Comment le PCF a quitté le camp du prolétariat

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Le PCF était, à sa naissance, une organisation authentiquement prolétarienne, un produit de la vague révolutionnaire internationale du prolétariat, comme les autres partis communistes qui se forment à la même époque dans le sillage de la révolution d’Octobre victorieuse en Russie et de la fondation de la IIIe Internationale, l’IC. Il se constituait en décembre 1920 au Congrès de Tours (1)  à travers une scission d’avec le vieil appareil social-démocrate français dont les principaux dirigeants s’étaient ralliés d’un bloc à "l’Union Sacrée" et à la guerre impérialiste de la bourgeoisie. Cependant, la constitution de ce parti révolutionnaire est déjà marquée par l’opportunisme, en totale contradiction avec la ferme défense des intérêts et des principes du prolétariat.

Elle est le fruit d’un compromis que l’IC a commis la lourde erreur d’encourager. Ce compromis est passé entre une gauche très faible (ses deux principaux porte-parole, Loriot et Souvarine sont emprisonnés à ce moment-là) et un fort courant majoritaire "centriste".

Les faiblesses politiques et organisationnelles d'un parti prolétarien à sa naissance (1920)

Cette tactique est désastreuse parce que l’ad­hésion ne se fait pas, fait unique dans l’histoire des PC européens, sur les "21 conditions d’ad­mission à l’IC" qui exigeaient en particulier une rupture complète et définitive avec la politique opportuniste du centrisme envers le réformisme, le social-patriotisme, le pacifisme, mais sur des critères nettement moins sélectifs.

L’objectif de cette tactique de l’IC était d’en­traîner la majorité à se séparer de la droite de la social-démocratie, parti de gouvernement bour­geois et ouvertement patriotard. Malheureuse­ment, la gauche du nouveau parti regroupe seulement une poignée de militants internationalistes pendant la guerre et des jeu­nes militants souvent inexpérimentés, mus avant tout par un élan enthousiaste devant la révolu­tion russe.

Le centre largement majoritaire au sein du nouveau parti est infesté d’opportunistes, peu ou prou "repentis" d’avoir trempé dans l’Union sacrée. Ses représentants les plus typiques sont ainsi Frossard, conciliateur-né et habile manœu­vrier politique (qui, bien qu’assez rapidement rallié à la minorité pacifiste, était parvenu à se faire nommer secrétaire général du vieux parti socialiste et qui va conserver cette fonction au sein du nouveau parti communiste) et Cachin, ex-émissaire du gouvernement français pour entraîner l’Italie dans la guerre (2). En même temps, vient s’agréger au parti une autre com­posante importante, imbibée de fédéralisme anarchisant (surtout représenté au sein de la fédération de la Seine), qui se retrouvera en chaque occasion, sur le plan organisationnel, aux côtés du centre contre la gauche pour s’op­poser à la centralisation internationale et sur­tout aux orientations de l’IC sur le jeune Parti communiste français.

Ainsi, le PCF, dès ses premiers pas, au lieu de rompre avec elles, hérite des tares d’un "socia­lisme à la française" placé sous la double in­fluence du "jauressisme" et du "guesdisme". Jaurès n’était nullement marxiste. Son assassi­nat alors qu’il tentait de "sauver la paix" à la veille de la guerre de 14 avait rehaussé le prestige du fondateur de l’Humanité. Il n’avait pourtant jamais cessé de clamer son vibrant patriotisme et son engagement était un pot-pourri de radi­calisme républicain, de réformisme parlemen­taire, d’humanisme bourgeois. Le va-t-en guerre Guesde, considéré comme le patriarche de "l’école française du marxisme", participait en 1914 comme ministre au gouvernement d’union nationale.

Mais la faiblesse essentielle de la gauche fran­çaise réside dans son absence de ligne politique claire et cohérente. Incapable de mener un com­bat résolu contre l’opportunisme, se bornant, au mieux, à défendre au sein du parti les posi­tions de l’IC, elle s’avérera rapidement tout aussi inapte à sécréter une opposition sérieuse à la dégénérescence de l’IC, contrairement à d’autres courants de gauche en Europe.

