Manifestations pour le logement aux Pays-Bas: Le capitalisme est à l'origine de la crise du logement

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Ger Rolsma, candidat à la présidence du parti socialiste néerlandais (PvdA), déclare sur son blog : « Je m'oppose à la libéralisation du marché du logement » (Recht op wonen). Dans cette déclaration, il spécule sur l'ignorance des jeunes. Après tout, cette libéralisation n'est pas une politique qui s’impose seulement aujourd'hui et, de plus, elle n'a pas été initiée contre la volonté du PvdA. Au contraire, le PvdA a été dans les années 1990 à la source de la libéralisation du marché du logement. Une piqûre de rappel rapide :

- Dès l’entrée en fonction du gouvernement Kok I en 1994 (premier ministre socialiste), les sociétés de logement n'ont plus reçu de subventions ou des prêts bon marché de l'État pour la construction de logements à loyer modéré. Par la suite, ces mêmes sociétés ont commencé à gérer leur affaire comme une entreprise commerciale, vendant un grand nombre de logements sociaux et démolissant les logements sociaux non rentables. 

- En 2000, le gouvernement Kok II, dirigé par le même premier ministre socialiste, a publié un mémorandum sur le logement intitulé Mensen, Wensen Wonen (les gens, les souhaits, le logement), qui stipulait que d'ici 2010, l'accession à la propriété devait couvrir 65 % du parc immobilier total. Pour y parvenir, il fallait transformer chaque année 20.000 logements locatifs privés et 50.000 logements sociaux en logements à vendre. (Voir: Vrije markt, vrije toegang?)

- Ainsi, À l'initiative du parti socialiste néerlandais, un demi-million de logements sociaux locatifs ont disparu du parc immobilier jusqu'en 2009. Au cours de la période 2009-2015, selon le syndicat des locataires (Woonbond), 262.400 logements auraient disparu (voir : Groot tekort aan huurwoningen) et 100.000 autres au cours des cinq dernières années, ce qui signifie qu'entre 750.000 et un million de logements sociaux ont disparu au cours des 25 dernières années, soit un quart du total de ceux-ci.

Les conséquences de cette opération, qui dure depuis 25 ans, se font aujourd'hui sentir dans les statistiques.

Les logements à acheter sont devenus beaucoup trop chers pour la plupart des jeunes. Ils doivent donc louer. Mais les loyers dans le secteur privé sont également beaucoup trop chers. Reste donc le secteur locatif social. Cependant, il y a tellement peu de ces logements aujourd'hui que, pour pouvoir en obtenir un dans une ville comme Amsterdam, il faut attendre quinze ans. Dans les autres grandes villes, les choses évoluent dans le même sens.

En outre, au moins 80.000 logements sociaux sont dans un état médiocre ou très mauvais, selon les données de la Housing Corporation Authority. Les locataires peuvent ainsi être confrontés à des fuites, des murs et des plafonds moisis, des balcons impraticables ou des châssis pourris.  (Voir: Des dizaines de milliers de logements sociaux en mauvais état et parfois mûrs pour la démolition ; RTL News, 18-09-2021)

En réaction à cette crise du logement qui touche des centaines de milliers de gens qui cherchent une habitation, plusieurs comités ont été constitués à Amsterdam et à Rotterdam, comme le «Bond Precaire Woonvorm», «Recht Op Stad», «niet te Koop», et «Verdedig Noord». Ils ont lancé des actions de protestation : le 12 septembre à Amsterdam et le 17 octobre à Rotterdam. Parallèlement, des manifestations en faveur du logement ont également été organisées à Tilburg, Nimègue, Arnhem, La Haye, Utrecht et Groningue.

Le logement est un aspect essentiel de la vie de la classe ouvrière, mais cela ne signifie pas que toute lutte contre la crise du logement se déroule sur son terrain. Des parties de la classe ouvrière ont certes participé aux manifestations actuelles, mais elles l'ont fait sur une base individuelle, «dissoutes» dans une masse informe composée de personnes issues de différentes couches de la société. Les travailleurs qui ont soutenu ces slogans, tels que «Garantir des logements suffisants et abordables !», ne l'ont pas fait en tant que travailleurs mais en tant que citoyens qui, en exerçant des pressions, espèrent que les autorités feront quelque chose pour remédier à la pénurie de logements. Mais c'est un vain espoir.

