Une expérience sur le blocage dans la grève des infirmières en 1978 (courrier de lecteur)

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Nous avons reçu le courrier d’un lecteur que nous publions ci-dessous qui apporte sa propre expérience très intéressante sur le mouvement de grève des infirmiers et infirmières en 1978 en France, auquel il a participé.

Bonjour,

J’ai lu les articles de votre journal à propos du mouvement social contre la réforme des retraites et je suis d’accord avec vous sur l’analyse que le blocage est une “arme à double tranchant”1.

J’ai travaillé autrefois dans un hôpital et je voudrais vous raconter ici comment s’est passée une grève à laquelle j’ai participé en 1988.

Les infirmiers de mon hôpital se sont mis en grève pour une amélioration des conditions de travail (à l’époque on travaillait 40 heures par semaine). L’intersyndicale dirigeait les AG (avec des militants de Lutte Ouvrière) et voulait que cela reste enfermé dans l’hôpital et que ce soit seulement une grève du personnel soignant infirmier, excluant les autres catégories du personnel. Mais ça n’a pas marché : le personnel administratif (et les ouvriers d’entretien) est entré dans la lutte en soutien aux infirmiers en grève. Très vite, il y a eu beaucoup de monde qui venait au AG. Nous avons décidé dans les AG d’ouvrir les portes de l’hôpital et d’informer les autres hôpitaux de notre mouvement.

Les syndicats ont donc été obligés de contacter leurs collègues des autres hôpitaux pour qu’ils fassent circuler l’information comme quoi nous étions en grève. Ce qui a permis que des infirmiers d’autres hôpitaux viennent voir ce qui se passait “chez nous” et participent aussi à nos AG.

Dans les AG, on discutait bien sûr des actions à mener et bien sûr, la question du blocage des soins a été posée, mais majoritairement les infirmiers ont dit qu’on ne pouvait cesser le travail et abandonner les soins aux malades. Alors comment faire pour faire pression sur la direction ?

Les syndicats ont proposé la séquestration du directeur mais des grévistes ont proposé une autre action : la gratuité des soins pour les malades et le blocage administratifs des admissions. Cela voulait dire que les malades entrants étaient accueillis à l’hôpital mais le personnel administratif n’enregistrait pas leur admission.

Dans cette lutte, nous avons porté aussi des badges et avons mis une grande banderole devant la grille d’entrée de l’hôpital: “Personnel en grève. Soins assurés aux malades” pour éviter d’être sanctionnés par la direction et pour que notre grève ne soit pas impopulaire. On faisait un service minimum avec un « turn over » pour que les collègues puissent aller aux AG. Certains malades avaient aussi un badge : “Nous soutenons les infirmiers en grève”.

Malheureusement, les syndicats des autres hôpitaux n’ont pas appelé à faire des AG pour soutenir notre mouvement et les collègues des autres hôpitaux venus nous soutenir n’ont pas pu se mettre en grève eux aussi. Les syndicats ont affirmé que les conditions de travail ne concernaient que notre hôpital et donc que les autres hôpitaux n’étaient pas concernés par “nos” problèmes. Chaque hôpital devait donc se mobiliser dans son coin avec “ses” revendications particulières (conditions de travail, manque de personnel, primes, etc…).

Après plusieurs semaines de grève, nous nous sommes retrouvés seuls enfermés dans les murs de notre hôpital. Les syndicats ont pu faire abandonner le blocage des admissions et la gratuité des soins (au nom de l’inefficacité de ce type d’action) pour imposer leur action présentée comme plus radicale : la séquestration du directeur. Finalement, il y a eu une négociation entre la direction et les syndicats (dans notre dos évidemment) et la direction a cédé en ponctionnant sur l’enveloppe budgétaire pour améliorer les conditions de travail dans certains services seulement, ceux jugés plus archaïques que d’autres. Ils nous ont ainsi divisés en accordant des miettes aux uns et en laissant les autres sur le carreau.

Le personnel des hôpitaux ne peut pas utiliser l’arme “à double tranchant” du blocage de la production des soins aux malades. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas envie de se battre comme les autres et avec les autres salariés contre la réforme des retraites. Tout le monde est concerné par cette réforme et il fallait trouver des actions où toutes les catégories professionnelles peuvent participer (les manifs, les AG interpro, etc…).

Les “blocages” peuvent être un moyen de lutte, mais ils peuvent aussi être utilisés contre la lutte. C’est bien dommage que les travailleurs des raffineries n’aient pas fait pression sur les syndicats pour que leurs AG soient ouvertes à tous ceux qui sont venus les soutenir. Ils se sont laissés séquestrer par les syndicats qui ont tout fait pour bloquer les portes d’entrée de leurs AG à tous ceux qui sont venus apporter leur solidarité.

Il faut discuter maintenant dans les AG du blocage et du sabotage de la lutte par les syndicats.

Et s’il y a un blocage que je soutiendrai des deux mains, c’est le blocage des centres des impôts ! (...)

Roba

1)  Note du CCI : le lecteur fait ici référence à notre article « Le blocage des raffineries : Une arme à double tranchant ».

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