En effet, la Gauche communiste allemande, hollandaise et surtout italienne ont combattu dès le début et pendant des années de toutes leurs forces la dégénérescence de l’IC et la montée du stalinisme.

Le PCF n’a certes pas détenu le monopole du stalinisme qui a suivi la défaite et l’écrasement de la vague révolutionnaire mondiale, puisque tous les PC ont, sans exception, suivi la même tragique trajectoire qui les a menés, dans le camp bourgeois, à s’illustrer parmi les pires ennemis et bourreaux du prolétariat.

Mais c’est cette faiblesse politique des cou­rants de gauche en France qui explique de façon déterminante pourquoi le PCF a été aussi faci­lement emporté dans le camp bourgeois et s’est transformé aussi rapidement et sans grande résistance en un des modèles les plus zélés et les plus inconditionnels de la contre-révolution stalinienne, en un des serviteurs les plus dociles de Moscou.

Le PCF et la dégénérescence de l’IC (1921-1927)

Entraîné vers le pire opportunisme sous l’im­pulsion des manœuvres de Frossard et de Ca­chin, le PCF subit de plein fouet le processus de dégénérescence de l’IC. Celui-ci se fait jour lors du IIIe Congrès de l’IC en juin 1921 qui rompt avec une orientation révolutionnaire.

Adoptant une "nouvelle orientation" désas­treuse, ce Congrès décidait une nouvelle tacti­que opportuniste, celle du "front unique ouvrier", conçu comme le lancement d’actions communes avec le Parti Socialiste pour tenter d’élargir l’influence du PC au sein de la classe ouvrière.

Cette politique allait avoir des conséquences catastrophiques dans les années suivantes, malgré des oppositions très fortes au sein de l’IC de la part de certaines gauches. Ce fut notamment le cas de la Gauche italienne qui venait de mener un dur combat au Congrès de Livourne de janvier 1921 contre l’opportu­nisme et contre la social-démocratie et la Gauche allemande (le KAPD) qui venait de subir une sanglante répression d’un gouvernement social-démocrate. Pour le PCF, cette orientation dé­sastreuse venait alimenter les pires confusions. Le centre et les "fédéralistes" s’y opposaient très vivement en argumentant que "cette orien­tation était inapplicable à la France", cris­tallisant ainsi leur position contestataire vis-à­vis de l’IC sur un terrain vicié. De son côté, la gauche qui ne voyait dans cette position du centre que la manifestation d’une résistance au centralisme, défendait avec vigueur et énergie cette directive parfaitement opportuniste de l’IC.

Malgré les vivants débats au premier Congrès du PCF à Marseille en décembre 1921 (auxquels participe le leader de la Gauche italienne Bordiga en tant qu’un des représentants de l’IC), la direction Cachin-Frossard provoque la démis­sion de la gauche du comité directeur, mais un compromis consistant en une représentation paritaire du centre et de la gauche au sein de la direction du parti est finalement directement imposé par l’IC. Cependant l’affrontement interne se poursuit et culmine au Congrès natio­nal suivant en octobre 1922. Le centre tente un coup de force en décidant d’assumer seul la direction du parti. Il est alors désavoué par l’IC qui invite les principaux leaders du centre au IVe Congrès de l’IC début novembre. Cachin et Ker s’y rendent, Frossard se dérobe.

Alors que la question de la France est au cœur des débats, l’IC apprend incidemment l’appar­tenance de Frossard et d’autres leaders du PCF à la franc-maçonnerie et fait adopter, sous l’impulsion de Trotski, une nouvelle condition aux Statuts de l’IC, réservée au PCF, pour rappeler que, de telles pratiques d’infiltration d’une idéologie bourgeoise dans le mouvement ouvrier, sont inacceptables. Frossard après avoir tenté de semer la pagaille, n’a plus d’autre choix que de démissionner.

