La “Lanterne noire" ou les lumières de l'astre mort

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En dehors du marxisme, aucune théorie ne peut donner de réponse valable aux questions gigantesques posées à l'humanité avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence.

Il ne suffit pas de se tenir jalousement à l'écart de la politique pourrie de la fédération anarchiste où crypto-staliniens font bon ménage avec des maçons entichés de morale humaniste pour évoluer vers des positions révolutionnaires. A jamais est révolu le temps où quelques petits groupes anarchistes pouvaient, tant bien que mal, fournir un effort de réflexion théorique et une défense conséquente des frontières de classe. La mort de l'anarchisme date du 4 août 1914 : ralliement des mandarins anarchistes -et tout d'abord du vénérable Kropotkine- à l'effort de guerre impérialiste.

Quant à la partie saine du mouvement libertaire, elle ne pouvait que se joindre à la formidable vague des années héroïques marquées par la constitution de l'Internationale Communiste Ce que fit le petit noyau des anarchistes internationalistes regroupés autour de Guilbeaux et de Rosmer, ce que fit ensuite Serge, compagnons de Trotsky au plus haut moment de la lutte mondiale pour le pouvoir des Soviets, mais aussi après l'échec, lorsque la terre entière ne fut plus qu'une "planète sans visa" pour tous les survivants des purges et procès de Moscou, quand il était "minuit dans le siècle".

S'il est vrai que l'histoire juge les idées et les hommes, alors, nous pouvons dire que, passé au crible de la critique des faits, il n'est rien resté debout de l'édifice de belles théories anarchistes. Sur l'autel de l'Ordre bourgeois, l'anarchisme, durant ces 3/4 de siècle dut sacrifier tous ses principes : "anti-militariste", il exigea des armes pour combattre l'ennemi "fasciste" mais fit une guerre d'extermination aux seuls internationalistes : ceux qui prônaient le "défaitisme révolutionnaire" ; "anti-politicien", il entra au gouvernement républicain de Madrid et à la Généralité de Catalogne ; partisan de 1'"action directe", il appela le prolétariat espagnol à "savoir arrêter une grève" et à reprendre le travail ; "émeutier", il se fit démolisseur des barricades du Mai 37 à Barcelone ; "anti-étatiste", il développa dans les usines le capitalisme d'Etat.

A la Libération, il poursuivit l'épopée "anti-fasciste" dans les rangs de la résistance gaulliste ; "internationalistes" soi-disant dans la tradition et l'esprit de l'AIT, ses rejetons du "Mouvement du 22 Mars" crient victoire pour 1'"oncle" Hô.

Le cas qui nous intéresse ici est celui de la "Lanterne Noire". Evidemment, rien de comparable à la CNT/FAI, mais quand même une publication qui se présente : revue de critique anarchiste dans laquelle, nous dit-on, s'expriment des anciens de "Noir et Rouge" et d'ICO. Au quatrième numéro, la "Lanterne Noire'', sans se déclarer POUR, donne l'hospitalité cependant aux communiqués de groupes qui, de l'Irlande au Japon, ont fait de la propagande par le fait (on dit "guérilla urbaine") leur credo intangible. Pour présenter l'action des GARI dans l'enlèvement d'un sous-fifre du capitalisme espagnol ou les exploits de la bande à Baader et autres assoiffés de sang de l'Armée Rouge Japonaise (sic) elle n'a pas lésiné sur la dépense : 28 pages.

Les jeteurs de machines infernales dans les usines japonaises de Mitsui, Teijin, Tsaei ont causé la mort d'au moins huit travailleurs et la mutilation de dizaines d'autres Les mitrailleurs de l'IRA ont fauché des dizaines de travailleurs à Londonderry et à Belfast, parce qu'ils n'étaient pas de l'Eglise catholique et romaine. Parler de ces carnages en chroniqueurs, présenter leurs auteurs comme des victimes de la répression revient à introduire en contrebande une camelote criminelle.

Les idées et les méthodes du terrorisme individuel contre laquelle le mouvement organisé de la classe a lutté sans relâche pour lui opposer l'action consciente du prolétariat ont trouvé dans ce numéro leur expression pudique, sous le couvert d'"informer" les bonnes gens.

Mais la "Lanterne Noire" précise qu'elle est séparée de ces groupes "et d'abord de leur avant-gardisme". Eternel équivoque : le programme bourgeois, oui, les méthodes, non ! Là est la nature profonde de tous ceux pour qui principes et tactique se séparent. Et voilà un autre trait de ressemblance frappante avec le trotskysme en compagnie de qui on va retrouver la "Lanterne Noire". Qu'une même poule puisse couver indistinctement ses propres œufs et ceux de la mère-cane n'est pas un vulgaire phénomène de basse-cour. On le rencontre dans la vie politique bourgeoise et la démocratie y arrive très bien avec ses anarchistes et ses trotskystes.

