Où en est la crise économique ? : Le capitalisme russe s'enfonce dans la crise mondiale

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Avec Mikhaïl Gorbatchev, la propagande soviétique s'offre une cure de jouvence médiatique. Devant les caméras du monde entier, le nouveau chef de l’Etat russe pérore : « ...des transformations révolutionnaires sont en cours dans notre pays », et les nouveaux princes du Kremlin de disserter sur la « révolution », la « démocratie », la « paix », le « désarmement », etc. Mais dans tout cela, rien de bien nouveau, ce sont les thèmes classiques de la propagande soviétique depuis des décennies. Ce qui est nouveau, c'est après la paralysie de l'administration brejnevienne, le dynamisme de la nouvelle équipe à mettre en œuvre ses thèmes de propagande, de mystification, sa capacité à jouer des ressources de l'arsenal médiatique, à libérer quelques «dissidents» par-ci, à faire de mirifiques propositions de « désarmement » par-là, à arrêter quelques bureaucrates « corrompus » par ailleurs. La bourgeoisie russe est en train de prendre exemple sur ses consœurs occidentales et apprend à maîtriser l'art des campagnes idéologiques de déboussolement destinées à cacher aux yeux du prolétariat la réalité de la dégradation générale de l'économie, l'attaque drastique contre les conditions de vie des ouvriers et l’accentuation des tensions impérialistes.

La dégradation économique de l'URSS

Les données économiques de manière générale sont toujours sujettes à caution, car ce sont d'abord des données fournies par la classe dominante, donc en partie assujetties aux besoins de sa propagande, mais en URSS cette tendance est certainement encore plus forte que pour les autres grandes puissances, quand ce n'est pas que simplement ces données sont classées secret d'Etat. Dans ces conditions, il est bien difficile de se faire une idée exacte de la situation réelle de l'économie  russe. Cependant, quelques éléments montrent clairement sa situation de faiblesse sur la scène mondiale et la dégradation qui va en s'accélérant dans le cadre de la crise économique mondiale du capitalisme.

Le statut de 2e puissance économique mondiale de l'URSS est à relativiser. Alors qu'en 1984, les USA caracolent en tête avec un PNB de 3627 milliards de dollars, l'URSS, en 2e position, est talonnée par le Japon : respectivement 1400 et 1307 milliards de dollars.

Cependant, l'estimation du PNB russe, pour être un élément de comparaison valable, doit être relati­visée par:

le fait que le rouble qui sert de base aux calculs en URSS est profondément surévalué par rapport à la monnaie internationale de référence qui est le dollar ;

  une grande part (de 10 à 20 %) de la produc­tion manufacturière russe est déficiente et invendable (même sur le marché interne), mais est tout de même comptabilisée, et l'ensemble de la production est de qualité médiocre.

En tenant compte de ces éléments, il est probable que la valeur réelle de la production globale du Japon a dépassé celle de l'URSS et de toute façon, même sur le plan des chiffres officiels, le Japon, sur le strict plan de la production manufacturière, précède l'URSS pour laquelle celle-ci ne représente que 25 % du PNB.

Ce rattrapage de l'URSS par le Japon montre à l'évidence que l'URSS, malgré les taux de croissance records annoncés depuis des années, a vu sa situation se dégrader sur la scène économique mondiale.

Un bon indice du degré de développement est le PNB par habitant. Avec 5500 dollars en 1984, le PNB de l'URSS par habitant se situait à la 49e place mondiale, après Hong-Kong et Singapour. L'URSS pré­sente de graves caractéristiques de sous-développe­ment. Cela est particulièrement net si on considère simplement la situation du commerce extérieur, même si celui-ci ne représente que 6 % du PNB (contre 18 % pour la France par exemple).

Les échanges de l'URSS avec l'OCDE sont carac­téristiques de ceux d'un pays sous-développé. L'URSS est essentiellement un exportateur de matières pre­mières : 80 % du total de ses exportations vers l'OCDE en 1985.

Le capital russe est incapable de maintenir sa compétitivité. Ainsi, si les exportations de produits « dérivés de la technologie » représentaient 27 % des exportations russes vers l'OCDE en 1973, ils n'en représentaient plus que 9 % en 1982. C'est de moins en moins sa puissance industrielle et de plus en plus la richesse de son sous-sol qui permet à l'URSS de maintenir une balance commerciale positive et d'ache­ter à l'occident la technologie qui lui fait défaut. Mais cette situation rend l'URSS particulièrement sensible aux fluctuations du marché mondial.

Sur le plan de ses échanges avec l'occident, l'année 1986 a été une année noire pour l'URSS. La chute des cours des matières premières, et notamment du pétrole, est venue porter un coup très rude aux exportations soviétiques : au cours du 1er semestre 1986, les exportations ont baissé en valeur de 21 %, tandis que pour maintenir le solde de sa balance commerciale, l'URSS a dû réduire ses importations de 17,5 %, et procéder à d'importantes ventes d'or, écornant ainsi ses réserves.

