Les conséquences de la crise économique sur la classe ouvrière en Italie

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Le monde de la politique est chaque jour de plus en plus versatile. Un jour c’est la “taxe plastique”, un autre le mécanisme européen de stabilité. Les différents partis politiques n’hésitent pas à utiliser leurs désaccords pour embrouiller les idées du prolétariat et le détourner des réels problèmes. Tous ont la prétention de parler au nom du “peuple” italien, donc aussi des travailleurs. En réalité, tant l’ancien gouvernement “jaune et vert” (1) que l’actuel gouvernement “jaune et rose”, comme tous ceux qui les ont précédés, ne sont que les défenseurs du capital national et cherchent à tromper les travailleurs avec des mesures présentées comme la panacée pour leurs conditions de vie.

Le gouvernement précédent s’est présenté comme un gouvernement “populaire” en affichant ses mesures censées soulager les problèmes des travailleurs, comme l’introduction de la “quota 100” (2) et du revenu universel dit “de citoyenneté”. Mais quand on y regarde de plus près, ces mesures n’ont rien apporté de vraiment substantiel au prolétariat :

– La “quota 100” ? Ce mécanisme concerne seulement quelques dizaines de milliers de personnes. Ce n’est pas l’abolition de la loi “Fornero” (3) et, de toute façon, ceux qui l’acceptent perdent de l’argent sur leur pension. Il s’agit donc d’une mesure de propagande et non d’une mesure sociale capable de s’attaquer réellement aux problèmes des gens (qui est, en l’occurrence, la possibilité de partir en retraite plus tôt avec une pension qui permet de vivre). On nous a également dit que la retraite anticipée devrait servir à créer de nouveaux emplois pour les jeunes. (4) Les statistiques montrent pourtant que ce n’est pas vrai : pratiquement aucun travailleur qui a pris sa retraite avec la “quota 100” n’a été remplacé, ce qui a également créé des problèmes dans l’administration publique, en particulier dans le domaine de la santé où le manque de personnel oblige les médecins et les infirmiers à effectuer des gardes supplémentaires épuisantes.

– Le revenu de citoyenneté : un bazar qui non seulement n’a pas supprimé la pauvreté (comme Di Maio s’est empressé de le déclarer à grands cris avec tous ses ministres depuis les balcons du palais Chigi), non seulement n’a pas été utilisé pour créer des emplois (5) (sauf pour les postes de navigation), mais a surtout favorisé le recours au travail illégal. Personne ne peut vivre avec 500 € mensuels : celui qui reçoit ce revenu doit le compléter, mais pour l’instant il ne peut le faire qu’avec le travail au noir (pour ne pas perdre le revenu de citoyenneté).

– En revanche, pour financer une partie de ces mesures, on a retiré de l’argent aux retraités : trois milliards en trois ans.

– Le nouveau gouvernement prétend également vouloir résoudre les pro­blèmes sociaux avec des promesses sur la réduction des impôts, la gratuité des crèches, “l’allocation bébé”, etc. Mais en réalité, cette réduction d’impôts s’élève à moins de 40 euros par mois (et seulement pour les travailleurs ayant les revenus les plus faibles). De plus, la gratuité des crèches est également destinée aux personnes aux revenus les plus faibles, si tant est qu’elles puissent trouver une place en crèche.

La situation avec le nouveau gouvernement ne s’améliore pas, loin de là. Le scénario qui se dessine de plus en plus clairement aux yeux de tous est celui d’un effritement progressif de toute la sphère productive italienne. Le nombre de licenciements est impressionnant : Alitalia a supprimé 5 000 emplois ; Unicredit : 8 000 ; Ilva di Taranto : 4 700 ; Whirlpool Campania : 800 ; Embrago à Riva di Chieri : 500 ; Bosch à Bari : 640 ; Pernigotti : 25, Jabil : 350, Conad : 3 105… pour ne citer que les plus connus mais auxquels il faut ajouter des dizaines d’autres petites et moyennes entreprises. Il y a actuellement 160 entreprises en crise avec un total estimé de 400 000 emplois en danger. Le cas d’Unicredit est particulièrement significatif : avec 8 000 licenciements (plus de 6 000 en Italie) et la fermeture de près de 500 agences, Unicredit n’est que la dernière entreprise en faillite dans le secteur bancaire qui, en douze ans, a anéanti pas moins de 74 000 emplois. Dans ce cas, il est facile de voir comment le progrès des technologies numériques (en 2019, 13,7 millions d’Italiens géraient leur argent par le biais de smartphones) ne profite qu’aux entrepreneurs et tout cela au détriment des travailleurs. Si pour certains, il semble se dessiner une conclusion positive, comme pour Almaviva où les 3 000 licenciements ont été révoqués, à la lecture des accords collectifs, on se rend compte que cela ne s’est produit qu’en augmentant l’exploitation de la main d’œuvre : six mois de “Contrat de solidarité” ont été imposés aux travailleurs avec la diminution de 45 % du temps de travail (et des salaires) à Rome, 45 % à Palerme et 35 % à Naples et douze mois supplémentaires de Fonds extraordinaire de garantie des salaires. (6)