En effet, cette crise du logement n'est pas seulement le résultat de la libéralisation. Même un recul de la libéralisation ne résoudra pas la crise. La pénurie de logements est une caractéristique du capitalisme. Depuis son instauration, il n'a jamais été capable de fournir à la population, et en particulier à la classe ouvrière, des logements convenables et abordables. C'est parce que le logement est fondamentalement une marchandise dont le prix, à côté du prix du terrain, est en principe déterminé par les mêmes facteurs qui déterminent aussi le prix d'une voiture ou d'un manteau d’hiver.

L’article ci-dessous est une version abrégée d’un article publié sur le site internet en anglais.[1] Il traite surtout de la crise du logement au Royaume-Uni, mais l'analyse qu›il développe est parfaitement valable pour tous les autres pays capitalistes, y compris les Pays-Bas et la Belgique.

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Depuis le milieu des années 1980, il n'y a plus eu de chiffres officiels sur le nombre de personnes qui squattent en Grande-Bretagne, mais un article récent du Guardian a révélé qu'entre 20.000 et 50.000 personnes le font, principalement dans des propriétés désaffectées depuis longtemps.[2] Cette situation s'inscrit dans le contexte général d'un nombre croissant de personnes qui se battent pour garder un toit au-dessus de leur tête. Ainsi, les chiffres relatifs aux sans-abris ont augmenté ces dernières années : en Angleterre, 110.000 familles se sont déclarées sans-abri en 2011-2012, soit une augmentation de 22% par rapport à l'année précédente. 46% de ces familles étaient reconnues comme sans-abri par les autorités locales, ce qui représente une augmentation de 26% par rapport à l'année précédente.

L'organisation caritative Crisis, dont le site web a fourni les chiffres ci-dessus souligne que ces chiffres officiels sont probablement très imprécis, étant donné que la majorité des sans-abris sont cachés car ils ne se présentent pas dans les lieux, tels les refuges officiels pour sans-abri, que le gouvernement utilise pour collecter ses données. Les données sur le nombre de personnes qui dorment dans la rue constituent un autre indicateur de l'aggravation du problème du logement. Les chiffres officiels indiquent qu'en 2011, plus de 2.000 personnes ont dormi dans les rues en Angleterre toute la nuit, ce qui représente une augmentation de 23 % par rapport à 2010. Mais encore une fois, le chiffre réel est probablement beaucoup plus élevé, puisque les organisations non gouvernementales rapportent que plus de cinq mille cinq cents personnes dormaient dans les rues de Londres en 2011-2012, soit une augmentation de 43% par rapport à l'année précédente.

Au niveau de la planète, on estime qu'au moins 10 % de la population mondiale est touchée. De nombreux bidonvilles autour de villes telles que Mumbai, Nairobi, Istanbul et Rio de Janeiro sont en grande partie constitués de squatters.[3] Les types de logements, les services dont disposent les habitants ou l’absence de ceux-ci, le type de travail effectué et la composition de la population varient. Mais, dans leur ensemble, ils montrent que, malgré tous les biens produits et l'argent qui circule dans le monde, le capitalisme n'est toujours pas capable de répondre de manière adéquate à l'un des besoins humains les plus élémentaires. Cet article a pour objet d'en examiner les raisons.

Logement et capitalisme

Le point de départ est la reconnaissance que la forme que prend la question du logement au sein du capitalisme est déterminée par les paramètres économiques, sociaux et politiques de la société bourgeoise. Dans ce système, les intérêts de la classe ouvrière et d'autres classes exploitées comme la paysannerie sont toujours subordonnés à ceux de la bourgeoisie. Sur le plan économique, il y a deux dynamiques importantes. D'une part, le logement pour les ouvriers est un coût et, par conséquent, est soumis au même désir de réduction des coûts que tous les autres éléments liés à la reproduction de cette classe. D'autre part, le logement peut également être une source de profit pour une partie de la bourgeoisie, que ce logement soit offert à la classe ouvrière ou à une autre partie de la société. En termes sociaux et politiques, le logement soulève pour la classe dirigeante des questions de santé et de stabilité sociale, mais il offre également des possibilités de contrôle physique et idéologique de la classe ouvrière et des autres classes exploitées. C'était vrai aux premiers jours du capitalisme et cela reste vrai aujourd'hui.

