Contre la fabrique de l’impuissance, le communisme offre une perspective à l’humanité

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La pandémie de Covid-19 a suscité la publication d’un grand nombre d’ouvrages cherchant à établir les causes du Covid et à proposer des alternatives. L’un d’eux, La Fabrique des pandémies de Marie-Monique Robin bénéficie d’un écho non négligeable. Cet ouvrage se présente sous la forme d’une synthèse d’entretiens réalisés par l’auteure avec une soixantaine de scientifiques de par le monde : infectiologues, épidémiologistes, médecins, parasitologues ou encore vétérinaires, pour lesquels, le monde actuel est confronté à "une "épidémie de pandémies" causée par les activités humaines, qui précipitent l’effondrement de la biodiversité".

Présenté comme "salutaire", ce livre interpelle sur la nécessité de s’attaquer aux causes des "nouvelles pestes "et se veut un appel à une prise de conscience de la nécessité d’un "profond changement dans notre économie mondialisée prédatrice des ressources de la planète, cause des crises climatique, écologique, sanitaire, économique, énergétique et financière "et se conçoit comme "un appel à fonder une social-écologie de la santé et du bien vivre ensemble".([1]) Rien de moins !

Le capitalisme est un frein à l’établissement de la vérité

La recherche de la vérité scientifique est une valeur que partage le prolétariat. Comme classe de la révolution, dépourvue de tout appui matériel au sein de la société capitaliste et ne possédant que sa capacité d’organisation et sa conscience comme armes de combat, il est impératif pour lui de développer une vision démystifiée de la réalité. C’est la condition sine qua non de son action politique. Pour leur part, les révolutionnaires "ont face à la science uniquement une position d’assimilation théorique de ses résultats en en comprenant les applications pratiques comme ne pouvant servir l’humanité réellement pour ses besoins que dans une société évoluant vers le socialisme. Le processus de la connaissance dans le mouvement ouvrier considère comme une acquisition sienne le développement théorique des sciences, mais il l’intègre dans un ensemble de connaissances dont l’axe est la réalisation pratique de la révolution sociale, axe de tout progrès réel de la société".([2])

En ce qui concerne la recherche des causes et de l’origine scientifiquement fondées de la pandémie, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a bien du mal à se frayer un chemin. Elle rencontre de nombreux obstacles dans l’atmosphère empoisonnée générée par la décomposition de la société capitaliste, marquée par le développement de l’irrationalité et l’hostilité à l’égard de la pensée scientifique, à commencer par les conceptions complotistes. Selon de nombreuses "théories "complotistes, souvent relayées par les populistes de tout poil, la pandémie est une création artificielle voulue par les "élites "au service d’intérêts dissimulés, pour maximiser les bénéfices des grands groupes pharmaceutiques ou imposer un contrôle supplémentaire de l’État sur la vie privée. Même des représentants du système capitaliste passant pour les plus "responsables "et qui ont pignon sur rue dans les médias, tirent publiquement à boulets rouges sur les conclusions scientifiques qui soulignent le rôle de la destruction de l’environnement dans l’émergence du Covid : "Voir un lien entre pollution de l’air, la biodiversité et le Covid-19 relève du surréalisme, pas de la science", a ainsi pu déclarer à L’Express, Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale. La recherche de la vérité scientifique expose parfois les chercheurs à des mesures de rétorsion de la part des autorités, non seulement en Chine où ces pressions sont grossièrement évidentes, mais aussi dans les États démocratiques, sous des formes bien plus subtiles, via les financements ou la mise au placard.

Même sur le terrain de la connaissance scientifique, il existe de puissants filtres et d’importantes limitations idéologiques à l’analyse de la réalité. La "croyance très ancrée dans le monde scientifique, l’éco-modernisme [pour qui] l’homme est au-dessus de toutes les autres espèces peuplant la Terre et ne fait pas partie de la nature, […] l’utilité de la nature se mesure à l’aune de ce qu’elle nous apporte ou nous inflige : elle nous fait du bien ou du mal "et qui "réduit la nature à un pourvoyeur de services pour l’humanité "reflète une conception idéologique complètement bourgeoise de la nature, qui ne peut qu’empêcher de saisir ce que signifie la survenue de la pandémie de Covid-19 pour l’humanité.

