Pourquoi les "contis" ne font-ils pas trembler l'Etat ?

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Depuis des mois, les 1120 salariés de l’usine Continental de Clairoix font preuve d’une colère et d’une détermination sans faille. Les “‘Contis’ ne lâcheront rien”, comme ils disent.

Ces ouvriers sont traités comme des chiens, méprisés et baladés par leur patron. En janvier 2008, ils ont été contraints de travailler cinq heures de plus par semaine, en passant de 35 h à 40 h. Ce sacrifice devait prétendument permettre de sauver leurs emplois. Mais comme l’exploitation capitaliste ne connaît qu’une seule limite, celle de la résistance des travailleurs, le 11 mars 2009, la direction annonce sans vergogne la fermeture de l’usine en… octobre  ! Immédiatement, la colère et l’indignation explosent.

Les ouvriers bloquent la rue devant l’usine et occupent l’entrée. Cette petite place improvisée devient un lieu d’échange  ; les ouvriers s’y regroupent et y discutent en permanence. C’est aussi là qu’ils tiennent leurs assemblées générales. Rapidement, cette mobilisation provoque la sympathie chez les ouvriers de la région.

Les cheminots expriment leur soutien en faisant siffler systématiquement leur train qui passe à quelques mètres du site. Des paniers-repas sont apportés spontanément. Une caisse de solidarité est organisée. Les ouvriers de l’usine Inergy – entreprise sous-traitante de l’automobile elle aussi touchée par des licenciements – mettent des bus à disposition (permettant notamment aux grévistes de se rendre au siège de Continental à Reims puis à Paris le 25 mars).

Point d’orgue de cet élan de solidarité, le 19 mars, journée de mobilisation nationale, les ouvriers de Continental partent à pied de leur usine de Clairoix pour rejoindre le centre ville de Compiègne situé à 5 km de là. Ce faisant, ils traversent un bassin industriel important. Devant chaque usine, des centaines d’ouvriers les attendent pour, à leur passage, se joindre au cortège. Devant Saint-Gobain, Colgate, Cadum, Aventis, Allard, CIE Automobile, chaque fois le même scénario se répète si bien que, partis à 1000, ils arrivent à 15 000 dans les rues de Compiègne !  (1)

Depuis lors, les journées d’actions se sont multipliées :

Jeudi 23 avril, les travailleurs de Clairoix rejoignent à Hanovre leurs camarades de l’usine de Sarreguemines (en Moselle) et ceux des usines allemandes du groupe.

Pour le 1er mai, 7000 personnes se retrouvent dans les rues de Compiègne : les ouvriers de la Sodimatex, d’Inergy, de CIE Automobile et, surtout, Lear –  usine sous-traitante du groupe PSA, elle-aussi en grève et située à quelques kilomètres de Compiègne  – se rallient tous aux grévistes de l’usine de pneus.

Mercredi 6 mai, 300 ouvriers de Clairoix occupent de force l’usine Continentale de Sarreguemines.

Lundi 18 mai, manifestation des travailleurs de Continental, de Lear et d’UTI (sous-traitant de Continental) devant la Bourse du travail, à Paris.

Bref, non seulement les travailleurs de cette usine sont bien décidés à ne pas se laisser faire mais ils rencontrent aussi un certain soutien des ouvriers de la région ou du même groupe (en Moselle comme en Allemagne), tous également touchés par la vague actuelle de licenciements.

Et pourtant, la bourgeoisie ne semble pas vraiment trembler devant cette lutte. Il est vrai qu’il est très difficile de se battre contre la fermeture d’une usine. Que faire quand un patron annonce la fermeture prochaine d’un site et lui permet d’exercer un chantage en mettant en avant le fait que la grève ne fera qu’accélérer la mise en oeuvre de cette fermeture  ?  (2) Se battre ici seul contre “son” patron est évidemment un piège. Le bras de fer entre un patron et “ses” ouvriers, coupés de leurs frères de classe, est toujours un combat déséquilibré qui mène à la défaite des exploités. C’est pourquoi les ouvriers de Continental ont essayé de créer des liens avec les autres travailleurs, pour créer un rapport de force plus large et plus favorable. En apparence, ils y sont parvenus. En apparence seulement, puisque manifestement la bourgeoisie n’a pas à un seul moment semblé inquiétée par cette grève. Pour preuve, au lieu d’orchestrer le traditionnel black-out médiatique quand une lutte lui semble gênante pour “l’ordre public” et qu’il faut éviter qu’elle ne donne des idées aux autres travailleurs, la classe dominante en a fait au contraire une très large publicité Pourquoi  ? Que se cache-t-il derrière ces “apparences”  ?

