En Côte d'Ivoire, une mascarade qui s'achève dans un bain de sang

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Au lendemain du deuxième tour de l’élection présidentielle du 28 novembre dernier, le pays s’est réveillé avec deux « présidents » à sa tête.

L’un, Alassane Ouattara a été proclamé vainqueur par la commission électorale (la CEI) et par l’ONU avec 54% des voix ; l’autre, Laurent Gbagbo a été désigné victorieux par le Conseil constitutionnel ivoirien avec 51,4% des voix. Voilà donc deux gros « crocodiles » en lice dans le « marigot du pouvoir ivoirien » et prêts à s’entre-dévorer.

Pourtant il s’agissait, paraît-il, d’un processus électoral « normal » selon le Conseil de sécurité de l’ONU qui a « salué l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle qui s’est tenue dans un climat démocratique (…), élections libres, justes, transparentes (sic)».

La réalité est évidemment toute autre. Cette élection n’a été qu’une sinistre farce qui a déjà fait 55 morts et 504 blessés (cf. Le Monde du 08/12/10). En effet, après le Congo, le Kenya, le Zimbabwe, le Togo, le Gabon et la Guinée tout récemment, c’est autour de la Côte d’Ivoire d’entrer dans l’arène sanglante que représente ce genre d’élections où le futur vainqueur est désigné d’avance par lui-même ou avec la complicité de ses parrains impérialistes. Et comme toujours dans pareil cas, les protagonistes règlent leurs comptes par massacres interposées.

La situation actuelle de la Côte d’Ivoire ne peut que rappeler la séquence morbide précédente, en 2002, où l’élection présidentielle s’était conclue par des tueries en masse et un coup de force militaire avec, à la clef, des années de terreur et la coupure du pays en deux, entre le Nord et le Sud. Depuis cette époque, les cliques ivoiriennes (gouvernement comme ex-rebelles) ont confisqué à leur seul profit les ressources se trouvant dans les zones sous leur contrôle respectif. Surtout, ces criminels puisent dans cette manne pour acheter massivement des armes en vue de poursuivre leur luttes concurrentielle vers le pouvoir. Il va sans dire que cela se fait au détriment de la population dont plus de 50 % vit avec moins de 2 dollars par jour. De surcroît, cette population est régulièrement la proie de rackets et de meurtres. Aujourd’hui, avec ces nouvelles élections, toutes les conditions sont réunies pour des massacres d’une ampleur encore plus dramatique.

« Le scénario que chacun redoutait s’est produit au soir du 3 décembre. Laurent Gbagbo est parvenu à se faire proclamer vainqueur de la présidentielle. Au risque de plonger son pays dans la crise, voire dans la guerre.(…) Nul doute qu’en matière de pugnacité Gbagbo soit médaille d’or. Mais lui qui, jusqu’ici, se présentait volontiers comme « un fils des élections », voire « un enfant de la démocratie », aura désormais le plus grand mal à incarner cette image d’Epinal. Coûte que coûte, il a décidé d’aller au bout d’une démarche qui n’a plus rien à avoir avec les urnes. Quitte à replonger la Côte d’Ivoire dans les affres de la crise et de la guerre. (…) La perspective d’une nouvelle partition, d’un nouvel embrasement Nord-Sud, ne l’inquiète pas : la plupart des ressources (cacao, café, pétrole) se trouvent dans le Centre ou le Sud ; et les récoltes sont exportées par le port de San Pedro. Sa Côte d’Ivoire fonctionne ainsi depuis 2002. Pourquoi ne serait- ce pas le cas à l’avenir ? (…) Le vrai Gbagbo, après ces élections finalement inutiles, est de retour. Les armes à la main, prêt à soutenir du haut de sa citadelle le siège de « l’ennemi extérieur »1 comme il aime à la répéter. La Côte d’Ivoire, elle, est revenue à la case départ.» (Jeune Afique du 5/12/10) ».

De son côté, Alassane Ouattara, se prépare aussi à en découdre et compte sur ses partisans dits « forces nouvelles » qui viennent d’annoncer qu’ils ne resteront pas longtemps bras croisés si Gbagbo reste au pouvoir. De même, Guillaume Soro, nouveau premier ministre d’Ouattara dit son intention d’aller « déloger » Gbagbo (dont il était le premier ministre jusqu’au début des élections). Bref, chaque camp actionne ses chiens sanglants, les escadrons de la mort et autres porteurs de machettes. Mais surtout, chacun compte sur ses soutiens impérialistes à commencer par les grandes puissances en quête du « butins ivoiriens », en particulier la France.

