Soumis par Révolution Inte... le
Les grèves de décembre-janvier ont permis de voir encore une fois, dans la pratique, le rôle que jouent les partis de gauche et les syndicats : pendant que le gouvernement cogne, les partis de gauche et les syndicats divisent et affaiblissent les luttes. Les travailleurs français qui les ont vus au gouvernement pendant cinq ans savent de plus en plus à quoi s'en tenir. Mais ces grèves ont aussi permis de juger dans la pratique le rôle réel des organisations gauchistes trotskystes ("Lutte Ouvrière" et la "LCR", entre autres), moins connues mais projetées sur le devant de la scène par le rôle important qu'elles ont joué dans la grève des cheminots.
Ce n'est pas un hasard si ce sont les organisations de 1'extrême-gauche du capital et leurs militants au langage le plus radical gui ont fini par se trouver à la tête des coordinations et principalement de celle du dépôt d'Ivry-sur-Seine ; c'est parce que leur rôle consiste à encadrer les secteurs les plus combatifs de la classe ouvrière ; là où les forces de gauche, les syndicats, ne peuvent contrôler la lutte, parce que la classe ouvrière montre ouvertement et activement sa méfiance à l'égard de ceux-ci -comme cela a été le cas dans la grève des cheminots- les gauchistes sont là pour remplir le vide, afin d’affaiblir, de dévoyer la lutte et rabattre finalement les ouvriers vers les syndicats, sur le terrain de la bourgeoisie.
La constitution des coordinations nationales de cheminots a exprimé la claire volonté des ouvriers de la SNCF de garder en main leur lutte, de la diriger eux-mêmes, ainsi que la tendance très forte du mouvement à s'étendre au sein de la SNCF, à unir les forces en lutte pour être le plus puissant possible. Elles exprimaient cette tendance spontanée qui fait que, depuis les grèves de masse en 1905 en Russie jusqu'aux luttes de l'été 1980 en Pologne, toutes les luttes ouvrières qui ont pris une importance réelle ont cherché à s'organiser par ce système d'assemblées et comités (système dont les "Soviets" ou Conseils ouvriers sont l'expression la plus épanouie). Les coordinations nationales se voulaient des assemblées générales constituées des délégués des dépôts en grève, et tout le travail des gauchistes a consisté à dévoyer ce que tendaient à exprimer ces coordinations, à empêcher toute prise de conscience, dans les rangs des ouvriers, de ce qu'ils tendaient à faire dans la pratique.
POUR L'EXTENSION EN PAROLE, GARDIENS DE L'ENFERMEMENT CORPORATISTE DANS LA PRATIQUE
A les entendre, les trotskystes apparaissent comme des champions de la lutte contre le corporatisme et pour l'extension des grèves. Ainsi pouvait-on lire dans le "Bulletin d'entreprise" de LO, repris dans son journal du 3.1.87:
- "Oui, les craintes du gouvernement et du patronat doivent se réaliser • la grève des cheminots doit s'étendre. Non seulement à toutes les catégories de cheminots, non seulement aux autres travailleurs de la fonction publique, mais aussi à tous les travailleurs du privé (...) A bas le corporatisme!" ("Lutte Ouvrière" n° 970).
Beau discours. Mais quelle fut la pratique des militants de LO et de la LCR dans les dépôts, au sein des assemblées générales de base et ensuite au sein des coordinations nationales dont ils ont pris la tête ?
De manière générale, les gauchistes de ID et de la LCR vont asséner sans relâche, dans les AG des dépôts carme dans les coordinations -afin de miner le terrain- l'idée que l'extension de la lutte à d'autres secteurs risque de faire perdre le contrôle du mouvement aux cheminots, de faire qu'il soit "dilué" dans un mouvement plus large, alors que c'est l'élargissement du combat qui fait sa force. S'appuyant donc sur le corporatisme qui pèse dans la tête des cheminots, ils vont enrayer toute tendance vers l'extension, confinant la lutte sur elle-même, sans perspective, et poussant les ouvriers à l'épuisement.
Mais c'est tout d'abord au niveau des dépôts même, que les gauchistes vont briser systématiquement toutes les poussées vers l'extension, toutes les tentatives d'aller chercher la solidarité active des autres secteurs.
Ainsi, dès les premiers jours de la grève, face à la volonté des cheminots de sortir des dépôts pour manifester dans la rue, la LCR sort un tract qui met en avant que c’est dangereux, à cause du "risque d'attaques fascistes" ( !), ou à cause des usagers qui pourraient exprimer violemment leur mécontentement !
Quelques jours plus tard, alors que, dans les assemblées générales de dépôts, des propositions sont faites d'envoyer des piquets volants ou des délégations massives dans les usines, les gauchistes répondent:
- "Ce n’est pas à nous de décider si les autres secteurs veulent ou non faire grève (...); on n'a pas à imposer la grève" (!!) comme si chercher la solidarité des autres secteurs signifiait les "forcer" à faire grève.
- ou bien en disant "d’accord" et en proposant de faire un tract de "popularisation" de la grève qui expliquerait les raisons de cette grève et excusant les cheminots pour le "dérangement" causé aux usagers.