Dans les premières années du capitalisme, la création de bidonvilles était une partie inhérente du développement capitaliste. La bourgeoisie avait besoin d'une main-d’œuvre bon marché, et les mauvaises conditions, la démoralisation et les maladies étaient au début de la période industrielle une conséquence secondaire. Dans certains cas, une partie de la classe capitaliste a également profité de la location d'appartements et de maisons vétustes à la classe ouvrière. Plus tard, au XIXe siècle, le capitalisme a commencé à chercher des solutions au problème du logement, notamment parce que ses conséquences ne se limitaient pas à la classe ouvrière. Ces réformes n'ont pas résolu le fond du problème. Renvoyons  au livre de Friedrich Engels, «Sur le problème du logement», dans lequel il écrit : «La même nécessité économique qui a créé [le bidonville] dans un endroit le crée aussi dans un autre. Et tant que la forme capitaliste de production existera, il sera insensé de chercher une solution au seul problème du logement, ou à tout autre problème social qui concerne le sort des travailleurs». La suite de l’article est encore une illustration de l'impuissance de la bourgeoisie à résoudre le problème du logement.

La Première Guerre mondiale a produit un déficit de 610.000 logements en Angleterre, et de nombreux bidonvilles d'avant-guerre n'ont pas été démantelés. Au lendemain de la guerre, les autorités locales ont été autorisées à évacuer les bidonvilles et à construire des logements locatifs. Entre 1931 et 1939, plus de 700.000 logements ont été construits, relogeant les quatre cinquièmes des personnes vivant dans des bidonvilles (3). La plupart des nouvelles maisons ont été construites dans de grandes banlieues à la périphérie de grandes villes comme Liverpool, Birmingham, Manchester et Londres. Certaines autorités locales ont expérimenté la construction de blocs d'appartements. Mais ces efforts représentent bien peu face aux deux millions et demi de logements construits à titre privé et vendus à la classe moyenne et aux parties mieux payées de la classe ouvrière. Néanmoins, cela ne signifie pas la fin des bidonvilles et le surpeuplement grave continue d’exister dans de nombreux quartiers populaires. La Seconde Guerre mondiale a entraîné un recul dans la mesure où la construction de logements a pratiquement cessé et que les centres villes ont été exposés aux bombardements. L'après-guerre a été le témoin du programme de construction de logements par l’Etat le mieux coordonné de l'histoire britannique, qui a culminé à la fin des années 1950, lorsque plus de 300.000 logements sociaux étaient construits chaque année. Cette fois-ci, une des caractéristiques les plus marquantes était la construction de grands immeubles d'appartements. Des aides à la construction privée étaient également accordées et, en 1975, 52,8 % des logements étaient des propriétés privées, contre 29,5 % en 1951 (la location de logements privés passait de 44,6 % à 16 % au cours de la même période).[4]

En Grande-Bretagne et dans les autres grandes puissances capitalistes, l’après-guerre a rendu possibles d'importants changements en matière de logement. Le «boom» d'après-guerre, fondé sur les améliorations très importantes de la productivité après les ravages de la guerre, a donné à l'État les moyens d'augmenter les dépenses dans un certain nombre de domaines, dont le logement. Comme nous l'avons déjà noté, les bombardements avaient détruit ou endommagé certains quartiers ouvriers importants dans les villes qui étaient des centres de production. Les industries qui se sont développées après la guerre, comme l'industrie automobile, ont entraîné la construction de nouvelles usines, souvent en dehors des anciennes concentrations. Cela a nécessité la construction de logements pour les travailleurs. Il y avait également un motif politique pour répondre aux besoins sociaux et réduire ainsi le risque de troubles après la guerre.

Toutefois, le «boom» de l'après-guerre n'a pas atteint de nombreuses régions du monde. Il s'agit notamment de quelques pays occidentaux, comme l'Irlande, où la grande pauvreté et les bidonvilles ont persisté jusqu›au «boom» économique des années 1980. Mais il s'agit principalement de ce que l'on appelle le «tiers monde», qui comprend essentiellement les continents et les pays qui ont fait l'objet d'une domination impérialiste de la part des grands pays capitalistes. En bref, la plupart des pays du monde. De ce point de vue, il devient clair que l'argument d'Engels est non seulement confirmé, mais confirmé à une échelle qu›il n'aurait pu imaginer.