Cette situation ne touche pas uniquement l’Italie, mais concerne tous les pays capitalistes. Même la “florissante” Allemagne connaît des licenciements dans tous les secteurs : à la Deutsche Bank, 18 000 emplois doivent être supprimés dans les années à venir ; 5 600 emplois en moins chez T-Systems (la branche informatique de Deutsche Telekom) ; 700 chez Allianz ; Thyssenkrupp doit effectuer 6 000 licenciements dans le monde, dont 4 000 en Allemagne ; Siemens : 2 700 dans le monde dont 1 400 en Allemagne ; Bayer : 12 000 d’ici 2021. En France, le gouvernement Macron s’attaque aux services sociaux, aux retraites, aux soins de santé, etc.

Si les entreprises font faillite ou licencient en masse, ce n’est pas à cause de l’incapacité de leurs dirigeants ou parce que quelqu’un a spéculé ou volé : ce n’est pas la faute du capitaliste individuel si nous nous dirigeons vers une nouvelle récession profonde, c’est une conséquence de l’obsolescence du système capitaliste comme un tout qui ne peut même plus garantir la simple survie de ses exploités.

Que font l’État et les syndicats face à cette ruine ? Si nous considérons le cas de la société sidérurgique ILVA de Tarente, avec ses 4 700 licenciements (impliquant environ 20 000 familles, en considérant également les activités induites par la présence de cette entreprise), le plan de l’État italien a été d’entrer dans le capital de la société franco-indienne qui possède l’entreprise ILVA (ArcelorMittal) avec une injection d’argent frais et… la réduction des licenciements à “seulement” 1 800. En pratique, en acceptant 40 % des licenciements annoncés par l’entreprise, l’État s’adapte face aux besoins d’ArcelorMittal. Le tout accompagné de la promesse d’une reconversion de l’usine sur la base d’une technologie plus propre, visant une fois de plus à poser une fausse alternative entre les emplois et la santé, comme si les travailleurs devaient choisir de mourir du cancer ou simplement de faim.

Et les syndicats dans tout ça ? Que proposent les syndicats pour faire face à la situation ? La réponse de Landini, secrétaire général de la Confédération générale italienne du travail (CGIL), le syndicat qui se présente comme le plus combatif et le plus à gauche, est vraiment significative. Plutôt que de défendre les conditions des travailleurs en s’attaquant aux licenciements et à la dégradation des conditions de vie, Landini propose “une alliance avec le gouvernement et les entreprises pour empêcher le pays de s’effondrer”, (7) en demandant aux entreprises d’ “abandonner les sirènes de la finance, de redevenir les entrepreneurs innovants et capables qui, avec ceux qui travaillent, ont fait l’Italie”. (8) En pratique, on propose un prétendu pacte social qui ne peut se faire que contre le prolétariat. De plus, l’avertissement sournois sur les “sirènes de la finance” suggère l’idée illusoire que l’investissement du capital sur les marchés spéculatifs est le fait de capitalistes égoïstes et non la recherche de la nécessaire valorisation de chaque capital.

Face à ces attaques généralisées, aidées et encouragées par le syndicat, seule la lutte unie de tous les travailleurs est en mesure de s’y opposer. On ne peut opposer aux attaques concertées des capitalistes, de l’État et des syndicats des luttes séparées, centrées sur les spécificités de sa propre situation, comme les syndicats nous y invitent continuellement. On ne peut pas non plus penser sauver son propre emploi en faisant progresser la ren­tabilité de son entreprise, sa productivité, son rôle stratégique. La seule règle que le capital connaît est celle de l’extraction maximale de la plus-value du prolétariat et de sa transformation en profit ; quand il échoue, il taille dans le vif et ferme.