C'est clair, lorsqu'ils sont, en parole, pour la recherche de l'extension, c'est pour la dénaturer, la stériliser, la vider de toute signification.
Ce qu'ils ont fait au niveau des coordinations nationales a été dans la continuité de leur travail de sabotage, et s'ils se sont retrouvés à leur tête, c'est grâce à leur grande expérience du travail à la base -qu'ils ont encore prouvée à la SNCF- et à leur grande capacité, leur grande souplesse à épouser, à s'adapter aux besoins du mouvement; toujours prêts en parole a être "d'accord" à appuyer ce qu'expriment les ouvriers afin de mieux briser la lutte dès qu'ils en prennent le contrôle.
Ainsi, au cours de l'AG à la bourse du travail de Paris, le 26 décembre, qui s'est prononcée sur le principe de la formation de coordinations, deux ouvriers des PTT se sont adressés à l'assemblée pour manifester leur solidarité et lui demander d'organiser l'extension de la lutte par l'envoi de délégations massives aux autres secteurs de la classe ouvrière, en particulier à ceux du secteur public (dont les PTT). Le premier put intervenir, mais, habilement, les militants de LO ont repris immédiatement la parole pour enterrer la question et passer à autre chose. Le deuxième n'a même pas pu être entendu car dès qu'il a annoncé qu'il n'était pas cheminot, quelques éléments se sont mis à crier et à vociférer au point de couvrir entièrement son intervention. Le présidium, qui n'était autre que la personne du trotskyste Vitry, fit passer aux questions "à l'ordre du jour" afin que les propositions ne puissent être discutées et reprises, brisant toute réflexion dans l'AG.
Ces propositions étaient loin d'être "à côté de la plaque", puisque des cheminots de la gare d'Austerlitz sont allés voir les deux ouvriers des PTT pour exprimer leur accord avec leur intervention et dire qu'ils avaient eu de telles initiatives sur leur lieu de travail.
Derrière les grandes déclarations: "A bas le corporatisme", voilà quelle a été la pratique concrète, la vérité des trotskystes et des syndicalistes de base; leur rôle ne fut autre que celui de toujours des staliniens de la CGT, celui de flics de l'enfermement corporatiste.
Pour la première réunion de la coordination, le 29 décembre, à la Mutualité, les militants de LO avaient pris leurs précautions. Ces soi-disant champions de l'anti-corporatisme et de l'extension, établirent un contrôle à l'entrée de la salle de réunion, interdisant l'entrée à tout élément non cheminot. Qui plus est, un ouvrier des PTT qui était parvenu à entrer dans la salle et qui tenta de prendre la parole pour appeler encore une fois à l'organisation de l'extension et proposer une motion dans ce sens, fut immédiatement interrompu et chassé violemment de l'assemblée.
Leurs explications à l'entrée de l'assemblée, face à ceux non cheminots qui voulaient assister, étaient à peine plus justifiées que la violence employée à 1'intérieur:
- "Il faut se protéger des provocateurs", comme si une assemblée n'était pas capable de reconnaître et de se débarrasser de tels éléments;
- "il faut se protéger des flics", carme si les flics n'avaient pas les moyens d'avoir des mouchards avec des cartes de cheminots et tous les "tampons" SNCF qu'on voudra;
- "Il faut se protéger de la presse et de ses déformations", comme si la presse -à qui par contre les portes étaient grandes ouvertes et dont les caméras ont filmé sous tous les angles la tête de Monsieur Vitry- »comme si la presse avait besoin de l'intervention d'éléments non cheminots pour déformer comme elle veut les événements;
- "Les cheminots n’ont pas besoin de donneurs de leçons" comme si discuter du cours de la lutte avec des éléments non cheminots impliquait pour les cheminots de se considérer comme des élèves passifs face à des professeurs;
- "Il faut d'abord s'occuper de l'extension aux cheminots, après on verra pour les autres secteurs", comme si le meilleur moyen pour encourager les travailleurs encore hésitants de la SNCF n'était pas de voir le mouvement s'étendre à d'autres secteurs de la classe ouvrière;
- et enfin, "nos revendications ne sont pas les mêmes que celles des autres secteurs; elles sont particulières, spécifiques aux cheminots" {!), comme si le fait que chaque secteur ait des revendications propres empêchait que les ouvriers de différents secteurs se battent ensemble; comme si l'attaque dont sont l'objet les cheminots ne faisait pas partie de l'attaque générale de la bourgeoisie dans tous les secteurs, contre tous les ouvriers, contre leurs salaires, leurs conditions de travai1,leurs emplois, contre toutes leurs conditions de vie.
Quant à l'autre coordination, celle des conducteurs, qui se réunissait à la gare ou Nord, et où c'est surtout les trotskystes de la LCR qui étaient présents, la participation aux assemblées était interdite, même aux cheminots qui n'étaient pas conducteurs!
