Soumis par Révolution Inte... le
Des salariés précaires payés au lance-pierre, une armée de livreurs “auto-entrepreneurs” travaillant à des cadences délirantes, des milliers d’emplois détruits dans le “petit commerce”, le travail de nuit systématique, les licenciements abusifs pour ceux qui “ne font pas l’affaire”, une logistique ubuesque en totale contradiction avec les prétendues velléités écologiques des gouvernements… Amazon, l’une des entreprises les plus puissantes du monde, est à l’image du système capitaliste dans lequel elle s’est développée : un ogre d’exploitation ! Suite aux nouvelles implantations d’entrepôts en France, un certain nombre de partis de gauche et d’ONG sont partis en guerre contre le mastodonte du e-commerce pour alerter sur les dangers du “monde selon Amazon” : “Amazon est devenu l’acteur incontournable de la vente en ligne : symbole de notre société de consommation, rien ne semble pouvoir arrêter le développement du géant américain, et ce au détriment de l’emploi, de l’environnement et du climat. Mais c’est sans compter la détermination des citoyen.nes à changer nos modèles de consommation…” (1) C’est ainsi qu’ATTAC, suivi par Les Amis de la Terre, EELV, La France insoumise, les gauchistes du NPA et de LO, notamment, occupent le terrain médiatique et prétendent mener un grand combat contre la société de consommation et la précarité. Qu’en est-il exactement ?
Les partis et les associations de gauche se sont fait une spécialité de dénoncer les “dérives” de tel ou tel exploiteur, particulièrement quand ils ne sont pas “nationaux” et surtout s’ils sont américains (les vieux réflexes de la défense de la “patrie du stalinisme” contre l’adversaire américain ont la vie dure !). En 2008, alors que la crise économique s’approfondissait davantage, les mêmes organisations expliquaient que les fautifs n’étaient autres que les traders, la finance folle ou les paradis fiscaux. Aujourd’hui, Amazon incarne à leurs yeux la précarité et la destruction des “emplois français”, à la différence du “commerce traditionnel” (parce qu’il n’y a pas d’exploitation chez Carrefour ou à la supérette du coin, comme chacun sait !). Pour remédier à ces “dérives”, il faudrait fermer les frontières nationales aux requins étrangers, pour les uns, ou mieux distribuer la richesse, pour les autres. En une phrase : rendre le capitalisme plus juste, ce qui passe bien entendu par la défense du capital national… pardon : des “emplois français” ! Il ne s’agit ni plus ni moins que de détourner les exploités de la lutte de classes contre le capitalisme, par une haine ciblée contre des personnes ou acteurs qu’il suffirait de mieux contrôler pour rendre, comme ils disent, la société plus “soutenable”. C’est dans cette perspective que ces cliques politiques bourgeoises tentent de remplacer les revendications ouvrières par la lutte de classes au profit de luttes “citoyennes”…
Pour s’en convaincre, il suffit de lister les quelques solutions qu’ils entendent apporter aux dérives d’Amazon.
À propos de l’impact écologique des entrepôts et de la logistique d’Amazon, après nous avoir expliqué comment la firme américaine utilise sa position dominante, écrasant tous ses concurrents sur son passage, les Amis de la Terre concluent “énergiquement” par cette formule : “nous aspirons à un changement de société profond, empêcher le développement du modèle Amazon est un impératif”. Quelle audace ! Comment les Amis de la Terre comptent-ils appliquer cet ambitieux programme ? En formulant des “demandes”, bien entendu ! La première est adressée au gouvernement : “le gouvernement doit stopper l’implantation de nouveaux entrepôts d’Amazon”. Rappelons que 19 projets sont actuellement en chantier… mais ça ne coûte rien de “demander” !