À tout cela s’ajoute, en toile de fond, le bras de fer impérialiste et la guerre sans merci auxquels se livrent la Chine et les États-Unis depuis des mois et qui s’accusent mutuellement d’être à l’origine de la pandémie en ayant laissé échapper le virus d’un laboratoire, qui à Wuhan, qui sur le sol américain. L’intox, la désinformation, les mensonges au service de la raison d’État déployés de part et d’autre en vue de discréditer l’adversaire ne peuvent qu’alimenter encore les fantasmes complotistes et avoir comme effet qu’un discrédit supplémentaire de la science.

Les manipulations de virus à des fins de guerre bactériologique font bien sûr partie de la réalité du monde barbare d’aujourd’hui et l’hypothèse d’une fuite de laboratoire ne peut pas non plus être a priori exclue.([3]) Si tel était le cas, en Chine ou ailleurs, au vu des conséquences dramatiques, ce serait alors une preuve accablante de l’irresponsabilité de la bourgeoisie et de la perte de contrôle de celle-ci sur son propre système ! "Mais même si le virus était sorti accidentellement d’un laboratoire, cela changerait-il notre compréhension des émergences et des épidémies à répétition de zoonoses des dernières décennies ? Assurément non".

Le capitalisme décadent, responsable de la multiplication des pandémies

Depuis les années 1950, la planète fait face à une véritable "épidémie d’épidémies", tant anciennes que nouvelles : d’une vingtaine dans la décennie 1940, on est passé à plus d’une centaine dans les années 1990. Depuis les années 2000, l’humanité est confrontée au moins à une nouvelle maladie infectieuse par an. (SRAS, Ebola, Fièvre de Lhassa, ou Covid-19). 70 % des maladies émergentes sont des zoonoses, des maladies transmises par des animaux aux humains.

Cette "épidémie d’épidémies "est causée par la déforestation, l’extension de l’agriculture industrielle des monocultures et de l’élevage industriel (ainsi que le dérèglement climatique) qui, en fragilisant les écosystèmes et en précipitant l’effondrement de la biodiversité, créent les conditions et favorisent la propagation de nouveaux agents pathogènes. Les mécanismes de ces émergences à répétition depuis la Seconde Guerre mondiale sont bien identifiés et tournent autour de "plusieurs facteurs qui contribuent à l’émergence des nouvelles pestes […] : le premier, celui par qui tout le problème arrive, c’est la déforestation à des fins de monoculture, d’exploitation minière, etc. […] ; le deuxième, ce sont les animaux domestiques qui servent de pont épidémiologique entre la faune et les humains, mais aussi d’amplificateur, quand ils sont élevés de manière industrielle ; […] le troisième, c’est l’intégration dans le marché global d’un pays". Ainsi, par exemple, on sait désormais que "la véritable émergence [du SIDA] est liée à l’expansion coloniale débutée au XIXe siècle. Les demandes en ivoire, en bois, puis en caoutchouc avec une déforestation importante, couplées au travail forcé des villageois pour les plantations et la construction des chemins de fer ont transformé les écosystèmes et les sociétés traditionnelles". Ainsi l’ancêtre du virus du SIDA remonterait à 1910 environ ; il circulait en Afrique centrale depuis les années 1960 et serait arrivé aux États-Unis dès cette époque, avant d’être identifié dans les années 1980.

Enfin, les scientifiques ont identifié le mécanisme naturel de ""l’effet dilution", grâce auquel une riche biodiversité locale a un effet régulateur sur la prévalence et la virulence des agents pathogènes, dont l’activité est maintenue à bas bruit dans les écosystèmes équilibrés". La destruction de la biodiversité représente un danger mortel pour le genre humain ; sa préservation est un enjeu pour sa survie. "La majorité des scientifiques qui s’expriment dans ce livre est convaincue que non seulement l’effondrement [de la vie sur Terre] est possible, mais qu’il est déjà en marche."

