Soumis par Révolution Inte... le
Au milieu de l'année 2002, il y a eu des préparations de guerre intensive dans le sub-continent indien. Les cliques dirigeantes à la fois du Pakistan et de l'Inde étaient au bord d'une guerre ouverte. Ces deux Etats impérialistes ont procédé à une mobilisation militaire sans précédent, des milliers de soldats équipés jusqu'aux dents d'armes meurtrières ont été déployés des deux côtés de la frontière, des menaces d'utiliser des armes atomiques ont été proférées par différentes fractions politiques dans les deux pays. La bourgeoisie indienne s'était montrée beaucoup plus agressive et avait semblé être acculée à la guerre ouverte en réponse à une activité belliqueuse beaucoup plus cachée à travers les activités terroristes soutenues par la bourgeoisie du Pakistan. Mais la pression de la "communauté internationale", celle des Etats-Unis en particulier, avait contraint la bourgeoisie indienne à freiner sa marche vers la guerre.
Depuis mai-juin 2003, nous avons vu de nouvelles initiatives de "paix" dans le subcontinent indien culminant dans le présent cessez-le-feu déclaré par le Pakistan et accueilli favorablement par l'Inde. Le premier ministre indien a tendu "la main de l'amitié" à son homologue pakistanais. Des mesures de "construction de la confiance" ont été prises des deux côtés. Des prisonniers ont été libérés. Des discussions continuent encore aujourd'hui en vue de rétablir des liaisons aériennes, terrestres, ferroviaires et maritimes. Des liaisons routières ont déjà commencé à être remises en service à une échelle limitée. Les ambassadeurs sont déjà revenus à leur poste, un an après l'avoir quitté volontairement ou avoir été contraints de le faire. En janvier, le premier ministre indien Vajpayee doit visiter Islamabad pour le sommet de l'Association Sud Asiatique pour la Coopération Régionale, bien que jusqu'alors New Delhi ait écarté toute idée de discussion bilatérale avec les leaders pakistanais en marge du sommet. Plus récemment, en novembre 2003, un cessez-le-feu a été déclaré le long de la frontière de la région litigieuse du Cachemire. Ainsi apparemment, l'initiative de "paix" gagne du terrain dans un conflit frontalier qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts.
Peut-il y avoir une quelconque paix réelle entre ces deux Etats impérialistes dont la naissance s'est faite dans les entrailles d'une période de conflits impérialistes intenses ? Peut-il y avoir de réelle paix et des relations harmonieuses entre deux Etats capitalistes récents qui, comme tous les Etats, sont nécessairement impérialistes dans la phase de décadence du capitalisme ? NON, mille fois NON ! La guerre et la "paix" dans la société décadente sont deux aspects inséparables de la même stratégie impérialiste. La "paix" dans cette époque n'est rien d'autre qu'un moment particulier entre deux phases de guerre ouverte. Elle est utilisée par les Etats impérialistes guerriers pour la préparation politique et militaire d'une nouvelle guerre encore plus meurtrière et dévastatrice. La "paix" et les "initiatives de paix" ne sont rien d'autre que la continuation de la guerre sous une forme différente et sont une partie importante de l'offensive diplomatique d'un camp contre l'autre. Il ne peut y avoir de paix réelle et permanente dans le capitalisme agonisant. Dans le subcontinent indien, la "paix" a toujours été suivie de déclenchements de guerre ouverte. La guerre de Kargil a été précédée et préparée par la "paix" de Lahore. La "paix" d'Agra a été suivie par une situation proche de la guerre en janvier et juin 2002. La "paix" de Tashkent fut suivie par la guerre sanglante de 1971 dont il a résulté le démembrement de la partie orientale du Pakistan et la constitution du Bangladesh. Le Bangladesh est né à la fois comme le produit d'un conflit intense entre deux factions de la bourgeoisie pakistanaise, le produit du conflit impérialiste entre les bourgeoisies indienne et pakistanaise et le produit du conflit global entre les blocs impérialistes russe et américain. Ainsi, les efforts de "paix" et la guerre ne sont rien d'autre que les deux faces de la même réalité.
Les besoins de l'impérialisme américain
La dernière initiative de "paix" ne peut pas être
différente. Ce n'est rien qu'un paravent en vue d'une nouvelle
intensification de ce conflit impérialiste. Elle est indissociablement
liée à une offensive diplomatique où chacune des
deux parties entreprend de séduire la "communauté
internationale", et en particulier la superpuissance. Ce ne sont
rien que des pas supplémentaires en direction d'une future guerre.