Se loger dans un capitalisme en décomposition

Aujourd'hui, un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles et la majorité de la population mondiale est désormais urbaine. La plupart de ces bidonvilles se trouvent dans le «Tiers Monde» et, dans une moindre mesure, dans certaines parties du vieux bloc de l'Est (qui fut appelé autrefois le «Second Monde»). La situation est nouvelle. Dans le livre Planet of Slums (Planète des bidonvilles), publié en 2006, l'auteur, Mike Davis, affirme que «la plupart des mégalopoles du Sud ont un parcours commun : un régime de croissance relativement lente, voire ralentie, puis une accélération brutale vers une croissance rapide dans les années 1950 et 1960, les immigrants ruraux étant alors de plus en plus casés dans des bidonvilles périphériques».[5] La croissance lente ou ralentie de beaucoup de ces villes était le résultat de leur statut de colonie des grandes puissances. En Inde et en Afrique, les dirigeants coloniaux britanniques avaient promulgué des lois visant à empêcher la population indigène du pays de s'installer dans les villes et à contrôler les mouvements et le mode de vie des citadins. L'impérialisme français a imposé des restrictions similaires dans les régions d'Afrique sous son contrôle. Il semble logique de penser que ces restrictions étaient liées au statut de nombre de ces pays en tant que fournisseurs de matières premières à leurs maîtres coloniaux. Mais même en Amérique latine, où l’emprise coloniale était clairement moins stricte, la bourgeoisie locale pouvait être tout aussi opposée à l'intrusion de sa population rurale dans les villes. À la fin des années 1940, par exemple, une répression sévère était mise en place contre les squatters qui s'installaient dans des centres urbains tels que Mexico à la suite de la politique d'industrialisation locale visant à remplacer les importations.

Cette situation a changé lorsque le colonialisme a pris fin et que le capitalisme s'est mondialisé. Les villes ont commencé à augmenter en taille et en nombre. En 1950, il y avait 86 villes dans le monde avec une population de plus d'un million d'habitants. En 2006, elles étaient 400 et en 2015, elles devraient être 550. Les centres urbains ont absorbé la majeure partie de la croissance démographique mondiale au cours des dernières décennies et la population active urbaine s'élevait à 3,2 milliards en 2006.[6] Ce dernier point met en évidence le fait que dans des pays comme le Japon, Taïwan et, plus récemment, l'Inde et la Chine, cette croissance est liée au développement de la production. En Chine, des centaines de millions d'agriculteurs ont quitté les campagnes pour s'installer dans les villes, en particulier dans les zones côtières où l'industrialisation a été la plus importante ; des centaines de millions d'autres vont probablement suivre. En 2011, la majorité de la population chinoise était urbaine.[7]

Cela peut donner l'impression que le processus du XIXe siècle se poursuit ; que le développement chaotique initial sera remplacé par une progression plus soutenue de la chaîne de valeur de la production, avec la hausse des salaires, de la richesse et des marchés intérieurs qui en résulte. Ceci est utilisé pour étayer l'argument selon lequel le capitalisme reste dynamique et progressiste, et qu›il permettra, avec le temps, de sortir les pauvres de la pauvreté, de nourrir les affamés et de loger les habitants des bidonvilles.

Mais ce n'est pas l'histoire complète de la période actuelle. Dans de nombreux autres pays, il n'existe aucun lien entre le développement des villes et des bidonvilles qui y sont associés, et le développement de la production.