Il suffit de voir comment l’affaire ivoirienne mobilise toute la sphère de la bourgeoisie française pour se rendre compte de l’importance de l’enjeu qui se joue dans cet ancien pré-carré de l’impérialisme français. Depuis l’éclatement de sa « vitrine économique » début 2000, entraînant au passage sa perte de contrôle sur les acteurs locaux, l’impérialisme français se démène pour garder coûte que coûte son influence dans ce pays incarnées par les grandes sociétés comme Bouygues, Total, Bolloré, etc. Ce sont ces sociétés qui constituent la colonne vertébrale de la « Françafrique » en Côte d’Ivoire où les intérêts privés et intérêts étatiques fusionnent comme le montre plus particulièrement la relation incestueuse entre Bolloré et l’Etat français.

« Difficile de démêler les connexions multiples qui existent entre le groupe (Bolloré), digne héritier des trusts coloniaux et des réseaux françafricains, et les responsables politiques français. Comme d’autres conglomérats, il bénéficie de l’appui des pouvoirs publics dans sa conquête des marchés du continent., le président de la République ou les ministres se transportent volontiers en Afrique pour jouer les lobbyistes auprès de leurs homologues. Si les amitiés de Bolloré à droite sont connues, on note que le député socialiste Jean Glavany2 fait partie, aux côtés de M. Alain Minc, du comité stratégique du groupe. (…) Quand la France envoie - ou rapatrie - des troupes en Afrique, comme pour l’opération « Licorne » en Côte d’Ivoire, les nombreuses filiales du groupe Bolloré apparaissent souvent indispensables. « Toutes les opérations sont réalisées avec la plus stricte sécurité et confidentialité », lit-on en surimpression d’images de véhicules blindés, sur un prospectus distribué par la branche « Défense » de SDV... (Manière de voir, du Monde diplomatique, déc. 2009) ».

Mais la France est mal armée, faute d’appuis sûrs sur place. C’est pourquoi, formellement, elle affiche son soutien à Ouattara le candidat « démocratiquement élu » mais en coulisses, jusqu’à l’annonce des résultats définitifs, Sarkozy n’a pas cessé de « rassurer » Gbagbo pour que celui-ci préserve les intérêts français sur place. Et, c’est en parfaite connaissance de la fragilité du positionnement de la France que Gbagbo traditionnellement proche du PS a décidé de faire « chanter » les autorités françaises en brandissant ses appuis chinois devant leurs yeux. Et effectivement, la France a dû finalement déclarer publiquement sa « neutralité », disant qu’elle n’avait pas de « candidat » parmi les postulants. En somme, il s’agit pour elle de miser sur les deux tableaux, mais sans aucune garantie de succès pour autant.

« La Françafrique sous l’œil du département d’Etat américain » et la « Chinafrique tend à supplanter la Françafrique »

En effet, derrière ces titres de presse ou d’ouvrages, il y a le fait que la France est réellement menacée dans ses positions en Afrique où elle fait face à une redoutables concurrence sur place, bourgeoisies américaine et chinoise en tête.

Déjà, la bataille fait rage au Conseil de sécurité de l’ONU entre les partisans de Gbagbo et ceux d’Ouattara, le premier est défendu par la Chine et la Russie et le second par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. On notera le comble de l’hypocrisie de ce repaire de brigands qui, tous, appellent à la « retenue » pour la « paix », mais fournissent en coulisses conseils et munitions à leurs bras armés sur place.

En France, Alassane Ouattara était qualifié de « pro-américain » durant un bon moment, mais depuis quelques temps il a pu tisser des liens avec l’Elysée où il prend assez régulièrement le café ou « l’apéro » avec Sarkozy. En même temps, il a gardé de solides amitiés avec les milieux américains notamment au sein du FMI dont il fut un vice- président. Sans doute finira-t-il par choisir le parrain le plus « offrant », surtout dans la perspective des prévisibles affrontements en Côte d’Ivoire. Et au niveau continental, Ouattara peut compter (formellement) sur de nombreux soutiens en Afrique de l’Ouest et sur l’Union Africaine.

Quant à Laurent Gbagbo, l’Angola demeure son plus grand fournisseur d’armements et, sur le plan diplomatique, il peut s’appuyer sur l’Afrique du Sud qui fut son soutien notamment lors de sa confrontation armée avec la France en 2004.

En fin de compte, derrière ces manœuvres et les appels au « respect des résultats des urnes », on voit en réalité des charognards criminels qui poussent à l’implosion du pays et aux massacres de masse de la population, avec comme conséquence l’extension d’un chaos sanglant dans toute la région.

Amina (8 décembre)

1) Dans la campagne nationaliste sur « l’ivoirité » déchaînée par l’ ancien président Bédié en 2000 et reprise par Gbagbo dans la guerre civile de 2002 , le musulman originaire du Nord du pays Ouattara a été désigné comme un agent étranger lié au Burkina Faso.

2) Membre de l’Internationale Socialiste, Gbagbo est retsté « l’ami » aujourd’hui bien encombrant de plusieurs ténors du PS en France.

 

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