En juin 2002, quand les initiatives de guerre dans le subcontinent indien
atteignaient leur paroxysme, les Etats-Unis n'ont ménagé
aucun effort pour éviter le déclenchement de la guerre
et maintenir la "paix" dans la région. La "paix"
dans cette partie du monde est nécessaire pour la stratégie
impérialiste globale actuelle de l'Amérique. Elle vise
à consolider sa position stratégique en Afghanistan, en
Irak et sur des parties de l'Asie centrale. La situation délicate
des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan -avec l'extension et le renforcement
des attaques armées contre les forces d'occupation américaines
a renforcé davantage le besoin de stabilité dans le subcontinent
indien. Ainsi les intérêts impérialistes de la Maison
Blanche nécessitent d'apparaître comme des "colombes
de la paix" dans certaines aires stratégiques, afin d'accroître
sa capacité à entreprendre des aventures militaires ailleurs,
et pour intensifier son offensive contre ses plus dangereux rivaux potentiels
- l'Allemagne, la France et d'autres grandes puissances.
Il en va de même pour les autres puissances impérialistes,
qu'elles soient grandes ou petites. On a vu le rôle "d'apôtres
de la paix" qu'ont joué les bourgeoisies française,
allemande, russe et chinoise dans la guerre en Irak, tout comme on a
vu le bellicisme plus ouvert de ces mêmes puissances dans d'autres
conflits. Dans tous les cas, le conflit entre les plus petites puissances
et l'unique superpuissance, qu'il soit caché ou ouvert, ne peut
que s'accroître. La bourgeoisie indienne est contrainte d'être
ambivalente vis-à-vis de la politique américaine quand
il s'agit de la lutte contre le terrorisme international. La bourgeoisie
indienne ne peut ni totalement soutenir la politique impérialiste
des Etats-Unis ni totalement s'y opposer. Mais elle est obligée
de maintenir des relations avec ce géant militaire et économique
et l'initiative récente de "paix" est intimement liée
à la stratégie que le capitalisme indien doit adopter
dans ses relations avec les Etats-Unis.
L'agressivité téméraire de la bourgeoisie indienne
avec son insistance pour une confrontation militaire ouverte avec la
bourgeoisie pakistanaise et les efforts de cette dernière pour
éviter une guerre ouverte avec l'Inde, a mené à
un certain isolement diplomatique de l'Etat indien vis-à-vis
de la "communauté internationale". La classe dominante
indienne n'a pas eu beaucoup de succès pour convaincre la "communauté
internationale" du bien-fondé de ses récriminations
incessantes envers le Pakistan, proclamant que ce dernier était
la seule source de terrorisme, pas seulement au Cachemire mais aussi
dans d'autres parties de l'Inde et à l'étranger.
L'Inde n'est pas les Etats-Unis. Elle doit se donner beaucoup de mal
pour plaire à la "communauté internationale".
La première et la seconde guerre d'Irak et la situation présente
des Etats-Unis ont poussé l'Etat indien à prendre l'initiative
de la "paix". La bourgeoisie indienne a réalisé
qu'elle paierait très cher toute agression ouverte contre le
Pakistan sans le consentement de la "communauté internationale"
et des Etats-Unis en particulier. En plus de ceci, le rôle de
la bourgeoisie indienne dans la guerre en Irak n'a pas satisfait Washington.
Les intérêts de la bourgeoisie indienne l'ont donc obligée
à recourir à l'initiative de "paix" comme le
meilleur atout dans la situation présente. Cette initiative a
connu une soudaine impulsion juste avant la visite dans le subcontinent
indien de Richard Armitage, le représentant du Secrétariat
d'Etat américain qui est aussi une personnalité très
importante dans l'administration Bush. L'Etat pakistanais a lui aussi
besoin de plaire au gendarme américain, suite au rôle qu'il
a joué durant la guerre en Irak. Le Pakistan a vraiment été
identifié internationalement comme un Etat qui abritait des terroristes
islamistes et il y a eu des rumeurs insistantes sur des connexions entre
les services secrets pakistanais et des bandes comme Al-Qaida. De plus,
la bourgeoisie pakistanaise a tiré d'amères leçons
de son passé de guerres ouvertes contre l'Inde. D'où la
floraison actuelle d'initiatives de "paix" de la part des
deux Etats ennemis. Ces initiatives se sont aussi accélérées
après le retour de Chine du ministre indien de la Défense
à la suite d'"un voyage cordial et très fructueux".
Ce ministre a ensuite fait une série de déclarations qui
font de lui l'un des plus pro-chinois de la classe politique indienne.
Du fait de l'évolution du rapport de force à l'échelle
internationale, la Chine est conduite à encourager à la
fois l'Inde et le Pakistan à "faire la paix", plutôt
que de poursuivre sa politique classique consistant à jouer la
carte du Pakistan contre l'Inde.