Un "implacable "acte d’accusation… mais contre qui ? Et pour faire quoi ?

Bien sûr, ces scientifiques dénoncent l’incurie des pouvoirs publics. Alors qu’on connaît "depuis longtemps les risques sanitaires liés à l’élevage industriel comme source majeure de sélection et d’amplification d’agents pathogènes à potentiel pandémique […], force est de constater l’échec des stratégies de préparation par les acteurs publics au risque sanitaire pandémique, comme d’ailleurs des stratégies de prédiction des émergences". Ils pointent aussi l’incapacité des États à apporter des solutions à la question sanitaire, lesquels face "aux crises sanitaires à répétition" ont surtout accru "les mesures de biosurveillance et de biosécurité". Mais "à chaque fois, l’impératif de répondre à la crise sanitaire conduit au final à ignorer les causes de l’émergence. On ne répond pas à la question de savoir pourquoi et comment un virus circulant quelque part en Asie a pu se retrouver en l’espace de quelques mois dans l’ensemble des populations humaines de la planète". Une incurie, et une impuissance de la classe dominante confirmées par une institution peu suspecte de préjugés "anti-système", la CIA, qui écrit en 2017, dans le rapport sur la situation du monde remis à l’entrée en fonction de chaque nouvelle administration gouvernementale : "La planète et ses écosystèmes risquent d’être fortement affectés dans les années à venir par diverses mutations humaines et naturelles. Ces perturbations exposeront les populations à de nouvelles vulnérabilités et à des besoins en eau, nourriture, services de santé, énergie et infrastructures. […] Ces risques seront distribués de façon inégale dans le temps et la géographie, mais toucheront la plupart des écosystèmes et des populations, dans certains cas de manière grave, voire catastrophique. […] Le changement des conditions environnementales et la croissance des liens et des échanges à travers le monde affecteront la fréquence de précipitations, la biodiversité et la reproduction des microbes. Tout cela affectera naturellement les récoltes et les systèmes d’agriculture, et décuplera l’émergence, la transmission et la propagation des maladies infectieuses humaines et animales. […] Les lacunes et les négligences des systèmes de santé nationaux et internationaux rendront la détection et la gestion des épidémies plus difficiles, ce qui risque de causer leur expansion sur de très vastes périmètres. La généralisation des contacts entre les populations va accroître la propagation des maladies infectieuses chroniques déjà répandues (telles que la tuberculose, le SIDA et l’hépatite), entraînant de sérieux problèmes économiques et humains dans les pays les plus touchés, malgré l’importance des ressources internationales octroyées pour leur prévention".([4]) Les scientifiques interviewés dans l’ouvrage de Marie-Monique Robin sont également légitimement scandalisés et révoltés par le fait que "ce sont les plus pauvres qui sont le plus durement frappés "par le fardeau sanitaire en raison du "gouffre entre ceux qui profitent de ces activités [économiques qui causent les émergences] et ceux qui payent le prix d’une santé dégradée".

Mais quand il s’agit de savoir précisément ce qui se niche derrière les "activités humaines qui constituent le principal facteur du risque sanitaire", le flou et la confusion s’installent.

De qui ou de quoi parle-t-on ? Du néolibéralisme ? De la finance ? Des "multinationales de la pharmacie et de l’agro-business ou leurs dirigeants lobotomisés par l’avidité du profit à court terme "? Qui sont tour à tour cloués au pilori au fil des chapitres. En fait, l’incrimination vague et inconsistante des "activités humaines "et de "l’impact anthropique sur l’environnement "ne nous mène que dans le brouillard.

