Soumis par Révolution Inte... le
Il y a trente ans, le mur de Berlin s’effondrait, traduisant la faillite des régimes staliniens honnis. Cet événement devait devenir par la suite le véritable symbole de l’implosion du bloc de l’Est. Cet anniversaire a été l’occasion pour la bourgeoisie, bien qu’elle fasse profil bas aujourd’hui, d’asséner les mêmes mensonges qu’hier.
L’anniversaire de la chute du mur de Berlin s’est déroulé sans flonflons ni trompettes, dans une triste ambiance. Aux antipodes de l’euphorie et de l’immense liesse populaire du 9 novembre 1989, la “grande fête” organisée par la bourgeoisie faisait pâle figure : “les Européens, incorrigibles pessimistes, ont abordé le trentième anniversaire (…) dans une ambiance d’enterrement. Le moral est en berne…” (1) Et comme “signe du manque d’enthousiasme pour ce jubilé, aucun des grands dirigeants occidentaux ne fait le déplacement samedi 9 novembre à Berlin”. (2) Finalement, seule une odieuse propagande bourgeoise servait de décorum à ce rendez-vous sans panache.
La nécessité d’entretenir le mensonge sur la prétendue “mort du communisme”
Les faits sont têtus et la bourgeoisie ne peut absolument pas pavoiser à l’heure de ce bilan des trente dernières années. Même le monstre stalinien tant détesté autrefois, celui des régimes de l’Est, en vient à susciter parfois une nostalgie désabusée et des doutes de la part de populations des territoires “libérés”, tant la situation s’est dégradée depuis : “Il y a 30 ans, la communication, la solidarité entre les gens étaient bien meilleures. Aujourd’hui, on doit se battre pour tout, pour le travail, pour le loyer, pour le docteur. Avant, le docteur n’était pas un comptable, aujourd’hui, c’est un entrepreneur”, dit Arnaud”. (3)
En effet, l’état de la société reste catastrophique, notamment dans les territoires de l’ex-bloc de l’Est, davantage sinistrés. Les menaces croissantes de la société capitaliste poussent d’autant les populations inquiètes dans les bras des populistes qui prétendent les “protéger”. Bon nombre de ces pays (Hongrie, Pologne, etc.) sont donc très marqués par ces régimes ouvertement à droite, prônant un nationalisme virulent et une “bunkérisation” des frontières. La situation de décomposition et de chaos du monde capitaliste actuel tranche donc de manière radicale avec les grandes promesses mensongères de la bourgeoisie, avec ses discours hypocrites, avec les illusions entretenues au moment de la chute du mur en novembre 1989 où elle promettait un avenir radieux : celui d’une sorte de félicité démocratique pour le monde et la “nation allemande réunifiée”.
Au moment des événements, la perspective d’en finir avec la terreur stalinienne et la pénurie chronique, le vaste soulagement empreint d’illusions des Allemands de l’Est avaient été instrumentalisés à outrance par la bourgeoisie occidentale (en complicité avec celle des “vaincus” de l’Est) pour diviser les ouvriers et diffuser une vaste campagne idéologique mondiale, celle du plus grand mensonge de l’histoire contre le prolétariat : la chute du mur et la faillite du stalinisme signifient “la mort du communisme” !
Aujourd’hui, même si de façon plus sournoise, vu les rancœurs et les colères au sein des populations face aux prétendus “bienfaits de la démocratie”, les médias bourgeois et toute la classe politique nous servent les mêmes discours idéologiques nauséabonds remis au goût du jour : “Même si l’Europe est aujourd’hui en crise sur plusieurs sujets, il ne faut pas oublier que la chute du mur de Berlin a avant tout signé la fin du communisme en tant que régime totalitaire”. (4)
À l’époque, le CCI combattait déjà ce mensonge, cette ignoble idée que le stalinisme équivaut au communisme, matraquée depuis à l’envi : “Crise et faillite du stalinisme sont celles du capitalisme, non du communisme. (…) Il y a aujourd’hui un déchaînement de mensonges à cette occasion, et en premier lieu, le principal et le plus crapuleux d’entre eux : celui prétendant que cette crise, cette faillite, c’est celle du communisme, celle du marxisme ! Démocrates et staliniens se sont toujours retrouvés, au-delà de leurs oppositions, dans une sainte-alliance, dont le premier fondement est de dire aux ouvriers que c’est le socialisme qui, au-delà de ses travers et déformations, règne à l’Est. Pour Marx, Engels, Lénine, Luxemburg, et pour l’ensemble du mouvement marxiste, le communisme a toujours signifié la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, la fin des classes, la fin des frontières, cela n’étant possible qu’à l’échelle mondiale, dans une société où règne l’abondance, “de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins”, où “le règne du gouvernement des hommes cède la place à celui de l’administration des choses”. Prétendre qu’il y aurait quelque chose de “communiste” ou d’engagé sur la voie du “communisme” en URSS et dans les pays de l’Est, alors que règnent en maître exploitation, misère, pénurie généralisée, représente le plus grand mensonge de toute l’histoire de l’humanité, mensonge aussi énorme que prétendre que les rapports entre serfs et seigneurs au Moyen Âge avaient quelque chose de socialiste !” (5)
Toutes les fractions politiques bourgeoises se complaisent dans ce mensonge réitéré, dans une même complicité, pour cette même assimilation grossière du stalinisme au communisme : des démocrates et gauchistes les plus à gauche jusqu’aux partis d’extrême-droite, comme en témoigne, par exemple, l’AfD dans ce slogan insidieux : “Aujourd’hui comme hier : la liberté plutôt que le socialisme”. (6) Trente ans après, la bourgeoisie enfonce donc le même clou contre la conscience ouvrière. Seule la Gauche communiste est capable de le dénoncer encore aujourd’hui !