Sur l’extension de cette lutte : simulacres et réalités

L’entreprise Continental de Clairoix est située au milieu d’un bassin industriel. Les usines se touchent les unes les autres  ; plusieurs milliers d’ouvriers se concentrent sur une bande de trois kilomètres. Et toutes, depuis des années, sont frappées par des plans successifs de “restructuration”. Ainsi, les ouvriers de Continental ont bien conscience qu’ils ne sont pas un cas isolé. Il suffit de discuter avec eux pour voir à quel point ils savent que, pour les familles ouvrières, le licenciement et le chômage sont une lourde menace planant au-dessus de toutes les têtes.

C’est pourquoi aussi le soutien de la population ouvrière locale s’est fait tout naturellement. La manifestation du 19 mars fut historique pour la région  ; elle a révélé une nouvelle fois que la solidarité est un sentiment qui circule naturellement dans la vie sociale des prolétaires entre eux. Cela dit, ce soutien eut un aspect limité : il fut essentiellement passif (il y a une différence entre défiler aux côtés des grévistes et lutter ensemble) et éphémère (une journée ponctuelle). Un tel événement n’a pas de quoi inquiéter la bourgeoisie s’il en reste là. Et effectivement, cet élan de solidarité n’a pas été le début de quelque chose, il n’a pas constitué le point de départ pour la création d’une dynamique d’extension de la grève. Au contraire, toutes les autres actions, même celles qui en apparence faisaient converger d’autres ouvriers d’autres usines, ont renforcé en réalité l’isolement des “Contis”.

Les actions en Moselle ou en Allemagne se sont placées d’emblée sur un terrain restreint : celui de l’entreprise Continental. L’extension de la lutte s’est fait ici en direction des ouvriers de la même boîte et seulement de la même boîte. Le sentiment qui se développe à travers une telle sorte d’“extension” n’est pas “nous les ouvriers devons lutter ensemble” mais “nous les ouvriers de Continental…”. Face à la bourgeoisie ne se dresse pas “la classe ouvrière” mais “les ouvriers de Continental”… ce qui crée un rapport de force nettement moins favorable aux exploités. A ce propos d’ailleurs, la manifestation d’Hanovre n’avait d’“internationale” qu’un vernis peu épais. Des ouvriers de France et d’Allemagne se sont bien retrouvés dans la rue côté à côte, et la chaude fraternité exprimée mutuellement par ces ouvriers était sans aucun doute sincère, mais le ciment de cette journée n’était fondamentalement pas la conscience d’appartenir à la même classe au-delà des frontières, mais celui d’appartenir à la même multinationale. Sous “l’unité internationale des travailleurs” s’est caché ici en fait le poison de la division de la classe ouvrière par secteur, par corporation et par boîte  !

Reste tout de même quelques journées où des ouvriers d’usines différentes se sont retrouvés ensemble dans la grève. En particulier, le lien avec les grévistes de Lear est très intéressant. Mais là aussi, cette unité est somme toute relativement limitée et superficielle. Les ouvriers de Lear et de Continental ont réalisé des manifestations communes mais pour se retrouver finalement à défiler les uns à côtés des autres, chacun pour “sa” boîte contre “son” patron. Ainsi, le 18 mai, devant la Bourse du travail à Paris, les “Contis” brandissaient des banderoles parlant des “Contis” quand ceux de Lear affichaient “Lear sous-traitant de PSA, non à la fermeture”.

Pour étendre la lutte, il faut la prendre en main

Il s’agit ici de simulacres d’extension. Pourtant, tous ces ouvriers menacés d’être mis à la rue sont réellement en colère et veulent sincèrement lutter ensemble. Alors, pourquoi cette lutte n’a-t-elle pas pris corps  ? Pourquoi ceux de Continental n’ont-ils pas tenté d’étendre la lutte aux usines voisines, à Colgate, par exemple, qui est juste à côté et qui va subir elle aussi prochainement une vague de licenciements  ?

En fait, depuis le début du mouvement, les grévistes n’ont pas la destinée de leur lutte entre leurs mains. Ce sont les syndicats – CGT en tête – qui orchestrent tout, qui décident de tout, les mots d’ordre, les modalités d’action… Ces chiens de garde du capital ont fait mine d’organiser l’extension de la lutte pour mieux dévoyer la combativité de ces travailleurs et les entraîner dans l’impasse de l’isolement corporatiste.

