Gouvernements et syndicats main dans la main pour saboter le mouvement dans les universités (courrier de lecteur)

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Depuis octobre 2007, une vague de réformes, notamment liée à la loi LRU, dite “loi sur l’autonomie des universités,” s’abat sur les travailleurs de l’éducation et les étudiants : précarisation généralisée des futurs enseignants, fermeture des IUFM, réforme des CROUS, mise en concurrence des travailleurs dans leur avancement, fermeture des filières les moins rentables, diminution drastique des postes pour le personnel d‘entretien, les bibliothécaires, les secrétaires, etc. Rien n’est épargné à “l’université publique”, eldorado illusoire des enfants du prolétariat qui s’entassent chaque année dans des amphithéâtres en ruines pour, n’espèrent-ils plus, trouver un emploi, souvent dans le corps enseignant - qui n’en finit d’ailleurs pas de payer ses prétendus privilèges. A mesure que le capitalisme sombre, tous sont conscients de l’avenir misérable que leur réserve la classe dominante, que derrière les diplômes des universités-poubelles se cachent les files grandissantes de chômeurs devant les portes de l’ANPE. Car, en dépit du mensonge présentant l’étudiant comme un fils à papa fainéant, la vérité de l’enseignement supérieur est simple : une large part de l’élite économique a fui l’université pour les grandes écoles hors de prix, dotées de moyens gigantesques, faisant ainsi place au futur de la classe ouvrière. En plus d’un horizon bouché, beaucoup d’étudiants sont contraints de travailler dans des conditions abominables pour financer leurs études  ; le triste exemple de leur présence grandissante dans la restauration rapide suffit à s’en faire une idée.

Face à ces attaques, de longues mobilisations se sont multipliées, particulièrement à l’automne 2007 et au début de l’année 2009, émaillées de nombreuses manifestations rassemblant des dizaines de milliers de personnes, de blocages des locaux d’universités et d’actions coup-de-poing. Mais la colère des étudiants et du personnel des universités françaises n’est qu’un aspect d’une dynamique plus large de montée en puissance de l’ensemble de la classe ouvrière, et particulièrement, depuis plusieurs années, de la jeunesse : on se souvient encore de la lutte des lycéens entre décembre 2004 et avril 2005 contre la loi Fillon, alors ministre de l’éducation, qui rassembla jusqu’à 165 000 personnes dans les rues (selon la police)  ; la lutte contre le CPE/CNE et ses millions de manifestants frappe sans doute encore les esprits  ; et comment qualifier le formidable mouvement de la jeunesse d’Europe en 2008 en Grèce, en Espagne, en Italie, en France (notamment les lycéens), en Allemagne, etc. qui fit trembler plus d’un gouvernement, apeurés qu’ils étaient par l’exemple grec et sa “contagion”  ? Pourtant, malgré la durée du mouvement qui se termine peu à peu, malgré les blocages, comme à l’occasion du conflit contre le CPE, malgré une certaine radicalité, la lutte actuelle dans les universités n’a pas effrayé le gouvernement qui s’est même payé le luxe de provoquer les étudiants comme en témoigne les propos désinvoltes de Xavier Darcos, ministre de l’éducation : “Il n’y aura pas de licence ès grève, de master en pétition et de doctorat en blocage,” (1) ou ceux du premier ministre François Fillon rappelant nonchalamment sa disposition à envoyer les forces de l’ordre pour mater les étudiants (2). Comment expliquer, au regard du succès de la précédente lutte des lycées, de celle contre le CPE, etc. l’échec de ce mouvement  ?

L’histoire de la lutte des classes nous apprend qu’en la matière la seule règle est qu’il n’y en a pas. Il n’existe pas de recette miracle de la grève victorieuse car les modalités de lutte efficace dépendent du contexte, du degré de mobilisation, du rapport de force possible, etc. Par exemple, si le blocage fut une arme précieuse lors du conflit contre le CPE, il a montré ses limites dans celui-ci. En revanche, il existe un principe que le prolétariat doit absolument se réapproprier pour assurer ses victoires, un principe qui découle d’une de ses forces, son nombre, sur laquelle la classe ouvrière, privée des pouvoirs économique et politique, peut compter : son unité  ! Autrement dit, lorsque les travailleurs de l’éducation et les étudiants se mobilisent, leur principal objectif doit être de chercher à étendre le plus possible le mouvement, au-delà de leur université, dans tous les secteurs. Ce qui a fait le succès de la lutte contre le CPE, occasion d’une authentique solidarité, c’est très précisément qu’il ne s’agissait pas d’un conflit universitaire mais d’une lutte dans laquelle toutes les catégories pouvaient se reconnaître. Les étudiants, qui avaient pourtant commencé seuls le conflit, avaient immédiatement su montrer en quoi ce projet de loi nous concernait tous et qu’il entrait dans le cadre d’attaques généralisés de la classe capitaliste contre la classe ouvrière. De même, une partie des lycéens en lutte en 2007 ont tenté de faire converger leur mouvement avec celui des cheminots en grève au même moment contre la réforme des régimes spéciaux. Enfin, en Grèce, fin 2008, un immense élan de solidarité s’est développé autour de la “génération 200 euros”  ; les salariés, les retraités les chômeurs se sont retrouvés dans la rue au-côté de cette jeune génération pour qui l’avenir semble totalement bouché.

