L’ordre de l’État “démocratique” règne!

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Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse : voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment”. Rosa Luxemburg, Brochure de Junius (1915).


Un tabassage d’une brutalité inouïe contre le producteur de musique Michel Zecler a remis la violence policière sous les feux des projecteurs médiatiques, quelques jours après l’évacuation très musclée de migrants campant place de la République à Paris. S’agissait-il d’une intervention pour non port du masque anti-Covid ? Foutaises ! Ces flics se sont acharnés sur une personne noire en libérant toute leur hargne raciste, ce qu’ils imaginaient, encore une fois, pouvoir réaliser en toute impunité. Cette nouvelle exaction raciste s’est comme d’habitude conclue par un procès-verbal à charge contre Michel Zecler, immédiatement déposé sur le bureau d’un juge qui s’est empressé d’ouvrir une enquête pour : “violences sur personne dépositaire de l’autorité publique”. Les flics ont encore une fois toujours raison !

Mais les images de vidéosurveillance du studio de musique, où le producteur de musique s’était réfugié, ne souffrent aucune ambiguïté : les flics se sont défoulés pendant de longues minutes, sans aucun état d’âme, sur un homme esseulé appelant à l’aide, puis sur les personnes qui tentaient de s’interposer pour mettre un terme à l’agression. Face à ces cogneurs, la horde de leurs collègues assistant à la scène a laissé faire... car force doit rester à la Loi !

Les réactions de colère et d’indignation dans la population ont été immédiates et tout à fait légitimes. Comment accepter une telle violence de la part des forces de l’ordre sans réagir et protester ? La Loi “sécurité globale” du Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avec son lot de mesures ultra-répressives, avait déjà commencé à mettre le feu aux poudres, une loi couvrant, notamment, les violences et bavures policières puisqu’il s’agit d’interdire aux journalistes comme à tout “citoyen” de filmer les visages des flics tabasseurs. Ces films et ces photos pourraient, paraît-il, mettre en danger les policiers accomplissant leur “devoir” dans l’exercice de leur fonction. Tout contrevenant sera condamné à 45 000 euros et un an de prison ! Les flics auront donc davantage le champ libre pour cogner à tour de bras, en toute impunité et avec la bénédiction du gouvernement Macron et son Ministre Darmanin !

Les dernières violences policières ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le 28 novembre, d’importantes manifestations, dans toutes les villes du territoire français, ont été organisées par tous les défenseurs de la “démocratie” pour protester contre la Loi “sécurité globale”.

Le vrai visage de l’État démocratique

Ces épisodes de violences policières ne sont en rien une exception. Les contrôles et interpellations de la police républicaine, particulièrement contre les jeunes ou les immigrés, ne font jamais dans la dentelle : le mépris, les insultes racistes et les humiliations en tout genre sont quotidiens. En janvier 2020, c’est le livreur Cédric Chauviat qui meurt étouffé par un flic lors d’une interpellation à Paris. C’est Adama Traoré qui tombait lui aussi sous les coups de la police en 2016. C’est le jeune Théo qui était violemment agressé et mutilé lors d’une interpellation en 2017. Nous pourrions multiplier les exemples… Une telle sauvagerie n’est plus épisodique : elle témoigne de la banalisation des répressions musclées, provoquant un accroissement des tensions sociales avec l’État.

Ces exactions, ces actes barbares, quand ils ne sont pas simplement niés, passés sous silence ou transformés en actes de “légitime défense” de flics “victimes”, deviennent des bavures, des dérapages d’une “minorité de flics délinquants” et racistes qui “décrédibilisent l’institution policière”. La police républicaine, aux dires de la classe dominante et son gouvernement, ferait un travail remarquable au service de la protection des citoyens comme l’affirme Darmanin : “ceux qui déconnent sont sanctionnés, mais je me refuse à sanctionner l’intégralité des policiers de France”.

Ce travail “remarquable”, ce service public républicain, nous l’avons vu à l’œuvre à l’occasion du mouvement des “gilets jaunes” et ses 4 000 blessés, ses centaines d’éborgnés ou estropiés par des tirs de flash-ball et de grenades de “désencerclement”. Le 8 décembre 2018, par exemple, à Paris, la répression fut particulièrement violente : le commandement des CRS s’adressait à ses troupes en ces termes : “Si vous vous demandez pourquoi vous êtes entrés dans la police, c’est pour un jour comme celui-ci !… Vous pouvez y aller franchement, allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter ceux qui sont à votre contact, à proximité… Ça fera réfléchir les suivants”. (1)

