Soumis par Révolution Inte... le
Le Forum Social
Mondial (FSM) qui, depuis sa création, s'était tenu annuellement
à Porto Alegre au Brésil, s'est déroulé
en 2004 à Bombay en Inde entre le 16 et le 21 janvier. Le FSM
de Bombay n'était pas différent des autres rassemblements
du même type - il comportait tous les attributs d'une gigantesque
foire (il s'est d'ailleurs déroulé dans le Parc National
des Expositions où se tiennent habituellement des Foires commerciales)
au goût "ethnique" et "tribal" prononcé.
Le spectacle a été indéniablement gigantesque -près de 80 000 personnes venues de 132 pays auraient participé
aux 1200 forums organisés autour du FSM. Un plus grand nombre
encore a rejoint la manifestation anti-américaine organisée
le 21 janvier 2004, dernier jour du FSM.
Le FSM avait l'allure d'une grande fête sociale et politique,
bien qu'aucun parti ou organisation politique n'ait été
présente avec son propre nom ou son propre drapeau. Il semblait
y en avoir pour tous les goûts. De nombreux séminaires
et ateliers se sont tenus sur toutes sortes de sujets. Quantité
de programmes et de spectacles culturels se sont également déroulés
en différents lieux dans l'enceinte du Forum social. L'ensemble
de l'enceinte du Forum était occupé par une foule immense,
bruyante, agitée, bourdonnante et occupée à l'une
ou l'autre activité.
Parmi les participants, il y avait aussi de nombreux jeunes. La plupart
d'entre eux semblaient aux anges, comme si leur participation à
ce forum constituait une étape très importante sur le
chemin de la réalisation de leur but d'un autre monde sans impérialisme,
sans aucune sorte de capitalisme, guerre, pollution, exploitation, répression,
domination, discrimination. Il y avait de grandes quantités d'affiches
et de banderoles dédiées au thème central : "Un
autre monde est possible". La mondialisation était dénoncée
comme le plus grand monstre et la cause de tous les maux sociaux, politiques
et économiques dans le monde entier. L'impérialisme (en
fait l'impérialisme américain) était présenté
comme la chose la plus diabolique du monde actuel, ce qui, de ce fait,
impliquait de se mobiliser sur la nécessité de la lutte
et du front anti-impérialistes. Certaines affiches affirmaient
le droit à la nationalité et à l'indépendance
nationale. Des hymnes à la démocratie et au contrôle
démocratique étaient chantés dans un certain nombre
de slogans et d'affiches. Certaines affirmaient des revendications pour
les droits de l'homme, les droits des réfugiés et pour
la protection de l'environnement. Il y avait également des mots
d'ordre contre l'occupation de l'Irak, la revendication de la fin de
cette occupation et de la liberté de la population irakienne
de choisir son propre régime politique et social. D'autres slogans
s'attaquaient aussi à l'occupation de l'Afghanistan. En fait,
tout cela donnait l'image d'un kaléidoscope politique bigarré
et aveuglant. Des revendications pour les droits et l'émancipation
des femmes étaient également affichées avec vigueur.
Des slogans contre la ségrégation et les attaques contre
les Dalits (membres de la caste inférieure), pour l'harmonie
communautaire, les droits et l'émancipation des Dalits étaient
également affichés afin d'apporter une "touche indienne"
à ce grand "show international". Cependant, le plus
attractif de tout était la formule accrocheuse "Un autre
monde est possible".
La bourgeoisie aux petits soins pour le FSM
Nous avons souvent montré que la bourgeoisie mondiale a tout fait pour annihiler la conscience de la classe ouvrière au lendemain de l'effondrement de la bourgeoisie stalinienne dans l'ex-URSS. Elle a tenté d'anéantir toute idée de la nécessité de détruire le système capitaliste. Les idéologues du capital ont martelé jour après jour qu'"Il n'existe pas d'alternative à l'économie de marché". Cette propagande mensongère n'a pas été sans impact. Mais avec l'approfondissement de la crise, répandant de plus en plus la misère et les guerres génocidaires, la nature mensongère de cette propagande est devenue plus évidente. La classe ouvrière a commencé à retrouver le chemin de ses combats de classe et a amorcé un processus de questionnement sur le système capitaliste. Cela a également provoqué une légitime colère au sein de la population partout dans le monde contre les fauteurs de guerre, les gangsters impérialistes.
