“Un désir de communisme” de Bernard Friot et Judith Bernard: Un vulgaire désir de stalinisme!

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Récemment paru, le livre d’entretiens entre le sociologue Bernard Friot (1) et la syndicaliste enseignante (encartée à SUD-Éducation), également présentatrice d’émissions de télévision, Judith Bernard, s’intitule : Un désir de communisme. Ce livre et ses auteurs entendent poser la question du communisme sous un jour particulier, celui du « salaire à la qualification personnelle », indépendant de l’ancienneté et de la loi du marché, et garanti à vie. Ce salaire serait payé par des cotisations sur le principe de la Sécurité sociale : il s’agirait de reprendre le principe « révolutionnaire », selon Friot, de la Sécurité sociale et de l’étendre en versant à tous un salaire sur la base des qualifications que chacun possède individuellement, validées par un « jury » composé de syndicalistes, sur le modèle des négociateurs des conventions collectives. Le principe de cette rémunération serait indépendant même de la réalité d’un travail, il existerait de droit. Les salaires seraient versés par une « caisse de salaires », et l’investissement serait réalisé par des « caisses d’investissement », également financées par des cotisations, « instances où de la monnaie est disponible pour financer les investissements dans les entreprises » en les subventionnant, sans crédit.

Une falsification nationaliste du communisme

Tout au long de l’ouvrage, les auteurs n’envisagent de développer leur programme « communiste » qu’à l’échelle de la France, sous l’angle strictement national. L’internationalisme prolétarien n’est pourtant pas une option pour les communistes : il est, au-delà des divisions nationales que lui impose la bourgeoisie, l’affirmation du caractère unitaire du prolétariat, la base de ce qui constitue la grande force de la classe ouvrière : son unité. Dans ses Principes du communisme (1847), à la question : « Cette révolution se fera-t-elle dans un seul pays ? », Engels répondait : « Non. […] Elle est une révolution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel ». Ce que Friot et Bernard nous proposent n’a rien à voir, ni de près ni de loin, avec le communisme. C’en est une falsification pure et simple et une négation : les frontières nationales sont un héritage politique, économique et social de la bourgeoisie, les nations sont nées quand la bourgeoisie est devenue la classe dominante, le rôle de la révolution prolétarienne est donc de les détruire !

On peut constater ainsi qu’ils s’opposent complètement à la vision développée par le mouvement ouvrier de la société communiste, et dans ce cadre, ce qu’ils appellent « communisme » n’est rien d’autre qu’une actualisation de la mystification et du verbiage staliniens, qui proclamait « la construction du socialisme dans un seul pays ».

Un « communisme » très capitaliste…

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on est, dans cet ouvrage, très loin de ce qu’est le communisme : une société sans classe où l’économie et la loi de la valeur laissent la place à la « libre administration des choses » (Marx). Friot et Bernard se disent, d’ailleurs, résolument opposés à une société future sans classes, qualifiée « d’illusion magique », de la même façon qu’ils s’affirment contre une société « sans valeur économique, sans monnaie, dans laquelle il y aurait une transparence des valeurs d’usage ».

Le système que Friot nous décrit est un système salarial à visée égalitaire, même si c’est en fonction des « qualifications personnelles » ; des « jurys » détermineraient le niveau de qualification des salariés, leur offrant un revenu à vie en fonction de ce qu’ils savent faire pour se rendre utiles à la société, y compris en cas de non-activité. Nous sommes au regret d’apprendre à M. Friot que le Capital fait très bien la même chose : les DRH sont là pour ça !

Mais attention !, nous dit M. Friot : la logique n’est pas celle du profit que l’on peut tirer d’un salarié, mais de son utilité pour le bien commun. Ce que cela change n’est d’aucun intérêt pour la classe ouvrière : que la logique de l’exploitation salariale soit une « qualification » pour le bien de la société toute entière ou pour le plus grand profit de l’économie nationale, l’exploitation par le salariat est ce qui définit le caractère de classe exploitée du prolétariat ! Lorsque les exploits de Stakhanov étaient mis en scène par le capital national « soviétique », c’était aussi soi-disant « pour le bien commun » du « paradis des travailleurs » ; mais dans la réalité, ça n’a jamais, à aucun moment, amélioré la condition du prolétariat russe. Au contraire ! La seule qui a profité de cette mise en scène de la surexploitation ouvrière, c’est la bourgeoisie « soviétique », qui a utilisé Stakhanov pour augmenter drastiquement les normes de productivité en URSS !

