Quand la bourgeoisie vante le travail des syndicats (courrier de lecteur)

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Nous publions ci-dessous un courrier d’une lectrice qui réagit à un débat sur la radio France Info, début mai, à propos du rôle des syndicats. Cette discussion entre “grands journalistes”, responsables de journaux ou revues à grands tirages, révèle en effet parfaitement à quel point la bourgeoisie a compté ces derniers mois sur les syndicats pour maintenir la “paix sociale”, autrement dit pour saboter le développement des luttes.

Le courrier

Le lundi 4 mai au matin, en allant travailler, j’ai entendu sur France Info un débat édifiant et très instructif entre Monsieur Joffrin (de Libération – donc, plutôt de gauche) et Madame Brossolette (du Point – donc, plutôt de droite). N’en croyant pas mes oreilles, en rentrant chez moi le soir, j’ai ré-écouté sur Internet cet échange entre bourgeois se félicitant ouvertement de l’appui des syndicats contre la lutte ouvrière  ! Ci-dessous, j’ai essayé de vous en retranscrire quelques morceaux choisis.

Suite aux manifestations du premier mai, la journaliste de France Info a lancé la discussion par cette question : “le gouvernement a-t-il la pression  ?”. Habituée à entendre des tissus de mensonges régulièrement dès qu’il s’agit de politique, je fus très surprise d’entendre enfin la vérité : ces penseurs bourgeois nous expliquaient très clairement comment les syndicats et le gouvernement travaillent main dans la main pour manipuler la classe ouvrière.

Pour commencer, Madame Brosse­lette nous explique tranquillement, pour qui veut bien lire entre les lignes, comment l’unité syndicale affichée actuellement n’est qu’une mascarade pour mieux préparer la division de demain (tous les gras à venir sont de moi) :

C’est devenu un rituel, c’est évident qu’il y avait du monde dans la rue… C’était plus que pour un premier mai classique. Et paradoxalement je pense que les syndicats sont un peu victimes de leur succès. D’abord le fait qu’ils soient unis est important. Cela les rend populaires et ils doivent le rester. Donc comment organiser la suite de l’action. Ce n’est sans doute pas par une grande manifestation type grève générale puisqu’ils ne sont pas d’accord là-dessus. Ils ne pourront pas se mettre vraiment d’accord sur une nouvelle action type manif pour garder la pression sur le gouvernement.”.

Et de poursuivre sur la collaboration, qui est de toutes façons un secret de polichinelle, entre les syndicats et l’Etat :

[…] il y a quand même un jeu sous-jacent entre les syndicats et le gouvernement, surtout entre la CGT et Nicolas Sarkozy qui tient énormément à ses bonnes relations avec la CGT qui peut […] tenir les actions syndicales dans quelque chose de correct qui ne déborde pas. […]”.

Quant à Joffrin, il en rajoute une couche :

Moi, je trouve que les deux principaux leaders syndicaux Bernard Thibault et François Chérèque font preuve d’un esprit de responsabilité remarquable […] ils s’emploient constamment avec une certaine habileté à canaliser le mouvement et à le laisser sur des rails syndicaux, à éviter la politisation excessive de la contestation.

Ce grand homme de “gauche” se met alors à nous expliquer comment le gouvernement Sarkozy doit œuvrer pour renforcer la crédibilité des syndicats et donc leur contrôle sur les rangs ouvriers par “une dialectique entre les manifs […] et la politique gouvernementale qui doit s’infléchir de manière à justifier la démarche de Chérèque et Thibault.”  !

Les choses sont au moins claires : l’affrontement gouvernement-syndicats est une mascarade, un jeu dont les cartes sont en plus truquées d’avance  !

Après quelques digressions sur les européennes et la crise, la journaliste de France Info tente de revenir au cœur du sujet, la lutte de classe, en demandant s’il y a un risque d’explosion sociale. Ce risque est totalement écarté par Mme Brosselette mais absolument pas par Monsieur Joffrin qui semble, malgré tout, plus conscient de la situation et surtout de ce qu’il faut dire. Il explique alors :

Ce genre de chose est imprévisible  ; personne ne l’organise. Ça s’est toujours passé comme ça que ce soit en 68 ou à d’autres moments. Ce n’est jamais un mot d’ordre qui fait ce genre de choses. C’est parce qu’il y a un incident  ; il y a un catalyseur, soit un problème politique, soit un problème social, soit une violence éventuellement, tout ça et je ne le souhaite pas du tout. Ça peut se produire et donc les syndicats le savent. C’est pour ça que Thibault et Chérèque ont cette attitude qui est une attitude réformiste responsable. Le gouvernement doit le comprendre, autrement il prendrait des risques considérables”.

Au passage, on peut admirer la vision “socialiste” de la lutte ouvrière massive, spontanée et autonome. Joffrin est ici à deux doigts de s’écrier en chœur, avec De Gaulle, “Mai 68  ? La chienlit  !”. Par contre, contrairement à cet ex-président, Joffrin a bien compris que face à la lutte ouvrière, les syndicats sont bien plus efficaces que les chars1. En effet, ils sont d’une aide précieuse et irremplaçable pour la bourgeoisie car ils sabotent la lutte de l’intérieur.

Une chose est sûre, si l’intérêt de la bourgeoisie est de maintenir les ouvriers derrière les bannières syndicales, l’intérêt du prolétariat est au contraire de prendre en mains ses luttes en se passant de ces “professionnels du sabotage”.

N, (20 mai)


1) En mai 68, De Gaulle avait hésité à envoyer les chars contre les étudiants dans le quartier Latin, à Paris. Evidemment, une telle répression n’aurait fait qu’attiser la combativité ouvrière.

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