Soumis par Révolution Inte... le
Dans le concert des gigantesques manifestations pacifistes au cours de ces dernières semaines, un des slogans les plus fédérateurs et consensuels de l'anti-américanisme ambiant était "Non à la guerre pour le pétrole !". En France par exemple, on a pu voir placardées partout des affiches où l'organe du PCF, L'Humanité soignait sa publicité en se présentant comme "le journal des anti-guerre" avec une photo représentant un tuyau de pompe à essence appuyé comme un revolver en plein milieu du front d'une petite fille irakienne. La plupart des organisations gauchistes à commencer par la LCR et le PT comme les "altermondialistes" d'Attac, les "mouvements citoyens", les Verts et tous les porte-parole de la gauche n'ont pas cessé de marteler la même idée, amplement relayée par tous les grands médias eux-mêmes du Monde au Nouvel Observateur en passant par Libération et toutes les chaînes de télévision, publiques ou privées, que cette nouvelle guerre du Golfe était avant tout une guerre pour le pétrole au profit exclusif des trusts et des grands groupes pétroliers américains. Ainsi, Arlette Laguiller devait entamer le 21 mars une tournée de meetings dans le pays sur le thème "Pas de sang dans le pétrole !" et écrivait par exemple dans l'éditorial du n° 1806 de Lutte Ouvrière daté du 14 mars : "Le pétrole du Moyen-Orient et les bénéfices que les trusts américains peuvent tirer de la guerre ont bien plus d'importance aux yeux de Bush que les milliers de victimes civiles, mortes ou handicapées à vie que sa croisade contre l'Irak ne manquera pas de provoquer". Qu'y a-t-il derrière cette larmoyante démagogie antiaméricaine ? En d'autres termes, tous ces discours reviennent à dire que ce qui intéresserait fondamentalement les Etats-Unis conduits par un président lui-même lié aux groupes pétroliers américains, c'est de faire main basse sur les réserves de pétrole de l'Irak pour s'approprier les produits faciles de sa rente.
Le pétrole irakien est-il l'enjeu majeur de la guerre actuelle ?
Tout les bons apôtres qui répètent qu'il s'agit
d'une guerre pour le pétrole feraient bien de regarder d'un peu
plus près l'histoire de ces 50 dernières années
avant de proférer et de colporter ce genre d'inepties. Une telle
explication simpliste visant à faire croire que l'objectif de
cette guerre serait une question de rente pétrolière que
chercheraient à s'assurer certains Etats est en contradiction
flagrante avec la réalité même des précédents
conflits en Afghanistan ou en Yougoslavie, et même avec la première
guerre du Golfe en 1991 qui ont coûté énormément
d'argent et n'ont pas permis aux vainqueurs de se payer en nature (les
produits pétroliers irakiens sont restés depuis 12 ans
sous embargo), que ce soit avec du pétrole ou autre chose. Au-delà,
est-ce qu'on peut expliquer ainsi les guerres du 20e siècle à
commencer par les deux boucheries mondiales : quel était l'intérêt
strictement économique de ces conflits ? Qui aurait osé
prétendre que de précédentes guerres menées
par les Etats-Unis comme la guerre de Corée et la guerre du Vietnam
étaient "une guerre pour le riz" ?
Si, à la fin du 19e siècle, le but des guerres coloniales
était l'acquisition de matières premières à
bas prix ainsi que l'ouverture de nouveaux marchés capitalistes,
il est aujourd'hui absurde de continuer à penser que l'objectif
d'une guerre se limite à de stricts intérêts économiques
ou à un approvisionnement en matières premières.
Au début de l'année (voir Le Monde daté du 4 janvier
2003), les experts américains en analysant l'impact possible
de la guerre sur l'économie américaine dégageaient
trois hypothèses : la plus optimiste prévoyait des effets
négatifs limités et d'assez courte durée, la deuxième
aurait comme conséquence un taux de croissance proche de zéro
sur une assez longue période, la dernière débouchait
sur une plongée dans une récession durable. Alors que
tous les scénarios dégageaient un effet négatif,
ces perspectives contredisent les assertions de tous ceux qui nous racontent
que l'économie américaine escompte tirer de fabuleux profits
de la guerre. D'ailleurs, l'économiste en chef d'une agence financière
américaine déclarait alors : "Les faits sont têtus.
Quand vous commencez une guerre, beaucoup de choses peuvent se produire,
la plupart du temps, elles ne sont jamais bonnes". C'est d'ailleurs
pour cela que les milieux industriels et financiers américains
se sont montrés pendant des mois si réticents, voire hostiles
au projet de Bush sur l'Irak.
Il est évident que la guerre commerciale que se livrent les grands
trusts pétroliers est sans merci, que des groupes américains
ou anglais comme Chevron Texaco, Exxon Mobil, RD/Shell ou BP ne peuvent
qu'exploiter la situation pour chercher à évincer du Moyen-Orient
de dangereux concurrents comme le Français Total Elf Fina ou
le Russe Lukoil qui étaient parvenus à s'implanter dans
la région, et que les compagnies américaines entendent
ensuite profiter du rapport de force militaire pour régler le
compte de leurs concurrents britanniques. Mais cela ne saurait constituer
un motif sérieux et crédible de mobiliser une telle armada
terrifiante et de mettre toute la région à feu et à
sang.
Aujourd'hui l'Irak n'assure que 3,3 % de la production pétrolière
mondiale. En admettant que l'objectif qui est clairement avoué
soit un doublement de la production en fonction de ses réserves
importantes (l'Irak détiendrait 11 % des réserves mondiales
et un sixième de l'ensemble du Proche-Orient), ces bénéfices
économiques immédiats attendus peuvent-ils expliquer une
guerre d'une telle envergure ? Pas le moins du monde.
