Soumis par Révolution Inte... le

En quelques années
seulement, le mouvement "alter-mondialiste" a pris une ampleur
et occupé une place importante dans le dispositif "contestataire"
au niveau mondial. Depuis sa naissance autour du Monde Diplomatique,
le mouvement est arrivé aujourd'hui à englober une contestation
multiforme, largement ouverte, cherchant la caution scientifique de
"spécialistes" tout en n'oubliant pas d'afficher sa
radicalité par quelques actions d'éclat devant la presse
: affrontement avec la police, regroupement autour d'évènements
d'envergure comme le contre-sommet de Larzac 2003 made in José
Bové.
Tout, dans ses discours, ses écrits et ses revendications veut
donner l'impression que l'altermondialisme porte une nouvelle théorie
de l'analyse du monde actuel et qu'il offre à la fois la compréhension
de tous ses dysfonctionnements et de la base à leur dépassement.
Témoin de cette ambition, aujourd'hui le mouvement ne se limite
plus à contester, ce que montre la transformation de son nom
d'anti-mondialisation en alter-mondialisation. Désormais, le
mouvement propose aussi. Il propose une alternative et une perspective,
un autre monde possible.
Au delà de l'inanité de ses théories "scientifiques", le plus important reste de montrer en quoi ce mouvement est une émanation idéologique de la bourgeoisie, s'intégrant parfaitement dans son paysage politique, et dont la mission est de détourner toute tentative de la classe ouvrière pour comprendre le monde et en tirer les conséquences en terme de perspective, pour les ramener sur le terrain bourgeois de la défense de la démocratie, de l'Etat, etc. Il faut clairement dénoncer ce caractère anti-prolétarien et montrer en quoi il représente aujourd'hui un réel danger pour la classe ouvrière.
Les thèses des altermondialistes
L'analyse des altermondialistes part d'une dénonciation du monde
libéral qu'ont construit les grandes puissances dans les années
1980 et qui a mis le monde entre les mains des grandes firmes multinationales,
offrant à leurs profits des ressources et services qui échappaient
auparavant à leur emprise, voire au monde marchand : l'agriculture,
mais aussi les ressources naturelles, l'éducation, la culture,
etc. De là est venue une standardisation de produits telle la
nourriture (la fameuse malbouffe) et un processus de marchandisation,
de la culture par exemple.
Cette domination globale a conduit le monde à s'orienter sur
la logique de profit et à se soumettre à la dictature
du marché. Cette dictature retire le pouvoir politique des mains
des Etats, et donc des citoyens : le gouvernement du monde par les multinationales
est donc l'atteinte majeure faite à la démocratie.
Pour les alter-mondialistes, donc, "le monde n'est pas une marchandise",
la loi du marché ne doit pas guider les orientations politiques.
Celles-ci doivent revenir dans les mains légitimes des citoyens,
et cette perspective doit guider chacun dans la défense de la
démocratie contre le diktat financier.
Le mensonge derrière l'analyse "scientifique"
Voyons quelle valeur on peut donner à cette analyse rapidement
brossée ci-dessus. Disons-le tout de suite : les alter-mondialistes
ont redécouvert la lune. En effet, quelle découverte que
celle du fait que les entreprises capitalistes ne recherchent que le
profit ! Quelle découverte que celle du fait que dans le capitalisme,
tout bien se transforme en marchandise ! Quelle découverte, enfin,
que celle du fait que le développement du capitalisme entraîne
la mondialisation des échanges ! Le mouvement ouvrier n'a pas
attendu les années 1990 et ces grosses têtes universitaires
pour en faire l'analyse : tout est déjà dans le Manifeste
Communiste, publié la première fois en 1848 :
"Elle [ la bourgeoisie] a dissout la liberté de la personne
dans la valeur d'échange, et aux innombrables franchises garanties
et bien acquises, elle a substitué une liberté unique
et sans vergogne : le libre-échange (…) La bourgeoisie a
dépouillé de leur sainte auréole toutes les activités
jusqu'alors vénérables et considérées avec
un pieu respect. Elle a changé en salariés à ses
gages le médecin, le juriste, le prêtre, le poète,
l'homme de science."
"poussée par le besoin de débouchés toujours
plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la surface
du globe. Partout elle s'incruste, partout il lui faut bâtir,
partout elle établit des relations."
"En exploitant le marché mondial, la bourgeoisie a donné
une forme cosmopolite à la production et à la consommation
de tous les pays. Au grand regret des réactionnaires, elle a
déroulé le marché mondial sous les pieds de l'industrie".
Ainsi, les altermondialistes peuvent parler d'un autre monde sans même
une seule fois faire référence à deux siècles
de lutte et de construction théorique par la classe ouvrière
à propos justement de cet autre monde. Et pour cause : cet autre
monde proposé par les alter-mondialistes s'appuie sur la période
qui va des années 1930 à la fin des années 1970,
période qui pour eux constitue un moindre mal par rapport à
la libéralisation qui a débuté au début
des années 1980, en ce sens que l'Etat y avait une place importante
d'acteur économique direct (ce qui résulte de l'application
des préceptes de l'économiste anglais Keynes).