Ainsi, les gauchistes ont encore montré qu'ils étaient contre le mouvement, contre la classe ouvrière, parce qu'ils n'ont eu de cesse d'étouffer, de dévoyer l'extension et la dynamique vers celle-ci d'une part et, d'autre part, parce que derrière les déclarations radicales, antisyndicales, pour l'auto-organisation, ils ont finalement réussi à ramener la classe sous la coupa des syndicats.
POUR L ' AUTO-ORGANISATION EN PAROLE, MAIS CONTRE LA CLASSE OUVRIERE El’ POUR LES SYNDICATS EN FAIT
Une des caractéristiques essentielles de la lutte des cheminots fut sa méfiance à l'égard des syndicats, sa tendance à 1'auto-organisation. Si les ouvriers ont accumulé cette profonde méfiance, c'est parce qu'ils savent par expérience de plus en plus qu'ils ne peuvent pas se battre lorsqu'ils ont les syndicats dans les jambes.
Le travail des gauchistes a consisté à permettre aux syndicats de se réintroduire dans le mouvement, de reprendre le contrôle de la lutte.
Ici encore, leur rôle a été particulièrement clair : épouser verbalement le sentiment de méfiance générale vis-à-vis des syndicats, grâce à leur critique des "directions", qui se manifestait dans le mouvement pour mieux le ramener sous la coupe des centrales. Là où les ouvriers cherchaient avec plus ou moins de clarté à se doter de leur propre forme d'organisation véritablement unitaire, les gauchistes ont défendu en permanence l'idée "qu'on n'est pas contre les syndicats", "qu'on a besoin d'eux". Alors que les cheminots disaient vouloir contrôler les négociations, ne pas déléguer leur volonté aux instances syndicales, les gauchistes défendaient celles-ci.
Le journal “Rouge", organe de la LCR, le dit clairement dans son numéro du 31 décembre 86:
- "Avec 1'auto-organisation, ce sont les syndicats qui sont devenus objet: ils sont sous le contrôle des cheminots (sic). Les travailleurs se donnent ainsi toutes les garanties de gagner (...) Les cheminots créent ainsi de nouveaux instruments qui ne remplacent pas les syndicats, mais qui permettent de gagner sans s'opposer à eux," (souligné par nous)
Voilà la fausse critique, l'ambiguïté qui permet aux gauchistes d'avoir trente-six visages, adaptables au gré des situations, et poignarder la classe après avoir trompé sa vigilance !
Ainsi, à la coordination de Paris-Nord, ils ont répété : "Laissons les syndicats négocier, çà n’est pas notre problème. Mais si les accords ne nous conviennent pas, on les rejettera et on continuera la grève!". Discours hypocrite qui permettait que les ouvriers ne contrôlent en rien les magouilles gouvernement-patronat-syndicats et qui redorait la façade des syndicats qui pouvaient alors dire : "Nous allons consulter notre base", perpétuant l'idée que les syndicats "défendent” la classe ouvrière.
A la coordination d'Ivry, les gauchistes reprenaient la forte volonté des grévistes de contrôler les négociations, mais pour la détourner en disant : "On veut notre place à côté des syndicats pour les négociations".
Cela permettait que les ouvriers ne se posent pas ouvertement et clairement la question : "Pourquoi ce sont les syndicats qui négocient à notre place"?
C'est ainsi que les gauchistes se sont avérés, dans la pratique, les meilleurs défenseurs de la "représentativité" des centrales syndicales dont ils ont toujours affirmé qu'elles devaient être les principales négociatrices face au gouvernement..., alors qu'elles s'étaient opposées à la grève au début!
C'est ainsi qu'à l'heure d'organiser une manifestation, ils s'en sont remis aux appareils syndicaux...
C'est ainsi qu'à la fin du mouvement, ce sont bel et bien les syndicats qui ont mené les négociations avec le gouvernement et le patronat, "parce qu'on a quand même besoin d’eux"! dixit "Rouge"
il faut que les ouvriers en soient conscients. Dans le développement de leurs luttes à venir, ils auront encore ces fervents défenseurs (en parole) de leur combat prêts à les suivre, puis à les mener... à la défaite.
Derrière la phraséologie assembléiste, pour l'auto-organisation* tout le travail des gauchistes a été d'enfermer le mouvement, de noyer les questions afin d'étouffer toute critique réelle des syndicats, et de prévenir toute tentative d'extension vers les autres secteurs -alors que beaucoup d’entre-eux, marins, dockers, navale, RATP..., étaient en lutte- relayant et complétant, à la SNCF, le travail d'isolement mené par les syndicats, et particulièrement la OGT, dans ces autres secteurs (voir article p.5).
Dans la dynamique actuelle des luttes ouvrières, les ouvriers sont poussés et cherchant à sortir de l'isolement et pour cela, il leur faut et il leur faudra combattre avec toujours plus de force leurs ennemis tels que syndicats, syndicalistes de base, gauchistes, qui n'ont de cesse de les enfermer dans "leur" usine, “leur" secteur, "leur" corporation, qui n'ont de cesse d'empêcher toute extension de leur lutte, parce que c'est là que réside toute la force de la classe ouvrière : la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes, pour élargir et unifier leur combat.
CRV