La propagande officielle est à peine un peu plus subtile : en
faisant main basse sur les réserves pétrolières
irakiennes, les Etats-Unis veulent se libérer d'une trop grande
dépendance vis-à-vis de l'Arabie Saoudite. Nous avons
déjà répondu dans notre presse au manque de crédibilité
de cet argument (voir RI n° 330, "Le bluff de la rente pétrolière",
janvier 2003) en montrant que la part des importations en pétrole
saoudien ne représentait qu'entre 5 et 8 % de la consommation
pétrolière américaine et plus largement que pour
l'ensemble des ressources énergétique (pétrole
+ gaz + charbon + nucléaire + hydroélectricité),
les Etats-Unis assurent déjà 82% de leurs propres besoins
sans recourir aux importations.
Si le pétrole était d'un intérêt tellement
vital, pourquoi encourir les risques énormes actuel de le dilapider
et de faire partir en fumée cette manne ? Le déclenchement
de la guerre fait courir un danger évident de destruction ou
de pollution des champs pétroliers par les bombardements ou par
Saddam lui-même qui, de façon tout a fait prévisible,
pouvait être poussé ainsi à se livrer à des
opérations de sabotage (comme cela s'est déjà produit
au Koweït en 1991 où il aura fallu des mois et dépenser
des sommes colossales pour éteindre les foyers, remettre en état
et dépolluer les quelque 700 puits incendiés). D'ailleurs,
les premières heures du conflit n'ont pas tardé à
confirmer ce danger et semblent dans une certaine mesure accréditer
cette hypothèse. Quant au coût pour protéger les
sites pétrolifères ainsi menacés, son prix à
payer en termes de moyens matériels, financiers, économiques,
militaires, humains mis en oeuvre dépassera sans doute de beaucoup
les bénéfices que la bourgeoisie pourra jamais en tirer.
S'il s'agissait d'une guerre de rapine, il est dès à présent
clair que le camp des belligérants ne pourra jamais se rembourser
des coûts astronomiques de la guerre. Cela souligne et fait ressortir
le caractère totalement irrationnel des guerres impérialistes,
notamment d'un point de vue économique.
Même si tous les Etats, des Etats-Unis à l'Europe en passant
par le Japon sont intéressés à se procurer du pétrole
bon marché, cela ne saurait expliquer l'incroyable concentration
et l'utilisation de moyens militaires d'une telle envergure par la première
puissance mondiale dans la mesure où la guerre ne peut que creuser
encore les déficits commerciaux comme budgétaires considérables
des Etats-Unis.
Une arme idéologique au service de toute ta bourgeoisie
Si le volume des réserves pétrolières de l'Irak
joue un rôle dans l'importance stratégique de ce pays,
c'est avant tout parce que ce pays est situé au coeur d'une région
qui fournit la plus grande partie du pétrole consommé
en Europe et au Japon (l'Europe- en dehors de la Russie- en est tributaire
à 25% en moyenne, très inégalement selon les pays,
mais un des plus dépendants est l'Allemagne, le rival impérialiste
le plus sérieux pour la Maison Blanche et le Japon en dépend
à 95% !). Si les Etats-Unis parvenaient à contrôler
étroitement les fournitures de l'Europe et du Japon en hydrocarbures,
ce serait un atout majeur pour préserver son statut de gendarme
du monde. Cela permettrait à la bourgeoisie américaine
d'exercer le plus puissant des chantages sur ces pays en cas d'aggravation
des conflits impérialistes vis-à-vis d'eux ou d'avancée
stratégique de ses principaux rivaux impérialistes. Ainsi,
le véritable but de la guerre est d'ordre stratégique
et militaire. Et cette stratégie consiste avant tout à
déstabiliser l'adversaire, exploiter les faiblesses ou les dépendances
des puissances rivales les plus dangereuses, les priver de leurs atouts
ou de moyens comme de matières premières de telle sorte
que cette privation puisse porter un coup fatal à son économie
ou bien encore le placerait dans l'incapacité d'assurer efficacement
sa protection et ses fonctions militaires. C'est cela qui est la caractéristique
la plus révélatrice de la logique du capitalisme aujourd'hui
et des rapports impérialistes réels dans le monde.
Tous ces arguments fallacieux de la guerre pour le pétrole ont
pour fonction essentielle de constituer un instrument de propagande
et un rideau de fumée idéologique. Leur premier rôle
est de servir de cache-sexe à l'idéologie pacifiste bourgeoise,
dont l'anti-américanisme est l'élément moteur et
qui tente de camoufler l'existence d'une autre coalition, d'un autre
camp tout aussi impérialiste, belliciste et monstrueusement cynique.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cet argument était beaucoup
moins mis en avant en 1991, alors que les Etats et les fractions de
la bourgeoisie qui l'invoquent si volontiers aujourd'hui participaient
à ce moment-là à la coalition militaire autour
des Etats-Unis et aux bombardements contre l'Irak. L'objectif fondamental
de cette campagne d'intoxication mystificatrice est d'essayer de masquer
les antagonismes impérialistes réels entre toutes les
grandes puissances et de tenter de dégager la responsabilité
de tous les Etats dans l'engrenage de la folie meurtrière du
capitalisme qui ravage le monde. La fable de la guerre pour le pétrole
sert en définitive à empêcher de comprendre au sein
de la classe ouvrière les contradictions insurmontables du capitalisme
et de prendre conscience de l'impasse que représente le capitalisme
qui sème partout sur la planète la misère, la barbarie
et la mort et dont tous les Etats portent la responsabilité.