Courrier de lecteurs : un salut venu d'Allemagne à la lutte des étudiants contre le CPE

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En mai 2006, deux sympathisantes du CCI en Allemagne sont venues à Paris afin "d'éprouver personnellement sur le terrain l'énergie et le sérieux avec lesquels les étudiants et les travailleurs s'engageaient dans le mouvement [contre le CPE]". Participant à l'une de nos réunions publiques consacrées à cette lutte, l'une d'elle a affirmé "j'ai été très touchée par ce que j'ai entendu et vu ; il y avait là l'optimisme et la conscience, qui m'ont été communiqués, que la classe ouvrière n'est pas morte" ou encore "Nous avons pu à nouveau constater à quel point le débat mutuel est important. Comme nous sommes si souvent isolées au quotidien dans notre conviction politique, constamment à contre-courant, à Paris, vivre cette atmosphère, où beaucoup de travailleurs et d'étudiants se rassemblent et discutent de façon vivante, nous a tout particulièrement impressionnées."

Le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France appartient à toute la classe ouvrière, il est un exemple pour toutes les luttes à mener, sur tous les continents. Ces camarades venues d'Allemagne l'expriment parfaitement : "Nous avions le désir de témoigner notre attitude internationaliste aux étudiants, aux lycéens et aux travailleurs et de les assurer de notre solidarité sans restriction." Et pour que justement cette leçon de lutte traverse les frontières, elles ont pris la plume et ont exprimé toutes deux à leur façon ce qu'elles ont perçu et retenu de ce mouvement. C'est ce texte, traduit de l'allemand et déjà diffusé largement dans nos publications que nous reproduisons ci-dessous presque intégralement. Ce soutien internationaliste est d'une grande importance, il révèle une fois encore que la classe ouvrière n'a pas de patrie, qu'elle a partout les mêmes intérêts et le même combat. Elle seule est capable d'éprouver ainsi un profond sentiment de solidarité par-delà les frontières, les couleurs de peau ou les religions !

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Le mouvement des étudiants était spontané. Les étudiants se sont mobilisés contre le projet du CPE, qui devait autoriser le licenciement sans motif et sans préavis des jeunes travailleurs de moins de 26 ans. Dans leur lutte, ils ont laissé de côté les revendications spécifiquement estudiantines et engagé le combat contre l'attaque de la bourgeoisie dirigée contre la classe ouvrière dans son ensemble. C'est ainsi qu'ils purent gagner la solidarité de toute la classe ouvrière et convaincre les travailleurs de lutter avec eux, ensemble. Ce que les travailleurs firent ensuite aussi en France. Par centaines de milliers, ils ont participé aux manifestations des 18 et 19 mars. [...] C'est là que réside le secret du succès de cette lutte. Les étudiants se sont conçus comme une partie de la classe ouvrière ; très souvent déjà, ils travaillent pendant leurs études comme prolétaires et savent ainsi quel avenir les attend. Ils ont une conscience profonde du fait qu'ils feront partie du prolétariat. C'est l'expression de la solidarité et de l'unité de la classe qui a contraint la bourgeoisie à la capitulation. Le projet du CPE a été retiré le 10 avril. [...]

Une lutte appartenant à la remontée internationale de la combativité ouvrière

Les assemblées générales des étudiants ont été ouvertes aux différentes couches de la classe ouvrière et de la population (travailleurs, retraités, parents, grands-parents, chômeurs). Tous ont été invités et encouragés à prendre la parole, à faire des propositions et à apporter leurs expériences de lutte. La jeune génération a écouté avec attention et grand intérêt. Cet échange et ce type de rapports entre les gens ont établi spontanément une relation solidaire entre les générations de combattants.

La bourgeoisie s'efforce dans le monde entier de minimiser l'importance de ce mouvement en le présentant comme une particularité de la France. Le fait que tactiquement la bourgeoisie française n'a justement pas agi de façon intelligente, en voulant imposer cette loi par tous les moyens, peut avoir contribué en partie à ces événements. Mais le plus important est quand même que ce mouvement ne constitue en rien une particularité de la France, mais une expression de la maturation souterraine mondiale dans la classe ouvrière. Avec l'aggravation de la crise mondiale, dans laquelle le système capitaliste s'enfonce depuis désormais plus de 30 ans, les conditions de vie qui deviennent de plus en plus dures pour la classe ouvrière contraignent les travailleurs à réfléchir à leur situation. Les étudiants prennent conscience de ce que sera leur avenir professionnel, avec des contrats de travail de plus en plus précaires. Ce qui est caractéristique des nouvelles luttes de défense de la classe ouvrière (comme la lutte des étudiants en France), c'est la solidarité et la reconnaissance que ce qui concerne une partie de la classe ouvrière, concerne la classe ouvrière dans son ensemble. Il ne s'agit pas ici seulement des étudiants en France. Cette lutte s'inscrit dans toute une chaîne de luttes de défense des travailleurs, depuis celle des ouvriers du métro à New York jusqu'à celle des employés de l'aéroport d'Heathrow à Londres. La classe ouvrière est une classe internationale, c'est pourquoi sa lutte de défense ne peut connaître aucune frontière nationale. C'est pourquoi il est moins important de voir dans quel pays ces luttes ont lieu, que de voir qu'elles ont lieu et qu'elles sont menées par la classe ouvrière.

