Tchad : l'impérialisme français en première ligne du conflit sanglant

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Au Tchad, fin janvier et début février, des groupes armés "rebelles" ont tenté de renverser le régime du président Idriss Déby. Résultat : plusieurs milliers de morts et des dizaines de milliers de personnes fuyant les combats pour le Cameroun où elles n'ont rien trouvé d'autre que des camps de la misère, sans eau ni nourriture. Aujourd'hui, avec la défaite des rebelles repoussés aux confins du Soudan, le pays est livré à la vindicte de la soldatesque d'Idriss Déby, profitant de sa "victoire" pour mener une chasse aux sorcières qui frappe les opposants officiels à son régime mais aussi tous ceux qui ont eu le malheur de se plaindre de leur sort. Une bonne partie des quelque 700 000 habitants de la capitale N'Djamena avait suivi le mot d'ordre des rebelles qui les invitaient à fuir avant le déclenchement de la vague d'attaques et cette "lâcheté" se fera payer très cher par les forces de répression tchadiennes.

Mais l'armée du président tchadien et les "rebelles" ne sont pas seuls à s'affronter et à porter la responsabilité de tous ces massacres. Une fois encore, nombreuses sont les puissances impérialistes, petites ou grandes, à être rentrées dans cette danse macabre.

La complicité de la France

Pendant le déroulement des opérations militaires, Paris s'est efforcé de cacher sa participation directe dans la boucherie. C'est ainsi qu'on a pu entendre Kouchner et Sarkozy dire : "Nous n'avons pas à participer aux combats" et "Nous espérons ne pas avoir à intervenir plus en avant militairement" pour finir par ajouter tout de même : "Si la France doit faire son devoir, elle le fera". A les en croire, la France ne serait donc pas encore impliquée militairement dans cette affaire, mais si la défense de la démocratie l'exige (puisque Idriss Déby a été élu), elle est prête à défendre le régime légitimement en place. Quel cynisme ! La bourgeoisie fait la guerre, déclenche les plus abominables horreurs, massacre à tour de bras, et cela toujours au nom de la paix, de la démocratie, de l'humanitaire... Actuellement déjà, au Darfour, région frontalière du Tchad, l'Eufor est déployée avec 3700 hommes dont les deux tiers sont des éléments de l'armée française. Pourquoi ? Officiellement, pour "protéger" les populations, "pour accentuer la coopération des forces de paix et prêter main forte" aux forces de l'Union africaine.

Kouchner et Sarkozy peuvent bien déclarer "Nous n'avons pas à participer aux combats", l'armée française est déjà sur place, et en action. Son implication est d'une telle évidence que même les médias ne peuvent la cacher : "Nicolas Sarkozy (...) a engagé dans les combats des officiers d'état-major, le premier février, et des éléments du Commandement des opérations spéciales (COS), le 2. (...) Le 6 février, le ministre de la Défense, Hervé Morin, s'est rendu à N'Djamena pour réitérer le "soutien sans faille" de la France au président Déby, et, pour que chacun comprenne le message, il s'est fait photographier l'œil dans le viseur d'une arme automatique" (1). Il y a un peu plus d'un an, fin 2006, la France était déjà intervenue militairement pour sauver le régime tchadien en utilisant chars, aviation et quelques 2000 soldats. L'affrontement contre les rebelles s'était soldé par quelques milliers de morts dans la population. Cette fois-ci encore, le gouvernement français a donc utilisé son dispositif militaire sur place pour soutenir son pion tchadien. Sur toutes les chaînes télévisées françaises, au 20 h, tout le monde a pu voir ces images de l'évacuation des ressortissants étrangers à partir de l'aéroport de N'Djamena tourner en boucle. Le message était clairement propagandiste : "Oh, regardez notre belle et noble armée française sauvant des vies en sécurisant l'aéroport et en organisant l'évacuation !". Les journalistes en ont d'ailleurs fait des tonnes sur le sauvetage des ressortissants non français, pour bien montrer l'altruisme de la république tricolore. Mais là encore, la "protection", le "sauvetage des vies" n'ont été que des excuses infâmes. Sécuriser cet aéroport a surtout permis aux avions du pouvoir tchadien de décoller pour aller bombarder les rebelles et, en passant, raser des villages. Des mirages de l'armée française décollaient eux aussi de cet aéroport, non pour bombarder mais pour repérer les colonnes rebelles et indiquer leur présence à l'armée tchadienne. L'hypocrisie de la bourgeoisie n'a pas de limite (2).

Tous des charognards impérialistes

Ce nouvel avatar de la guerre au Tchad n'a rien d'étonnant. Cette région est depuis des décennies convoitée et tiraillée par les grandes puissances impérialistes.