Cependant, "préférer" les années 1930-1970,
c'est passer l'éponge un peu vite sur un certain nombre de caractéristiques
de cette période.
C'est notamment "oublier" la deuxième guerre mondiale,
"oublier" que la politique keynésienne aura été
incapable de résoudre la crise de 1929, laissant la plupart des
pays occidentaux à la fin des années 1930 avec un chômage
massif et une production stagnante voire en baisse, "oublier"
la situation catastrophique de la classe ouvrière après
la guerre et ce pendant plusieurs années, "oublier"
que sur cette période, pas un seul jour ne s'est déroulé
sans guerre, faisant parmi les populations des dizaines de millions
de morts.
C'est "oublier" aussi et surtout qu'à la fin des années
soixante, le capitalisme tombe dans une crise qui engendrera un développement
inexorable du chômage.
Voilà à quoi ressemblait ce monde qu'il ne fallait pas
changer ! Voilà l'exemple que nous donnent les alter-mondialistes
d'un "paradis perdu" à retrouver, que la libéralisation
des années 1980 a anéanti !
De tels "oublis", qui bien sûr n'en sont pas, sont en
fin de compte le fondement d'une manipulation idéologique classique
de la bourgeoisie : celle qui consiste à systématiquement
opposer deux alternatives en apparences contraires, mais dont aucune
ne sort du cadre capitaliste.
Un des exemples de cette fausse alternative réside dans l'argument
selon lequel l'Etat s'est retiré de l'économie, laissant
le terrain libre aux firmes qui dès lors sabordent l'intérêt
général et la démocratie. Cet argument laisse pantois.
En effet, jamais l'Etat n'aura été aussi présent
dans l'économie qu'aujourd'hui ! C'est lui qui régente
les échanges mondiaux en fixant les taux d'intérêt,
les barrières douanières, etc. Il est lui-même un
acteur économique incontournable, avec une dépense publique
qui ne cesse de prendre une part toujours plus importante dans le PIB
et des déficits budgétaires toujours plus présents
! Voilà l'Etat "impuissant", "absent" : dans
le pays montré en modèle de libéralisme, les Etats-Unis.
Bien malin serait celui qui pourrait citer un secteur économique,
politique, social, dans lequel l'Etat n'a pas un rôle important
voire prépondérant.
L'Etat n'est pas le garant d'un monde meilleur, où les richesses
seraient mieux réparties : c'est lui qui fait ce monde, par la
guerre, les attaques sur les conditions de vie des ouvriers en réduisant
les pensions, les couvertures sociales, etc. C'est lui qui saigne la
classe ouvrière pour tenir sous les coups de la crise de son
système !
Ce que recherchent ici les alter-mondialistes, c'est de laisser un seul
choix possible à ceux qui mettent en question la situation mondiale
: soit le libéralisme sauvage, soit le capitalisme d'Etat. Cette
fausse alternative fait écran à la seule alternative possible
: socialisme ou barbarie.
La source des guerres, de la misère, du chômage, ce n'est
pas une soi-disant révolution libérale imposée
par des firmes surpuissantes, mais bien la crise du capitalisme, une
crise mortelle qu'aucune option politique de la bourgeoisie, du keynésianisme
au libéralisme, n'a pu enrayer et ne pourra enrayer.
Pour autant, les altermondialistes, tout en criant leur "anticapitalisme",
se limitent à dénoncer les excès de ce monde et
à émettre des propositions de réformes destinées
à sauvegarder la démocratie "en danger".
De fausses alternatives systématiques
Les propositions des altermondialistes pour un "autre monde"
révèlent un aspect important de cette idéologie.
En effet, derrière ce qui semble être un patchwork de propositions,
se dessine un point commun qui ne doit pas nous étonner : toutes
ces idées annoncées comme nouvelles ne sont qu'une resucée
du traditionnel réformisme de gauche que le mouvement ouvrier
n'a de cesse de combattre.
Arrêtons-nous d'abord sur la promotion de l'économie solidaire,
autrement dit la généralisation à toute la planète
d'expériences d'autogestion et de coopératives qui chaque
fois se résument à l'auto-exploitation des ouvriers. Derrière
cette idée, il y a fondamentalement la question de l'initiative
citoyenne selon laquelle chaque individu peut participer à l'amélioration
des conditions de vie dans le monde. Cette conception nie la division
de la société en classe et livre les prolétaires
pieds et poings liés à la bourgeoisie en qualité
de citoyens. Ainsi, engagés dans les méandres de la démocratie
participative, les ouvriers devenus citoyens s'éloignent de leur
prise de conscience en tant que classe, leur combat représentent
la seule issue à la barbarie actuelle.
De même, l'idée d'une meilleure répartition et d'une
meilleure gestion de l'économie est une illustration exemplaire
de la remise à neuf que les altermondialistes opèrent
sur le réformisme. En effet, cette idée, c'est celle des
sociaux-démocrates depuis des décennies, celle d'une meilleure
répartition des fruits de la croissance. Ce discours nie délibérément
que le capitalisme est en crise et que la bourgeoisie n'en est pas à
répartir les fruits de la croissance, mais à faire payer
les pots cassés de la crise à la classe ouvrière.
Mais surtout, on en revient toujours aux mêmes questions : en
effet, qui peut assurer cette meilleure répartition, meilleure
que le marché, sinon l'Etat ? Derrière ces questions de
répartition, se trouve donc un élément essentiel
de la propagande altermondialiste : celle de la défense de l'Etat
et du service public. Voilà le discours neuf ; celui du capitalisme
d'Etat à la mode stalinienne, juste remis au goût du jour
par un vernis scientifique.
Finalement, derrière cette défense de l'Etat comme acteur
de la vie sociale, il y a fondamentalement une défense de la
démocratie, contre la dictature des multinationales.
Dernier aspect qu'il nous faut pointer, c'est le prétendu internationalisme
du mouvement altermondialiste. Certes, des organisations existent dans
plusieurs pays, et sont en relation entre elles. Leurs orientations
sont communes. Pour autant, on cherchera longtemps le rapport avec l'internationalisme
prolétarien selon lequel tous les ouvriers à travers le
monde ont les mêmes intérêts et qu'en cela ils forment
une unité qui constitue un élément fondamental
dans le rapport des forces avec la bourgeoisie.
Ce qui unit les altermondialistes n'est qu'une opposition systématique
aux Etats-Unis. Fondamentalement, leur action est anti-américaine.
Chaque fois, ce qui est visé dans la dénonciation des
travers du marché mondial, c'est la domination américaine
sur ce marché. Et dans la revendication d'un Etat plus fort,
il y a avant tout la revendication d'Etats concurrents pour entraver
au maximum le leadership des Etats-Unis. Là encore, les alter-mondialistes
se placent à la remorque de l'Etat et invitent la classe ouvrière
à abandonner tout principe internationaliste, toute unité
et solidarité de classe, et à les suivre dans le nationalisme,
qui a toujours conduit à faire du prolétariat la chair
à canon de l'impérialisme.
Un danger bien réel pour la classe ouvrière
Le fait que des thèmes réformistes aussi anciens soient
dépoussiérés de la sorte par la bourgeoisie doit
nous interroger sur les mobiles de la classe dominante : pourquoi a-t-elle
poussé à ce point le mouvement altermondialistes sur le
devant de la scène ?
La réponse se trouve à deux niveaux. D'abord, l'idéologie
démocratique se fonde avant tout sur une opposition politique
: l'électeur citoyen doit pouvoir choisir entre deux options
qui doivent s'opposer significativement. Les expériences de la
gauche au pouvoir ont amoindri la force de cette alternative et l'effondrement
de l'URSS a coulé la perspective stalinienne. Face à une
droite qui cogne, face à une gauche accusée de trahir
ses principes quand elle est au pouvoir, la bourgeoisie doit pouvoir
redorer le blason de son idéologie de gauche. L'altermondialisme
fournit une explication et une alternative "crédible".
La revendication d'une "vraie gauche" peut ainsi s'y retrouver,
et exploiter ses vieilles recettes, tout particulièrement la
critique des excès du capitalisme, évitant de critiquer
le capitalisme en lui-même.
Ensuite, le développement de ce mouvement manifeste l'intérêt
que porte la bourgeoisie au développement de la prise de conscience
de la classe ouvrière. Il existe actuellement au sein du prolétariat
une émergence d'éléments en recherche de cohérence
politique face au tableau qu'offre la planète. Cette génération
n'est en général que peu, voire pas du tout politisée,
et en ce sens, largement méfiante à l'égard des
appareils classiques de la bourgeoisie.
Par sa structure multiforme, politique de quasiment tous bords, associative,
syndicale, libertaire, le mouvement altermondialiste est un moyen d'attirer
les éléments en recherche dans le giron bourgeois. En
cela, il détourne leurs questionnements légitimes vers
les impasses classiques de la gauche et du gauchisme, cachant ainsi
la seule perspective capable de dépasser l'inéluctable
destruction de l'humanité offerte par le capitalisme, la société
communiste, dont l'unique porteur est le prolétariat Il masque
aussi que, dans son combat contre le capitalisme, la classe ouvrière
sera amenée, non pas à défendre l'Etat, la gauche,
la démocratie, mais bien à les combattre sans la moindre
illusion sur leur nature bourgeoise.
C'est en comprenant la vraie nature de ce mouvement que le prolétariat
pourra se dégager de ce carcan mortel et retrouver le chemin
de la seule perspective possible pour l'humanité : celle de la
révolution, celle du communisme.