Le PCF, qui sera pendant plusieurs années une des préoccupations les plus constantes de l’IC, d’autant que la France apparaissait clairement comme un enjeu majeur de l’extension de la révolution mondiale, procède alors à un brutal virage entre 1923 et 1925. Sous l’impulsion du Komintern, il se met à développer une politique activiste et volontariste en direction des usines. Celle-ci se produit en plein reflux de la vague révolutionnaire mondiale. La Russie est totale­ment isolée. Lénine, gravement malade, assiste impuissant aux premières manifestations d’une dégénérescence qui contamine déjà le parti bol­chevik. Ce dernier cherche à s’illusionner, sur une hypothétique révolution allemande qui a déjà été écrasée dans le sang entre 1919 et 1921. La désorientation est telle qu’agissant au nom de l’IC, un de ses leaders, Radek, va "tendre la main" au nationalisme allemand. L’Humanité proclame, elle, la révolution imminente en Al­lemagne. Même Trotski pense que "le cartel des gauches", dominé par le courant radical-socia­liste hérité de la IIIe République, augure d’une situation pré-révolutionnaire en France, à la façon d’un gouvernement Kérenski.

La classe ouvrière elle-même n’est pas dégagée des illusions de la "paix" retrouvée et de l’ivresse déversée par la bourgeoisie des "pays vain­queurs de la guerre". Le nouveau parti, loin de lui dessiller les yeux et de lui montrer la gravité des enjeux, s’extasie, dans les colonnes de l’Hu­manité, sur le "succès" de la moindre grévette locale et gonfle démesurément la moindre mani­festation antimilitariste, lui faisant miroiter la perspective d’une révolution toute proche alors que la plupart du temps, il ne réussit à mobiliser que ses propres militants. Le reflux de la vague révolutionnaire entraîne la dégénérescence op­portuniste de l’IC qui s’accélère considérable­ment à la mort de Lénine en janvier 24. C’est le début d’un cours vers la contre-révolution. Le Parti bolchevik, happé par l’appareil d’Etat avec lequel il tend à se confondre de plus en plus et englué par une bureaucratie toujours prête à obéir au plus fort, se vide progressivement de toute vie politique prolétarienne. Les soviets asphyxiés meurent et le pouvoir prolétarien cède la place à un pouvoir d’Etat qui absorbe et intègre de nouveaux rapports de forces fondés sur des alliances et des rivalités de personne qui émergent au sein même du bureau politique. Ainsi, le regroupement formé par Zinoviev, Kamenev et Staline à la tête du Parti bolchevik se donne-t-il comme principal objectif de lancer une vaste campagne de dénigrement contre Trotski pour l’évincer de la direction. Placé à la tête du Komintern, Zinoviev est le maître d’œuvre d’une "bolchévisation" des autres PC qui consiste à instaurer des règles militaires et disciplinaires de soumission à la politique de l’IC. Le Komintern exploite en particulier les rivalités politiques présentes dans la gauche du PCF pour développer une politique organisa­tionnelle "d’épuration". Prétextant l’indisci­pline organisationnelle de Souvarine, il le fait exclure au Ve Congrès de l’IC alors que ce dernier avait publiquement pris la défense de Trotski, en même temps que plusieurs militants révolu­tionnaires de valeur, de la trempe de Rosmer ou de Monatte. Parallèlement, il impulse au sein du PCF une politique d’agitation activiste, forte­ment critiquée par la Gauche italienne : création des cellules d’entreprise qui enferment les ouvriers dans la vie étroite de l’usine, favorisant le cloisonnement, le corporatisme et l’ouvrié­risme aux dépens des débats ouverts et de la vie politique dans l’organisation révolutionnaire et dans la classe elle-même. De même, la propa­gande antimilitariste au sein de l’armée qui, faute de correspondre à une situation de montée de luttes révolutionnaires au sein de la classe ouvrière, contribue à isoler le PCF de l’ensemble du prolétariat.

Cependant, c’est avec l’introduction en Rus­sie d’une "nouvelle théorie", celle de la "cons­truction du socialisme dans un seul pays", totalement étrangère au marxisme et en contra­diction absolue avec les combats menés par les bolcheviks et l’Internationale, que le PCF allait devenir un fidèle serviteur de la contre-révolu­tion stalinienne et le grand complice de tous ses crimes.

