Soumis par Révolution Inte... le
Ah ça, non ! La gauche stalinienne et surtout l’extrémisme gauchiste (trotskistes, maoïstes, anarchistes, tiers-mondistes...) du capital ne font pas preuve d’indifférence face à la situation de guerre générale qui pèse sur le Moyen-Orient. Sont-ce les misères, les souffrances et les destructions que provoquerait le feu des armes qui leur font prendre parti ? Très peu. En réalité, quand cette racaille bourgeoise, avec force trémolos pacifistes dans ses articles de presse ou à l’occasion de ses défilés au long des rues citadines, enjoint les ouvriers à ne pas demeurer indifférents, c’est précisément pour leur demander d’établir des différences : il y a d’un côté, dit-elle, l’insoutenable guerre que mènent les empires pétroliers d’Occident pour protéger leurs superprofits, celle que conduisent les maîtres du monde pour faire valoir le droit international qu’ils ont pour leur seul intérêt défini eux-mêmes, et de l’autre côté la "soutenable" et très légitime guerre des petites nations - arabes en l’occurrence - ainsi que des peuples pauvres du Sud contre les privilèges des peuples et nations riches du Nord.
Au bout du compte, le non-indifférentisme de ces gens-là a pour seul sens d’amener les prolétaires à soutenir le camp belligérant réputé le plus faible et, au besoin, à se faire tuer pour lui. Véritable sergent recruteur, cette répugnante engeance bourgeoise entend rendre le prolétariat indifférent aux véritables raisons qui poussent les Etats, l’Irak, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis ou les autres, à la guerre, escompte aveugler les ouvriers quant à la nature profonde de celle-ci - qui ne dépend pas au premier chef d’un peuple ou d’une nation en particulier mais du fonctionnement global du capitalisme décadent. Elle se propose de maintenir la classe ouvrière prisonnière des raisonnements bourgeois et des choix capitalistes et se charge enfin de mettre en place le brouillard idéologique propre à laisser indiscernables les moyens seuls capables d’entraver une fois pour toute le mécanisme guerrier du capital, d’apporter une solution constructive à la misère des populations de n’importe quel pays, de lever à tout jamais le joug oppressif que les bourgeoisies du monde entier font peser sur les masses exploitées.
Pour mener à bien leur sale besogne, les gauchistes recourent à une méthode que les révolutionnaires ont apprise depuis longtemps à reconnaître et à dénoncer : s’emparer d’idées confusément exprimées au cours de l’essor historique du mouvement ouvrier pour les retourner en tant qu’armes idéologiques directement bourgeoises contre la classe ouvrière après que l’histoire les eurent rendues périmées ou démontrées fausses. Il en est assurément ainsi de deux positions-forces que les trotskistes ainsi que les maoïstes placent aujourd’hui au centre de leur propagande "parabellum" : celle qui réserve la notion d’impérialisme pour les seuls agissements des grands capitalismes d’Occident et celle qui proclame l’inaliénabilité du "droit des peuples à s’autodéterminer".
L’article suivant[1], dont nous présentons dans ce numéro-ci la première partie, relative à la question de l’impérialisme, s’attache moins à dénoncer en soi la perfidie du gauchisme qu’à anéantir les bases qui fondent sa propagande, dont la très grande nocivité parmi les ouvriers risque de provenir des relations de parenté qu’elle paraît entretenir avec les plus critiquables apports des 2e et 3e Internationales ainsi qu’avec certaines analyses erronées de Lénine.
QU’EST-CE QUE L’IMPERIALISME ?
A cette question, laissons répondre Rosa Luxemburg : "La politique impérialiste, écrit-elle dans la brochure ’La Crise de la social-démocratie’, n’est pas l’essence d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l’évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international, un tout inséparable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun Etat ne saurait se soustraire. ".
Rosa Luxemburg a décrit un processus historique global, un processus unifié, parce qu’elle a compris en fin de compte que tout est déterminé par le développement du marché mondial ; elle a été capable de voir qu’on ne pouvait diviser le monde en parties historiquement différentes : d’un côté un capitalisme sénile, de l’autre un capitalisme jeune et dynamique. Le capitalisme est un système global qui connaît une apogée et un déclin en tant qu’unité dont les différentes relations en son sein sont entièrement interdépendantes.
C’est en partant du développement du marché mondial que Rosa Luxemburg a pu comprendre pourquoi les luttes pour l’autodétermination nationale n’étaient plus possibles dans un monde divisé en nations impérialistes. En effet, il ne pouvait plus y avoir d’expansion réelle du marché mondial (la première guerre impérialiste mondiale l’a prouvé définitivement), mais seulement une redistribution violente des marchés existants. Sans la révolution socialiste, la logique de ce processus est l’effondrement de la civilisation. Dans ce contexte, il était impossible à tout nouvel Etat d’apparaître puis de maintenir son existence sur le marché mondial de façon indépendante ou de mener à bien le processus de l’accumulation primitive en dehors de cette barbarie générale. Donc, comme le dit Rosa Luxemburg (ouvrage déjà cité) : "Dans le monde capitaliste contemporain, il ne peut y avoir de guerre de défense nationale."
La seule possibilité pour une nation, petite ou grande, de se "défendre” était de s’allier à un impérialisme contre les attaques d’un autre impérialisme et d’avoir elle-même une attitude impérialiste vis-à-vis de nations ou Etats plus faibles, comme l’illustre de nos jours l’Irak vis-à-vis du Koweït, et ainsi de suite.