C’est le même “ordre démocratique” qui fut invoqué lors des interventions musclées des flics dans les universités et dans les lycées au printemps 2020 ou lors du mouvement contre la réforme des retraites. La pandémie de Covid-19 a également été l’occasion pour le gouvernement de prononcer de grands discours sur le contrôle “nécessaire” des règles sanitaires par une police attachée soi-disant à défendre la vie de tous les “citoyens” et de tous les travailleurs exploités. En réalité, la bourgeoisie a profité de la pandémie pour faire un pas supplémentaire dans la répression, dans les quartiers, dans la rue, dans les transports, dans les manifestations. L’État démocratique montre donc de plus en plus son vrai visage en dépit des déclarations hypocrites de Macron, comme lors du “grand débat” suite au mouvement des “gilets jaunes” : “Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un État de droit”. Seules les dictatures militaires, staliniennes ou fascistes auraient le monopole de la répression ? Il n’en est rien ! Au contraire, l’État démocratique n’a rien à envier à ces dictatures en matière de maintien de l’ordre. Elle l’exerce d’ailleurs avec d’autant plus de cynisme et d’hypocrisie !

La police “républicaine” contre la classe ouvrière

La barbarie des forces de l’ordre “républicain” s’est toujours déchaînée contre la classe ouvrière. Souvenons-nous de la répression ignoble de la Commune de Paris en 1871, lors de la “semaine sanglante”, par les troupes versaillaises aux ordres de la IIIe République.

Souvenons-nous encore que, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944, les Compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont été créées en prévision des luttes que les exigences de productivité (imposées par la reconstruction) imposaient aux ouvriers. Les CRS connaîtront leur véritable baptême du feu lors de la répression implacable des grèves et des émeutes de 1947 à Renault, dans la fonction publique, dans les mines, sous la houlette du ministre de l’Intérieur “socialiste” Jules Moch et avec la contribution du PCF lui-même… C’est dans ce contexte que le slogan “CRS=SS” a été tagué par les “gueules noires” sur les murs des corons de mineurs. À leurs yeux, les CRS aux ordres de Jules Moch faisaient en effet le même sale travail que la dictature nazie dans la période de l’occupation. La “démocratie” de la “France libre” n’avait ainsi rien à envier à cette dernière ! (2)

Souvenons-nous encore qu’en octobre 1961, une manifestation pacifique d’Algériens avait été réprimée par le préfet Papon, fidèle serviteur du “socialiste” François Mitterrand, comme du régime gaulliste : trois morts reconnus officiellement ; près de 300 dans les faits !

Souvenons-nous également qu’en février 1962, la répression de la manifestation contre la guerre d’Algérie au métro Charonne à Paris causait neuf morts…

Et la liste est encore longue ! En Allemagne, c’était aussi la république démocratique de Weimar, gouvernée par les “socialistes”, qui avait écrasé dans le sang la révolution de 1918-1923. C’est cet État “démocratique” qui avait assassiné sauvagement Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et bon nombre de leurs camarades spartakistes. Contre tous ceux qui en appellent à une véritable police républicaine pour rétablir la confiance entre la population et les forces de l’ordre, Lénine écrivait : “l’État, c’est l’organisation de la violence destinée à mater une certaine classe”, la classe ouvrière. (3)

La bourgeoisie se prépare à réprimer les luttes ouvrières

Il n’y a rien à attendre du rétropédalage du gouvernement qui, suite aux manifestations “populaires” contre la “fascisation” de la police, s’est engagé à réécrire l’article 24 de sa Loi “d’insécurité” globale. Ne nous faisons aucune illusion : un nouvel article mieux ficelé sera rédigé pour renforcer l’appareil de répression de l’État ! Les autres articles de cette Loi ultra-répressive ne disparaîtront pas. La militarisation de la société se révèle d’ailleurs clairement par l’armement des polices municipales, la multiplication des caméras de vidéosurveillance dans les lieux publics, l’effort de modernisation de tout l’arsenal répressif : armes, blindés, renseignements…

Il s’agit clairement d’une adaptation de la bourgeoisie et de son État à la répression future des luttes de la classe ouvrière. Avec l’aggravation de la crise économique, de la misère et du chômage, le prolétariat et ses jeunes générations ne pourront que développer leur lutte pour défendre bec et ongles leurs conditions de vie. On peut être sûr que dans les futures manifestations ouvrières, la classe exploitée trouvera devant elle, encore une fois, tout l’arsenal policier de l’État démocratique.

La gauche monte au créneau dans une nouvelle campagne anti-fasciste

Les manifestations du 28 novembre dans toute la France exprimaient certes la colère face aux violences policières, mais aussi toutes les illusions sur la possibilité d’un État “vraiment démocratique” et d’une police plus “humaine”. Ces dizaines de milliers de “citoyens” indignés se sont donc retrouvés à battre le pavé aux côtés de tous les partis de gauche et d’extrême-gauche, aux côtés de la Ligue des Droits de l’Homme et d’Amnesty International.