Les luttes en France ne sont pas isolées. Aux USA, en Angleterre, en Allemagne, etc. il y a eu une série de luttes ces dernières années contre la crise croissante et ses effets sur les travailleurs [...]

Les camarades ont souligné que le mouvement possède la plus haute importance pour la classe ouvrière internationale ce que la bourgeoisie cherche naturellement à minimiser. Cela montre, en plus des exemples cités, que la classe ouvrière est prête à engager la lutte contre l'intensification de la crise. Cela présage l'expression de la solidarité internationale, pour les générations suivantes avec le message : on peut combattre. On peut gagner. Qui ne combat pas, ne peut pas gagner.

Sur le rôle des jeunes des banlieues, des chômeurs et des femmes

Les jeunes des banlieues sont venus aux manifestations à Paris, principalement pour se battre avec la police 1. Dans les manifestations, les syndicats les ont refoulés à coups de matraque dans les bras de la police. À la différence des syndicats, les étudiants ont envoyé de fortes délégations dans les banlieues, pour parler avec les jeunes et pour leur expliquer que les étudiants ne défendent pas de quelconques intérêts spécifiquement estudiantins mais des revendications générales de la classe ouvrière, qui sont aussi dans l'intérêt des jeunes des banlieues. Il était important pour les étudiants de convaincre les jeunes de l'absurdité des émeutes et de se démarquer de ces formes de luttes. Les étudiants ont ainsi exprimé le principe prolétarien, de n'user d'aucune violence au sein de la classe ouvrière.

Il n'y a pas d'organisations de chômeurs. [...] Lorsque les luttes de la classe ouvrière iront plus loin, les chômeurs s'y intégreront. Les chômeurs constitueront en effet une partie importante des luttes. Ils ne sont reliés à aucune entreprise, ils peuvent donc ainsi s'opposer à toute division de la classe. Vu qu'ils reçoivent directement leur soutien de l'État, leur lutte pour l'existence prend directement un caractère politique. Par leur propre situation, l'absence de perspective dans le système capitaliste, les chômeurs se heurteront très rapidement aux racines du mal capitaliste. La lutte des chômeurs provoquera alors une radicalisation, une nouvelle extension et une importante dynamique dans la lutte des classes.

Les femmes se sont activement associées, se sont montrées très intéressées à la discussion. Dans la discussion ne se sont exprimés ni une mise en relief particulière du rôle de la femme ni aucun rabaissement. Les étudiantes ont participé au mouvement. Elles ont apporté des contributions particulièrement importantes, là où il s'est agi d'un travail de conviction d'argumentation, d'explication, d'organisation, de discipline ou de réflexion collective. Parce que les étudiantes dans les manifestations, mises à part quelques exceptions, n'utilisèrent pas la violence, malgré les provocations de la police, les femmes n'ont pas non plus été reléguées au rôle « d'infirmières des barricades » qui leur était encore très typiquement réservé dans le mouvement étudiant de 1968. Ce sont surtout les femmes qui ont fait de l'agitation parmi les policiers des brigades anti-émeute françaises, les CRS, et qui ont bien ébranlé leur assurance. Le fait que les femmes dans ces luttes ont joué un tel rôle, témoigne de la profondeur du mouvement. [...]

Sur le rôle des organisations politiques et syndicales

Les camarades du CCI étaient dès le début dans le mouvement, dans les manifestations, y compris celles qui ont été organisées par les syndicats. Ils y ont distribué leur presse et sont intervenus dans les différentes discussions avec beaucoup d'étudiants et travailleurs intéressés. [...] Le CCI, dans son soutien, s'était donné deux tâches essentielles. D'abord, il s'agissait de rompre la politique de black-out et les mensonges concernant la nature des discussions dans les assemblées générales. Puis de faire l'analyse précise du mouvement avec pour objectif de tirer les principaux enseignements de ces importantes expériences pour les perspectives des luttes futures.

Les médias officiels ont essayé de présenter les choses de telle sorte que les syndicats auraient dirigé et contrôlé le mouvement. [...] Il y a eu des manœuvres de sabotage par exemple de la part du syndicat étudiant UNEF qui a essayé de verrouiller les assemblées générales, de refuser de les ouvrir à tous les intéressés et d'interdire à certaines organisations [...] d'y prendre la parole. Cette attitude a surtout amené les étudiants non organisés dans des syndicats ou sans appartenance à une organisation politique, à empêcher avec détermination ces manœuvres. Ainsi, les étudiants ont-ils pris, là où ils étaient les plus avancés, leur lutte eux-mêmes en main.

 

1  Note du CCI : en réalité, ce comportement fut le produit d'une minorité de jeunes ; les lycéens des banlieues ont au contraire participé de plus en plus massivement à la lutte, au fil des manifestations... grâce au travail de solidarité réalisé par les étudiants décrit fort justement par nos camarades.


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