Les articles des Amis de la Terre dénoncent également le million de camionnettes de livraison qui circulent chaque jour et le fret aérien d’Amazon. Pour lutter contre ce fiasco écologique, ils ont là encore une demande citoyenne à formuler au gouvernement : “limiter le fret aérien des marchandises en arrêtant de louer des Boeing 767 pour les livraisons”. Et si Amazon fait son business avec l’avionneur européen Airbus, ça passe ? En réalité, la “demande” de ces (faux) Amis n’est qu’un vœu pieux ridicule : Amazon renoncerait à son profit en acceptant (on ne sait ni pourquoi ni comment) de ne pas développer sa propre flotte aérienne ? Et qu’en est-il des autres grosses firmes et de celles qui dévastent tout autant la planète ? Mais soyons rassurés car même le ministre français de l’économie a entendu la supplique des Amis de la Terre : il veut lui aussi lutter contre la trop grande influence des GAFAM ! Mais que le lecteur sur-consomateur qui à l’outrecuidance de commander ses chaussettes en ligne se rassure : le champion national du e-commerce, Cdiscount, pourra continuer à exploiter sa main-d’œuvre et construire ses entrepôts avec la bénédiction des Amis de la Terre et du gouvernement français.
Avec en tête les futures échéances électorales, les partis de gauche et organisations gauchistes ne sont pas en reste. Ils ont bruyamment apporté leur soutien à l’initiative “Stop au monde d’Amazon !” lancée par ATTAC (2) et eux aussi “demandent” une politique “volontariste” pour “faire payer les riches” ou en finir avec “la domination des trusts capitalistes” !
Ce que tous ces gauchistes ne disent pas, c’est que les entreprises privées et notamment les gros mastodontes que sont les firmes “transnationales” ne peuvent pas se développer si l’État ne leur prépare pas le terrain en amont sur le plan de la recherche fondamentale comme des infrastructures, qu’elles ne peuvent non plus exister sans les armes de la guerre économique que les États fourbissent pour défendre leurs entreprises nationales. Inversement, pour l’État, les grandes multinationales qui lui sont liées représentent bien souvent un secteur stratégique de l’économie nationale. Donc, en appeler à l’État et à sa “législation” revient quasiment à formuler une demande au bon vouloir des patrons eux-mêmes. Le prolétariat n’a rien à attendre d’une quelconque réglementation autour d’Amazon. Le capitalisme n’est pas réformable : il doit être détruit. C’est donc une imposture que de prétendre inverser le cours de la spirale infernale dans laquelle le capitalisme décadent s’enfonce par la simple bonne volonté de l’État qui n’est rien de moins qu’un “comité de direction” de la bourgeoisie.
À la recherche frénétique de rentabilité et de “rationalisation” de la production, plus le capitalisme s’enfonce dans la crise, plus il engendre des mastodontes comme Amazon, comme il sème de plus en plus le chômage, la précarité et la pauvreté. Toute la dégradation des conditions de vie du prolétariat n’est pas en soi le fait de l’existence ou non des monstres industriels et autres GAFAM. Les gauchistes déplorent les mauvaises conditions de travail chez Amazon. Quelle trouvaille ! Amazon exploite en effet sans vergogne ses salariés : bien évidemment, puisque l’économie capitaliste est fondée sur l’exploitation et la recherche de profit. Il en va de même pour toutes les entreprises, des plus petites aux plus grandes, y compris de l’État lui-même qui s’avère bien souvent le pire des patrons.
Derrière l’idée d’une prétendue moralisation du capitalisme au moyen de la lutte contre les GAFAM (que les mêmes appelaient les “multinationales” hier) se cache un double objectif non avouable :
– le soutien indéfectible à l’État capitaliste qui est le garant de l’exploitation ;
– la volonté de masquer ce que réserve ce système en crise : l’inévitable poursuite de la détérioration des conditions de vie de tous les prolétaires et un chômage massif.
Tant que le capitalisme régnera, l’exploitation et ses conséquences destructrices persisteront.
Ian, 25 février 2021
1) “Stop au monde d’Amazon !” sur le site internet Les Amis de la Terre.
2) “La contribution d’ATTAC aux pièges idéologiques de la bourgeoisie”, Révolution internationale n° 370 (Juillet – Août 2006).