Soumis par Internationalisme le
"Il y a tout juste cent ans, le 4 septembre 1921, était fondé le Parti communiste de Belgique" annonce CARCOB/ Archives communistes dans un mail en septembre. Pourquoi revenir sur cet anniversaire, sur ce jalon dans l’histoire du mouvement ouvrier en Belgique ? Le marxisme n'est pas une théorie morte, invariante. C'est une méthode vivante, une manière de confronter la réalité du point de vue de la classe ouvrière. Dans ce cadre, un combat continu doit être mené pour défendre l'analyse marxiste contre le glissement vers des positions bourgeoises, pour l'approfondir, pour analyser correctement les nouvelles expériences de la lutte de classe. C’est dans ce sens qu’il faut tirer les leçons du combat pour la fondation du PCB et de sa dégénérescence ultérieure, qu’il faut défendre l’approche marxiste contre les mensonges bourgeois, comme par exemple l’idée que le parti a été fondé le 4 septembre 1921, alors qu’il était en réalité constitué dès novembre 1920.
Nous republions ici un article d’Internationalisme 188 (1993) qui retrace le cadre général de l’histoire du PCB. Nous reviendrons dans des articles ultérieurs plus en détail sur les différentes phases de son existence : la lutte pour la fondation du PCB après la trahison de la social-démocratie, le combat contre l’opportunisme croissant en son sein et son passage définitif dans le camp de la bourgeoisie au début de la Seconde Guerre Mondiale.
En votant les crédits de guerre, l'aile opportuniste des partis sociaux-démocrates passait en 1914 dans le camp de la bourgeoisie. Elle choisissait la défense nationale de l'Etat bourgeois et trahissait l'internationalisme prolétarien. Cela signait la mort de la IIème Internationale. Mais les gauches marxistes continuaient encore pendant quelques années la lutte contre la dégénérescence dans ces partis. Elles essayaient de convaincre des positions marxistes et de regrouper le plus d'éléments sains possible, d'abord dans et ensuite à côté du vieux parti, pour former de nouveaux partis, les partis communistes, et une nouvelle internationale, la IIIème
C'était un coup dur de constater que la social-démocratie, qui dans certains pays comme l'Allemagne était devenue une puissante organisation du prolétariat, disparaissait des mains des ouvriers en tant qu'arme de lutte. Il était également difficile de faire une analyse complète et concluante de tout ce qui avait changé depuis le début du 20' siècle dans les conditions de la lutte de classe. Dans son "Accumulation du capital", Rosa, Luxembourg avait bien tracé le cadre d'analyse général : le capitalisme était entré dans sa phase de décadence. Mais c'étaient les bolcheviks et la fraction abstentionniste (anti-parlementariste) du PSI italien qui allaient le plus loin au niveau des conséquences politiques. Les bolcheviks étaient les plus clairs sur la question la plus brûlante du moment, la guerre mondiale. Alors que tout le monde, des pacifistes aux "socialistes minoritaires", imploraient la paix, ils appelaient à "la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". De la guerre devait sortir la révolution. Et cela n'était pas seulement confirmé en Russie en 1917, mais dans une vague révolutionnaire qui déferlait sur le monde jusqu'en 1927 (Chine).
Les conséquences de l'entrée dans la période de "guerres et révolutions" étaient synthétisées dans les positions sur lesquelles était fondée l'Internationale Communiste en 1919 : les réformes ne sont plus possibles, partout la révolution prolétarienne est à l'ordre du jour. Parlementarisme, syndicalisme, fronts avec des fractions bourgeoises, tout cela était valable dans la période précédente, celle de l'ascendance du capitalisme, et est maintenant dépassé. Un parti de masse, tel que la social-démocratie, n'est plus adapté à la nouvelle période dans laquelle la conviction et la clarté politique d'une petite avant-garde est déterminante.