Dans la société divisée en classes qu’est le capitalisme, l’invocation de "l’Homme "en général pour expliquer un phénomène social est une formule complètement mystificatrice. En faisant écran à la réalité des rapports sociaux du système capitaliste, elle masque et empêche de saisir les termes dans lesquels se pose réellement et concrètement le problème sanitaire et environnemental. En présentant comme des "excès "ou une "dérive "ce qui, en réalité, correspond à sa pratique ordinaire, on dédouane de toute responsabilité le système capitaliste lui-même comme un tout.

Quand on passe aux propositions concrètes d’action politique pour s’engager dans "la seule issue qui vaille : la remise en cause du modèle économique dominant fondé sur l’emprise prédatrice des humains sur les écosystèmes", toute science s’évanouit complètement. On retombe lamentablement dans les filets de l’idéologie dominante et de l’État bourgeois. On nous prône différentes recettes qui tournent toutes autour de la vieille mystification éculée du "Tous dans le même bateau "et de la nécessité pour "l’individu-citoyen "de se mobiliser pour faire pression sur les institutions et sur les "politiques "afin qu’ils "prennent leurs responsabilités". Ainsi, la conclusion du livre débouche-t-elle, entre autres fadaises dont cette partie regorge, sur la promotion d’une tribune publiée dans Libération, "Le temps de la solidarité écologique est venu", appelant "chacun [à] prendre sa part, de contribuer dans la mesure de ses possibilités, à l’exploration continue de deux questions essentielles : quel développement voulons-nous ? Quelle nature voulons-nous ? Il convient pour cela d’inciter tous les niveaux décisionnels (citoyens, collectifs, associations, syndicats, groupes spirituels, communes, entreprises, départements, régions, services de l’État, organisations du système des Nations unies…) à penser individuellement et collectivement puis mettre en œuvre cette solidarité (distante et de proximité) dans ses dimensions écologiques, sociales et économiques". En clair, on nous demande de faire confiance à la bourgeoisie et aux institutions de l’État, de remettre notre sort entre leurs mains et de faire cause commune avec la classe qui incarne le capitalisme, celle qui est précisément l’agent de la catastrophe : pour tout changer, il ne faudrait rien changer aux fondements du monde capitaliste !

À moins qu’il n’ait découvert la baguette magique lui permettant d’échapper à sa nature et aux contradictions qui en résultent([5])...  Mais il y a belle lurette que le mouvement ouvrier et le marxisme ont montré que le système capitaliste comme un tout ne possède justement pas la faculté de mettre un frein à sa prédation sur les écosystèmes. En véhiculant l’illusion d’un capitalisme apte à limiter ses "excès", à faire "des choix raisonnables pour le bien de tous", on nous enferme dans les limites de l’horizon de la société capitaliste, dans une logique de gestion et de réforme du capitalisme sur le terrain de l’action citoyenne, là où le prolétariat est complètement impuissant. Croire à cette possibilité est une impasse, vouloir y faire croire c’est clairement se rendre complice de la classe dominante. Dans le contexte de la pandémie où l’État bourgeois et la classe dominante ont perdu une partie de la confiance des exploités, "La Fabrique des pandémies "apporte sa contribution aux campagnes de la bourgeoisie et n’est rien d’autre que l’un des contre-feux idéologiques allumés pour que se fourvoient dans des impasses tous ceux qui se posent légitimement la question de quoi faire pour enrayer le cycle barbare de destruction environnementale.

Une seule alternative : le communisme

Au fil des pages, les insistances des scientifiques esquissent en quoi devraient consister les contours de la solution à la crise environnementale planétaire. Ils mettent en avant la nécessité d’une "révolution sociétale", au terrain universel, qui touche tous les domaines, capable "de tout repenser de manière systémique "en particulier le rapport du genre humain à la nature, spécialement sur le plan de l’économie et de la production, le besoin de développer une nouvelle éthique et de régler "la question de la pauvreté", sans quoi il sera impossible de "préserver durablement les écosystèmes".