A l'époque de la décadence, l'antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat devient l'axe essentiel de la vie sociale C'est ou l'ouverture d'un cours général vers la guerre impérialiste, ou d'un cours vers la révolution prolétarienne. Et la victoire de la classe montante repose sur des principes, ceux que la "Lanterne Noire" rejette pour ne pas faire dans le dogmatisme... genre RI.

Ce que ces fossiles rajeunis du fard moderniste appellent de façon idiote "dogmatisme" n'est en fait que la continuation de la théorie communiste qui se fait chair et os dans les organisations et les militants qui appartiennent à la classe révolutionnaire. De la vieille souche libérale ou qu'ils se targuent d'être de pénétrants sociologues d'université, les anarchistes seront toujours les contempteurs du marxisme parce que celui-ci est la doctrine de la lutte de classe.

De quoi se démarque vraiment la "Lanterne Noire" ? Que des éléments de ce groupe (chez eux, on n'agit pas comme un corps organisé collectivement, mais selon des déterminations passionnelles où la "raison du cœur" tient lieu de programme) aient participé, en novembre 75, au Comité de Jussieu préparatif à la marche sur Hendaye est là pour montrer quel triste rôle de flanc-garde du trotskysme joue l'anarchisme Pour ces éternels partisans du moindre mal, de la troisième voie entre le capitalisme inhumain et le communisme totalitaire, une bourgeoisie sans Franco et ses affidés de la Phalange est préférable à tout prendre.

Du temps de l'ancien régime portugais, la LUAR s'activait par des coups de mains contre le salazarisme. Depuis l'éclosion des œillets, elle joue la mouche du coche du MFA entrelaçant "dialectiquement" le soutien aux organismes d'autogestion, la défense d'un syndicalisme de "base" et l'appui aux luttes anti-coloniales. C'était suffisamment éloquent à la "Lanterne Noire" pour tresser une couronne de lauriers révolutionnaires à une organisation qui fut le factotum de Carvalho.

Toute cette gymnastique n'a pas empêché la rédaction de la "Lanterne Noire" d'écrire qu'elle était d'accord avec nos camarades belges d'"Internationalisme" sur les points de la plateforme du CCI : fronts populaires, "frontisme", "luttes anti-fascistes" comme mystifications ; "luttes de libération nationale" comme moment de lutte impérialistes pour le contrôle des "nouvelles bourgeoisies''.

La mise en accord des actes avec la pensée leur est chose inconnue. En paroles, mais en paroles seulement, la "Lanterne Noire" reconnaît des vérités essentielles mais, en fait, aide la IVème Internationale trotskyste à mener ses grandes campagnes démocratiques Personne n'est obligé d'être révolutionnaire et n'importe quel élément peut défendre l'équivoque. Mais c'est le travail des révolutionnaires de dénoncer le charlatanisme du demi-anarchisme justement parce qu'il se manifeste sous le masque d'un marxisme de carnaval.

Se déclarer d'accord avec la moitié des positions de classe et rejeter l'autre moitié, se nourrir pour moitié de théorie des Gauches Communistes et pour l'autre moitié des miettes du trotskysme, marcher moitié d'accord, moitié critique avec le trotskysme, bref tout faire et tout penser à moitié, voilà l'anarchisme.

Dans la dure bataille qui se prépare, le prolétariat devra se libérer de ses faux amis qui prétendent parler et agir de façon révolutionnaire et qui, chaque jour, ont une activité foncièrement contraire à tous les enseignements de la lutte de classe

N'ayant pas d'armes propres, pas de principes, pas de programme, refusant la conception marxiste de l'histoire, contestant le rôle révolutionnaire du prolétariat, la "Lanterne Noire" prend des armes et des principes malpropres.

Il appartient aux camarades de la "Lanterne Noire" qui sont encore capables de pensée politique, qui sont vraiment d'accord avec notre lutte principielle, de quitter le plus rapidement possible un groupe qui offre pour toute alternative, ou ne rien faire, ou emboîter le pas aux trotskystes pour former des fronts unis.

Ainsi que Marx le disait de Proudhon, "charlatanisme scientifique et accommodements politiques sont inséparables d'un pareil point de vue". Cent ans plus tard, nous pouvons ajouter : l'anarchisme ne peut plus rien refléter que l'idéologie dominante.

R.C.

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