Courrier des lecteurs : L’avenir appartient au prolétariat

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Nous publions ci-dessous, suivis de notre réponse, des extraits d’une lettre d’une lectrice prenant position sur les évènements actuels au Moyen-Orient, notamment sur l’attitude que doivent y opposer le prolétariat et ses organisations révolutionnaires face à la gravité des enjeux que contient la guerre du Golfe.

"(...) Si la classe ouvrière mondiale, et en particulier celle des pays centraux qui sont en train de préparer l’anéantissement de l’Irak, ne prend pas position contre cette guerre, en faisant grève massivement, en refusant l’envoi d’appelés du contingent dans le Golfe, en empêchant le départ des bateaux et des avions de guerre, alors, on peut dire que c’est à un nouveau recul de la conscience dans la classe que nous allons assister et, de recul en recul, c’est la perspective même de la révolution qui va s’éloigner. Il est un peu tard maintenant pour que la classe ouvrière réagisse avant le déclenchement de la guerre, vu l’imminence de celle-ci, mais il est de la plus haute importance que les révolutionnaires et les sympathisants interviennent maintenant dans la classe avec des mots d’ordre précis dénonçant ce conflit (...) comme l’expression de la fuite en avant de la bourgeoisie vers la fin de l’humanité, afin que la classe ouvrière ne se trouve pas désarmée et impuissante devant la force de destruction de la bourgeoisie. (...) En conclusion, il ne faut pas laisser la bourgeoisie embobiner la classe ouvrière avec des discours lénifiants sur les méchants Arabes qui vont régler leurs problèmes entre eux et sur le "ça ne nous concerne pas". Si la classe ouvrière laisse faire ce massacre sans rien dire, elle sera encore plus abattue et apathique qu’avant. Si, au contraire, elle réagit, même timidement, ce sera un élan pour l’avenir qui contribuera à favoriser son renforcement et son organisation dans les luttes revendicatives (...)”

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NOTRE REPONSE

Nous tenons tout d’abord à saluer l’initiative de cette camarade qui, prenant conscience de l’extrême gravité de la crise du Golfe, nous fait part de ses préoccupations à partir de sa compréhension que le prolétariat est la seule force dans la société capable d’empêcher le capitalisme d’emporter toute l’humanité dans sa folie guerrière. Nous saluons également l’appel de cette camarade à la responsabilité des révolutionnaires, dont la tâche consiste aujourd’hui plus que jamais à montrer aux yeux de la classe ouvrière quelle perspective nous offre le capitalisme décadent, afin de lui faire prendre conscience de la nécessité de détruire ce système avant qu’il n’anéantisse toute la planète.

Cependant, s’il est fondamental que le prolétariat intègre la question de la guerre dans le développement de sa conscience et de sa lutte contre le capitalisme, la manière dont la camarade pose le problème ne nous semble pas correcte. Elle conduit d’une part à une vision pessimiste, se traduisant par un doute sur les capacités de la classe ouvrière à renverser le système, et d’autre part, à une démarche dangereuse, qui risque d’entraîner le prolétariat hors de son terrain de classe.

En effet, la lettre de la camarade pose, entre autres, deux questions essentielles :

1° Si le prolétariat ne réagit pas contre la guerre du Golfe, gardera-t-il ses capacités à renverser le capitalisme ?

2° Quelle doit-être l’attitude de la classe ouvrière face à la guerre du Golfe?

La première question que pose notre lectrice renvoie à l’analyse que le CCI a développée sur le cours historique, c’est-à-dire sur le sens de l’évolution du rapport des forces entre les deux classes fondamentales de la société, la bourgeoisie et le prolétariat[1]. Cette analyse mettait en évidence que depuis la fin des années 60, un nouveau cours vers des affrontements révolutionnaires s’était ouvert avec le resurgissement de la crise économique qui avait permis au prolétariat de reprendre le chemin de ses combats de classe après cinquante ans de contre-révolution. Nous affirmions également que c’était l’incapacité de la bourgeoisie à embrigader le prolétariat derrière la défense des intérêts du capital national qui avait empêché la classe dominante d’apporter sa propre réponse à la crise historique de son système : une troisième guerre mondiale.

