Soumis par ICConline le
Après le meurtre atroce du professeur Samuel Paty et, dix jours plus tard, de trois personnes dans l’église de Nice, la bourgeoisie française a bondi sur l’occasion pour tenter de récupérer ces crimes en appelant les « citoyens » à se mobiliser, comme ce fut le cas le dimanche 18 octobre, pour défendre la Démocratie, la République et ses « valeurs » telles que la « laïcité » et la « liberté d’expression ». Une nouvelle fois, la classe dominante joue la carte de « l’union nationale » qui tendrait à faire croire que, malgré les différences de conditions de vie, bourgeois et prolétaires appartiendraient à la même « communauté » et auraient tout à gagner à défendre, main dans la main, la patrie, le régime républicain et la démocratie. Il n’y a rien de plus faux ! Très loin de permettre aux exploités de s’émanciper, la démocratie et le régime républicain demeurent les formes politiques les plus subtiles de la domination capitaliste et de la bourgeoisie sur le reste de la société. Les lecteurs pourront trouver ci-dessous des articles déjà parus dans notre presse qui font échos aux évènements tragiques de ces deux dernières semaines :
-
“La liberté d’expression” et “de la presse” : l’illusion entretenue par le capital
-
La laïcité, une arme idéologique contre la classe ouvrière (partie I)
-
La laïcité, une arme idéologique contre la classe ouvrière (partie II)
-
Attentats à Paris : À bas le terrorisme ! À bas la guerre ! À bas le capitalisme !
D’autre part, nous publions ci-dessous deux extraits de textes classiques du mouvement ouvrier : l’un tiré de l’ouvrage de Friedrich Engels L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, l’autre tiré de L’État et la révolution de Lénine. Tous deux démontrant la vraie nature de la République démocratique et de l’Etat bourgeois.
Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, chapitre IX : « Barbarie et civilisation ».
« Comme l'État est né du besoin de refréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit de ces classes, il est, dans la règle, l'État de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée. C'est ainsi que l'État antique était avant tout l'État des propriétaires d'esclaves pour mater les esclaves, comme l'État féodal fut l'organe de la noblesse pour mater les paysans serfs et corvéables, et comme l'État représentatif moderne est l'instrument de l'exploitation du travail salarié par le capital. [...]
Dans la plupart des États que connaît l'histoire, les droits accordés aux citoyens sont en outre gradués selon leur fortune et, de ce fait, il est expressément déclaré que l'État est une organisation de la classe possédante, pour la protéger contre la classe non possédante. C'était déjà le cas pour les classes d'Athènes et de Rome établies selon la richesse. C'était le cas aussi dans l'État féodal du Moyen Age, où le pouvoir politique se hiérarchise selon la propriété foncière. C'est le cas dans le cens électoral des États représentatifs modernes. Pourtant, cette reconnaissance politique de la différence de fortune n'est pas du tout essentielle. Au contraire, elle dénote un degré inférieur du développement de l'État. La forme d'État la plus élevée, la république démocratique, qui devient de plus en plus une nécessité inéluctable dans nos conditions sociales modernes, et qui est la forme d'État sous laquelle peut seule être livrée jusqu'au bout l'ultime bataille décisive entre prolétariat et bourgeoisie, la république démocratique ne reconnaît plus officiellement, les différences de fortune. La richesse y exerce son pouvoir d'une façon indirecte, mais d'autant plus sûre. D'une part, sous forme de corruption directe des fonctionnaires, ce dont l'Amérique offre un exemple classique, d'autre part, sous forme d'alliance entre le gouvernement et la Bourse ; cette alliance se réalise d'autant plus facilement que les dettes de l'État augmentent davantage et que les sociétés par actions concentrent de plus en plus entre leurs mains non seulement le transport, mais aussi la production elle-même, et trouvent à leur tour leur point central dans la Bourse. En dehors de l'Amérique, la toute récente République française en offre un exemple frappant, et la brave Suisse, elle non plus, ne reste pas en arrière, sur ce terrain-là. Mais