Au Mali, un coup d'Etat qui accentue le chaos

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Le président malien Amadou Toumani Touré (ATT) a été renversé le 22 mars par une poignée de soldats quasi-inconnus qui, n’ayant pas les moyens de contrôler le pays, a dû laisser les rebelles (nationalistes et islamistes) s’emparer de toute la région nord du Mali et y semer la terreur, provoquant le déplacement forcé de plusieurs centaines de milliers de personnes. En réalité, ce coup de force n’a fait qu’accélérer le chaos d’un Etat corrompu et en déliquescence depuis bien longtemps. Par ailleurs, le coup d’Etat s’est déroulé dans un contexte de luttes d’influence et dans une zone qui est le théâtre de trafics en tous genres, notamment d’armes et de drogue, où des groupes criminels (mafieux islamiques et autres) se disputent le marché de la prise d’otages et de la spoliation de migrants. Mais surtout, le Mali est le maillon faible d’une région en décomposition accélérée par les tensions impérialistes qui se déroulent dans la grande région du Sahel, en particulier à travers la guerre qui a ravagé la Libye dont les effets n’ont pas tardé à se faire sentir jusqu’à Bamako.

La responsabilité criminelle des puissances impérialistes occidentales dans l’aggravation du chaos

En Libye, le gouvernement de transition peine à surveiller les stocks d’armes et à contrôler ses frontières. En septembre, la découverte de la disparition de plus de 10 000 missiles sol-air avait créé la panique sur la scène internationale. (…) Parallèlement, les combattants touaregs embauchés comme mercenaires et armés par Kadhafi sont rentrés dans leurs pays, au Niger et au Mali, après la chute du régime libyen, en août dernier. Depuis janvier 2012, les insurgés touaregs du Mali, issus du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) prennent d’assaut les villes du nord armés de mitrailleuses lourdes et d’armes antichars, relancent un combat vieux de plusieurs décennies pour la création d’un Etat touareg indépendant” (The National, in Courrier international du 11/04/12).

Plus que le Soudan et le Tchad, le Mali constitue aujourd’hui le principal marché d’armements de cette région où tueurs et barbouzes viennent s’approvisionner et échanger leurs “marchandises”, notamment à Gao et Tombouctou. Mais plus sombre encore pour l’avenir du Mali est le fait qu’en plus d’être le “grand marché” des criminels professionnels, ce pays est aussi convoité pour ses matières premières. Outre l’or dont il est l’un des premiers producteurs, le Mali est sur le point de devenir un exportateur de brut et son futur marché est d’ores et déjà le théâtre de rivalités intenses entre des grands vautours bien connus comme Total, GDE-Suez, Tullow Oil, Dana Petrolieum, CNPC, Repsol, etc. En clair, il s’agit des sociétés euro-américaines et chinoises épaulées par leurs Etats respectifs dans la bagarre qu’elles mènent pour le contrôle et l’exploitation des matières premières maliennes.

Impossible (par exemple) de ne pas noter que le récent coup d’Etat est un effet collatéral des rébellions du Nord, qui sont elles-mêmes la conséquence de la déstabilisation de la Libye par une coalition occidentale qui n’éprouve étrangement ni remord ni sentiment de responsabilité. Difficile aussi de ne pas noter cet harmattan kaki qui souffle sur le Mali, après être passé par ses voisins ivoirien, guinéen, nigérien et mauritanien…” (Le Nouveau Courrier, in Courrier international du 11/04/12).

Loin d’apporter la “paix” et la “démocratie”, l’intervention des forces impérialistes de l’OTAN en Libye n’a fait qu’étendre le chaos et accélérer la décomposition des Etats de la région. En effet désormais pas moins de 12 pays sont touchés par les conflits guerriers et les trafics se déroulant dans une zone vaste de 9 millions de kilomètres carrés.

Le Mali : un “Afghanistan” africain au sud de l’Europe ?

La boutade en forme de prévision stratégique, lancée naguère par Jean-Claude Cousseran, ancien patron de la DGSE : “L’Afrique sera notre Afghanistan de proximité”, est désormais prise au sérieux. Ne serait-ce qu’en découvrant la banale mais sinistre comptabilité des opérations menées par des groupes islamistes radicaux au Nigeria, en Somalie, en Libye, dans les pays du Sahel et au Mali. (…) Au Quai d’Orsay, l’équipe Juppé s’inquiète pour les otages français et l’avenir des régions et des Etats menacés. A l’état-major, on établit des plans d’intervention, au cas où des chefs africains, l’ONU, voire l’OTAN, décideraient de faire “quelque chose…Et les services de renseignements, eux, sont en liaison constante avec les officiers français en mission au Mali et les membres du Commandement des opérations spéciales en poste au Burkina, au Niger et en Mauritanie. (…) L’objectif recherché par ces groupes combattants (…) peut aboutir à créer une immense zone grise en Afrique sahélienne, sous la bannière de la religion, où des bandes criminelles tirent profit des différends violents entre partisans de l’islam, tribus nomades, groupes salafistes, rescapés d’Al-Qaida, soldats perdus des combats contre le printemps arabe… Avec pour résultat le risque d’une décomposition des Etats” (le Canard enchaîné du 11/04/12).