L'URSS, comme tout pays capitaliste, subit de plein fouet la crise de l'économie mondiale. Depuis le début des années 1970, la croissance n'a cessé de chuter. Elle est ainsi passée d'un taux moyen annuel de 5,1 % en 1971-75, à 3,7 % en 1976-80, pour finir à 3,1 % en 1985. Sur 1981-85, ce taux de 3,2 % a été le plus bas de l'après-guerre (ces taux officiels sont surévalués, mais ils donnent une idée de l'évo­lution générale vers la récession).

Comme on vient de le voir, nous sommes bien loin des rodomontades d'un Khrouchtchev qui préten­dait il y a 25 ans rattraper les USA sur le plan économique. Pourtant aujourd'hui, Gorbatchev nous ressort le même type de balivernes. Mais derrière le sourire de l'homme médiatique, s'impose la même poigne de fer qui, dans la logique de la gestion capitaliste, impose au prolétariat toujours plus d'aus­térité. Le discours et la pratique des dirigeants russes n'a pas changé. Devant la dégradation de son appareil économique, devant la pénurie de capital typique du sous-développement, le « capital humain » comme di­sait Staline, doit remplacer les machines que l'URSS n'a pas la technique pour construire, ni l'argent pour acheter à l'occident. Alors que le prolétariat russe subit déjà des conditions de misère terribles, derrière tous les beaux discours actuels, c'est encore plus de peine, plus de sueur, plus de sang, plus de larmes qui lui sont imposés.

Une attaque redoublée contre le niveau de vie de la classe ouvrière

La lutte sur le front de la productivité, inclut les méthodes policières mises en place durant l'intermède Andropov, et derrière les campagnes contre l'alcoo­lisme, ces mesures sont même intensifiées par les nouveaux dirigeants : surveillance renforcée dans les usines, interdiction d'aller faire les courses durant les heures de travail (ce qui était une coutume étant donné les longues heures d'attente pour avoir une chance de disposer des rares produits disponibles dans les magasins d'Etat), vérifications dans la rue et dans les usines de la présence sur les lieux de travail, sanctions accrues contre les récalcitrants à la disci­pline du travail, etc.

Le but de l'équipe Gorbatchev est d'accroître la production et la compétitivité en renforçant la com­pétition économique entre les ouvriers. La part des primes de toutes sortes dans les salaires est accrue par les nouvelles réformes : les nouveaux critères de qualité, s'ils peuvent signifier un accroissement du salaire dans les usines les plus modernes, là où ils sont possibles à réaliser (ainsi par exemple une usine-pilote de turbines en Sibérie a fait grimper le salaire mensuel de 320 à 450 roubles) ; par contre, là où l'appareil productif est délabré (ce qui constitue l'essentiel des cas), l'impossibilité de répondre à ces critères va signifier une chute brutale des primes, et donc des salaires. De plus, comme ces primes sont attribuées collectivement, il est nécessaire que l'en­semble des ouvriers participe de l'effort de produc­tion. Cela signifie une pression renforcée sur l'en­semble des travailleurs, et vise à renforcer aussi les divisions et oppositions entre ouvriers. Ces nouvelles mesures vont accroître les disparités des salaires et accentuer le fonctionnement à deux vitesses de l'éco­nomie russe : d'un côté les secteurs pilotes nécessaires au développement technologique de l'industrie d'ar­mement où les salaires sont plus élevés, de l'autre côté le reste de l'économie où les salaires vont diminuer.

De plus, dans la mesure où les primes, qui représentent 40 % du salaire, sont indexées aux résultats obtenus vis-à-vis des objectifs du plan, la perspective très ambitieuse d'une croissance de 4 % imposée par Gorbatchev, signifie en fait, devant le peu de chances de la réaliser, une baisse des salaires.

Si l'inflation ' n'a jamais officiellement existé en URSS, pour autant c'est un secret de polichinelle que celle-ci a fait comme à l'ouest ses ravages durant les années 1970. Cela s'est notamment manifesté sur le marché kolkhozien et sur le marché noir omniprésents face à la pénurie de produits dans les magasins d'Etat. Cependant, si l'inflation a marqué le pas ces dernières années, les nouvelles mesures prises signifient à terme une relance de celle-ci :

   dans les magasins d'Etat les prix vont tendre à s'aligner sur ceux des marchés parallèles au travers de la diminution des subventions de l'Etat aux produits de base, l'approvision­nement va être « facilité » pour des produits soi-disant de meilleure qualité, mais surtout d'un prix beaucoup plus élevé ;

   la plus grande liberté pour les paysans de cultiver et de vendre leurs propres produits va permettre d'alimenter le marché kolkho­zien, mais à des prix prohibitifs (ainsi cet été, un kilo de tomates valait une journée de salaire ouvrier) ;

—-la tendance actuelle à la légalisation de l'économie souterraine, reconnaissance du travail artisanal, mise en place de nouvelles structures semi-privées de production et de distribution, va tendre à aligner les prix officiels sur ceux du marché noir.

