Quand l’ignorance de l’histoire conduit à la calomnie

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Dans le dernier numéro de "Révolution Internationale", nous avons répondu à la première affirmation de la Communist Workers Organisation[1] (CWO) : "Trotsky est passé dans le camp bourgeois en 1935 avec sa politique d’entrisme dans la social-démocratie" avec pour corollaire que "cette position, sur Trotsky, a déjà été défendue dans les années 30 par la Fraction italienne de la gauche communiste"[2]. Nous avons rappelé les raisons qui font que Trotsky a été assassiné en 1940 avant le début du déchaînement de la guerre impérialiste sans avoir trahi la classe ouvrière. Dans cet article nous répondrons à la deuxième affirmation de la CWO qui porte sur notre camarade "Marc"[3].

Voici ce qui dit Workers Voice (numéro 52), dans son article à propos d’un meeting du CCI sur la Gauche Communiste Italienne :

  • «Aussi pourquoi le CCI a-t-il ouvert cette porte ? (la défense de Trotsky comme militant révolutionnaire durant sa vie entière malgré ses graves erreurs). Bien, nous sommes convaincus que ce n’est pas pour engager un regroupement avec les trotskistes (c’est le CCI qui nous l’a dit) mais pour baptiser la carrière politique de leur fondateur. Il était après tout un trotskiste avant de rejoindre la Gauche Communiste et il a continué ses contacts après la deuxième guerre mondiale. Mais alors, son expulsion de la Gauche pour «trotskisme» allait s’envenimer longtemps après. Marc est mort le 20 décembre 1990. Nous avons retracé sa biographie sans faire une critique (par contre nous avons critiqué d’autres groupes politiques pour les réponses fielleuses qu’ils ont faites contre ce dernier qui, quelles qu’aient été ses erreurs, est resté fondamentalement toute sa vie un révolutionnaire). Maintenant cependant, il semble que le CCI fait de cette carrière une icône, comme pourrait le faire une véritable Eglise avec des croyants. Nous considérons que cette attitude est un bien plus grand danger pour sa santé politique future que toutes les dénonciations qu’il dirige contre nous».

Voilà bien la véritable argumentation tordue de la CWO : notre défense de Trotsky sert en fait à justifier le parcours politique du camarade Marc. D’après la CWO, ce camarade provenait de l’Opposition de gauche et aurait en conséquence, eu des "tentations" trotskistes. Et ce "prétendu" trotskisme a pour but de critiquer les fondements du CCI à travers le camarade Marc. On peut mesurer l’aspect tordu et le caractère sordide d’une telle accusation. On quitte tout à fait le terrain du débat politique. La CWO, qui n’a jamais cessé de clamer que le CCI a recours à des méthodes non "fair play" dans ses polémiques au point que cela ne vaut pas la peine de débattre avec lui, devrait sérieusement réfléchir sur ses propres méthodes. Considérons simplement l’"argument" que la CWO nous met dans la bouche : Marc était un "trotskiste"; Trotsky mourut en tant que militant prolétarien; par conséquent Marc est "une icône sacrée".

Tout ce fatras serait imbécile s’il n’était, en sus, complètement faux. Il disqualifie malheureusement la CWO qui agit de façon aussi bête et irresponsable que le font des groupes parasites qui jouent sur le principe "calomnions, calomnions toujours, il en restera quelque chose !"

Le prétendu "trotskisme" de Marc

Il est vrai que Marc a été dans l’Opposition de gauche internationale puisque il a adhéré à la "Ligue communiste" à la fin des années 20 après avoir été dans le groupe du "Redressement communiste" avec Treint et Barré. Mais à cette époque, personne parmi les révolutionnaires ne parle de "trotskisme" pour qualifier les groupes de L’"Opposition de Gauche Internationale". L’Opposition de gauche de cette époque ne s’identifiait pas du tout à Trotsky et encore moins au "trotskisme". C’était un mouvement très hétérogène qui, à côté d’autres sortes de groupes confus notamment "la Gauche communiste allemande" de Kurt Landau ou "espagnole", contenait beaucoup d’éléments qui étaient plus ou moins sur les positions de la "gauche communiste italienne" comme "l’Opposition communiste belge". Quand on parlait des groupes qui épousaient les positions de Trotsky, à l’époque, il était question de "l’Opposition de Gauche russe". On voit bien qu’on faisait la distinction entre Trotsky et les groupes oppositionnels de gauche.

Marc était certainement parmi ceux qui se situaient plus près de la "Gauche communiste italienne" comme on peut le constater dans nos articles à sot sujet dans les Revues Internationales 65 et 66. Et, en fait, la Fraction italienne se considérait elle-même comme faisant partie de ce milieu. Ainsi décrire Marc comme ayant été un trotskiste est particulièrement hors de propos.