La bourgeoise a décelé cette fermentation naissante au
sein du prolétariat, et elle s'est mise en devoir de trouver
de nouveaux instruments de mystification pour contenir ce processus
émergent. Le FSM, avec ses simulacres "d'alternatives",
est alors apparu comme un important instrument de la bourgeoisie pour
contenir la classe ouvrière mais aussi comme instrument des rivalités
impérialistes. Les médias bourgeois à travers le
monde ont tout fait pour mettre le pied à l'étrier au
FSM.
Bien avant le début du FSM 2004, les médias bourgeois
en Inde, suivant fidèlement les pas de leurs pairs occidentaux,
ont fait de la propagande pour ses vertus. La télévision
et la presse indiennes ont couvert l'événement avec sympathie.
Le monde indien du commerce et de l'industrie lui a accordé "le
respect qui se doit" en tant qu'expression légitime d'une
opposition. De plus, le succès du FSM à Bombay a été
assuré par la sympathie apportée par le parti du Congrès
- autrefois parti dominant en Inde et toujours dominant à Bombay
- avec la participation du parti bourgeois Dalit (parti républicain),
partenaire du Congrès au sein du gouvernement de coalition de
Bombay. Ces derniers ont apporté une touche "ethnique"
au FSM. La majorité des forums était présidée
par des politiciens indiens de haut rang connus pour leurs relations
avec les "castes inférieures" - VP Singh, l'ex-Premier
Ministre indien, célèbre pour avoir provoqué des
affrontements entre castes ayant comme but le renforcement de l'Etat
indien, et R.K Naryanan, l'ex-Président indien. Tous deux ont
été, à un moment ou à un autre, des piliers
du parti du Congrès.
Mais les principaux organisateurs du FSM en Inde ont été
les partis staliniens - le PCI (M comme "marxiste") et le
PCI. Pour ce faire, ils ont mobilisé leurs appareils nationaux.
Le bureau du FSM à Bombay était hébergé
dans un immeuble appartenant au parti stalinien, "Place Stalingrad
". Les organisations de jeunesse staliniennes ont fourni des volontaires
au FSM. Les intellectuels staliniens ornaient de leur présence
les estrades de nombreux forums du FSM. Comme partout dans le monde,
les staliniens en Inde et également les maoïstes ont cherché
à faire peau neuve en collant au processus de questionnement
qui se développe au sein de la classe exploitée. En outre,
en tant que loyaux serviteurs du capital, les staliniens de tout poil
ont tenté de récupérer, de canaliser ce processus
de questionnement.
Etait également présent au FSM de Bombay un grand nombre
d'organisations non gouvernementales qui fournissent une couverture
idéologique aux attaques portées par les Etats contre
le salaire social. Il y avait aussi ces personnalités omniprésentes-
les gens du Monde Diplomatique, le leader des agriculteurs français
José Bové, les parlementaires travaillistes britanniques
Clare Short et Jeremy Corbin-, Winnie Mandela et consorts.
Suivant différentes sources, il apparaît clairement qu'une
somme énorme d'argent a été dépensée
pour la tenue du FSM de Bombay, 29,7 millions de dollars suivant l'une
d'entre elles. Une proportion considérable de ce montant a été
fournie par des fondations comme Oxfam ou la Fondation Ford. L'Etat
capitaliste et impérialiste de l'Inde a également tendu
sa main charitable pour assurer le succès de ce forum… "anti-impérialiste
et anticapitaliste" ! En fait, diverses fractions de droite comme
de gauche de la bourgeoisie mondiale, soit à travers différentes
ONG, soit à travers des dons et des contributions de fondations
et de trusts parfaitement capitalistes ou de partis et organisations
de masse de gauche, ont apporté leur soutien face à l'énorme
charge financière qu'a représenté l'organisation
de ce vaste spectacle avec un objectif politique bien défini
et délibéré : renforcer la défense du système
capitaliste mondial décadent.
Le FSM de Bombay a repris à son compte tous les slogans bien
connus et d'autres encore. Il y a eu des forums sur "le commerce
équitable", sur la démocratie citoyenne, sur l'autogestion
et beaucoup d'autres thèmes du même genre. La coloration
indienne, nécessaire pour répondre aux besoins des staliniens
du pays et de la bourgeoisie Dalit (caste inférieure) était
fournie par l'anti communalisme et "l'émancipation Dalit".