Ainsi, le PCF passait du reniement à la néga­tion complète du principe marxiste essentiel des organisations ouvrières : l'internationalisme prolétarien, signait sa trahison et son passage définitif dans le camp de la bourgeoisie.

L'abandon de l'internationalisme prolétarien correspond à la période de stalinisation directe du PCF qui devient un des instruments les plus dociles du modèle stalinien de contre-révolu­tion, d'abord à travers la défense de l’URSS présentée comme "la patrie du socialisme", puis son intégration au sein de l’appareil poli­tique de la bourgeoisie française dans sa marche vers la guerre impérialiste.

Comment le PCF est devenu un parti stalinien (1927-1934) ...

Dès décembre 1924, Staline avait formulé une "nouvelle théorie" inspirée par Boukharine : la construction du socialisme dans un seul pays, totalement étrangère au marxisme et en contradiction absolue avec les combats menés par les bolcheviks et l’Internationale qui ont toujours lutté pour ouvrir la perspective d’une révolution prolétarienne mondiale. C’était la "théorie" de la contre-révolution en marche qui allait se concrétiser à travers le déferlement de la terreur stalinienne. L’internationalisme prolétarien était vidé de tout contenu et ne servait plus que de prête-nom pour couvrir son antithèse monstrueuse : "la défense de la patrie socialiste".

En janvier 1926, les promoteurs du "socialisme en un seul pays", Staline et Boukharine, affirment ouvertement leur lutte pour conquérir le pouvoir d'Etat en écartant Zinoviev et Kame­nev qui rejoignaient bientôt Trotski dans une "opposition unifiée" tentant désespérément de se dresser contre l’aberration du "socialisme dans un seul pays". Comme il l’avait fait avec Zinoviev, en manœuvrier rusé, Staline laissait un temps Boukharine agir sur le devant de la scène avec son "bloc ouvrier et paysan". Il se garde de tout chambouler du jour au lendemain, se contentant de truffer le parti et l’appareil d’Etat d’hommes de main à sa solde. En France, le Komintern stalinisé laisse ainsi la direction momentanément en place au congrès de Lille de juin 1926, mais en lui adjoignant de nouveaux et jeunes "hommes d’appareil" comme Thorez, Semard, Monmousseau. Cependant commence très vite, dès 1927, la chasse systématique aux trotskistes et aux opposants de gauche. Les événements s’accélèrent en avril 1927 avec la politique criminelle de Staline en Chine qui, en forçant le PC chinois à s’allier avec le dirigeant nationaliste Chang-kaï-chek, nommé membre d’honneur du Komintern, organise la défaite de la classe ouvrière chinoise. Staline la livre ainsi pieds et poings liés, lors des soulèvements prolétariens de Canton et de Shanghaï, au mas­sacre dans un véritable bain de sang perpétré par les troupes nationalistes du Kouomintang. Cette politique est vigoureusement dénoncée par Trotski. Ce dernier et Zinoviev sont exclus le 23 octobre 1927 du comité central et le 15 novem­bre du parti bolchevik. Début 1928, Trotski est banni et commence sa vie d’errance en exil, tandis que Zinoviev et Kamenev capitulent devant Staline. Les arrestations, les déporta­tions, les exécutions se multiplient dans les rangs de plus en plus décimés des vieux bolche­viks. Les meurtres commandités, les pogroms, les "goulags" à grande échelle suivront bientôt d’abord dans les rangs prolétariens, ensuite dans toute la population. La terreur stalinienne est en place. Le VIe congrès de l’IC en 1928 n’est qu’une parodie : l’Internationale est bien morte. Il ne sert qu’à organiser l’élimination de Boukha­rine. C’est l’ère de la collectivisation forcée et de l’industrialisation forcenée, de plus en plus orientée directement vers l’industrie de guerre. En France, les anciens dirigeants liés à la "bolchévisation" du parti sont éliminés en jan­vier 1928.

