Les suffragettes du capital

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Aujourd'hui et depuis quelques années, on nous rabat les oreilles avec "les femmes", la "condition féminine", l'"année de la femme", l'"oppression de la femme", "MLF vaincra", etc. Au point qu'il n'est plus aucun gouvernement "démocratique", aucun syndicat et aucun parti politique qui se respectent qui n'aient leur secrétariat d'Etat, leur organe ou leur section "spécial femmes". De la droite à la gauche -et surtout les gauchistes- tous veulent se mettre au goût du jour en apportant "la solution" aux problèmes, à la condition des femmes. Dire qu'il existe un problème "des femmes" aujourd'hui, c'est participer de l'éternelle vision sociologique, bourgeoise de la société : la société n'est qu'une juxtaposition de couches sociales (qui existeront éternellement) plus ou moins opprimées par d'autres "couches sociales": le but devenant alors de trouver le moyen de faire cohabiter ces couches dans la "meilleure harmonie possible", à travers des réformes sociales. Mais, dans la réalité de la lutte de classe, le but réel de tous ces mouvements qui tendent à aménager la condition de telle ou telle couche, revient, dans la réalité, à laisser intacte la société d'exploitation capitaliste en mettant en avant de fausses analyses, et donc des fausses solutions, des voies sans issue.

Intégration des femmes à la production capitaliste

Qu'il existe une différence entre les hommes et les femmes, c'est une évidence : tant que l'homme n'enfantera pas, le rôle de reproduction de l'espèce humaine reviendra à la femme. Depuis que l'humanité existe, la femme a donc toujours assumé cette fonction sociale : le cadre social, dans lequel cette fonction de reproduction s'est accomplie a évolué dans l'histoire en fonction du degré de développement atteint par les forces productives et, donc, des rapports de production existants. La "condition féminine" a donc toujours été directement déterminée par les liens juridiques et sociaux que les hommes ont noués entre eux dans chaque système social déterminé. Cette "division du travail" dans la fonction de la reproduction de l'espèce humaine a donc toujours accompagné l'évolution de l'humanité à travers les divers types de société qu'elle a traversés. Dès le départ, nous pouvons donc déjà dire que d'un point de vue matérialiste, il est aberrant de vouloir inventer une vision du monde d'après les intérêts propres des femmes comme si celles-ci pouvaient exister indépendamment des rapports de classe existants dans une société. Pour comprendre la position qu'occupe "la femme" dans la société actuelle, et pourquoi il est aberrant d'en faire un cas particulier, ayant des problèmes particuliers et des solutions propres il n'est pas inutile de faire un très bref rappel de comment la femme a été intégrée au mode de production capitaliste. C'est avec la dissolution de l'économie agricole et le passage à la prépondérance au mode de production capitaliste -en d'autres termes, avec le développement du machinisme et du travail salarié* que la femme a commencé à être, peu à peu, intégrée directement à la 'production capitaliste. Cette intégration a été facilitée par plusieurs facteurs : - avec le développement et la généralisation des machines, il s'est avéré que la force de travail féminine était aussi utilisable que celle de l'homme ; - l'exploitation forcenée de la classe ouvrière, sur laquelle s'est accomplie l'accumulation primitive du capital (journées de travail de 11, 12, 13 heures pour des salaires permettant tout juste de se reproduire -des salaires de misère) a poussé à la dissolution de fait de la famille (comme dit Marx dans le Manifeste Communiste) en faisant aller à l'usine hommes, femmes, et enfants pour pouvoir survivre ; - dès le départ, la force de travail féminine a été moins rémunérée que celle des hommes. Du point de vue du capitaliste, celle-ci est en effet moins sûre : chaque fois qu'une femme doit mettre au monde un enfant, cela lui fait autant de journées de travail perdues (d'où la "faiblesse" des femmes et le prétexte pour les payer moins). Mais si, dans la période d'accumulation primitive du capital la surexploitation des hommes, femmes et enfants est manifeste, dans la phase ascendante du capitalisme, dans son véritable apogée l'idéal social bourgeois a toujours été que la femme reste à la maison -pour procréer et s'occuper de la survie-matérielle de l'ouvrier et des futurs petits ouvriers -tout simplement parce que, dans ces conditions, la production capitaliste était mieux assurée et l'exploitation était mieux supportée, ti en a découlé que, autant la femme de l'ouvrier que l'ouvrière elle-même se sont vues impartir le rôle de ménagères : pour les femmes des ouvriers cela veut dire : rester à la maison, s'occuper du ménage et élever les enfants (d'où la fameuse "soumission" des femmes), pour les femmes ouvrières cela implique d'avoir à accomplir non seulement ses heures de travail à l'usine, mais, en plus le travail de ménage habituel (la "double journée de travail"). Ce sont donc les conditions matérielles que le capitalisme a imposées aux femmes qui leur ont conféré ces particularités (un certain "conservatisme" parce que subissant plus fortement la domination du capital, une position d'infériorité dans la société) que les féministes voudraient aujourd'hui abolir en luttant "contre les hommes". les femmes dans la lutte de classe Dans le contexte des 18e, 19e et dt but du 20e siècles, à l'époque où les organisations révolutionnaires de la classe ouvrière avaient comme but de gagner autant de réformes que possible du capitalisme en faveur de la condition ouvrière, et donc, d'affirmer la classe ouvrière comme force au sein de la société capitaliste, il n'est ni étonnant ni contradictoire avec les nécessités de l'époque de voir que les partis ouvriers (la social-démocratie en particulier) consacraient, au sein de leur organisation, des sections spéciales pour les femmes. Même si cette division qui était faite entre les hommes et les femmes était un reflet du poids de l'idéologie bourgeoise au sein même du parti, elle reflétait en même temps une réalité sociale de cette époque : la soumission de la femme par l'homme était plus marquée qu'aujourd'hui. Mais leur but était quand même de faire participer les femmes à la lutte de toute la classe ouvrière pour le socialisme. L'influence de cette période a pesé même sur la 3ème Internationale où les Bolcheviks ont préconisé, en 21, des tactiques de propagande spécialement dédiées aux femmes. Mais il faut signaler que cela a été fait dans le but de renforcer les partis communistes par n'importe quel moyen, alors que la lutte de la classe était en reflux. En fait, dans les périodes de luttes révolutionnaires de la classe, le problème "des femmes" ne s'est jamais posé. Les femmes y ont, non seulement participé, mais elles en ont souvent été le dé­tonateur- ; parce que, quand "même les femmes" descendent dans la rue, "au risque de laisser des orphelins", c'est que la crise du système et l'impossibilité de continuer à vivre en son sein, sont une évidence. Avec l'entrée en décadence du système capitaliste et l'impossibilité, au niveau mondial, d'améliorer le sort de l'humanité autrement que par la révolution communiste, tout mouvement parcellaire qui a comme but de s'affirmer en tant que tel au sein de la société, toute lutte pour des réformes pour l'amélioration de son sort, non seulement est vouée à la défaite, mais participe au renforcement de la société capitaliste, en créant des illusions sur ses capacités de "changement".