L’euphorie de 1989 et la propagande des marchands d’illusions face à la réalité capitaliste
Peu après la chute du mur de Berlin, dans son discours du 22 novembre 1989 au parlement Européen, le président Mitterrand évoquait de manière vibrante cet événement historique, à proximité de son grand ami, le chancelier Kohl : “la liberté et la démocratie, inséparables l’une de l’autre, remportaient une de leur plus sensible victoire”. Une dizaine de mois plus tard, dans le sillage des “bienfaits” de la chute du mur de Berlin, les chevaliers de la liberté du monde occidental se lançaient dans une croisade sanglante au Moyen-Orient lors de la première guerre du Golfe, sous la houlette des États-Unis. Une guerre dont les 500 000 morts étaient censés apporter, selon le chantre de la Maison-Blanche à l’époque, George Bush (père), “un nouvel ordre mondial” pour “la paix, la prospérité et la démocratie”.
Depuis, la dynamique destructrice du capitalisme témoigne, contrairement à toute cette propagande digne des plus grands charlatans, d’une situation qui s’est fortement dégradée partout et sur tous les plans. Qu’on en juge :
– Le “nouvel ordre mondial” et la “paix” ? Dès la chute du mur de Berlin, une boîte de Pandore s’est ouverte. Ce qui a suivi n’est nullement un “nouvel ordre mondial” mais bien le plus grand chaos de l’histoire. (7) Sur tous les continents et territoires de la planète, le chacun pour soi s’est exacerbé et les conflits guerriers se sont multipliés, généralisés et étendus. Dans les pays de la périphérie du capitalisme, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, comme en Asie, le monde a sombré dans l’instabilité croissante, multipliant les massacres et les effusions de sang. On a surtout vu revenir de véritables scènes de guerre au cœur même de l’Europe et du monde occidental, faits sans précédent depuis 1945. De la guerre en ex-Yougoslavie avec ses charniers, en passant par les conflits en Géorgie, en Ukraine, et surtout la multiplication des attentats depuis la tragédie des tours jumelles aux États-Unis en septembre 2001, la “paix” a surtout été celle des cimetières ! La catastrophe des tours jumelles inaugurait une terreur, une banalisation des scènes de guerre et de barbarie un peu partout au cœur du monde “civilisé” : attentats à Madrid en mars 2004, à Londres en juillet 2005, à Paris dans la salle de concerts du Bataclan en novembre 2015, etc. On pourrait aussi ajouter l’horreur plus récente des ravages de la guerre en Syrie et ses dommages collatéraux, dont les bombardements intensifs rappellent les pires exactions de la Seconde Guerre mondiale. De même celles des massacres et famines au Yémen (avec l’implication des impérialismes occidentaux, comme la France, grande pourvoyeuse d’armes). Notons aussi que la course aux armements redémarre partout de façon terrifiante.
– La “prospérité” ? Depuis trente ans, la situation économique n’a fait globalement que se dégrader sur tous les plans, creusant de manière scandaleuse les inégalités. Depuis la grande secousse financière mondiale de 2008, les prolétaires ont ressenti encore plus fortement dans leur chair le joug de l’exploitation et sa justification par des politiciens bourgeois de plus en plus cyniques : attaques sur le niveau de vie et les salaires, chômage de masse et explosion du travail précaire, dégradation des conditions d’accès aux soins, exclusion accrue… Tout cela, aggravé par les réformes en cours et à venir. Ce à quoi il faut ajouter un pillage systématique des ressources et les agressions contre l’environnement par la recherche de plus en plus effrénée du profit dans un monde en crise. Bref, la logique infernale du capitalisme moribond menace maintenant clairement la survie de la civilisation humaine.