qu'une république démocratique ne soit pas indispensable à cette fraternelle alliance entre le gouvernement et la Bourse, c'est ce que prouve, à part l'Angleterre, le nouvel Empire allemand, où l'on ne saurait dire qui le suffrage universel a élevé plus haut, de Bismarck ou de Bleichröder1. Et enfin, la classe possédante règne directement au moyen du suffrage universel. Tant que la classe opprimée, c'est-à-dire, en l'occurrence, le prolétariat, ne sera pas encore assez mûr pour se libérer lui-même, il considérera dans sa majorité le régime social existant comme le seul possible et formera, politiquement parlant, la queue de la classe capitaliste, son aile gauche extrême. Mais, dans la mesure où il devient plus capable de s'émanciper lui-même, il se constitue en parti distinct, élit ses propres représentants et non ceux des capitalistes. Le suffrage universel est donc l'index qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera jamais rien de plus dans l'État actuel; mais cela suffit. Le jour où le thermomètre du suffrage universel indiquera pour les travailleurs le point d'ébullition, ils sauront, aussi bien que les capitalistes, ce qu'il leur reste à faire.
L'État n'existe donc pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont tirées d'affaire sans lui, qui n'avaient aucune idée de l'État et du pouvoir d'État. A un certain stade du développement économique, qui était nécessairement lié à la division de la société en classes, cette division fit de l'État une nécessité. Nous nous rapprochons maintenant à pas rapides d'un stade de développement de la production dans lequel l'existence de ces classes a non seulement cessé d'être une nécessité, mais devient un obstacle positif à la production. Ces classes tomberont aussi inévitablement qu'elles ont surgi autrefois. L'État tombe inévitablement avec elles. La société, qui réorganisera la production sur la base d'une association libre et égalitaire des producteurs, reléguera toute la machine de l'État là où sera dorénavant sa place: au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze. »
***
Lénine, L’État et la révolution, chapitre IV. « Explications complémentaires d’Engels ».
« Dans les considérations habituelles sur l'État, on commet constamment l'erreur contre laquelle Engels met ici en garde et que nous avons signalée plus haut en passant; on oublie constamment que la suppression de l'État est aussi la suppression de la démocratie, que l'extinction de l'État est l'extinction de la démocratie.
Une telle assertion paraît, à première vue, des plus étranges et inintelligibles; peut-être même certains craindront-ils que nous souhaitions l'avènement d'un ordre social où ne serait pas observé le principe de la soumission de la minorité à la majorité; car, enfin, la démocratie n'est-elle pas la reconnaissance de ce principe ?
Non. La démocratie et la soumission de la minorité à la majorité ne sont pas des choses identiques. La démocratie, c'est un Etat reconnaissant la soumission de la minorité à la majorité ; autrement dit, c'est une organisation destinée à assurer l'exercice systématique de la violence par une classe contre une autre, par une partie de la population contre l'autre partie.
Nous nous assignons comme but final la suppression de l'État, c'est-à-dire de toute violence organisée et systématique, de toute violence exercée sur les hommes, en général. Nous n'attendons pas l'avènement d'un ordre social où le principe de la soumission de la minorité à la majorité ne serait pas observé. Mais, aspirant au socialisme, nous sommes convaincus que dans son évolution il aboutira au communisme et que, par suite, disparaîtra toute nécessité de recourir en général à la violence contre les hommes, toute nécessité de la soumission d'un homme à un autre, d'une partie de la population à une autre; car les hommes s'habitueront à observer les conditions élémentaires de la vie en société, sans violence et sans soumission.
C'est pour souligner cet élément d'accoutumance qu'Engels parle de la nouvelle génération "grandie dans des conditions sociales nouvelles et libres" et qui sera "en état de se défaire de tout ce bric-à-brac de l'État", de tout État, y compris celui de la république démocratique. »
1 Le directeur de la banque berlinoise qui portait son nom.