Soumis par CCI le
- Une réponse au texte précédent; il définit le cadre de la politique économique du Prolétariat, et expose les limites à sa marge de manoeuvre dans la Période de Transition
La domination politique et économique de la période de transition
En opposition au projet de résolution sur l’État dans la période de transition, qui affirme qu’il n’y a pas de mode de production spécifique dans la période de transition, les camarades de Toronto (compte-rendu du 6 juin 1977) déclarent que: “Quand les ouvriers dominent politiquement, ils dominent l’économie puisqu’ils ont déjà les leviers de la production, littéralement, entre leurs mains.” Et : “le mode de production est la production socialisée, c’est-à-dire, la production de valeurs d’usage, le mode de production communiste à l’état embryonnaire”.
Mais la domination de l’économie dont parlent ces camarades, n’ira pas “de soi”. La base matérielle du mode de production communiste est le développement de la technologie et une abondance des forces productives, planifiée à l’échelle mondiale. La “domination politique” n’est que la pré-condition de cette abondance matérielle future, caractéristique fondamentale d’une société communiste. Cette domination économique (et la politique économique qui en découle) ne mène pas automatiquement à un tel développement des forces productives. Il n’y a pas non plus de rapport constant, immédiat entre le contrôle politique de la classe et sa capacité à augmenter la productivité.
En réalité les camarades de Toronto parlent d’une sorte de “contrôle ouvrier” sur l’économie dans la période de transition. Et ils attribuent à ce contrôle, l’étiquette de “mode de production”. Cette conception, cependant, relève d’un certain manque de compréhension, quant à la nature du prolétariat et aux complexités de la période de transition.
Tant que des classes existent, tant qu’il n’y a qu’un secteur socialisé, le prolétariat ne peut avoir de réel pouvoir “économique” dans la société. Le simple fait que la force de travail ne soit plus une marchandise, le simple fait que la bourgeoisie et son État aient été renversés, ne signifient pas que le prolétariat a “le pouvoir économique”. Sa tâche est de développer les forces productives selon les orientations socialistes, et il doit faire face à tous les vestiges des sociétés de classes précédentes avant de pouvoir réellement accomplir cette tâche. Avant que ce but soit réalisé, il est ridicule de présenter l’instabilité économique évidente de la production dans le secteur socialisé comme un “mode de production” comme le “communisme à l’état embryonnaire”.
Même un rapide rythme de développe ment des forces productives dans la période de transition ne nous autoriserait pas à parler d’un “pouvoir économique croissant” du prolétariat. Ce rythme sera lui-même déterminé non pas tant par la volonté de la dictature du prolétariat, mais plutôt par les limites concrètes imposées par une société de transition, par un contexte social encore dominé et déformé par la pénurie, par les dislocations et les ravages de la guerre civile, etc.. Le rythme est donc subordonné à des facteurs externes. Comment parler alors de “domination économique” quand cette “domination” sera elle-même dominée à un moment donné, ou tout au moins conditionnée, par le caractère hybride de la période de transition ?
Bien sûr, il est facile de semer à la ronde des illusions triomphalistes sur le “secteur autogéré”, et même sur “le socialisme” ou le “communisme à l’état embryonnaire” et autres confusions. Mais les révolutionnaires doivent combattre ces illusions sans pitié, car elles ne peuvent qu’obscurcir la vraie nature de la période de transition et de la dictature du prolétariat. Parler de façon irresponsable d’une prétendue “domination économique”, c’est parler en fait du pouvoir économique qu’aurait le prolétariat dans une société encore capitaliste à bien des égards (simple production de marchandises par exemple, énorme fragmentation de la vie sociale, etc..). En réalité, le prolétariat dans le secteur socialisé n’aura qu’un pouvoir matériel en quelque sorte hybride, sans cesse déformé par des pressions extérieures qui échappent à son contrôle purement économique. La potentialité de ce pouvoir aura encore à s’épanouir, principalement à travers une politique économique rationnelle subordonnée aux besoins politiques du prolétariat. Il ne serait d’aucune aide d’appeler cet état de fait “communisme à l’état embryonnaire” quand la réalité pourrait encore ramener tragiquement à un “capitalisme embryonnaire s’il y a la contre-révolution.
La question de savoir si le prolétariat développera suffisamment les forces productives pour s’abolir lui-même et toutes les autres classes, dépendra de sa domination politique sur l’ensemble de la société de transition. Cette conscience proviendra de sa condition historique et réelle, comme classe économique et révolutionnaire, et non pas directement du secteur socialisé instable, ni de décrets vides de sens sur “la domination économique” ou sur le communisme embryonnaire. Les lois ne sont jamais supérieures à la réalité économique qui leur a donné naissance.
Ainsi la capacité du prolétariat à accroître le volume et la qualité des valeurs d’usage pour sa propre consommation, processus qui est lié à l’intégration du reste de l’humanité dans le travail productif, dépend essentiellement de la conscience de classe du prolétariat, c’est-à-dire de sa conscience politique. Cette auto-activité s’exprime en retour dans la capacité du prolétariat à maintenir vivants ses organes de domination de classe, dans un état de vigilance permanente, de débat et de clarification quant aux buts finaux de la révolution prolétarienne. Elle s’exprime aussi dans la capacité de la classe à convaincre, à persuader les autres couches travailleuses de la société que leur avenir repose dans leur identification avec le prolétariat et leur intégration en son sein.
Les ressources matérielles et culturelles du prolétariat vont croître et se déployer dans des dimensions sans précèdent si sa politique économique se développe sans trop d’obstacles. Mais à tout moment particulier dans cette transition, le champ d’activités matériel, “économique”, du secteur socialisé est par définition insuffisant pour l’accomplissement de ces tâches. Parler de “domination économique” du prolétariat dans de telles conditions équivaudrait à considérer soit que le prolétariat a déjà accompli sa tâche de réaliser le communisme, soit que la classe ouvrière a son propre mode de production simplement parce qu’elle a accès au secteur socialisé et que donc “le communisme à l’état embryonnaire” peut coexister avec un océan de simple production marchande et de fragmentation sociale.
L’une et l’autre de ces deux conclusions fausses signifient que le prolétariat devrait donner son assentiment au statu-quo, accepter la permanence de la période de transition et signifie en fait l’affaiblissement de la dictature du prolétariat face à l’État et aux autres couches. Dans la période de transition, la substance du communisme ne se manifeste pas, à travers le “contrôle” des moyens de production par les producteurs. Les nouveaux rapports de production sont encore fondés sur une base matérielle insuffisante, aussi longtemps que le reste de l’humanité ne fait pas partie d’une unité sociale collectivisée. Le règne de liberté que le prolétariat construira sera pour tous, et non pour lui-même en tant que catégorie sociale encore aliénée. Le développement du temps libre, l’élimination de la division du travail, des différences entre travail intellectuel et manuel, entre ville et campagne, toutes ces tâches exigeront dans le futur la participation constante de l’ensemble de la société.