier l’emploi du terme "Parti" par Marx et les complications d’une réfutation, l'assimilation parti-classe s’impose.

Ainsi nous voyons d’un côté les trotskystes assimiler la classe au parti, et de l’autre, les "hyper-gauchistes" assimiler le parti à la classe. Il est clair que ces deux tendances sont très proches et même se rejoignent, en cela qu’elles expriment toutes deux un refus total de voir le mouvement révolutionnaire dans son ensemble. Il est incontestable que la classe ouvrière est appelée à faire la révolution sociale, qu’elle est appelée à prendre le pouvoir elle-même ses organisations propres groupant l’ensemble des prolétaires. Les organisations de révolutionnaires, les partis sont les organisations des éléments les plus avancés du prolétariat s’organisant sur des bases politiques claires, en vue de propager les idées révolutionnaires, et de les expliquer.

La compréhension de ses actes est la plus puissante des armes du prolétariat, elle est la seule garantie que ce qu’il sera amené à détruire ne sera pas reconstruit. C’est en cela que les partis, ces organisations qui se proposent d’analyser politiquement la lutte du prolétariat, dans le but de soumettre leurs résultats à l’ensemble de la classe et de combattre le capitalisme sont indispensables pour la victoire finale.

Les éléments révolutionnaires doivent pousser les éléments moins conscients dans la voie de la clarification de leurs actes. La prise de conscience n’est pas simultanée chez tous les éléments de la classe, et c’est par l’intervention directe de tous ceux qui ont déjà saisi le comment et le pourquoi de la lutte engagée, que la compréhension pour le reste de la classe des objectifs finaux et des moyens d’y parvenir s’en trouvera facilitée. Les tâches théoriques et politiques des communistes sont simples :

  • S’attaquer partout et en toute occasion à la propriété privée ou étatique des moyens de production, dénoncer partout et en toute occasion les aspects que peut prendre cette propriété, se prépare+ à combattre partout et en toute occasion tous les aspects que peut prendre cette propriété, se préparer à combattre partout et en toute occasion ceux qui par leur conception de la révolution ne feront que perpétuer le capitalisme et agir dans toutes les luttes parcellaires de façon que le prolétariat développe son autonomie de classe, qui agisse dans la perspective de sa tache globale historique.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la classe appelée à bouleverser l’ordre Social, est la classe exploitée. La première tentative de prise de pouvoir par la classe ouvrière, la Commune de Paris, nous montre les prolétaires au comble de la misère, ne trouvant même plus à qui vendre (leur unique bien), leur force de travail, capables d’ébaucher les grandes lignes de la société future, d'organiser pour leur compte l’ensemble de l’appareil d’état sur les ruines de celui de la bourgeoisie[2] (1). On y trouve ce qui fait l’originalité du mouvement révolutionnaire prolétarien: la classe ouvrière ne s1 appuie sur aucune base économique dé je, établie dans la société, sinon sa simple position dans le mode de production capitaliste, et son nombre.

Les révolutions passées avaient été l’œuvre de classes qui avaient déjà toutes un pouvoir réel sur la société, la prise de pouvoir politique n’étant pour elles qu’un moyen de mieux le confirmer, d’ôter les structures gênantes, et d’affirmer sur les classes dominées une domination à la mesure de ses nécessités. Ce handicap qu’a du seul point de vue économique le prolétariat sur toutes les autres classes révolutionnaires de l’histoire, le force à avoir sur celles-là l’avantage d’une conception globale du monde. Sa conscience de classe, la compréhension et l’organisation de sa lutte sont les seules armes qu’il possède pour compenser cela.

Il nous faut insister sur le fait que la conscience de classe ne tombe pas du ciel, mais qu’elle est un produit spécifique de la vie matérielle de chaque classe. L’importance qu’elle revêt pour le prolétariat est le fait de la situation économique et sociale originale qui le caractérise historiquement.

Nous voyons donc parfaitement se dessiner le pourquoi des deux positions politiques antagonistes. L’une, celle des trotskistes, se contente de voir un facteur "conscience" dans le prolétariat, et n’imaginant même pas qu’il peut être un produit propre à celui-ci, déclare très léninistement donc que la conscience est apportée de dehors aux "masses" dirigées. Le Parti ayant la conscience, et lui seul l’ayant., il se doit pour le bien de tous d’exercer la dictature. Les trotskistes, à priori, il faut les croire : la Révolution c’est leur profession.

Mais ne voir que le rôle historique abstrait du prolétariat, c’est se condamner à avoir une vision religieuse de la révolution prolétarienne, c’est la caractéristique même de la vision idéaliste, c’est ne rien comprendre au matérialisme historique, c’est, en fin de compte, une vision de bureaucrate professionnel. Ou du moins d’aspirant.