Qui a créé le concept de "trotskiste" à l’époque ?

C’est Zinoviev, qui, le premier crée ce mot afin de resserrer les "vieux bolcheviks" (les bolcheviks d’avant 1917) autour de lui et de Staline et d’engager le combat en 1923 contre Trotsky pour, d’une part, le discréditer en rappelant son passé menchevik et, d’autre part, conquérir l’Internationale et le PCUS[4].

On mesure où va se vautrer la CWO en allant chercher de tels arguments staliniens.

Le véritable concept de "trotskisme" naît après l’assassinat de Trotsky, et il naît sur la base du "Programme de transition" de 1938, porté au bout de sa logique par les trotskistes au cours de la deuxième guerre mondiale impérialiste.

En fait, l’évolution politique de Marc a suivi de façon très proche celle de BILAN (organe théorique de la Gauche italienne): en 1936, quand il rompit avec "L’Union communiste", particulièrement sur la guerre d’Espagne, il trouva la cohérence qu’il cherchait précisément dans BILAN.

A ce moment-là un vaste gouffre s’était ouvert entre BILAN et Trotsky. Ainsi pour être exact, l’affirmation que Trotsky est une "couverture" pour le passé de Marc est impossible à soutenir: comme le reste de la Gauche communiste, Marc combattit bec et ongles contre toutes les positions fausses de Trotsky pendant les années 30, et pendant la guerre d’Espagne. Ce sont précisément des camarades comme Marc qui reconnurent durant la deuxième guerre mondiale que les épigones de Trotsky avaient définitivement "franchi le Rubicon" pour passer dans le camp capitaliste.

L’expulsion de Marc de la fraction italienne pour "trotskisme"

En fait, la gauche italienne est redevable à Marc, comme à quelques autres militants, pour avoir poursuivi son travail et sauvé son honneur politique alors que le Comité central de la fraction à Bruxelles autour de Perrone (Vercesi) avait déclaré sa dissolution au début de la guerre.

L’honneur de la gauche italienne et la défense de l’internationalisme prolétarien reviennent à la Fraction italienne reconstituée en 1941 à Marseille autour de quelques camarades, Lecci, Stefanini, Tullio, etc. et Marc notamment.

Quant au tract signé avec des trotskistes pour le 1er Mai 1945, il s’agit d’un tract rédigé en commun avec les RKD[5] dénonçant la guerre impérialiste mondiale. Et l’"expulsion de la gauche" de Marc sous l’accusation de trotskisme, n’est qu’un exemple des falsifications politiques de la CWO et de la campagne de dénigrement contre Marc qui se développe à l’heure actuelle. La CWO est encore une fois prise la main dans le sac de la malhonnêteté. L’ignorance historique n’est pas une excuse, il faut s’informer avant de porter de telles accusations aussi graves.

Marc n’a jamais été exclu par la Fraction italienne et certainement pas pour "trotskisme".

La Fraction italienne décide de se dissoudre à sa conférence en mai 1945 et d’adhérer individuellement au Partito Comunista Intemazionalista. Immédiatement, à la lecture de ce document préparé en secret, Marc quitte la Conférence sur la base d’une déclaration car il estime que cet acte est irresponsable, la Fraction ne peut pas adhérer à un Parti dont on ne connaît pas encore le programme politique. «Ne voulant en aucune façon m’associer à l’acte de liquidation de la Fraction... Je déclare quitter la Conférence... Vive la fraction!» (Déclaration du25mai 1945 in Bulletin de la gauche communiste de France - Juin 1945). Le camarade Marc adhère alors à la "Fraction Française de la Gauche Communiste" qui vient de se créer. Marc n’est donc pas exclu puisqu’il a quitté un groupe qui s’est auto-dissout.

La Fraction italienne "dissoute" se "réveille" de nouveau pour publier un communiqué le 15 juin 1945 «excluant le camarade Marc pour indignité politique». Non seulement il est quelque peu bizarre qu’un groupe dissout exclue un membre en l’accusant d’indignité pour avoir lutté contre son auto-dissolution (!), mais encore force est de constater qu’il n’y a aucune exclusion pour trotskisme dans ce document. Où la CWO a pu comprendre qu’il y avait eu exclusion pour trotskisme? En fait c’est la jeune "Fraction française" qui a été critiquée pour "tendances trotskistes" dans le Bulletin de la Gauche italienne n°8 publié quelques temps avant sa dissolution.

Toutefois, il n’y a aucune concession au trotskisme dans le fait de rédiger un tract en commun avec des éléments en rupture avec le trotskisme sur la question essentielle de la guerre impérialiste. C’est même une attitude militante que nous soutenons.

Le "Parti Communiste International" formé en Italie à la fin de la guerre n’a même pas justifié la rupture des relations avec la Fraction française sur la base que celle-ci aurait pris en charge un travail commun avec des "trotskistes"[6].