– Plus de “démocratie” ? Depuis trente ans, les États n’ont fait que durcir leur arsenal répressif. La décomposition n’a fait qu’entretenir et favoriser les réflexes nationalistes et xénophobes, les idéologies populistes et le chacun pour soi. La bourgeoisie a surtout profité des attentats meurtriers pour muscler son dispositif juridique et policier, la terreur étatique et la criminalisation des conflits sociaux. La répression brutale et les violences se sont graduellement accentuées à tous les niveaux. Cela signifie que les prétendues “libertés publiques”, tant vantées, laissent davantage transparaître le véritable visage de “l’État démocratique” et sa véritable nature dictatoriale : un appareil monopolisant froidement la violence pour maintenir son ordre contre les exploités. Faut-il également évoquer le grand “élan démocratique” des pays du monde occidental construisant partout de nouveaux murs, dressant des barbelés, blindant les frontières maritimes ou terrestres en laissant sciemment périr les immigrés, comme l’Union européenne en Méditerranée ? L’idée de “démocratie” n’est de toute façon qu’un concept creux dans la mesure où la société reste divisée en classes antagoniques basées sur l’exploitation de la force de travail. Cela n’empêche nullement la bourgeoisie d’adapter ses discours hypocrites pour continuer à nous vanter ses “grands principes”, ses “valeurs” ; cela, pour couvrir et justifier tous ses crimes, afin de mieux dédouaner son système meurtrier et l’exaction des exploiteurs.
Aujourd’hui, alors que ce mode de production en déclin est à l’agonie et qu’il nous entraîne dans l’abîme, la bourgeoisie nous demande de le défendre par son idéologie mystificatrice, celle qui a accompagné les trente ans d’atrocités en tous genres, la “démocratie”. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter les insistances du discours de commémoration de la chancelière Angela Merkel, sa mise en garde contre les dangers des “totalitarismes” et les “contestations grandissantes” (notamment du populisme à l’Est) : “les valeurs qui fondent l’Europe, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et la préservation des droits de l’homme ne vont pas de soi” et “doivent toujours être défendues” a-t-elle assuré. Selon toute la bourgeoisie : “si ce trentième anniversaire peut être mis à profit, ce doit être pour tenter de repenser, pour tous ceux qui l’ont adopté, le modèle démocratique…” (8) Obligée de masquer sa faillite, la bourgeoisie a besoin de se crédibiliser à nouveau, de “régénération”, besoin de “repenser” son “modèle démocratique” aux abois, pour… mieux attaquer et museler les exploités !
Quelles leçons ? Quelles perspectives ?
De ces trente dernières années, depuis la chute du mur de Berlin, le prolétariat doit garder en tête des leçons essentielles :
– le communisme n’est ni “mort” ni en “faillite”. C’est bien le stalinisme, expression politique du capitalisme d’État à l’Est, qui a sombré sous les coups de boutoirs de la crise de ce système en décomposition.
– le prolétariat doit rejeter toutes les campagnes médiatiques mensongères, notamment tous les pièges alimentant les divisions : celle opposant par exemple en Allemagne les “Ossies” aux “Wessies”, mais aussi les pièges opposant les idéologies “populistes” à “l’anti-populisme” et autres idéologies démocratiques.
– la bourgeoisie reste une classe de menteurs, obligée de masquer en permanence sa domination et son exploitation aux prolétaires. Ses promesses, comme celles de 1989-90, ne sont que du vent, des phrases creuses destinées à anesthésier le prolétariat.
– la chute du mur et l’effondrement du bloc de l’Est sont une expression des plus spectaculaires de la crise et de la décomposition du système. Le capitalisme ne peut désormais que nourrir une affreuse spirale destructrice et n’a pas d’autre avenir. Il faut donc le détruire avant qu’il n’engloutisse l’humanité.
Face à toutes les logiques de destruction que nous impose ce système, il n’existe qu’une seule solution : la lutte de classe révolutionnaire, celle d’un combat international de tous les ouvriers, au-delà des divisions, au-delà et contre tous les clivages nationaux, contre l’État bourgeois. Seul le prolétariat international peut offrir cette perspective comme alternative, celle d’une autre société, sans mur ni barbelé, sans classe, sans exploitation : une véritable société communiste.
WH, 3 décembre 2019
1 “Chute du Mur de Berlin : ne nous trompons pas de funérailles”, Le Monde (9 novembre 2019).
2 “L’Allemagne célèbre la chute du mur de Berlin, il y a 30 ans”, Le Point (9 novembre 2019).
3 “Il y a 30 ans, la chute du Mur de Berlin”, La Dépêche du Midi (9 novembre 2019).
4 “Chute du Mur de Berlin : ne nous trompons pas de funérailles”, Le Monde (9 novembre 2019).
5 “Écroulement du bloc de l’Est : la faillite définitive du stalinisme”, Revue internationale n° 60 (1ᵉʳ trimestre 1990).
6 Alternative für Deutschland est un groupe nationaliste et eurosceptique situé à l’extrême droite. Une très grande partie de l’ex-RDA est sous l’emprise politique de cette formation. Dans plusieurs Länder, c’est presque le plus grand parti politique. Il a remplacé Die Linke (“La Gauche”), qui était en grande partie le successeur de l’ex-SED (“Parti socialiste unifié d’Allemagne” de l’ex-RDA), en sachant capter par sa démagogie toutes les déceptions, les frustrations et les peurs des populations face aux réalités de la crise.
7 “Notes sur l’impérialisme et la décomposition : vers le plus grand chaos de l’histoire”, Revue internationale n° 68 (1ᵉ trimestre 1992).
8 “Chute du Mur de Berlin : ne nous trompons pas de funérailles”, Le Monde (9 novembre 2019).