Bien que Rosa Luxemburg ait eu certaines confusions quant à la possibilité d’autodétermination nationale après la révolution socialiste et bien qu’elle n’ait jamais pu développer complètement sa position, tous ses efforts visaient à démontrer que les forces productives étaient entrées, violemment et définitivement, en conflit avec les rapports de production capitalistes, y compris aussi avec le cadre national devenu trop étroit. Les guerres impérialistes étaient le signe évident de ce conflit insurmontable et du déclin irréversible du mode de production capitaliste. C’est pour cela que les guerres de libération nationale, qui étaient auparavant une expression de la bourgeoisie révolutionnaire, ont perdu leur contenu progressiste et se sont transformées de surcroît en guerres impérialistes féroces menées dans chaque pays, quelle que soit la puissance économique de celui-ci, par une classe dont l’existence est devenue un obstacle au progrès de l’humanité.
L’analyse que développa Rosa du phénomène impérialiste - en montrant surtout qu’il ne traduit pas simplement une forme de pillage commis par les pays industriellement avancés aux dépens des nations arriérées mais constitue l’expression de l’ensemble des rapports capitalistes mondiaux - représente sans nul doute la vue la plus clairvoyante à laquelle le mouvement ouvrier a pu donner naissance dans l’époque où le capitalisme commençait, il y a près de quatre-vingts ans, à entrer dans sa période historique de décadence.
DES ERREURS DE LENINE AUX MYSTIFICATION DES GAUCHISTES
Dans les textes que Lénine versa en tant que contributions au débat mené par les partis de la Deuxième Internationale mourante puis de la Troisième sur la question nationale et celle de l’impérialisme, vers 1914-1919, il y a un curieux manque de clarté sur le fait de savoir si la révolution bourgeoise se fait avant tout contre le féodalisme autochtone ou contre l’impérialisme étranger. Dans bien des cas, ces deux forces étaient également ennemies du développement capitaliste national, et même, parfois, l’impérialisme maintenait délibérément des structures précapitalistes aux dépens du capitalisme indigène (à dire vrai, la plupart de ces structures pré-capitalistes n’étaient pas du tout féodales, mais des variantes du despotisme asiatique). Par ailleurs, les classes dominantes précapitalistes s’opposaient souvent violemment au capitalisme occidental qui les menaçait de disparition. Cela n’empêchait pas Lénine de conclure son "Impérialisme, stade suprême du capitalisme" (1916) avec le postulat que les révolutions bourgeoises étaient encore possibles dans les colonies.
Pour Lénine, l’impérialisme est, par essence, un mouvement des pays développés pour compenser la baisse intolérable du taux de profit due à la composition organique élevée du capital dans les métropoles. Dans "L’Impérialisme...”, Lénine aborde le phénomène de l’impérialisme de façon surtout descriptive et ne parvient pas, contrairement à Rosa Luxemburg dont il combattit les opinions sur le sujet, à poser clairement la question de l’origine de l’expansion impérialiste. Mais l’idée que les capitaux des métropoles sont obligés de s’étendre aux colonies à cause de leur composition organique élevée est inscrite en filigrane dans ses concepts de "surabondance de capitaux" et de "superprofits'' obtenus par l’exportation de capitaux dans les colonies. La caractéristique de l’impérialisme est donc, pour Lénine l’exploitation de capital dans les colonies en vue d’obtenir un taux de profit plus élevé dans la mesure où la main-d’œuvre y est moins chère et les matières premières s’y trouvent en abondance. Les pays capitalistes avancés étaient ainsi devenus dans cette optique les parasites des colonies dont ils tiraient des superprofits et de l’exploitation desquelles dépendait leur survie même (ainsi s’explique l’affrontement impérialiste mondial pour conserver la possession et conquérir des colonies). Comme on le voit, une telle vision divise le monde en nations impérialistes qui oppriment et en nations opprimées dans les régions colonisées. La lutte mondiale contre l’impérialisme requérait non seulement les efforts révolutionnaires du prolétariat des pays développés mais aussi les mouvements de libération nationale qui, en réalisant leur indépendance nationale et en brisant le système colonial, pouvaient porter un coup fatal à l’impérialisme mondial.
Il est cependant bien clair que Lénine n’a jamais adhéré aux idioties tiers-mondistes de ceux qui, tels les trotskistes ou les staliniens à la sauce Mao Zedong, ont figé les erreurs du grand révolutionnaire en idéologie bourgeoise baptisée "léninisme" et selon lesquels les luttes de libération nationale provoqueraient, par T'encerclement" des métropoles capitalistes, le soulèvement révolutionnaire du prolétariat de ces grands centres industriels.
La force de la bourgeoisie s’alimente des faiblesses du mouvement ouvrier. Les thèses que Lénine professait, dans le cadre de sa compréhension du phénomène impérialiste, sur l’existence d’une "aristocratie ouvrière" parmi le prolétariat des grandes métropoles capitalistes exprimaient une confusion et traduisaient, a son époque, les limites de la conscience ouvrière de classe. Elles contenaient les germes à partir de laquelle l’extrême gauche de la bourgeoisie a élaboré une conception tiers-mondiste entièrement hostile au prolétariat occidental accusé d’être acheté par les superprofits tirés de l’exploitation des peuples des pays pauvres. Que les gauchistes fassent aujourd’hui un commerce effréné de telles idées par rapport à la guerre dans le Golfe ne saurait étonner : c’est en grande partie pour ce travail idéologique anti-ouvrier que la classe bourgeoise les commandite.
SM (25/11/90)
[1] Essentiellement composé à partir de citations tirées de notre brochure "Nation ou Classe ?", dont nous ne saurions trop recommander la consultation à nos lecteurs.