Or, dans la situation actuelle, la camarade, constatant qu’'il est un peu tard maintenant pour que la classe ouvrière réagisse avant le déclenchement de la guerre”, en déduit que "la classe ouvrière, si elle ne réagit pas, même timidement, va subir un nouveau recul dans sa conscience", ce qui amène notre lectrice à douter des capacités futures du prolétariat, c’est-à-dire à remettre implicitement en cause la perspective de la révolution prolétarienne.

Il est vrai, comme le constate la camarade, que, face à la guerre du Golfe, aujourd’hui, le prolétariat est impuissant. Il ne pourra pas empêcher le carnage. Mais ce n’est pas à partir de ce conflit militaire, si meurtrier et barbare soit-il, qu’on peut remettre en question toute la perspective historique que les luttes ouvrières ont confirmée depuis plus de vingt ans. Des guerres comme celle qui s’annonce dans le Golfe aujourd’hui, le capitalisme en déchaînera d’autres. La croisade impérialiste menée contre l’Irak ne fait que marquer le tout début d’une nouvelle période où les conflits guerriers dans lesquels les grandes puissances seront de plus en plus impliquées vont constituer une donnée permanente dans la vie de la société, une donnée que le prolétariat sera nécessairement contraint d’intégrer dans sa prise de conscience de la barbarie du capitalisme. Toute démarche immédiatiste consistant à poser dès aujourd’hui une sorte d’ultimatum au prolétariat, comme le fait la camarade, ne peut mener qu’au doute et à la démoralisation.

Si le prolétariat mondial n’a pas la capacité aujourd’hui d’empêcher le déchaînement de la barbarie guerrière dans le Golfe, cela ne signifie nullement que nous allons vers un renversement du cours aux affrontements de classes. Une telle situation supposerait en effet que la bourgeoisie a réussi à infliger une défaite idéologique décisive au prolétariat permettant, comme dans les années 30, son embrigadement massif sous les drapeaux du capital, ce qui est loin d’être le cas dans la situation présente. Ce ne sont pas des bataillons du prolétariat que la bourgeoisie occidentale mobilise aujourd’hui dans le Golfe, mais des troupes de l’armée de métier. Le fait que la classe ouvrière se révèle à l’heure actuelle momentanément paralysée, désorientée, ne signifie en aucune façon qu’elle est prête à accepter le même niveau de sacrifices, et jusqu’au sacrifice ultime de la vie, qu’en 1914 et dans les années 30.

Par ailleurs, le CCI a toujours mis en évidence que, contrairement à la vague révolutionnaire des années 1917-23 qui avait surgi de la première guerre mondiale, la vague des combats ouvriers ouverte en 1968 se développe à partir de la crise économique. Ainsi, aujourd’hui, ce n’est plus la guerre qui constitue le terrain de la mobilisation du prolétariat mais les attaques économiques résultant de l’aggravation inexorable de cette crise. Et les révolutionnaires doivent reconnaître que, sur ce terrain, la classe ouvrière a maintenu et maintient toujours sa capacité à mener le combat en tant que classe contre la dégradation de toutes ses conditions de vie. En ce sens, si, dans l’immédiat, les bruits de botte dans le Golfe provoquent dans les rangs de la classe ouvrière un sentiment d’impuissance, s’ils participent à désorienter le prolétariat au point de le paralyser face aux attaques de la bourgeoisie, cette situation ne peut être que momentanée. D’abord parce que, cette guerre, il faudra la payer et c’est, bien sûr, la classe exploitée qui en fera comme toujours les frais. Ensuite, parce que le capitalisme est en train de plonger dans une récession mondiale d’une profondeur sans précédent contraignant de plus en plus toutes les bourgeoisies nationales à porter des attaques anti-ouvrières frontales et massives contre l’ensemble des conditions de vie de la classe ouvrière (cf. "RI" n° 195) Et c’est bien parce qu’aujourd’hui, le prolétariat n’est pas embrigadé, c’est bien parce qu’il va être contraint, avec l’aggravation de la crise, de reprendre le chemin de la lutte sur son propre terrain, que la perspective historique aux affrontements révolutionnaires reste ouverte.