Le Komintern est devenu la courroie de trans­mission étroitement contrôlée de l’appareil sta­linien qui téléguide de jeunes dirigeants issus des Jeunesses communistes aux postes de com­mande pour "surveiller les agissements" des anciens. Les statuts du PCF sont profondément remaniés et le droit de tendance est supprimé. Le PCF est transformé en simple rouage de l’appareil stalinien. Par exemple, les rapports et les résolutions du congrès de Saint-Denis en avril 1929 sont préparés sur instructions de Moscou par Thorez, Barbé et Ferrat en marge de la direction officielle.

C’est dans le PCF que Staline va tout d’abord tester en 1931 de nouvelles méthodes d’élimi­nation qui annoncent les futurs procès de Mos­cou de la période 1934/1938. Dans ce but, il met au point une sombre machination pour accrédi­ter la thèse d’un "groupe fractionnel" des jeunes au sein du parti français. Les "aveux" fabriqués et extorqués à Barbé à Moscou faisant de son collègue Célor le bouc-émissaire du pseudo­complot des jeunes sont publiés dans une série d’articles dans l’Humanité sous la fausse signa­ture de huit membres différents du Comité central. En 1931, Thorez, placé sous la coupe directe du Komintern, est nommé secrétaire général qui devient le poste-clé de commande du parti et, dès 1932, la plupart des hommes qui l’entourent, de Duclos à Frachon, deviennent des membres inamovibles du Bureau politique, d’une docilité à toute épreuve envers Staline.

Au nom de la tactique "classe contre classe" et de la lutte contre le "social-fascisme" et "l’hitléro-trotskisme", tout devient prétexte à accusation de "déviationnisme" ou de "liquidationisme". En 1932, est mise en place une commission des cadres qui, grâce à des questionnaires biographiques périodiques rem­plis par les militants eux-mêmes, va permettre d’établir un fichage et un dossier plus complet, efficace et détaillé que celui de la préfecture de police sur chaque responsable. Ce fichier établi en double exemplaire est transmis systémati­quement à Moscou. En même temps, au début des années 30, une nouvelle ligne apparaît dans la presse du PCF.

Dès le printemps 1931, des taux de croissance faramineux en URSS sont annoncés, en pleine crise économique mondiale et alors que la poli­tique économique de Staline provoque une ef­froyable famine qui décime une énorme masse de miséreux. Ils sont censés prouver que "l’URSS est désormais entrée dans l’ère du socialisme" ainsi que "la supériorité incomparable du so­cialisme soviétique sur le capitalisme occiden­tal". Fidèlement, le PCF va désormais marteler à longueur de colonnes et de reportages dans sa presse le leitmotiv : en URSS, c’est le socialisme radieux et les prolétaires français doivent tout faire pour "défendre la glorieuse patrie du socialisme". Le culte de Staline, le "petit père des peuples", déjà en place depuis décembre 29 en URSS, sera promu à l’occasion de cette vaste campagne idéologique.

… et un ardent défenseur du capital national (1934-1935)

Il lui fallait également s’intégrer au sein de l’appareil d’Etat de la bourgeoisie française. C’est ce pas qu’il allait brillamment franchir en devenant par la suite un ardent défenseur du capital national, en œuvrant de toutes ses forces à l’embrigadement du prolétariat dans la nou­velle boucherie mondiale qui se préparait.