Fondation du P.C.B. : défense du marxisme contre l'opportunisme de la social-démocratie
Le Parti Ouvrier Belge (POB), section de la IIème Internationale, s'est toujours montré très conciliant avec la bourgeoisie, malgré que ce soit justement en Belgique que, au début du siècle passé (1902), la première grèves de masse radicale se déclenchait, annonciatrices du nouveau type de luttes qui sera développé plus tard en Russie en 1905 et 1917. Néanmoins, pendant la première guerre mondiale, à partir de 1916, surgissent également en Belgique des groupes à la gauche du POB, dans les Jeunes Gardes Socialistes à Gand, Anvers, Bruxelles, Liège, Charleroi, etc. La résistance à la guerre en constitue le premier motif, mais très vite, la révolution russe devient pour eux le phare vers lequel ils s'orientent. Progressivement, ils arrivent à des positions marxistes et ils essaient de se regrouper. En 1920, le Parti Communiste Belge (PCB) est fondé. Il défend les positions du second congrès de l'IC, sauf au niveau du parlementarisme, où l'IC, malgré la résistance des partis ouest-européens, a déjà fait un pas en arrière. Le PCB reste avec ferveur anti-parlementaire.
Il y avait également une minorité d’ "hésitants" au sein du POB, les "socialistes minoritaires" groupés dans "Les Amis de l'Exploité". Pendant la guerre, ils avaient seulement insisté sur la tenue d'une "conférence de paix" avec les sociaux-démocrates allemands à Stockholm (c'est-à-dire tenter de ranimer le cadavre de la IIème Internationale). Ils n'étaient pas très enthousiastes pour la révolution russe. Leur critique des dirigeants sociaux-démocrates avait le ton radical, mais en pratique, ils ne proposaient rien à la place. Ils voulaient en fait revenir au programme du POB d'avant la guerre, celui de Quaregnon (15 juillet 1894).. C'étaient des centristes typiques : critique radicale des leaders couplée au colmatage des brèches dans la social-démocratie, toujours sous prétexte de "ne pas perdre le contact avec les masses". En 1921, ils ont enfin accepté de rompre avec le POB. Mais parce qu'ils estiment que le PCB existant est sectaire, n'est pas un parti pour l'action de masse mais un regroupement de 4 ou 5 groupes de propagande, plutôt anarchisant que communiste, ils fondent un deuxième Parti Communiste.
La révolution se faisant attendre dans d'autres pays que la Russie et, après les défaites en Allemagne, Italie, Hongrie, l'IC remet de plus en plus en question les positions 'radicales de son premier congrès. Elle prône la fusion avec la gauche de la social-démocratie. En Belgique également se réalise en 1921 la fusion des deux partis, dans laquelle les positions radicales, marxistes du premier PCB sont mises sous le tapis. Au fur et à mesure que l'IC dévie vers des positions opportunistes et que la révolution russe s'embourbe dans son isolement, les vieux "Amis de l'Exploité" deviennent de plus en plus enthousiastes, alors que les marxistes se font de plus en plus critiques à propos de l'évolution en Russie.
Les fractions de la gauche communiste : faire le bilan marxiste de la dégénérescence de la révolution russe
Des choix déchirants doivent être faits parce que la révolution mondiale se fait attendre : paix avec l'Allemagne à Brest-Litovsk, communisme de guerre, "Nouvelle Politique Economique". Dans un contexte d'isolement de la révolution, le Parti Bolchevik tend de plus en plus à se substituer à la classe, et à fusionner avec l'Etat, un processus qui a mené à l'écrasement de l'insurrection de Kronstadt en 1921. L'IC joue également un rôle de plus en plus douteux dans les soulèvements ouvriers dans les autres pays (actions putschistes du KPD en Allemagne se soldant par un bain de sang, alliances avec la bourgeoisie des "peuples opprimés"). Ces développements suscitent une discussion continue, tant chez les bolcheviks mêmes que dans les autres partis du Comintern. Des groupes d'opposition se forment contre les positions et décisions que le PCUS en tant que "parti d'Etat" est contraint de prendre et qui vont mener à sa stalinisation. En 1921, les groupes d'opposition en Russie sont interdits. Les communistes de gauche hollandais et allemands (KAPD) sont exclus de l'IC. Ceux-ci mettent toutes les erreurs faites en Russie sur le dos du parti bolchevik. Les expressions les plus extrêmes, de la gauche allemande (précurseurs du courant "conseilliste") rejetteront le parti comme un mal inutile (ce qui n'était certainement pas la position du KAPD au premier congrès de l'IC). Ils vont si loin dans leur critique qu'ils rejettent la révolution russe comme non prolétarienne. En 1922, Gorter et cie. fondent l'Internationale Communiste Ouvrière (KAI) mort-née.