Dans les années 1980, par exemple, c'est Hissène Habré qui était soutenu par la France pour le compte du bloc américain. Qu'on se souvienne des opérations Manta mises au point par Mitterrand au profit des Etats-Unis afin de contenir la pression de la Libye, considérée à l'époque comme oeuvrant pour le compte de l'impérialisme russe. Comme l'avoue le Monde (du 17 avril 2006) : "Si la France maintient une forte présence militaire au Tchad (1350 soldats, 6 avions de chasse Mirage et 3 hélicoptères), c'est pour des raisons historiques, stratégiques et diplomatiques. (...) Depuis l'indépendance en 1960, tous les présidents tchadiens, de François Tombalbaye au général Maloum, d'Hissène Habré à Idriss Déby, ont entretenu des rapports étroits avec Paris".

Le soutien diplomatique et militaire actuel à Idriss Déby n'a donc rien à voir, ni de près ni de loin, avec une quelconque défense de la démocratie. La France soutien simplement son homme de main sur place et, encore une fois, c'est tellement gros que les médias sont obligés de lâcher le morceau : "Idriss Déby a pris le pouvoir par les armes en décembre 1990. Il venait de Libye et du Darfour et avait bénéficié de l'aide militaire française pour chasser Hissène Habré, devenu embarrassant. Il a persisté dans son être présidentiel jusqu'à aujourd'hui à grand renfort de combats, répression, de fraudes électorales, de manipulations constitutionnelles. (...) il a néanmoins joui du "soutien sans faille" de la part de la France" (3).

Ce "soutien sans faille" de la bourgeoisie française est aujourd'hui d'autant plus nécessaire que le Tchad se trouve au cœur d'appétits impérialistes de plus en plus aiguisés. Parmi les concurrents de l'Etat français, on trouve la Libye de Kadhafi, le "nouvel ami" de Sarkozy, qui arme et finance tout le monde (le régime et ses opposants) et dont le but fondamental est de récupérer la place de Paris. Mais il y a aussi, évidemment, les Etats-Unis dont les sociétés exploitent le pétrole tchadien au détriment de la société française Total et qui soutiennent en sous-main certaines fractions de rebelles. Ou encore, prouvant que petites ou grandes, toutes les nations sont impérialistes, il y a le Soudan (soutenu par la Chine) et les groupes qui arment les "rebelles" tchadiens en vue de renverser le pouvoir en place de Déby, lequel, de son côté, arme et finance les "rebelles" soudanais dont les exactions ravagent le Darfour ! C'est cette mosaïque de cliques et de charognards qui se disputent le contrôle du Tchad et des pays environnants. C'est pour cette raison que ces criminels mettent toute la région à feu et à sang. Trois conflits ravagent actuellement cette région du monde : au Tchad, en Centrafrique et au Darfour !

Toutes ces bourgeoisies ne sont que des charognards. En treillis en Afrique ou en costume trois-pièces à Paris ou Washington, bien léchée et présentable, la bourgeoisie reste une classe sanguinaire et va-t-en-guerre dont l'inhumanité n'a d'égale que l'hypocrisie et le cynisme. Soyons-sûrs qu'aucun de ces serial-killers impérialistes ne baissera les bras et que la population de cette région du monde va continuer de voir s'accroître l'insécurité et le chaos. Les médias peuvent bien nous abreuver de discours lénifiants voulant nous faire croire qu'ils font tout pour défendre la "paix", plus la bourgeoisie parle de paix et d'humanitaire, plus elle fait la guerre et massacre.

Amina (15 février)

 

1) Jean-François Bayart, Directeur de recherche au CNRS, le Monde du 13 février 2008.

2) D'ailleurs, le rôle de la bourgeoisie française a été à ce point déterminant dans le sauvetage d'Idriss Déby que celui-ci a immédiatement annoncé qu'il allait réfléchir à une grâce éventuelle des prisonniers de l'association l'Arche de Zoé. Ce fait divers, aussi, révèle à sa façon tout le cynisme et toute l'hypocrisie dont la bourgeoisie est capable. Cette proposition de grâce montre bien que tous les discours tchadiens ou français sur la légitimité ou non de l'action humanitaire de cette association étaient du vent. Les membres de l'Arche de Zoé n'ont été que des pions, depuis le début. Ponctuellement, Idriss Déby a voulu jouer les gros bras. En faisant arrêter ces humanitaires, il montrait qu'il était indépendant, « maître chez soi ». Mais ses difficultés face aux rebelles l'ont rattrapé ; le soutien de l'armée française lui est devenu vital. D'où cette proposition de grâce en signe de reconnaissance... et de soumission. Dans ce jeu d'otages et de chantage, Déby et Sarkozy, ces éminents représentants de la classe dominante, étalent ici leurs mœurs crapuleuses dignes du plus minable des mafieux.

3) Jean-François Bayart, op. cit.

 

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