Peut-on un instant imaginer sérieusement que ces prétendues solutions correspondent un tant soit peu à ce que puisse offrir le monde bourgeois en pleine décomposition ? Bien sûr que non ! Les grandes lignes de ce tableau pointent au contraire vers le projet de société du fossoyeur du monde capitaliste, la seule alternative susceptible d’ouvrir les portes de l’avenir : "Le communisme [comme] vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme"([6]), dont est porteuse la classe révolutionnaire de notre temps, le prolétariat.

Au XIXe siècle, confronté aux conséquences de l’industrialisation sur les conditions de vie du prolétariat et sa santé, à l’insalubrité, aux épidémies et à la pollution de l’air, des eaux dans l’enfer urbain des grandes villes, ainsi qu’à l’épuisement alarmant des ressources naturelles, particulièrement des sols soumis à l’agriculture capitaliste à grande échelle en Angleterre, le pays d’alors le plus développé sur la voie du capitalisme, le mouvement ouvrier s’est, dès ses premiers pas, préoccupé des questions environnementales.

Ainsi, le marxisme a-t-il dénoncé vigoureusement l’aberration de l’appropriation privée de la terre et l’incompatibilité du capitalisme avec la nature et sa préservation. Le système capitaliste, qui se présente comme l’aboutissement d’un processus historique qui consacre le monde de la marchandise, un système de production universel de marchandises, où tout est à vendre, n’a pas inauguré le pillage de la nature. Mais ce pillage, avec le capitalisme, s’exerce à l’échelle planétaire, un fait sans précédent par rapport aux modes de production antérieurs, restreints à des dimensions plus locales, et prend un caractère de prédation qualitativement nouveau dans l’histoire de l’humanité. : "c’est seulement avec lui que la nature devient un pur objet pour l’homme, une pure affaire d’utilité ; qu’elle cesse d’être reconnue comme une puissance pour soi ; et même la connaissance de ses lois autonomes apparaît comme une simple ruse pour l’assujettir aux besoins humains, tant comme objet de consommation que comme moyen de production".([7]) L’incompatibilité du capitalisme avec la nature (qui se traduit dans les dévastations écologiques à la hauteur de sa rapacité) trouve sa racine justement dans sa nature exploiteuse, dans le fait que, mû par la recherche frénétique du profit maximal, c’est non seulement de l’exploitation de la force de travail du prolétariat qu’il tire sa richesse et son profit mais aussi de l’exploitation et du pillage des ressources de la nature. : "Le travail n’est pas la source de toute richesse. La nature est tout autant la source des valeurs d’usage (qui sont bien, tout de même, la richesse réelle !) que le travail, qui n’est lui-même que l’expression d’une force naturelle, la force de travail de l’homme. […] Et ce n’est qu’autant que l’homme, dès l’abord, agit en propriétaire à l’égard de la nature, cette source première de tous les moyens et matériaux de travail, ce n’est que s’il la traite comme un objet lui appartenant que son travail devient la source des valeurs d’usage, partant de la richesse".([8]) Marx dénonçait déjà les effets de l’exploitation et de l’accumulation capitalistes pareillement destructeurs sur la planète comme sur la force de travail du prolétariat : "Dans l’agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les États-Unis du nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur".([9])