L’intégration progressive du PCF au sein de sa bourgeoisie nationale est étroitement liée à la préparation par celle-ci de la guerre impérialiste. Elle commence par sa participation active au développement de l’idéologie antifasciste. Le PCF est ainsi le principal animateur en 1933 du mouvement antifasciste d’Amsterdam-Pleyel contre la montée du nazisme, téléguidé en sous-main par le Komintern, l’un de ses représen­tants étant faussement accusé par le régime hitlérien de l’incendie du Reichstag. Ce mouve­ment va servir de premier tremplin à l’antifascisme comme base idéologique d’em­brigadement du prolétariat dans la préparation de la guerre impérialiste. Il regroupe déjà, aux côtés du PCF, une partie de la gauche (de membres de la SFIO jusqu’aux intellectuels), contenant ainsi les germes du futur Front popu­laire. Cela n’empêche pas le PCF et l’appareil stalinien en Russie elle-même d’avoir été pris de cours par la prise du pouvoir d’Hitler en janvier 1933 en Allemagne. Le 6 février 1934, date capitale dans l’accélération des préparatifs guer­riers de la bourgeoisie française, l’ARAC (asso­ciation d’anciens combattants contrôlée par le PCF) manifestait encore contre le gouvernement aux cris de"A bas le gouvernement des fusilleurs" aux côtés des Croix de feu et des organisations d’extrême-droite qui avaient pro­voqué de violents affrontements avec la police devant la Chambre des Députés. Lorsque la SFIO propose au PCF une manifestation anti­fasciste commune pour le 8 février, ce dernier refuse catégoriquement et l’Humanité se livre alors dans ses colonnes à un violent réquisitoire contre le parti socialiste. Il fait cependant une première volte-face en qualifiant la journée du 6 comme une "offensive fasciste" et organise seul une contre-manifestation le 9 : il envoie déjà des prolétaires à la mort, six ouvriers étant tués dans de violents affrontements par la police gouvernementale (et non par les ligues fascistes qui avaient cessé d’occuper la rue). Cependant, face aux craintes que faisait naître une situation que beaucoup d’ouvriers étaient tentés de comparer aux événements en Allema­gne qui avaient précédé l’arrivée du régime nazi au pouvoir, un vaste mouvement se dévelop­pait, rassemblant les ouvriers dans les entrepri­ses autour de comités de défense antifascistes qui débordaient parfois le contrôle des appareils sociaux-démocrates et staliniens. C’est pour­quoi les leaders syndicaux de la CGTU font notamment pression sur le PCF en faveur d’une manifestation antifasciste aux côtés du PS pour le 12. Ce jour-là, les deux cortèges se rejoignent et s’unissent : c’est un succès populaire pour le PC. Les réticences du PCF envers l’action commune antifasciste avec la social-démocratie restent toutefois très fortes mais elles commen­cent à être durement critiquées par Staline. La nouvelle ligne est adoptée en mai 1934 à Mos­cou et c’est seulement en octobre que le PCF la reprend à son compte, mais avec détermination. C’est après s’être fait vertement tancé par le Komintern que Thorez appelle ouvertement à un "Front populaire" contre le fascisme. La voie est désormais ouverte au soutien du capital national. Mais c’est seulement à la mi-mai 1935 qu’intervient le facteur décisif avec le pacte Laval-Staline dans lequel ce dernier déclarait qu’il approuvait le programme de défense nationale française. En fait, cela correspondait à l’une des premières tentatives pour l’URSS stali­nienne de se mêler au concert des grandes puissances impérialistes. Cette fois, le PCF réagit en 24 heures : il vole au secours du capital national, de façon irréversible et définitive. Du jour au lendemain, il se met à exalter la France éternelle, Jeanne d’Arc et la Marseillaise. Vaillant-Couturier présente les communistes comme les meilleurs héritiers des rois capétiens. Comme s’il relâchait brusquement une pression énorme trop longtemps contenue, le PCF dé­verse des torrents de patriotisme exacerbé. Au congrès de Villeurbanne de janvier 1936, Thorez s’écrie : "Les communistes ne veulent pas lais­ser aller le pays à la régression, à la ruine et à la catastrophe, c’est pourquoi ils travaillent à l’union du peuple de France, à la véritable réconciliation nationale contre les 200 familles. Nous sommes soucieux de l’avenir de notre pays, du nombre et de la santé de nos enfants, de l’abondance et de la qualité de se production matérielle et intellectuelle, du rayonnement de sa culture (...) La République des Soviets, ce sera le salut de notre pays (...) Les communistes feront une France libre, une France forte, une France pacifique." Le Manifeste du même con­grès proclame : "Un vent de détresse souffle sur notre beau pays de France dont les richesses, au lieu de servir à embellir et à rendre plus heu­reuse la vie des hommes, sont accaparées par une minorité malfaisante de parasites. Notre pays gémit aujourd’hui sous le poids de l’op­pression, de la bande d’ennemis de la nation responsables de l’appauvrissement des mas­ses populeuses, de la corruption et des scanda­les (...) Le PCF est le parti de l’Union de la nation française (...) La nation française, c’est le peu­ple admirable de notre pays, au cœur généreux, à la fière indépendance et au courage indomp­table. Peuple français, c’est pour ton salut que nous te convions à l’Union."