L’appel à l’abrogation immédiate de cette Loi “scandaleuse et liberticide”, tel que le clame Mélenchon, n’est que la feuille de vigne derrière laquelle se cache une tentative d’embrigadement de la classe ouvrière derrière la défense de la démocratie bourgeoise. Toutes les gesticulations de la gauche dénonçant la “dictature” de l’État policier sous le gouvernement Macron, réclamant le rétablissement de la liberté d’expression pour les journalistes, sèment l’illusion d’une police non répressive ! Mais l’application de la gauche à réprimer la classe ouvrière dans le passé comme aujourd’hui ne laisse plus aucun doute. D’ailleurs, à l’image de son leader charismatique Mélenchon, la France insoumise ne s’en cache même pas : “on ne peut pas s’apprêter à diriger la France et avoir des lacunes sur cette question. Nous sommes pour l’autorité. Il n’y a aucune contradiction avec les idéaux de gauche”, “l’ordre républicain est un tout. Oui, il y a besoin de policiers, de répression. Il ne faut pas accepter la banalisation du crime”. (4) On ne peut être plus clair ! De gauche comme de droite, démocratique ou ouvertement dictatorial, la bourgeoisie continuera de réprimer son ennemie de classe !

En définitive, les cris d’orfraie de toutes les fractions de gauche et d’extrême-gauche de la classe dominante (comme le NPA), dénonçant l’autoritarisme du gouvernement Macron ou encore le danger d’une dérive fasciste, ne visent qu’à rabattre la classe ouvrière (particulièrement ses jeunes générations de lycéens, d’étudiants, de jeunes travailleurs…) derrière la défense de l’État démocratique. C’est à une échelle réduite, une resucée des campagnes antifascistes des années 1930 qui avaient permis au Front populaire d’embrigader la classe ouvrière dans la Seconde Guerre mondiale. Cette gauche “radicale” qui veut une police “propre”, cherche à encadrer, saboter la colère et la réflexion de la jeune génération prolétarienne, en lui tendant une fausse alternative sous deux variantes en réalité complémentaires :

– soit former un front “antifasciste” et affronter à chaque occasion les forces de l’ordre. Cette violence anti-flics de minorités anarchisantes (ou des bandes de black blocs faisant le jeu de l’appareil policier) n’a rien à voir avec le combat de la classe ouvrière contre le capitalisme. Les provocations, castagnes avec les flics et actes de vandalisme ne peuvent que justifier le renforcement de l’État policier.

– soit choisir ce qu’elle présente comme un “moindre mal”, celui de la résistance citoyenne pour la défense du “droit” républicain, face aux fractions les plus rétrogrades, autoritaires ou populistes de la bourgeoisie. Il faut dire que le gouvernement Macron est apparu comme étant à la botte du syndicat de flics “Alliance” dont la grande majorité des membres font partie de l’électorat de Marine Le Pen.

Seule la révolution prolétarienne peut mettre fin à la répression !

Les mobilisations “citoyennes” ne sont pas le terrain de la classe ouvrière. Pour pouvoir lutter contre la répression, le prolétariat ne doit pas se laisser noyer dans le “peuple”, toutes classes confondues. Il doit défendre son autonomie de classe et ne pas se laisser embarquer derrière tous les partis de gauche et les syndicats qui prônent hypocritement une “bonne” police. La seule arme de la classe ouvrière contre l’État bourgeois, c’est la lutte sur son propre terrain de classe : par la grève contre toutes les attaques du capital, par les manifestations discutées et décidées dans des assemblées générales massives, souveraines, ouvertes à tous les exploités (travailleurs actifs, chômeurs, retraités ou étudiants). Ce n’est que dans un vaste mouvement de masse que la classe ouvrière pourra trouver la force d’affronter l’État et ses sbires policiers. La répression et les violences policières ne cesseront pas tant que le prolétariat n’aura pas pris le pouvoir pour renverser le capitalisme. La “violence” de la classe ouvrière doit s’exercer avant tout dans sa mobilisation la plus massive et la plus consciente pour résister aux attaques du capital dont celles des flics ne sont qu’une facette.

Stopio, 7 décembre 2020

 

1) ““Allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter. Ça fera réfléchir les suivants” : le jour où la doctrine du maintien de l’ordre a basculé”, Le Monde (7 décembre 2020).

2) Cf. “Grèves de 1947-1948 en France : la bourgeoisie “démocratique” renforce son État policier contre la classe ouvrière” (mars 2019).

3) Lénine, L’État et la révolution (1917).

4) “Souvent accusée de laxisme, la gauche a durci son discours sur les questions de sécurité”, Le Monde (4 décembre 2020).

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Loi “sécurité globale” et violences policières