Mais le thème principal du show du FSM de Bombay a été
l'impérialisme ou, selon les termes des maoïstes, la "mondialisation
impérialiste". L'anti-impérialisme du FSM n'était
rien d'autre que de l'anti- américanisme. Avec des slogans comme
"Etats-Unis hors d'Irak", "Bush hors d'Afghanistan"
en clôture de la manifestation, le FSM s'est joint au chœur
des rivaux impérialistes de l'Amérique. Il n'y a pas eu
de dénonciation des autres gangsters impérialistes tels
que la France, l'Allemagne, la Russie ou la Chine pour ne pas mentionner
le gangster impérialiste local, l'Etat indien. Dans ce contexte,
il aurait été futile de vouloir rencontrer des tentatives
pour aller aux racines de l'impérialisme.
Les forums "alternatifs" au service de la même cause bourgeoise que le FSM
Le FSM de Bombay a bien sûr constitué le spectacle le
plus important entre le 16 et le 21 janvier 2004. Mais copiant le spectacle
du Forum Social Européen de Paris en novembre 2003 et s'en inspirant,
deux spectacles parallèles ont été organisés
pendant cette période par des groupes maoïstes rivaux, tous
deux sur le même thème : l'anti-impérialisme ou
l'anti-américanisme.
Le Forum "Mumbay (Bombay) Resistance 2004 " (MR-2004), second
par la taille, s'est déroulé dans les locaux de l'Ecole
Vétérinaire, en face du lieu de rencontre du FSM. Il s'est
tenu à l'initiative de l'ILPS (Ligue internationale des luttes
du Peuple), réseau international des groupes maoïstes et
de leurs partisans d'autres pays, y compris d'Europe - par exemples
la Turquie, l'Italie, l'Allemagne, la Belgique, la Grande-Bretagne,
la Grèce, etc. Les organisateurs indiens étaient les organisations
de façade des maoïstes, notamment ceux du Groupe de la Guerre
du Peuple (MPWG) - qui a récemment tenté d'assassiner
le ministre de l'Etat d'Andhra dans le Sud de l'Inde. Le MR ne se considère
pas complètement en opposition au FSM mais comme mouvement parallèle
à celui-ci. Cela s'est exprimé à plusieurs niveaux.
De nombreuses personnalités, essentiellement des indiens, par
exemple Arunditi Roy, Nandita Das, Vandana Shiva et d'autres, ont parlé
à la fois dans les réunions du FSM et dans celles du MR.
Un grand nombre de participants s'est déplacé d'un forum
à l'autre.
Le principal thème du MR 2004 était le même que
celui du FSM : l'impérialisme, la mondialisation impérialiste,
suivant les termes du MR. On a fustigé l'impérialisme
américain, sans doute avec plus de véhémence mais
en passant toujours sous silence les appétits des rivaux des
Américains, dont la bourgeoisie indienne n'est pas le moindre.
Une couverture radicale à l'anti-américanisme du FSM,
voilà ce que toute la rhétorique maoïste s'est bornée
à apporter.
Bien que ces manifestations aient toutes deux servi à canaliser
le mécontentement de la population sur le terrain du capital
et du nationalisme, il y avait une différence dans leur audience.
Celle du FSM était fortement internationale à prédominance
urbaine petite-bourgeoise avec une troupe "ethnique" et "tribale"
proposant des spectacles folkloriques. Au MR, où il y avait aussi
une importante participation internationale, assistaient la petite-
bourgeoisie radicale et les paysans.
La "Convention contre la mondialisation impérialiste"
constituait une troisième manifestation, plus petite ; elle a
duré 3 jours, s'est tenue non loin des lieux de rencontre du
FSM et du MR. Elle a été organisée par l'un des
nombreux groupes maoïstes (Nouvelle démocratie). Mises à
part d'obscures différences entre le MR et cette 3e convention,
cette démonstration était purement locale avec un seul
étranger, un allemand qui apportait la touche "blanche".
L'intervention du CCI
Le CCI est intervenu dans ces trois manifestations. Comme lors du FSE
de Paris en novembre 2003, l'objectif du CCI n'a pas été
d'intervenir dans les conférences, etc. Nos camarades, venus
de différentes régions de l'Inde, sont intervenus avec
des tracts, la presse régulière et d'autres publications.
Pendant ces interventions, nous avons eu des centaines de discussions
à propos de ces événements. Les principales questions
qui sont revenues sans cesse dans ces discussions étaient :
- l'idée du commerce équitable, la mondialisation et l'anti-mondialisation ;
- quel autre monde est possible ?
- l'Amérique est-elle la seule puissance impérialiste ?
- la nature des alternatives maoïstes (Démocratie du Peuple,
Nouvelle Démocratie).