Ils ont collé à leurs actions les étiquettes “unité”, “solidarité internationale”… en vidant ces mots de leur substance.

Quand les ouvriers osent prendre en main leur lutte, qu’ils ont suffisamment confiance en eux-mêmes pour se passer de tous ces soi-disant “professionnels de la lutte” (en fait, professionnels du sabotage), l’extension qu’ils mettent naturellement en place est d’une toute autre nature. Pour ne pas rester isolés dans “leur” usine, les ouvriers doivent aller chercher la solidarité de leurs frères de classe en allant physiquement et massivement à l’usine, à l’hôpital, dans les administrations les plus proches. Ce chemin n’est pas facile à emprunter. C’est prendre le risque d’essuyer un échec, de ne pas réussir à entraîner les autres ouvriers des autres secteurs, mais c’est le seul chemin qui permet de lutter en tant que classe unie et solidaire.

Parfois les syndicats proposent de telles actions, quand ils sentent que cela trotte dans la tête des ouvriers. Ils se proposent alors d’aller voir, au nom de tous, les travailleurs d’à côté et, dans les faits, ils discutent avec leurs confrères syndicaux  ! Il faut donc se confronter à ce type de sabotage, refuser de se laisser déposséder de la lutte. L’extension doit être décidée, organisée et réalisée par tous les ouvriers. Pour cela, il faut débattre dans des AG souveraines, communes et ouvertes à tous, sans exclusive et décider d’aller massivement à la rencontre des frères de classe  ! La véritable solidarité ouvrière lors d’une grève se forge de proche en proche sur la base d’une extension géographique de la lutte.

Mais est-il possible de construire une telle dynamique, un tel rapport de forces   ? Les expériences qui le prouvent ne manquent pas. C’est par exemple ainsi qu’ont agi les ouvriers de Pologne en 1980  ; en parvenant à prendre en main leur lutte et son extension, ils ont engendré un mouvement massif encore gravé dans la mémoire ouvrière. Pour prendre un exemple plus méconnu et d’une moins grande ampleur : en Belgique, en mai 1986, 300 mineurs du Limbourg sont venus aux AG des services publics à Bruxelles pour proposer l’unification des combats ce qui a donné un souffle à toute la lutte de cette région du monde (en Belgique, en Finlande, au Danemark). Plus proche de nous dans le temps, en 2006, les métallurgistes de Vigo (en Espagne) ont organisé leurs AG, non pas dans l’usine mais en pleine rue, permettant ainsi aux autres ouvriers d’y participer et d’aller manifester massivement ensemble.

Tous ces événements ont pour point commun la confrontation à l’encadrement syndical. Il ne peut y avoir un réel développement de la lutte, une réelle extension géographique, sans que la bourgeoisie ne se sente en danger et donc sans qu’elle n’envoie ses bataillons syndicaux enrayer la dynamique. Les ouvriers de Clairoix ne se sont pas heurtés à leur encadrement, il ont au contraire fait confiance aux syndicats et n’ont pas vu, cette fois-ci, comment “leurs” représentants ont orchestré l’isolement. Mais la crise économique va continuer de frapper tous les ouvriers, de tous les secteurs. Il va devenir de plus en plus évident que pour résister, il faut se battre ensemble, en tant que classe. La réflexion sur comment unifier nos luttes se heurtera alors inévitablement de façon croissante au carcan syndical  !

Pawel (29 mai)


NDLR : Au moment de mettre sous presse nous apprenons qu’au cours des négociations, la direction de Continental vient de « lâcher » une prime de départ de 50 000 euros net pour chaque ouvrier. Ces primes de licenciements, qui sont tout de même le minimum par rapport au fait d’être mis à la porte (les ouvriers demandaient l’annulation de la fermeture ou au moins son report pour fin 2011), sont évidemment le fruit de la combativité ouvrière. Mais la publicité tapageuse faite autour de ces miettes vise à faire passer le même message trompeur que lors de la lutte en Guadeloupe : c’est seulement en s’en remettant aux syndicats que les ouvriers peuvent espérer arracher quelque chose.


1) Soit près d’un quart de la population de l’agglomération  !

2) D’où les séquestrations très médiatiques de ces dernières semaines, les ouvriers tentant ici de façon désespérée d’empêcher le patron de fermer l’usine, sans savoir quel type de lute mener pour modifier le rapport de force en leur faveur. Ces actions coup de poing sont d’ailleurs souvent fortement encouragées, voire initiées, par les représentants syndicaux locaux, en particulier les gros bras de la CGT.

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