On peut en voir les conséquences dans les bidonvilles qui entourent de nombreuses villes du sud. Si ce sont les mégapoles qui font la une des journaux, la majorité des citadins pauvres vivent dans des villes de second ordre, souvent peu ou pas équipées et qui n'attirent guère l'attention. Les récits des conditions de vie des habitants de ces bidonvilles qui traversent Planet of Slums reflètent des parties de l'analyse d'Engels. Dans les centres villes, les pauvres s'entassent non seulement dans les vieilles maisons et dans les nouveaux immeubles construits pour eux par des spéculateurs, mais aussi dans les cimetières, sur les rivières et dans les rues. La plupart des habitants des bidonvilles vivent cependant à la périphérie des villes, souvent sur des terrains pollués, menacés par des catastrophes environnementales ou inhabitables pour d'autres raisons. Leurs maisons sont souvent faites de morceaux de bois et de vieilles bâches en plastique, souvent sans infrastructures et soumises à l'expulsion par la bourgeoisie, ainsi qu'à l'exploitation et à la violence de divers spéculateurs, de propriétaires négligents et de bandes criminelles qui contrôlent le secteur. Dans certaines zones, les squatters obtiennent la propriété légale du terrain et parviennent à obtenir des autorités municipales qu'elles fournissent des services de base. Partout, ils sont victimes d'exploitation. Comme en Angleterre au XIXème siècle, la misère rapporte de l'argent. De grands et petits spéculateurs construisent des propriétés, parfois légales, parfois illégales, et requièrent des loyers comparables pour ces locaux loués aux appartements urbains les plus chers des riches. Le manque de services offre d'autres possibilités, notamment la vente d'eau.

La bourgeoisie continue à essayer de «résoudre» la crise du logement que sa société crée. Comme par le passé, cela est toujours limité par ce qui est compatible avec les intérêts du système capitaliste et de la bourgeoisie au sein de ce système. D'une part, on a tenté de résoudre le problème au bulldozer, en expulsant des millions de pauvres, qu'il s'agisse de travailleurs, d'anciens agriculteurs, de petits commerçants ou de rebuts de la société, de leurs maisons et en les refoulant dans de nouveaux bidonvilles. Ou encore à la campagne, loin des yeux, des oreilles et des nez des riches. D'autre part, toute une bureaucratie a été créée pour résoudre le problème du logement, telle le FMI, la Banque mondiale, l'ONU et les ONG internationales et locales ; mais ils le font toujours dans le cadre du capitalisme. Dans ce cas, il existe une alliance très inhabituelle entre les soi-disant radicaux, qui veulent donner «une voix» aux pauvres, et les institutions capitalistes internationales telles que la Banque mondiale, qui veulent trouver une solution de marché qui encourage l’esprit d’entreprise et la propriété.

Enfin, il y a l'objectif non explicité, mais toujours présent, de diviser les exploités au moyen du mélange habituel de cooptation et d'oppression. Ainsi, les organisations qui commencent par des revendications radicales, comme les groupes de squatters, finissent souvent par collaborer avec la classe dirigeante une fois que quelques concessions leur ont été faites. Chez certains idéologues, on trouve même des échos du passé, comme l'idée que la solution consiste à donner aux pauvres des droits légaux sur les terres où ils vivent. Engels montre que cette «solution» ramène rapidement au problème initial, car elle ne modifie pas le principe de base de la société capitaliste selon lequel «le capitaliste a la possibilité de payer la force de travail ce qu›elle coûte, mais d'en tirer beaucoup plus qu›elle ne coûte en forçant le travailleur à travailler plus longtemps qu›il n'est nécessaire afin de dépasser le coût de la force de travail».[8]

Dans les vieux pays capitalistes d'Europe occidentale et des États-Unis, le retour de la crise économique ouverte à la fin des années 1960 a entraîné deux changements majeurs qui ont eu un impact sur le logement de la classe ouvrière. Le premier était la nécessité de limiter les dépenses de l'État, notamment les allocations versées aux travailleurs ; le second a été le déplacement du capital des investissements productifs vers la spéculation, où les rendements semblaient plus élevés.

La réduction des dépenses publiques a d'abord entraîné un ralentissement du nombre de logements sociaux construits, puis, sous Thatcher, la vente du parc de logements sociaux et la limitation de la poursuite de la construction par les autorités locales. Mais rien de tout cela n'a commencé avec Thatcher. Nous avons déjà souligné les efforts consentis par les gouvernements travailliste et conservateur pour promouvoir la propriété privée avant et après la Seconde Guerre mondiale, principalement par le biais d'une réduction des impôts sur les prêts hypothécaires. La vente de logements sociaux a réduit non seulement le coût du capital pour la construction de logements, mais aussi le coût de leur entretien, étant donné que le nouveau propriétaire en était lui-même responsable. L'idée que la propriété foncière contribuerait à contenir la menace de la classe ouvrière remonte à encore plus loin.