En effet, l’impérialisme français panique face au développement du chaos au Mali et s’apprête donc à intervenir pour tenter de préserver ses intérêts directement menacés dans cette région du Sahel. En fait, au-delà de ses intérêts économiques et stratégiques, la France cherche à récupérer ses ressortissants pris en otages par des groupes armés (islamiques). Rappelons que l’armée française mène une véritable guerre dans cette zone au nom de la “lutte contre les groupes terroristes islamiques (AQMI)”, tantôt en Mauritanie, tantôt au Niger et la dernière intervention militaire dans ce dernier pays a provoqué plusieurs morts.

Tandis que les Etats-Unis fournissent conseillers et matériels militaires aux mêmes pays, toujours au nom de la “lutte antiterroriste” et de la “sécurisation” de la région, d’où d’ailleurs les liens très étroits que Washington a pu établir avec les différents réseaux maliens.

De leur côté, les puissances rivales locales jouent aussi leurs propres cartes. Ainsi, l’Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Mali avaient décidé d’organiser leur propre état major commun dont le siège se trouve à Tamanrasset (en territoire algérien). Mais en réalité, c’est le chacun pour soi qui domine chez tous les gangsters et de ce fait les alliances ne tiennent jamais très longtemps, se faisant et se défaisant selon le rapport de force du moment et le “gain” immédiat.

Au Mali, l’impérialisme américain bouscule son homologue français

Des ruines de l’Etat malien vient surgir un document de trois pages classé “très sensible”. Il s’agit d’une note remise en février dernier au président Amadou Toumani Touré. Elle s’intitule “La Mauritanie et l’appui secret aux rebelles d’Azwad”. A sa lecture, l’ancien général (ATT) a dû comprendre que sa fin était imminente. Ses services de renseignement l’avertissent, avec force détails, des contacts étroits noués entre les Touaregs, qui viennent de repartir sur le sentier de la guerre et le régime voisin d’Ould Abdelaziz. Le tout nouveau Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), recevrait une “aide matérielle” de Nouakchott. (…) Au moment où des représentants du MNLA ouvrent un bureau d’information à Nouakchott, d’autres sont reçus à plusieurs reprises au Quai d’Orsay. Une simultanéité qui ne doit sans doute rien au hasard. La Mauritanie, grande alliée de la France dans la région, n’aurait pas prêté main forte aux indépendantistes touaregs, sans l’aval, même tacite, de son mentor. (…) Le MNLA, toujours selon la note secrète, s’engagerait à combattre Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqumi). Une priorité pour la Mauritanie et la France, qui reprochent au président Touré sa mollesse envers les djihadistes. (…) Stupéfaction en Occident et au Sahel : les insurgés touaregs, considérés comme les meilleurs remparts contre Aqmi, combattent aux côtés des islamistes. Après avoir subi l’un de leur pires revers en Afrique, les autorités françaises avouent leur impuissance. “On a un vrai problème, lâche un haut responsable. Les Maliens sont incapables de reconquérir ce qu’ils ont perdu. Et envoyer l’armée française ? Personne n’y songe. La Françafrique, c’est fini !”” (le Nouvel observateur daté du 12/04/12)

En effet, l’Etat français visait à la fois à préserver ses intérêts globaux dans la région et faire libérer ses otages entre les mains des groupes liés à Aqmi. Et, au final, il s’est fait “rouler dans la farine” par des minables et obscurs petits groupes mafieux avec lesquels il magouillait souterrainement tout en apportant publiquement son soutien au président malien ATT. Aujourd’hui, l’impérialisme français est totalement paralysé par l’amateurisme dont il a fait preuve dans cette affaire et risque de perdre sur tous les tableaux.

Outre leur présence militaire dans toute la région en ayant négocié et obtenu des accords de coopération militaire avec tous les régimes, les Américains avaient à la fois l’oreille du président renversé et du chef des putschistes.

Le camp de DJCORNI, où s’est réfugié ATT le 21 mars, est à deux pas et sous la quasi protection de l’ambassade américaine- laquelle avait, si l’on en croit les télégrammes révélés par Wikileaks, alerté depuis Washington sur l’état de déliquescence du haut état-major malien et sur le climat de corruption qui régnait dans l’entourage proche (y compris familial) du président. Les gardes du corps qui ont protégé le chef déchu pendant sa fuite ont été formés par les célèbres Navy Seals de l’US Army. Et le capitaine putschiste Amadou Sanago fait volontiers étalage de ses stages aux Etats-Unis : la base aérienne de Lackland (Texas) ; Fort Huachua (Arizona), spécialisé dans le renseignement ; l’école des officiers de Fort Benning (Géorgie). Plus un séjour chez les Marines, dont il porte le pin’s sur sa vareuse. Bref, on savait les Américains très implantés et très informés sur le Mali. Sans doute mieux que les Français. On en a la confirmation” (Jeune Afrique du 7/04/2012).

Il est doit être clair que la France n’est pas étrangère au renversement du régime d’ATT et que la cause principale se trouve dans le lien établi entre ce dernier et les Etats-Unis qui font tout, là encore, pour évincer Paris de son ex-pré carré.

Voilà un pays en état de délabrement avancé gouverné par des bandes corrompues en lutte avec divers charognards, mafieux islamistes ou bandits de grand chemin en compagnie des puissances impérialistes en quête d’influence et de matières premières qui déguisent leurs projets de boutiquiers capitalistes “en plans de sécurisation” de la zone. Et pendant ce temps-là, les populations, elles, crèvent de faim et de misère, ou se font carrément massacrer par les uns et les autres.

Amina (17 avril)

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International