Surtout, le marxisme a mis à jour que le processus de développement du Capital, soumis à la nécessité de toujours plus accumuler, affecte la base naturelle même de la production, déséquilibre dangereusement l’interaction entre le genre humain et la nature et provoque une rupture irrémédiable de son métabolisme. "Avec la prépondérance toujours plus grande de la population urbaine, qu’elle concentre dans les grands centres, la production capitaliste, d’une part, accumule la force motrice historique de la société, d’autre part, elle perturbe le métabolisme entre l’homme et la terre, c’est-à-dire le retour au sol des composants du sol utilisés par l’homme sous forme de nourriture et de vêtements, donc l’état naturel éternel de la fertilité permanente du sol".([10]) "La grande propriété foncière réduit la population agricole à un minimum, à un chiffre qui baisse constamment en face d’une population industrielle concentrée dans les grandes villes, et qui s’accroît sans cesse ; elle crée ainsi des conditions qui provoquent un hiatus irrémédiable dans l’équilibre complexe du métabolisme social composé par les lois naturelles de la vie : il s’ensuit un gaspillage des forces du sol, gaspillage que le commerce transfère bien au-delà des frontières du pays considéré. La grande industrie et la grande agriculture exploitée industriellement agissent dans le même sens".([11]) C’est pourquoi, en dépit de toutes les avancées scientifiques et technologiques, même lorsqu’elles étaient censées faire face à la crise écologique, le capitalisme n’a fait qu’alimenter cette crise, l’étendre en l’aggravant toujours plus. En dévastant la nature, en menaçant "la condition naturelle éternelle de la vie des hommes". Marx pouvait déjà discerner que le capitalisme compromettait l’avenir des générations ultérieures et, potentiellement, mettait l’avenir de l’humanité en danger.([12])

Si Marx et le mouvement ouvrier de son époque ne pouvaient imaginer les effets de l’agonie du capitalisme sur l’humanité, leurs prévisions ont été amplement confirmées après plus d’un siècle de décadence du capitalisme. Au cours de cette période, l’accumulation du capital est devenue toujours plus destructrice, "la destruction impitoyable de l’environnement par le capital [a pris] une autre dimension et une autre qualité […] ; c’est l’époque dans laquelle toutes les nations capitalistes sont obligées de se concurrencer dans un marché mondial sursaturé ; une époque, par conséquent, d’économie de guerre permanente, avec une croissance disproportionnée de l’industrie lourde ; une époque caractérisée par l’irrationnel, le dédoublement inutile de complexes industriels dans chaque unité nationale, […] le surgissement de mégalopoles, […] le développement de types d’agriculture qui n’ont pas été moins dommageables écologiquement que la plupart des différents types d’industrie".([13])

"La grande accélération "(comme certains désignent l’ampleur des dévastations écologiques de ces dernières décennies) forme en réalité une des manifestations de la crise historique du mode de production capitaliste dans sa période de décadence, poussée à son paroxysme dans sa phase ultime, celle de sa décomposition. Les conséquences écologiques du capitalisme en pleine décomposition (dont la pandémie du Covid-19 est un pur produit) se mêlent et se combinent à tous les autres phénomènes de la dislocation de la société capitaliste pour plonger l’humanité dans un chaos et une barbarie grandissants. L’épuisement des ressources et les conséquences du réchauffement climatique perturbent et désorganisent gravement la production agricole et industrielle, génèrent des déplacements de populations fuyant les zones devenues improductives ou inhabitables et exacerbent les rivalités militaires dans un monde où chaque État cherche à se sauver lui-même face à la catastrophe. Plus que jamais, les rapports sociaux capitalistes, devenus obsolètes, font peser un danger mortel sur la survie de l’humanité.

C’est donc par l’abolition du capitalisme lui-même, des rapports sociaux d’exploitation capitalistes que passe la résolution de la crise écologique. Elle va de pair avec la résolution de la question sociale et dépend de cette dernière pour établir une société des producteurs librement associés (le communisme) qui devra "instituer systématiquement [le métabolisme entre l’homme et la terre] en loi régulatrice de la production sociale "([14]) afin de placer au centre de son mode de production la satisfaction des besoins humains. Cette société communiste ne peut être mise en œuvre que par le prolétariat, la seule force sociale ayant développé une conscience et une pratique aptes à "révolutionner le monde existant", à "transformer pratiquement l’état de choses existant".([15]) Lui seul, par son combat pour le communisme, peut assurer un avenir à l’humanité !

Scott, 25 octobre 2021


[1] Sauf mention contraire, toutes les citations sont tirées de l’ouvrage de Marie-Monique Robin.

[2] "Critique de "Lénine philosophe" de Pannekoek", Revue internationale n° 27 (4e trimestre 1981).