Tout comme dans les autres partis communistes, la Russie est au centre des discussions dans le PCB. Le courant marxiste dans le PCB respecte la discipline de parti et désapprouve même la publication de textes "officieux" de l'Opposition russe (autour de Trotski, et de ses "Leçons d'Octobre" etc.). Le PCB se limite à demander "plus d'information" à Moscou.
Ce n'est qu'au début de 1928, quand Trotski et ses amis ont déjà été exclus du PCUS et que Staline a définitivement abandonné, avec la théorie du "socialisme dans un seul pays", l'internationalisme prolétarien du PCUS, que le débat sur la Russie est ouvert dans le parti belge. Au nom de la minorité marxiste, War van Overstraeten démontre le glissement vers la droite du PCUS : à propos de la révolution chinoise (où les communistes et les ouvriers révolutionnaires de la Commune de Shanghai en 1927 ont été livrés par l'IC à la répression sanglante du Kuomintang nationaliste), à propos de la lutte contre les paysans koulak, mais surtout sur le "socialisme dans un seul pays". Il demande la réintégration des oppositionnels dans le PCUS, mais continue à s'opposer à l'activité de fraction. Son rapport est rejeté et, l'un après l'autre, les leaders de la minorité seront exclus du parti.
L'opposition se regroupe à côté du PCB et se demande ce qu'il faut faire : former un deuxième parti (ce qui implique qu'on considère que le vieux parti n'est plus ouvrier et que la Russie ne connaît donc plus un régime prolétarien), oeuvrer pour le redressement du PCB en demandant d'être réintégrés, ou bien former une fraction du parti. L'opposition belge est beaucoup moins claire sur cette question que la fraction italienne ("Fraction Italienne de la Gauche Communiste", qui publie Bilan à partir de 1933). A la différence des groupes qui fondaient précipitamment un nouveau parti ou même une nouvelle Internationale, la gauche italienne procédait toujours avec méthode. Tant que l'Internationale n'est pas morte, et qu'il y subsiste encore un souffle de vie, elle continue à y travailler. Sa conception de l'organisation est unitaire, la scission est pour elle un mal qu'il faut éviter, pour ne pas disperser les forces qui tendent vers une organisation centralisée internationale. C'est seulement lorsque la mort de l'Internationale est assurée, qu'elle envisage de se constituer en organisme autonome. La constitution du parti passe d'abord par la fondation de la fraction de l'ancien parti qui maintient son ancien programme révolutionnaire, et c'est seulement lors de bouleversements révolutionnaires qu'elle se proclame parti. C'est la tâche de la fraction de tirer sans préjudices le bilan des expériences révolutionnaires de l'après-guerre afin de préparer la classe aux nouvelles confrontations.
En 1935, Bilan arrive à la conclusion "Qu'en 1933 s'est clôturée définitivement, par la mort de la III' Internationale, la phase où se posait l'éventualité de la régénérescence de l'IC grâce à la victoire de la révolution prolétarienne dans un secteur du capitalisme (..) Que les partis centristes, encore organiquement liés au cadavre de la IIIème Internationale, opèrent déjà dans le concert de la contre-révolution" et "Que la fraction de gauche affirme clôturée la phase envisagée en 1928, quant à une possible régénérescence des partis et de l'IC (...). " (Bilan no. 18, avril-mai 35)
L'Opposition Internationale de Trotski se désintéresse de l'objectif que se donne la Fraction Italienne, faire un bilan approfondi de l'échec de la vague révolutionnaire. De profondes divergences apparaissent bientôt dans l'opposition : sur la question du parti (redressement ou nouveau parti), sur la caractérisation du régime en Russie (prolétarien ou capitaliste d'Etat), sur l'attitude vis-à-vis du fascisme montant en Allemagne. Tant la gauche belge qu'italienne se heurtent au refus de Trotski de discuter avec eux. La fédération de Charleroi (avec Lesoil) quitte l'opposition belge avant que ne soit conclu le débat sur la nature impérialiste ou non de la politique russe envers la Chine (l'attaque par l'Armée rouge qui voulait s'emparer du chemin de fer de Mandchourie en 1929) et elle adhère à l'Opposition Internationale de Trotski. Ceux qui restent (avec Hennaut) forment en 1932 la Ligue des Communistes Internationalistes (LCI) qui constitue une communauté de travail avec le groupe Bilan en Belgique.