Ne reculant devant aucun excès de chauvi­nisme hystérique, Thorez lançait un nouvel appel par la radio en avril 1936 à une véritable union sacrée : "Nous te tendons la main, catho­lique, (que tu sois) ouvrier, employé, artisan, paysan, nous qui sommes laïcs, parce que tu es notre frère (...) Nous te tendons la main, volon­taire national, ancien combattant devenu Croix de feu, parce que tu es un fils du peuple, que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux nous éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe." La bourgeoisie nationale sait qu’elle peut compter désormais sur le PCF : s’il ne participe pas directement au gouvernement de Front popu­laire (PS et radicaux) qu’il a largement contribué à amener au pouvoir, il aura été le meilleur garant du maintien de l’ordre public. Après les accords Matignon de juin 1936, c’est lui qui persuade les ouvriers de reprendre le travail : "Il faut savoir terminer une grève !", s’exclame Thorez qui avait écrit parallèlement au chef du gouverne­ment Daladier "C’est parce que nous sommes unis que nous avons empêché dans ce beau pays

que nous aimons, le déchaînement d’une guerre civile qui aurait fait couler beaucoup de larmes et de sang". En août 1936, c’est encore Thorez qui précise devant les militants parisiens : "Nous pouvons dire que le Front populaire (et nous y sommes pour quelque chose, nous, les commu­nistes), ce sera vraiment un front français, un front du peuple de France, héritier et continua­teur de la grande révolution, contre le front des agents de l’étranger. (...) Un front français à la tradition héroïque de lutte et de liberté de notre peuple, aux accents de la Marseillaise de 1792 mêlés à ceux de notre Internationale, sous les plis du drapeau tricolore de Valmy avec le drapeau rouge de la Commune, un front fran­çais contre le front anti-français de la trahison : front français pour le respect des lois, front français pour la défense de l’économie natio­nale, front français pour la liberté et l’indépen­dance de notre pays."

Sous la double bannière de la défense de la patrie française et de la patrie du socialisme, le PCF avait brillamment commencé son œuvre d’embrigadement du prolétariat dans la nou­velle boucherie impérialiste mondiale qui se préparait. Son efficacité sur fond de montée de contre-révolution était terrifiante : entre début 34 et début 37, les effectifs du parti stalinien passaient de moins de 30 000 à plus de 350 000.

(extrait de RI n° 276 et 277­Février mars 1998)

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1Il faut cependant mentionner qu'auparavant, un courant anarcho-syndicaliste constitué en "Comité de défense syndicaliste" au sein de la CGT animé par Raymond Péricat s'était lancé dans une tentative de créer un Parti Communiste français dès fin mai 1919 sur des positions clairement internationalistes et pro-bolchéviques par rapport à la guerre et aussi sur des positions anti-parlementaristes.

Il publia un Manifeste et des statuts du "nouveau parti" et organisa même une conférence nationale, se dotant d'une publication Le Communiste qui se proclamait "organe officiel du PCF et des soviets adhérents à la section française de la IIIe Internationale de Moscou, des conseils ouvriers, de paysans et de soldats". Mais cette constitution hâtive, dans l'enthousiasme provoqué par Octobre 17, sans réelle préoccupation de regroupement de toutes les forces révolutionnaires, impliqua une existence éphémère de quelques mois de ce PCF-là. Il éclata très rapidement sous l'influence pernicieuse en son sein de l'anarchisme et de sa vision fédéraliste et anti-centralisatrice.

2Marcel Cachin avait été envoyé en Italie pour remettre à Mussolini de l'argent afin qu'il publie un journal chauvin appelant à l'entrée en guerre. C'est ce même Cachin qui se vantait d'avoir pleuré de joie lorsqu'il a vu le drapeau français flotter à nouveau sur Strasbourg en 1918.

Conscience et organisation: 

Questions théoriques: