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Récemment, la classe ouvrière en Grande-Bretagne a été littéralement bombardée par une série de campagnes hypocrites de déboussolement sur les questions de race et de l'immigration. D'un côté, le gouvernement n'a pas lésiné sur les déclarations diabolisant les immigrants : ils seraient de "faux" chercheurs d'asile, des "pseudo-touristes en quête de pensions" ou encore des "touristes de la santé". De l'autre, on a vu une série de discours visant à introniser l'Etat démocratique comme seul moyen pour se défendre contre le racisme, ce dernier étant présenté comme le produit d'individus ignorants ou de groupes néfastes comme le BNP (British National Party, équivalent britannique du Front National en France), dénoncés comme étant des forces hostiles à la démocratie.
Pourquoi l'immigration est un problème aujourd'hui
L'immigration et
les immigrants sont clairement utilisés par la bourgeoisie comme
boucs émissaires du chômage et de la pénurie de
logements, des dépenses de santé et des difficultés
que connaissent d'autres secteurs des services publics. Cependant, la
bourgeoisie ne brandit pas la question de l'immigration uniquement pour
s'en servir dans le but de détourner l'attention des ouvriers
des effets de la crise économique et des attaques ; il s'agit
aussi pour elle d'un véritable problème.
L'immigration est un phénomène qui a toujours accompagné
le développement du capitalisme et a même été
une précondition de son développement initial, en premier
lieu avec le mouvement vers les villes de "nombreux paysans
qui, chassés continuellement des campagnes par la transformation
des champs en prairies et par les travaux agricoles nécessitant
moins de bras pour la culture des terres, vinrent affluer dans les villes
pendant des siècles entiers" (Misère de la philosophie,
Karl Marx, p. 161, Editions sociales). De fait, la classe ouvrière
est une classe composée essentiellement d'immigrants.
Tout au long de son existence, le capitalisme n'a en effet eu de cesse
d'arracher les populations de la campagne vers les villes - et cela
dans le monde entier. Le sort qui en résultait pour tous ces
migrants était avant tout fonction du développement même
du capitalisme. Au 19e siècle, le capitalisme, système
en pleine expansion, a ainsi encouragé des déplacements
massifs de populations, ce qui lui a permis de développer considérablement
les forces productives à travers ce qui a constitué la
"révolution industrielle".
Mais, au début du 20e siècle, une fois que le capitalisme
eût conquis la planète, il est entré dans sa phase
de déclin, limitant ainsi, pour ceux qui étaient contraints
à l'émigration, la possibilité de trouver du travail
ailleurs et de s'intégrer à la classe ouvrière.
L'immigration s'est de ce fait transformée en un véritable
problème pour la classe dominante contrainte de maintenir sous
le contrôle de l'Etat des masses d'immigrants. Cette question
se fit particulièrement aiguë lors de la dépression
économique des années 1930, alors que chaque économie
nationale s'efforçait de se dépêtrer des effets
de la crise.
Cependant, dans les années 1950, en Grande-Bretagne et dans la
plupart des pays développés, s'impose à nouveau
la nécessité de faire appel à l'immigration. Suite
aux destructions et au bain de sang de la Seconde Guerre mondiale, la
pénurie de main d'œuvre a poussé la classe dominante
à encourager l'immigration en provenance de ses colonies ; pour
la puissance anglaise, il s'agissait de puiser dans les réserves
humaines du Moyen-Orient et du sous-continent indien afin de pallier
cette pénurie. Mais, avec le retour de la crise économique
vers la fin des années 1960, la bourgeoisie vit à nouveau
dans ce phénomène de l'immigration une réelle difficulté.
Des quotas d'immigration commencèrent à être imposés
de même que l'on vit apparaître un changement radical du
discours sur les immigrés. L'histoire des "Asiatiques"
de l'ex-empire britannique est particulièrement illustratif de
ce changement de politique et caractéristique de ce tournant
dans la propagande de la bourgeoisie envers ceux-ci.
Le British National Act de 1948 stipulait que les populations des pays
devenus indépendants, ayant appartenu au Commonwealth, prenaient
la nationalité britannique une fois sur le sol de la Grande-Bretagne.
Malgré les lois dont se dota la bourgeoisie d'outre-Manche pour
limiter le flux d'immigrants dès 1962, ce pays devint la "terre
d'asile" des Indiens venant non seulement des Indes mais également,
pour deux millions d'entre eux, des communautés indiennes installées
en Afrique orientale. Avec le développement de la crise économique,
la bourgeoisie anglaise décida, en 1968, que seraient distinguées
deux catégories de membres du Commonwealth possesseurs de passeports
britanniques : ceux qui avaient obtenu ces passeports avant l'indépendance
et ceux qui les avaient reçus après. Cette politique permit
de ramener à 6000 personnes par an l'entrée des immigrants
en Grande-Bretagne.
De pair avec cette politique de restriction draconienne des immigrants,
on vit se développer un discours particulièrement musclé
à l'égard de ces derniers, présentés par
l'ensemble des partis bourgeois comme une vraie menace pour la stabilité
du pays. Un protagoniste en vue de cette campagne, Enoch Powell, ancien
membre du gouvernement, conservateur et populiste professant une hostilité
profonde à l'égard des immigrés "de couleur",
fit à l'époque un discours retentissant sur les "rivières
de sang" lors d'affrontements que, dans l'avenir, des vagues massives
d'immigration rendraient inévitables.
Claire illustration de l'hypocrisie bourgeoise, la législation
anti-discrimination fut introduite à la même époque
pour donner l'illusion que l'Etat pouvait servir à combattre
le racisme, au moment où, justement, c'est cette institution
suprême elle-même qui commençait à mettre
en place les mesures discriminatoires visant spécifiquement les
immigrants.
Pendant ce temps, avec le développement international de la crise,
le manque de travail et de ressources, la misère s'aggravait
sur les populations du "tiers-monde". Dans ces régions,
les bidonvilles se mirent à pousser dans des proportions gigantesques
autour des villes. La nécessité d'émigrer pour
trouver du travail devenait ainsi de plus en plus impérieuse
pour des masses grandissantes de miséreux.
Les choses sont devenues encore bien pires dans la période que
nous avons définie comme étant celle de la décomposition
capitaliste, dans laquelle la durée de la crise, sans aucune
perspective d'en sortir, a conduit à une aggravation qualitative
de tous les aspects du déclin historique du système capitaliste,
avec en particulier la prolifération des famines dans les pays
du "tiers-monde".
Non seulement la crise s'est aggravée dans les principaux centres
des pays développés mais ce sont des zones du monde plus
étendues et nombreuses qui sont confrontées aux catastrophes
économiques (et écologiques ), engendrant ainsi une immigration
à plus grande échelle. L'Europe de l'Est, avec des taux
d'émigration impressionnants, constitue une illustration frappante
de ce phénomène. C'est d'ailleurs de façon régulière
que les médias en Europe occidentale mettent en garde contre
les dangers d'une nouvelle vague d'immigrés en provenance de
l'Est, propagande qui connaît un regain d'activité avec
l'élargissement de l'Union Européenne.
La bourgeoisie punit ses victimes
En plus des difficultés économiques et de la misère
qui contraignent les populations à émigrer, la multiplication
des guerres sur l'ensemble de la planète pousse un nombre grandissant
d'entre elles à fuir les combats et les destructions. Ces guerres
ne sont pas le produit de facteurs extérieurs au capitalisme,
mais le résultat inévitable de l'impérialisme lié
à sa période de décadence. Et la responsabilité
de ces guerres incombe au premier chef aux grandes puissances. C'est
évident lorsqu'on voit les Etats-Unis, soutenus par la Grande-Bretagne,
déchaîner la barbarie guerrière en Afghanistan et
en Irak. Mais, si cela est moins évident, c'est tout aussi vrai
lorsque les grandes puissances attisent une situation locale de tensions.
L'éclatement de l'ex-Yougoslavie, du fait de l'action des grandes
puissances luttant pour imposer leur influence en soutenant telle ou
telle fraction yougoslave, en est un exemple. Même le génocide
rwandais il y a dix ans, toujours présenté comme s'il
n'était au fond que le produit pur et simple de conflits tribaux
entre "primitifs", fut en réalité mené
par un impérialisme français aux abois dans une lutte
contre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour le contrôle de
cette région d'Afrique (voir notre article dans RI n°345).
En d'autres termes, le nombre grandissant de réfugiés,
phénomène que la bourgeoisie met elle-même en évidence,
est le produit de son propre système, le capitalisme, et plus
spécifiquement de sa politique impérialiste. Si l'on se
rappelle les profondes résistances des bourgeoisies britannique
et américaine à recevoir les réfugiés européens
dans les années 1930 et 1940, tout particulièrement les
Juifs fuyant les camps de concentration, on peut alors difficilement
s'attendre à les voir accueillir ceux qui fuient aujourd'hui
les conflits s'étendant sur la planète.
Au contraire, il faut s'attendre à ce que la bourgeoisie de tous
les pays, surtout dans les pays développés, encourage
le développement de l'esprit de pogrome dans la même logique
que celle qui consiste à provoquer des divisions raciales ou
nationales dans la classe ouvrière aujourd'hui. C'est la réelle
signification de la propagande mise en œuvre par tous les gouvernements,
derrière les discours patenôtres et hypocrites contre le
racisme de ceux qui s'apitoient avec des larmes de crocodile sur la
misère du monde.
D'après World Revolution n°274, mai 2004, organe
en Grande-Bretagne du Courant Communiste International.