Ainsi, concernant la deuxième question que soulève la lettre de la camarade, quelle doit être l’attitude de la classe ouvrière face à la guerre du Golfe ?, il n’y a qu’une seule réponse : le prolétariat doit résister fermement à tout ce qui peut le pousser hors de son terrain de .classe. Pour cela, il doit, bien sûr, comme le dit la camarade, refuser d’adhérer aux campagnes bellicistes de la bourgeoisie. Mais il doit aussi et surtout éviter à tout prix de tomber dans le piège des campagnes pacifistes qui constituent à l’heure actuelle le thème de prédilection de toutes les fractions de la gauche du capital. Cette idéologie pacifiste ne vise, en effet, qu’à dévoyer le prolétariat, à l’entraîner sur un terrain pourri, celui de l’interclassisme, afin de le noyer au milieu de toutes les bonnes âmes "humanistes" (tels les curés ou les intellectuels) quand ce n’est pas pour le pousser à soutenir l’impérialisme irakien (comme le préconise le prétendu anti-impérialisme des trotskistes).

C’est précisément dans ce piège que risque de tomber la camarade elle-même lorsqu’elle nous suggère d’exhorter le prolétariat à se mobiliser dès aujourd’hui contre la guerre. Toutes ses propositions d’actions "contre la guerre" sont ainsi extrêmement dangereuses dans la mesure où elles peuvent être parfaitement récupérées par les forces d’encadrement capitalistes (comme on a pu le voir à Toulon lorsque la CGT avait, au mois de septembre, tenté de bloquer le départ des bateaux de guerre). Toute mobilisation du prolétariat contre la guerre seule ne peut être que canalisée et récupérée sur le terrain bourgeois du pacifisme, y compris la grève massive que propose la camarade. En effet, la grève n’est pas en soi un moyen d’action du prolétariat. Encore faut-il savoir sur quel terrain elle se situe. Ainsi, en 1936, le prolétariat avait développé des luttes massives pour des revendications économiques, mais ces grèves avaient immédiatement été dévoyées derrière le soutien au Front populaire, c’est-à-dire derrière cette idéologie antifasciste qui allait permettre l’embrigadement de millions de prolétaires dans la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, il suffit encore de voir comment, en Arménie "soviétique", les grèves massives ont pu être canalisées derrière le mot d’ordre bourgeois de l'"indépendance nationale" pour constater que la grève n’est pas en elle-même le critère d’une réelle mobilisation du prolétariat sur un terrain de classe. Ainsi, toute adhésion de la classe ouvrière à un slogan pacifiste ne peut conduire qu’à l’interclassisme, à l’abandon de sa lutte autonome contre le capital.

En ce sens, si, comme le reconnaît très justement la camarade, la classe ouvrière doit intégrer la question de la guerre comme condition du développement de sa conscience et de sa lutte vers le renversement du capitalisme, elle ne pourra le faire qu’à partir de ses propres conditions de classe exploitée, en développant ses luttes de résistance aux attaques économiques. Le prolétariat ne pourra réellement lutter contre la barbarie guerrière du capitalisme que lorsqu’il aura développé à un niveau beaucoup plus important qu’aujourd’hui ses combats de classe. Il ne peut lutter contre la guerre qu’en menant un combat général contre le capitalisme. C’est bien pour cela que l’intervention des révolutionnaires consiste non à faire du problème de la guerre une question en soi, séparée des autres aspects de la vie du capitalisme, mais à mettre en évidence le lien entre la guerre et la crise économique, et plus globalement, l’ensemble de la barbarie dans laquelle s’enfonce le capitalisme. Les révolutionnaires doivent souligner toute la gravité des enjeux de la situation historique que nous vivons aujourd’hui, afin de planter des jalons pour l’avenir en appelant le prolétariat à prendre conscience que c’est un seul et même système en pleine putréfaction qui s’avère responsable de la misère, des famines, et de la barbarie guerrière.

Avril

 

[1]

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