Du reste, Friot n’est aucunement opposé aux « gains de productivité », qu’il considère comme « [n’ayant] pas d’effet négatif sur la qualification et le salaire des personnes », puisque le salaire qu’il envisage serait garanti à vie. Ce que cette affirmation contient n’est rien d’autre qu’une falsification de ce qu’est le salaire, puisque la bourgeoisie peut tout à fait, elle aussi, augmenter la productivité sans baisser les salaires : l’augmentation de la charge de travail, le chronométrage, les heures supplémentaires obligatoires et l’accélération des cadences sont des moyens que la bourgeoisie utilise constamment pour augmenter la productivité de la classe ouvrière sans toucher formellement aux salaires. Là encore, l’exemple de Stakhanov et son utilisation par la bourgeoisie russe pour intensifier la productivité du prolétariat en URSS et ailleurs montre qu’il est totalement mensonger d’affirmer que c’est sans « effet négatif » sur les conditions de vie et de travail des prolétaires !

La nostalgie de l’âge d’or du stalinisme…

Tout le système relooké par Friot évoque irrésistiblement ce qui existait en URSS et dans les Pays de l’Est jusqu’à l’effondrement de ce capitalisme d’État caricatural : salaire à vie, dont le montant était basé sur des critères étrangers au marché (ce qui aboutissait au fait qu’un ouvrier était mieux payé qu’un ingénieur), prise en charge de tous les aspects sociaux de la vie par les instances étatiques en grande partie gérées par les syndicats, les salariés ayant la propriété théorique du capital (comme dans les kolkhozes et les coopératives « soviétiques »). La seule différence est que Friot nous affirme qu’il est pour la disparition de l’État ; mais vu qu’il nous assène à côté de ça, « qu’il n’y a, effectivement, aucune possibilité de faire une société sans une violence concernant ce qui vaut », et qu’« il y a forcément des conflits aussi entre l’entreprise et les caisses d’investissement, entre l’entreprise et les caisses de salaire, il y aura tout une série de conflits » dans sa société « communiste », nous pouvons être sûrs d’une chose, c’est que dans le capitalisme stalino-syndical que nous vante Friot, il y aura nécessairement un État ! Qu’il nous affirme en même temps et de façon totalement contradictoire qu’ « il faut qu’une puissance publique impose qu’on ne fasse pas telle ou telle chose, ou au contraire promeuve telle ou telle chose » (sans nous dire qu’il s’agit d’une définition de l’État) et « je suis pour le dépérissement de l’État », n’est qu’une démonstration de plus du maquillage et de la falsification qu’il nous propose !

Se revendiquant du « Programme du Conseil National de la Résistance » porté notamment par le PCF, Friot considère que la Sécurité sociale est l’outil d’émancipation de la classe ouvrière. (2) Pour les révolutionnaires, la création de la Sécurité sociale n’a jamais rien eu de prolétarien, et 1945 est une année noire, de défaite idéologique totale, pour la classe ouvrière mondiale, et pas seulement française : le prolétariat est alors partout embrigadé dans la défense nationale, derrière l’État capitaliste et la bannière de l’antifascisme. La création de la Sécurité sociale a permis de réaliser un vieux rêve de la bourgeoisie française, contre lequel la classe ouvrière s’est longtemps battue, comme lors des grandes grèves du Creusot en janvier et mars 1870 : la mainmise de la bourgeoisie sur les caisses de secours ouvrier, la récupération par le Capital de la solidarité ouvrière à ses propres fins d’exploitation. (3)

C’est de cette période noire pour les exploités que Bernard Friot et Judith Bernard sont en fait nostalgiques, lorsque la classe ouvrière devait « retrousser ses manches », sous le talon de fer de la bourgeoisie et notamment du tandem PCF/CGT, trimait sans fin pour reconstruire l’économie nationale, pour le plus grand profit de la bourgeoisie toute entière et de l’impérialisme français, lequel allait donner sa mesure en Indochine, en Algérie et ailleurs(4). Tout leur livre n’est qu’une apologie du stalinisme, du totalitarisme étatique contre la classe ouvrière, une défense d’un capitalisme prétendu « social » contre la lutte de la classe ouvrière pour son émancipation de l’esclavage salarié et de la tutelle de l’État.

Toute l’histoire du mouvement ouvrier est une lutte constante pour une société sans classes ni exploitation, pour la disparition de l’économie de pénurie, de la loi de la valeur et pour la satisfaction des besoins humains. Ce que les auteurs nous proposent, c’est de remettre au goût du jour l’économie capitaliste étatisée telle que le stalinisme nous l’a toujours vantée. C’est non seulement la nostalgie de la pire période de la contre-révolution, mais aussi une falsification éhontée de ce qu’est le communisme : l’émancipation de la classe exploitée, la fin des frontières, des nations, des États, de l’économie de marché, de la loi de la valeur et du travail salarié, sous toutes leurs formes.

HD, 22 novembre 2021

 

1 Bernard Friot est membre du PCF et de la CGT se revendiquant également chrétien.

4 Sur la politique menée par le tandem PCF/CGT à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lire dans notre brochure Comment le PCF est passé au service du Capital : « Le PCF au gouvernement défend le capital national contre la classe ouvrière (1944-1947) ».

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