Pour éviter que les travailleurs ne commencent à penser par eux-mêmes qu’il est nécessaire de s’unir, le syndicat leur a immédiatement coupé l’herbe sous le pied : “Nous devons penser à une grève générale unifiée”, a dit le secrétaire de la CGIL, Landini, le 20 novembre dernier. Mais un mois plus tard, ils y réfléchissent encore ! Quoi qu’il en soit, nous savons déjà ce que sont les “grèves générales unitaires” des syndicats : des journées de mobilisation isolées, avec les travailleurs défilant chacun derrière leurs banderoles sectorielles, écoutant les bavardages habituels du syndica­liste de service et rentrant ensuite chez soi sans que rien n’ait changé. Ce n’est certainement pas ainsi que se fait l’unité des prolétaires : elle se forge dans des assemblées générales, où ils se rencontrent en tant que membres d’une même classe, où ils confrontent leurs idées pour décider comment donner de la force à la lutte, comment donner de la continuité à la mobilisation, comment étendre la lutte à d’autres secteurs, puisque les attaques ne se limitent pas aux licenciements, mais incluent la précarité croissante du travail, les réductions de salaire, etc.

Si les travailleurs veulent se battre face au capital, contre les appendices du gouvernement bourgeois que sont les syndicats, instruments de contrôle des luttes prolétariennes, il n’y a qu’une seule façon de faire : s’unir pour défendre leurs conditions de travail, sans se perdre derrière les spécificités sectorielles et les manifestations syndicales stériles.

Bien sûr, cette étape est difficile. C’est une vraie montagne. Elle nous oblige à nous reconnaître non plus comme des métallurgistes, des sidérurgistes, des employés de banques, des infirmières, etc., mais comme des prolétaires, comme les véritables producteurs de la richesse sociale, une richesse qui nous est enlevée pour devenir en grande partie du profit pour le capital. Pour y parvenir, les travailleurs les plus conscients doivent répandre l’idée que l’unification des luttes est possible, que l’expérience du mouvement prolétarien le montre, que les travailleurs en France en 1968 ou en Italie en 1969 (l’automne chaud), ou ceux de Pologne en 1980 l’ont fait, que le prolétariat est la principale force sociale de la société quand il est uni, solidaire et organisé. Les travailleurs doivent se regrouper, discuter, se réapproprier les leçons du passé, pour préparer l’avenir de la lutte de classe.

Elios, 13 décembre 2019

(RZIZ, section en Italie du CCI)

(1) Jusqu’en septembre 2019, le gouvernement de Giuseppe Conte s’appuyait sur une coalition entre la Ligue du Nord (Parti d’extrême droite associé à la couleur verte) et le Mouvement 5 étoiles (Parti attrape-tout associé à la couleur jaune). Depuis la chute de la coalition populiste, le M5S s’est associé au Parti démocrate (Rose) pour se maintenir au gouvernement. (NDT)

(2) Le M5S a présenté la “Quota 100” comme un mécanisme de diminution de l’âge de départ à la retraite. (NDT)

(3) La loi “Fornero” prévoit un âge minimum de 67 ans pour partir à la retraite. (NDT)

(4) Pris d’enthousiasme, Di Maio est même allé jusqu’à dire que pour chaque retraite, trois nouveaux emplois seraient créés ! Après la multiplication des pains et des poissons, voici la multiplication des emplois !

(5) De temps à autre, on nous présente des statistiques selon lesquelles le nombre de personnes ayant un emploi augmente, mais si on regarde les heures travaillées, on constate qu’elles diminuent ; c’est parce que cette augmentation correspond à une augmentation du travail à temps partiel, de sorte qu’à la place d’une personne employée, il y en a désormais deux, mais avec une moitié de salaire.

(6) Ce fond est une prestation pour les travailleurs en situation de chômage technique en Italie. (NDT)

(7) La Repubblica (9 décembre 2019).

(8) L’invitation à considérer les entrepreneurs comme des partenaires, comme des alliés avec lesquels on peut tracer ensemble un chemin commun, plutôt que comme des adversaires, n’échappera à personne. D’autre part, la production par la télévision publique (RAI) de pas moins de cinq fictions sur les grands entrepreneurs italiens (Adriano Olivetti, Enrico Mattei (ENI), Giovanni Borghi (Ignis), Enzo Ferrari et Luisa Spagnoli) va exactement dans le même sens, c’est-à-dire propager l’idée qu’il existe de bons et compétents entrepreneurs et que si les choses tournent mal, c’est à cause de l’incapacité ou de la cupidité de quelques autres.

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Crise économique