Les "super-conseillistes", eux, ne peuvent pas comprendre que les organisations de révolutionnaires fassent partie du mouvement général de la classe, qu'elles soient les expressions politiques et théoriques des différentes tendances du prolétariat au sortir du vieux monde, en lutte contre celui-ci. Ils n’ont jamais vu ça, ils n’y croient pas. Que la classe ouvrière ne soit pas homogène, ils s'indignent, faut pas les prendre pour des cons. Le parti trahit forcément. Commençons par pas le créer, disent-ils, ces sceptiques. On peut répondre que la révolution échoue forcément, pour pas la rater la faisons pas. C’est plus sûr.

Le facteur "conscience de ses actes" du prolétariat est refusé, ou bien considéré comme étant systématique, allant de soi, et son développement, uniforme chez tous les ouvriers. Ne pas le voir comme étant un long et difficile apprentissage à s’assumer, et que par conséquent l’effort de tous pour tous est non pas un devoir, mais une nécessité sine-qua-non pour la cause révolutionnaire, est le fait d’un refus de ses responsabilités allant jusqu’à l’inconscience totale des taches monumentales qu’implique la révolution prolétarienne.

La séparation que font "communistes de conseils" et "communistes de parti" entre la conscience pratique et la conscience théorique les poussent à devenir les tenants de l’une ou de l’autre et cela aux dépens de la révolution communiste. Le processus de constitution de la classe ouvrière exploitée, manipulée, utilisée , la classe en soi, en classe ouvrière pour soi, c’est à dire consciente de ses intérêts propres, en classe révolutionnaire de fait, est le même que celui de sa prise de conscience. Le mouvement qui pousse les ouvriers à comprendre leur situation et leurs actes est indissolublement lié au mouvement qui les pousse à prendre les armes. C’est un même mouvement qui fait s’organiser en parti politique les prolétaires les plus avancés dans un moment donné, et en conseils l1ensemble de la classe dont ils font partie. Il est clair que si le poids du passé et celui de l’idéologie bourgeoise était rayé du jour au lendemain, l’homogénéité de la classe ouvrière ferait que nul parti ne serait nécessaire, liais cela est un rêve, la Commune de Paris , et les révolutions russes et allemandes l’ont prouvé; ce n’est que petit à petit par la lutte, par l’exercice de sa dictature que le prolétariat parviendra à cette homogénéité.

En attendant, les communistes ne peuvent que se référer à l’histoire du mouvement révolutionnaire car la théorie révolutionnaire ne peut être basée essentiellement que sur la compréhension des événements réels, pratiques, considérant chaque cas dans ses conditions précises, tant au niveau matériel qu’idéologique. L’analyse qui critique les événements clients d’une époque à une époque plus évoluée, en lui rapprochant de ne pas avoir la vision de cette dernière époque, est strictement inutile au prolétariat; les "enseignements" que l’on tira par cette méthode ne sont en fait que les expressions des problèmes et des solutions que l’on apporte à la période vécue. Ce n’est pas utiliser les enseignements de la lutte passée, pour la lutte future, c’est se servir d’eux pour valider les actes que l’on a décidé de faire sans véritable perspective de classe. Une façon d’enterrer en somme.

"Moi, mon colon celle que j’préfère c’est la guerre de 14-18" dit la chanson. Cela pourrait tout aussi bien être celle des "tenants" de telle ou telle révolution prolétarienne. Cette manie qu’ont les gens de ne pas voir dans l’histoire des révolutions prolétariennes l’histoire de la classe ouvrière à des moments de son existence, cette manie qui consiste à préférer l’une à l’autre sans considérer qu’elles font partie d’un tout, qu’elles s’enrichissent mutuellement, qu’elles enrichissent toutes la révolution qui se prépare aujourd’hui dans le prolétariat de tous les pays; cette manie est caractéristique de tous les idéologues, tant gauchistes que trotskystes.

Pierre Ramos et Jacques Novar


[1] Éditée par les "Cahiers de Spartacus'', 11° 38B, "La Commune de 1871" de Tales, avec en annexe la préface écrite en 1921 par Trotsky et une critique à celle-ci de P. Guillaume Librairie "IA Vieille Taupe", 1 rue des Fosses Saint Jacques, Paris 5°

[2] Il convient ici de nuancer un peu. En fait, la Commune ne fut pas par ses actes, conscients révolutionnaire. Max Gallo et les déçus du "Nouvel Observateur" s’en désespèrent assez. L’abolition de l’armée permanente et la destruction de l’appareil d’état bourgeois, ne furent pas des actes conscients et réfléchis, mais le fruit même du ferment révolutionnaire du prolétariat. Ces mesures furent prises "de fait" sans que les prolétaires Parisiens aient le temps de prendre conscience de la portée historique de leurs actes. Mais ce qui manqua surtout à la Commune, c’est le temps, la possibilité de s’orienter et d’aborder la réalisation de son programme" (Lénine, Œuvres, tome17, page137). II s’agit de Lénine en 1911 évidemment. Les prolétaires dans un premier temps ne sont pas révolutionnaires par CE qu’ils croient être la révolution, mais par ce qu’ils sont amenés à faire quand les conditions le lui exigent .

 

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