La grande divergence entre les deux organisations est la question du fascisme. Pour Bilan, il n'y a pas d'opposition fondamentale entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. Au contraire : le pire produit du fascisme est justement l'anti-fascisme, analyse confirmée en 1936 par la période du Front populaire en France : "Sous le signe du Front populaire, la "démocratie" est parvenue au même résultat que le 'fascisme" : l'écrasement du prolétariat (...) " en vue de la 2e guerre mondiale (Bilan no. 29, mars-avril 36).
Les événements dramatiques de la guerre en Espagne vont amener des ruptures au sein des deux organisations. La majorité de Bilan considère que l'Espagne est le prélude d'une deuxième guerre mondiale et appelle au défaitisme révolutionnaire. La majorité de la LCI appelle les ouvriers à lutter contre Franco pour ensuite balayer les restes du gouvernement républicain et prendre eux-mêmes le pouvoir. Patiemment, Bilan critiquait la LCI qui prétendait pouvoir "dépasser la phase antifasciste pour arriver au stade du socialisme ; ", alors que Bilan écrivait : "pour nous il s'agit de nier le programme de l'antifascisme, car sans cette négation la lutte pour le socialisme devient impossible" (Bilan no. 39, jan-févr. 39). La minorité de la LCI (avec Mitchell) fonde en avril 37 la Fraction Belge de la Gauche Communiste Internationale, sur les mêmes positions que la fraction italienne.
Le P.C.B. devient un parti du capital national
A partir de 1933, l'anti-fascisme est la mystification centrale du PCB, avec laquelle il fournit une contribution non négligeable à la mobilisation des ouvriers pour la deuxième guerre mondiale et à l'apaisement des luttes ouvrières "pour ne pas jouer la carte du fascisme ". Contrairement au POB, le PCB réussit à maintenir les luttes insurrectionnelles de 1935 et 36 sous contrôle pour la bourgeoisie. Pendant un court moment, lors du pacte de non agression germano-russe, le PCB prône la neutralité belge, mais pour le reste il est, avant et pendant la guerre (dans la résistance), un farouche défenseur du capital national. Il en est remercié après la guerre par quelques postes de ministre.
Depuis, dans les rares lieux où il pouvait encore exercer une influence sur les ouvriers (port d'Anvers, mines et sidérurgie wallonnes), il a continué, dans les syndicats et à la gauche du PSB (Parti Socialiste Belge), à être le fidèle défenseur des intérêts de la bourgeoisie belge en maintenant le contrôle sur les actions de grève. Dans des pays tels que la France ou l'Italie, où la social-démocratie est plus faible, le Parti Communiste a eu l'occasion de montrer clairement qu'il n'est pas seulement la "cinquième colonne" de l'impérialisme de Moscou, mais en premier lieu une fraction fiable de la bourgeoisie nationale (comme l’ont démontré le "compromis historique" en Italie ou le "Front commun" en France).
Depuis 1933 au plus tard, le PCB est le parti de la contre-révolution stalinienne. Bien qu'elle était majoritaire en 1928 en Belgique, l'opposition n'a pu conquérir le parti. Le flambeau du "parti d'octobre 17" est alors passé dans les mains de la Gauche Communiste Internationale. Et ses successeurs créeront demain de nouveau le parti de la révolution.
Octobre 2021 / Sur la base d’un article paru dans Internationalisme 188