[3] "Des conditions de sécurité, même drastiques, ne prémunissent pas contre les accidents. Plus de sept cents incidents, de vol, de perte ou de libération d’agents infectieux et de toxines se sont ainsi produits aux États-Unis entre 2004 et 2010, et cela concerne aussi bien le bacille de l’anthrax que celui de la grippe aviaire. Une dizaine d’entre eux ont provoqué des infections "(S. Morand, La prochaine peste, 2016).

[4] Le monde en 2035 vu par la CIA (2017).

[5] Avec un cynisme glaçant, le rapport de la CIA lève un coin du voile sur la raison de l’incapacité congénitale du capitalisme à prémunir l’humanité des fléaux qui l’accablent : "Mobiliser les politiques et les ressources pour prendre des mesures préventives se révélera difficile sans une crise dramatique forçant à repenser les priorités. Même après une crise, la volonté d’éviter la répétition est souvent dépassée par l’ampleur des investissements pour la recherche climatique, pour la protection et la prévision des catastrophes". (Le monde en 2035 vu par la CIA) On ne peut être plus clair ! La même agence confirme d’ailleurs, que la pandémie de Covid-19 amoindrit encore les capacités de réponse du capitalisme à la crise sanitaire et écologique, et qu’il ne faut pas se faire d’illusions sur une quelconque amélioration à venir : "La pandémie de Covid-19 a souligné les faiblesses et les clivages politiques des institutions internationales […] et a remis en question la capacité et la volonté des pays à coopérer de façon multilatérale pour relever les défis communs au-delà des maladies infectieuses, notamment le changement climatique "(Le monde en 2040 vu par la CIA). Son "impact se fera sentir de manière disproportionnée sur le monde en développement et les régions les plus pauvres et s’ajoutera à la dégradation de l’environnement pour créer de nouvelles vulnérabilités et exacerber les risques existants concernant la prospérité économique, l’alimentation, l’eau, la santé et la sécurité énergétique. Les gouvernements, les sociétés et le secteur privé vont probablement développer des mesures d’adaptation et de résilience pour faire face aux menaces existantes, mais il est peu probable que ces mesures soient réparties uniformément, laissant certaines populations à la traîne "(Idem). C’est un euphémisme !

[6] Karl Marx, Manuscrits de 1844.

[7] Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858, dits Gründrisse.

[8] Marx, Engels, Programmes socialistes, critique des projets de Gotha et d’Erfurt.

[9] Karl Marx, Le Capital, Livre I. À ne considérer que ce seul aspect agricole, les prévisions de Marx ont été amplement confirmées : "Plus d’un tiers des sols (sources de 95 % des ressources alimentaires) est déjà dégradé, et cette part augmentera probablement avec la croissance de la population mondiale. La dégradation des sols (la perte de productivité des sols étant due aux changements causés par l’homme) est déjà en cours à une vitesse quarante fois supérieure à celle de leur reformation "(Le monde en 2035 vu par la CIA).

[10] Idem.

[11] Karl Marx, Le Capital, Livre III.

[12] "Le fait, pour la culture des divers produits du sol, de dépendre des fluctuations du marché, qui entraînent un perpétuel changement de ces cultures, l’esprit même du capitalisme, axé sur le profit le plus immédiat, sont en contradiction avec l’agriculture, qui doit mener sa production en tenant compte de l’ensemble des conditions d’existence permanentes des générations humaines qui se succèdent "(Karl Marx, Le Capital, Livre III).

[13] "Ecologie : c'est le capitalisme qui pollue la Terre", Revue internationale n° 63 (4e trimestre 1990).

[14] Marx, Le Capital - Livre premier : Le développement de la production capitaliste,  IV° section : la production de la plus-value relative, Chapitre XV : Machinisme et grande industrie  -§ X. - Grande industrie et agriculture (in Ed. La Pléiade, Œuvres : Economie I, p. 998)

[15] Marx, L’Idéologie Allemande (1846).

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À propos du livre "La Fabrique des pandémies"