La spéculation financière est devenue de plus en plus fébrile à mesure que la lutte pour un rendement rentable du capital s'intensifiait ces quarante dernières années. La déréglementation financière qui a caractérisé à la fois le Royaume-Uni et les États-Unis dans les années 1980 a permis à la bourgeoisie de développer des formes de spéculation de plus en plus complexes. Dans les années 1990, l'argent a été injecté dans une série de nouveaux instruments basés sur l'extension du crédit à des secteurs de plus en plus importants de la classe ouvrière. L'évolution des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis est typique de cette approche. Les spéculateurs pensaient qu›ils étaient en sécurité en raison de la complexité des instruments financiers dans lesquels ils investissaient et de la notation élevée qu›ils recevaient d'agences de notation comme Standard and Poor. L'effondrement du marché des subprimes en 2007 a montré qu›il s'agissait d'une illusion et a jeté les bases d'un effondrement plus large qui a suivi, un effondrement dont les conséquences sont toujours visibles.

La première bulle immobilière a éclaté dans les années 1990 et a plongé de nombreuses personnes dans une situation de réserves financières négatives, entraînant un grand nombre de saisies. Cette fois-ci, la bourgeoisie a encore réussi à limiter l'impact, de sorte qu›il y a eu moins de saisies. Toutefois, le prix du logement est devenu moins abordable grâce à la combinaison de la hausse continue des bulles et du durcissement des conditions de crédit après 2007, de sorte que de nombreux jeunes ne peuvent plus se permettre d'acheter. Dans le même temps, le secteur de la location est devenu plus petit. L'offre de la municipalité est limitée et strictement contrôlée, avec des critères qui condamnent les jeunes à des logements petits et minables, quand ils ne finissent pas dans un B&B. Avec les nouvelles restrictions sur les aides locatives, les familles seront jetées à la rue et obligées de déménager de leur zone d'habitation, ce qui fait que l'une des rares options est de squatter un des milliers d'immeubles abandonnés. Et nous revoilà à notre point de départ.

La réponse à la question du logement

Le problème du logement auquel sont confrontés les travailleurs et d'autres classes exploitées dans le monde prend des formes très différentes d'un pays à l'autre et divise souvent les victimes du capitalisme. Il peut sembler y avoir un fossé infranchissable entre un jeune travailleur vivant en marge d'une ville comme Pékin ou Mumbai dans un squat, sur un terrain inondé par les crues ou infesté de poisons industriels, et un jeune travailleur qui ne peut prétendre à un appartement social à Londres ou obtenir une hypothèque sur une maison à Birmingham. Pourtant, la question qui se pose à tous les travailleurs est de savoir comment vivre en tant qu›êtres humains dans une société qui est soumise à l'extraction des profits du plus grand nombre en faveur d’une minorité. Et quels que soient les changements dans la forme et la portée de la question, son contenu reste toujours le même. La conclusion d’Engels reste aussi valable aujourd'hui qu›il y a plus d'un siècle : «Dans une telle société, la privation de logement n'est nullement une coïncidence, c'est une institution nécessaire ; on ne peut remédier au problème - avec toutes les conséquences de l'hygiène, etc... - que lorsque toute la structure de la société qui en est coupable est fondamentalement transformée»(9) n

North/11.1.2013


[1] Capitalism produces the housing crisis; ICConline 2013

[2] The Guardian 03-12-2012, Squatters are not home stealers (les squatters ne sont pas des voleurs de maison). Une partie de la campagne idéologique pour légitimer la nouvelle loi contre le squattage consistait à publier un compte rendu détaillé des propriétaires de maisons qui ont retrouvé leur maison squattée après une période d'absence.

[3] Stevenson British Society 1914-45, chapter 8 “Housing and town planning”. Penguin Books, 1984.

[4] Cfr: Morgan, The People’s Peace. British History 1945-1990. Oxford University Press, 1992.

[5] Davis, Planet of Slums, Chapitre 3, “The Treason of the State”, Verso 2006. Les paragraphes suivants s’inspirent largement de ce chapitre.

[6] Ibid., Chapitre 1, “The Urban Climateric”, pp. 1-2.

[7] UN Habitat, The State of China’s Cities 2012-2013, Executive Summary, p. VIII.

[8] Friedricht Engels Sur la question du logement, partie 2, « Comment la bourgeoisie traite la question du logement ».

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