Il ne peut y avoir rien d'équitable dans le commerce, qu'il soit
libre ou protégé. Celui-ci a toujours été
et sera toujours favorable aux capitalistes les plus puissants ou aux
Etats capitalistes. Le CCI a également mis en avant que le caractère
mondial du capitalisme n'est pas une nouveauté. Le capitalisme
a été un système mondial depuis sa création
et il a englobé toute la planète depuis la fin du XIXe
siècle. Déjà en 1848, dans le Manifeste communiste,
Marx et Engels ont démontré la nature internationale du
système capitaliste. Ils mettaient en avant que la destruction
du système capitaliste par le prolétariat ne pouvait se
faire que par une révolution mondiale. Aujourd'hui, dans la période
de décadence et de décomposition du capitalisme, le prolétariat
n'a pas à défendre les particularités nationales
contre la nature mondiale du système capitaliste. Au contraire,
sa tâche est de détruire ce système au niveau mondial,
en même temps que le cadre des Etats nationaux et de le remplacer
par la communauté communiste universelle. Tous les discours sur
le commerce équitable, l'anti-mondialisation ou sur "un
autre monde est possible ", sans dégager une perspective
communiste, correspondent à la mystification réformiste
dont le but est de stopper le processus naissant de prise de conscience
qui s'opère au sein de la classe ouvrière.
A propos de l'impérialisme, nous avons souligné qu'il
n'est pas le fait de telle ou telle nation, de telle ou telle faction
de la bourgeoisie. Aujourd'hui, le capitalisme comme un tout est impérialiste
et de ce fait, toutes les nations, petites ou grandes, sont impérialistes.
Elles sont mues par les mêmes appétits impérialistes
- seules diffèrent leur capacité à les satisfaire.
Le fait que la classe dominante anglaise semble se comporter comme le
"toutou" des Etats-Unis, que des nations comme la France,
l'Allemagne, la Russie, la Chine se fassent botter les fesses par la
bourgeoisie américaine, ou que le Pakistan, l'Irak ou l'Inde
subissent un sort similaire, ne signifient pas que ces nations ne sont
pas impérialistes. Dans un monde gouverné par la loi du
milieu, tous ces autres pays ne sont pas autre chose que des gangsters
de moindre envergure qui doivent satisfaire leurs appétits impérialistes
dans les limites imposées de façon violente par le caïd
en chef, la bourgeoisie américaine. La tâche de la classe
ouvrière n'est pas de jouer le jeu des petits impérialismes
contre les Etats-Unis, cette tâche c'est celle qu'assurent le
FSM, le MR et les autres.
Ces discussions nous ont souvent amené à traiter des "alternatives"
des maoïstes - leur patriotisme, la démagogie de la Démocratie
du Peuple ou de la Nouvelle Démocratie. La politique des maoïstes,
nous le soulignons, est à l'opposé de celle que le prolétariat
a toujours défendue : l'internationalisme. A l'apogée
du capitalisme, en 1871, lorsque, à leur point de vue, le nationalisme
allemand était encore progressif, Marx et Engels ont pris une
position internationaliste dans la guerre franco-prussienne. Les socialistes
allemands ont été jetés en prison pour avoir refusé
d'assurer la défense nationale. Pendant la Première Guerre
mondiale, les communistes ont défendu l'internationalisme. Lénine
a avant tout mené un combat rude et impitoyable contre la trahison
patriotique de Kautsky et consorts. Contrairement aux marxistes qui
ont toujours fait de l'internationalisme la pierre angulaire de leur
politique, les maoïstes et les staliniens proclament leur patriotisme
haut et fort. Cela concorde parfaitement avec leur nature de classe
- ils sont de parfaits défenseurs du capital national, de l'Etat
national. La théorie de "l'Inde sous hypothèque"
(ou bien, dans le même genre, la Turquie, l'Iran, la Syrie ou
l'Afrique du Sud sous hypothèque suivant les maoïstes respectifs
de ces pays) maintient la classe ouvrière sous le joug du capital
national.
Le maoïsme dit à la classe ouvrière des pays du Tiers
Monde - ne luttez pas pour la destruction du système capitaliste
et de ses appareils nationaux. Donnez plutôt votre vie à
l'Etat national parce qu'il a été hypothéqué.
Contre tous ces discours, nous avons mis en avant que, partout, la tâche
de la classe ouvrière est de lutter pour la destruction du capitalisme
et de l'impérialisme de sa propre bourgeoisie, de travailler
pour la construction d'une société sans classes, sans
argent et basée sur l'élimination des Etats nationaux.