Qu’a fait le Parti Communiste Internationaliste? A-t-il été très ferme sur les principes? Non, il n’a pas exclu le camarade Marc. Il a pris une résolution opportuniste le 4 novembre 1945 «Sur la dissidence en France. (...) 1° le Parti affirme qu’il tiendra des relations internationales qu'avec une seule fraction de gauche dans chaque pays, (..) 2° Invite en conséquence la fraction française à résoudre le problème de la dissidence...». En fait le Parti ne prend aucune décision claire, il biaise et renvoie la décision aux autres fractions, (notamment à la fraction belge et française). Quel courage!

En revanche, nous pourrions rappeler à la CWO, la position de la fraction belge de la Gauche communiste qui veut publier un journal avec les trotskistes. Et qu’en est-il de Romeo Mangano, Messieurs nos accusateurs ?

Mangano, ancien secrétaire de la Fédération des Pouilles du PCI dans les années 20, au sortir de la guerre se remet à militer et fonde en 1945 le POC (Parti Ouvrier Communiste-bolchevik-léniniste) avec Nicolas Di Bartolomeo "Fosco", et des trotskistes[7]. Ce parti adhère à la IV° Internationale et devient sa section italienne, avant d’en être exclu à son 2ème congrès mondial en avril 1948. Quelques années plus tard, Mangano adhère au Parti Communiste Internationaliste (Battaglia Comunista); nous ne connaissons aucune des critiques qui lui ont été faites sur ces inconséquences passées. Mais peut être existent-elles? Nous ne pouvons que réclamer à la CWO -qui est si prompte à critiquer des faits inexistants- qu’elle demande des explications au Parti Communiste Internationaliste -avec lequel elle est liée au sein du BIPR- sur cette politique d’entrisme trotskiste.

Quant aux prétendus "icônes du CCI", nous ne les avons pas rencontrées. Notre camarade Marc a eu toute sa vie une politique révolutionnaire qui est allée vers la recherche de la clarté maximum et de la transparence dans ses actes politiques. Il s’est quelques fois trompé, nous le reconnaissons, comme lui-même d’ailleurs le reconnaissait, car nous ne pensons pas que les révolutionnaires soient infaillibles. Mais, au-delà de l’individu Marc, c’est ce qu’il représente que la CWO cherche à bafouer: un maillon essentiel dans la défense de la continuité organique des positions de classe entre la GCF et les organisations révolutionnaires d’aujourd’hui. C’est pour cela que, s’il est une chose que nous ne pouvons laisser passer, c’est la malveillance et l’ignorance de la CWO dans cette dernière polémique.

Eymeric.


[1] Communist Workers Organization - BM Box - London WC1N3XX.

[2] Pour une histoire de la Gauche communiste italienne en exil (1928 - 1945) lire la brochure du CCI qui y est consacrée.

[3] Pour connaître l’histoire de ce militant, voir Revue Internationale du CCI n° 65 et 66.

[4] cf. brochure du CCI : Le trotskisme contre la classe ouvrière.

[5] Les RKD ou Communistes Révolutionnaires d’Allemagne étaient un regroupement des éléments autrichiens qui s’étaient opposés à la fondation de la IV° Internationale en 1938 à Périgny et de révolutionnaires allemands. En 1944 ils possédaient encore beaucoup de positions trotskistes mais, sur la question essentielle de la nature de la guerre impérialiste, ils possédaient la même position que la Fraction italienne regroupée à Marseille.

[6] Cette accusation était particulièrement hypocrite en ce qu'elle provenait d’un "parti" que la tendance de Marc au sein de la Gauche communiste avait précisément critiqué parce qu’il s’était formé sur des bases hautement opportunistes: incluant la "minorité" de la Fraction qui avait participé aux milices du POUM pendant la guerre d’Espagne et de Vercesi qui avait fondé un Comité antifasciste à Bruxelles en 1945. Au départ ce parti avait été impliqué dans des rapports extrêmement ambigus avec les résistants bourgeois en Italie et avait écrit des "lettres ouvertes" aux staliniens. Mais nous pouvons rappeler d’autres faits que la CWO, grande inquisitrice des faits et gestes du CCI ne devrait pas ignorer: la fraction Belge de la Gauche communiste en 1945 a proposé un journal théorique en collaboration avec les trotskistes belges. Et plus tard, les descendants de ce groupe- aujourd’hui Battaglia Comunista ont aussi tenté de débattre avec l’IS de Tony Cliff et le groupe français "Lutte ouvrière" dans les années 1970.

[7] Déclaration de Mangano à A Peregalli : «nous crûmes utiles de nous mettre à leurs côtés pour la possibilité que nous donnait une organisation internationale».

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