Or, la capacité à étendre le conflit, c’est très précisément ce qui a manqué au mouvement dans les universités du début de l‘année, isolé et donc impuissant. Il est certes manifeste que les leçons de la lutte contre le CPE ont été retenu. C’est pour cette raison qu’au commencement beaucoup d’assemblées générales ont clairement posé la question de l’élargissement comme une nécessité. Dans cet esprit, de nombreuses actions furent initiées comme, entre autres choses, la motion votée par l’AG de l‘université de Caen ouvrant ses portes à tous, les quelques AG rassemblant l’ensemble des universités toulousaines au début du mouvement, les multiples tentatives de discussion avec les ouvriers sur leur lieu de travail, l‘existence, contre l‘avis des syndicats, de nombreuses AG réunissant le personnel des universités et les étudiants, comme à Nancy par exemple.

Cependant, malgré une volonté affirmée dans plusieurs assemblées générales d’élargir la lutte, les syndicats ont immédiatement œuvré à affaiblir le mouvement, notamment en semant la confusion autour des attaques, les enrobant dans un verbiage corporatiste qu’il a ensuite été difficile d’abandonner pour expliquer la nature réelle de ce coup de boutoir contre un secteur de la classe ouvrière. Et ce qui devait logiquement se passer se passa : personne ne put se reconnaître dans ce combat qui, semblait-il de l’extérieur, ne concernait que les étudiants et les chercheurs. Le corporatisme fut parfois poussé jusqu’au ridicule puisque plusieurs universités ont vu se créer, en parallèle des véritables assemblées générales, une myriade de petites assemblées divisant une même université par disciplines, comme si les intérêts des enseignants d’histoire étaient différents de ceux des enseignants de psychologie.

Une autre manigance syndicale fut de détourner les débats dans les assemblées générales vers la seule question du blocage des locaux. Lors du conflit contre le CPE, les blocages avaient été l’occasion, parce que la solidarité se développait, de mobiliser les boursiers (contraint d’aller en cours sous peine de sanctions financières), de faire des universités des lieux de discussions, etc. Or, en 2009, très rapidement, l’objectif de beaucoup d’AG, de facto isolées, fut exclusivement de reconduire le blocage, posé par les syndicats, comme l’unique modalité de combat et l’essence même de la lutte. Les discussions ainsi cristallisées autour de ce faux débat, les comités de luttes, noyautés par les syndicats, pouvaient mettre en avant, dans l’indifférence général, des revendications corporatistes et organiser des actions pseudo-radicales, stériles et minoritaires, c’est-à-dire en complète opposition avec l’authentique activité de la classe ouvrière qui tend, le plus possible, vers son unité. On peut citer, à titre d’exemple, la “ronde des obstinés” manifestation aussi ridicule qu’inutile dans laquelle quelques dizaines d’étudiants se relayaient sur la place de l’hôtel de ville de Paris, au musée, à la bibliothèque, à la campagne, etc., pour faire… la ronde, afin “d’inscrire [leur] obstination au cœur des élections européennes” (3). Tout est dit  !

La bourgeoisie sait que l’unité de la classe ouvrière est une force contre laquelle elle ne peut rien, elle sait qu’en divisant les prolétaires, elle est en mesure de les écraser. C’est pour cette raison qu’elle met tout en œuvre, avec ses syndicats et ses partis gauchistes, pour faire oublier les leçons du CPE et semer la confusion, qu’elle tente de pourrir la situation en sanctionnant les étudiants à travers leurs examens afin que chacun puisse se convaincre que la lutte est inutile. Mais le monde capitaliste s’enfonce toujours plus dans une impasse historique que seule la classe ouvrière est en mesure de dépasser. Il faudra bien plus que des petites manœuvres et d’éphémères victoires pour empêcher la classe ouvrière de renverser un monde qui l‘enfonce dans la misère. “Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner” (4).

 


1) RTL, 11 mai 2009.

2) Le Figaro, 13 mai 2009.

3) rondeinfinie.canalblog.com

4) Engels, Marx : le Manifeste du parti communiste.

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