Ces mesures sont une attaque directe contre les conditions de vie de la classe ouvrière.

Quelles perspectives ?

Il est tout à fait significatif qu'au même moment où Gorbatchev lance ses appels à la lutte pour la production, pour la compétitivité, ce sont les mêmes discours qui sont prononcés à l'ouest, où Reagan lance une « bataille pour la compétitivité », qu'au même moment où la direction soviétique met en place un vaste plan de réformes économiques, la « refonte », pour donner plus d'autonomie concurrentielle aux entreprises d'Etat ; à l'ouest, la mode est au « libé­ralisme », à la « privatisation », pour éliminer les « canards boiteux » de la production. La crise est mondiale, et dans la situation de concurrence exacerbée qui en découle, la lutte pour une plus grande compétitivité passe par la mise en place de programmes d'austérité renforcés. Là est le véritable sens de tous les beaux discours qui sont assénés au prolétariat à l'est comme à l'ouest.

Les discours productivistes, pacifistes et démo­cratiques, de Gorbatchev ne sont que du bluff :

    les mirifiques taux de croissance annoncés pour le futur plan quinquennal de la fin des années 1980 ne seront jamais atteints. L'éco­nomie mondiale est en train, lentement mais sûrement, de s'enfoncer dans la récession, et l'URSS, puissance économique secondaire, à l'appareil productif périmé, est bien incapable, même en soumettant l'ensemble de son bloc à un pillage en règle, de redresser la situation. L'URSS, à l'instar des autres pays, s'enfonce inexorablement dans la crise, et ceci, vu la faiblesse économique de ce pays, va prendre des formes brutales :

    Dans ces conditions, étant donné l'incapacité de l'URSS d'asseoir sa puissance sur le plan économique, plus que jamais c'est dans la fuite en avant dans l'économie de guerre, dans le sacrifice de l'économie sur l'autel de la production d'armements, que l'URSS peut parvenir à maintenir sa place de puissance impérialiste dominante. Tous les beaux dis­cours de Gorbatchev sur le désarmement ne sont qu'un leurre, lié à la réorientation de sa stratégie imposée par sa difficulté à faire face à 1 offensive impérialiste du bloc de l'ouest de ces dernières années, et qui vise a resserrer son dispositif militaire sur les frontières de son bloc et à entreprendre un vaste plan de modernisation de son armement technologiquement en retard.

    Après la défaite du prolétariat en Pologne en 1981, et le reflux des luttes qui s'en est suivi, de nouveaux échos de la lutte de classe nous parviennent d'Europe de l'est, qui témoignent que le potentiel de combativité de la classe ouvrière est toujours là, et que face à l'attaque en règle contre ses conditions de vie, celle-ci réagit. Dans le bloc de l'est aussi la perspective est au développement de la lutte de classe.

 

En URSS, les émeutes de Kazakhstan témoignent d'un mécontentement croissant. Mais plus significa­tives encore ont été les émeutes, réprimées elles aussi dans le sang, des travailleurs originaires des Etats baltes, réquisitionnés pour circonscrire la ca­tastrophe de Tchernobyl, et les échos de grèves qui ont eu lieu dans la gigantesque usine Kamaz où l'on fabrique des camions (ville de Breschnev, République Tatare) contre les « contrôles de qualité » imposés par Gorbatchev.

Les beaux discours démocratiques de Gorbatchev ont d'abord pour but de faire accepter par une classe ouvrière récalcitrante une austérité accrue, et d'adap­ter l'appareil d'Etat russe pour faire face à la lutte ouvrière. L'utilisation des mystifications démocra­tiques par Gorbatchev n'a pas un sens différend de l'utilisation de la « démocratisation » des régimes gouvernementaux en Argentine ou au Brésil : désar­mer et encadrer la classe ouvrière pour mieux l'affronter. Le pire danger pour le prolétariat serait de prendre ces belles paroles pour argent comptant. L'expérience kroutchevienne, qui elle aussi, derrière la campagne de « déstalinisation », avait été marquée par une attaque massive contre les conditions de vie des ouvriers, et avait vu en 1961-62-63 se développer une importante vague de lutte de classe, vague qui avait notamment culminé dans la grève des mineurs du Donbass que les troupes du KGB avaient réprimée violemment, n'est pas si éloignée, comme celle plus récente de la Pologne, pour montrer aux ouvriers russes le mensonge des discours démocratiques.

Avec le développement de la crise, Gorbatchev, bien moins encore que Kroutchev il y a 30 ans, n'a les moyens de sa politique.

J.J. 27/2/87

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