Des tensions croissantes
Mais les tensions impérialistes et les rivalités guerrières
sous-jacentes s'amoncellent sous le mince voile des initiatives de paix.
Le 2 juin 2003, le Premier Ministre indien a déclaré en
Suisse : "Avant, on nous demandait d'établir des relations
avec le Pakistan. Maintenant le monde entier leur dit d'arrêter
leurs incursions terroristes sur notre territoire". Selon Brajesh
Mishra, le conseiller indien à la sécurité, "un
noyau constitué de sociétés démocratiques
doit peu à peu émerger de notre coalition actuelle pour
prendre à bras-le-corps la lutte contre le terrorisme international
de manière homogène et ciblée". Le président
pakistanais, Pervez Musharraf, disait dans une interview le 16 juin
2003 : "Le problème avec l'Inde est qu'ils sont trop conscients
de leur plus grande taille et qu'ils croient qu'ils peuvent contraindre
à l'obéissance leurs voisins. Ils veulent nous imposer
leurs diktats. Nous n'accepterons pas ça, empêchons-les
de nous traiter comme n'importe quel petit pays périphérique.
Nous sommes une nation puissante". Selon une résolution
adoptée par le BJP, le parti politique dominant dans la coalition
qui dirige l'Inde, la base pour tout dialogue avec l'autorité
pakistanaise serait le retour dans le giron indien de la partie du Cachemire
qu'ils appellent POK, c'est-à-dire le Cachemire occupé
par le Pakistan. Selon une information parue dans The Telegraph du 19
juin 2003, l'Inde a interdit l'accès du Pakistan au célèbre
Forum Régional Asiatique et le ministre indien des Affaires étrangères
a joué un rôle de premier plan dans cette entreprise. Yashwant
Sinha a déclaré devant un parterre d'officiers d'état-major
et de diplomates le 19 octobre 2003 : "Qui est ami ou ennemi dans
cette bataille contre le terrorisme est une question cruciale. Si on
permet à nos ennemis de se déguiser en amis, le terrorisme
international ne renoncera jamais". Il a ensuite ajouté
: "Le penchant de certains à traiter avec les régimes
autoritaires pour des gains à court terme sera aussi de courte
durée." Les implications sont assez claires. Dans la même
réunion le Premier Ministre indien a vomi du venin contre la
bourgeoisie pakistanaise : "Est-ce que le Pakistan a une démocratie
? Est-ce qu'il a un gouvernement élu ? Ceux qui dirigent l'arme
au poing parlent d'auto-détermination (au Cachemire)". The
Statesman, un journal sérieux de la bourgeoisie indienne, a récemment
titré : "Rocca tance Islamabad". Dans cet article est
reporté que l'assistante du Secrétaire d'Etat américain,
Christina Rocca, a dit que l'Inde était une victime du terrorisme
et que le Pakistan devrait redoubler d'efforts pour mettre un terme
à ses infiltrations frontalières.
Quant au cessez-le-feu, il a été planifié comme
un exercice de propagande pour coïncider avec la visite de Vajpayee
à Islamabad. Ershad Mahmud de l'institut d'études politiques
à Islamabad a déclaré : "Ce voyage a été
plus symbolique que consistant". Un membre des groupes militants
du Cachemire à Muzzafarabad a exprimé toute la suspicion
que lui inspirait le cessez-le-feu : "Le Pakistan peut retirer
quelque bénéfice politique du cessez-le-feu parce qu'il
en a été à l'origine, mais le grand bénéficiaire
en est l'Inde qui renforcera ainsi ses positions et à qui cela
permettra d'améliorer ses défenses" (Yahoo! News
le 26 novembre 2003). Une fois encore, la paix impérialiste pave
la route pour la guerre impérialiste.
Par dessus tout, en aucun cas, la menace de la guerre nucléaire
n'a été éliminée. Le président pakistanais
Pervez Musharraf a dit à Séoul en Corée du Sud
le 7 novembre 2003 : "Je pense qu'il était parfaitement
justifié de développer nos capacités nucléaires
et nos missiles parce que s'il y avait une menace externe et même
si cette menace surgissait dans n'importe quelle autre région,
nous y répondrions d'une manière identique dans le futur."
Le premier ministre indien a ajouté à Londres le 7 novembre
:"C'est un sujet de préoccupation pour nous que ce programme
[le programme d'armement nucléaire pakistanais] soit sans ambiguïté
dirigé seulement contre l'Inde". A travers tout cela, le
sens de "l'initiative de paix" apparaît clairement.