Les groupes femmes

Toute l'idéologie féministe (de "Psy et-Po" au groupe "Lutte de femmes", en passant par les "Pétroleuses") s'est évertuée à faire des femmes une catégorie spécifique (comme les homosexuels, immigrés, jeunes, handicapés), une sorte d'inter-classe (cf. collectif italien de Milan) qui, de la bourgeoise à l’ouvrière, toutes les deux sœurs, auraient des revendications communes... Ceci n'étonnera personne quand on connaît la vision bourgeoise qu'ont les gauchistes de la classe ouvrière : en effet, ils noient la classe ouvrière dans le "peuple", dans une masse d'opprimés qui doivent se regrouper par catégories (race, sexe) pour une première prise de conscience. C'est aussi de la révolution prolétarienne qu'ils ont une vision contre-révolutionnaire : en effet, s'ils justifient les "groupes femmes", c'est qu'à leur avis, une révolution "économique" (laquelle?) n'entraînerait pas nécessairement un changement des rapports sociaux (hommes, femmes, enfants) et donc qu'il y a nécessité d'un mouvement autonome de femmes qui pousserait à ce changement, qui achèverait la révolution incomplète. Ils t prennent comme exemples tous ces pays qu'ils soutiennent critique-ment et dont ils disent qu'ils sont en voie vers le socialisme (Chine, Cuba, Vietnam, Pays de l'Est). En effet, leur programme économique n'est tout simplement qu'un peu plus "à gauche" que le PC, à savoir : nationalisations + contrôle ouvrier + mouvements de femmes, en l'occurrence. Avec un tel programme, ce qu'on prépare, ce n'est pas la révolution, mais une gestion de la crise, la gestion du capital dans ses aspects les plus totalitaires : le capitalisme d'Etat. Mais les gauchistes ne sont pas les seuls à s'intéresser aux femmes: du secrétariat à la condition féminine aux partis politiques de gauche qui ont chacun leur"8ection femmes", chacun y voit un terrain privilégié pour détourner des problèmes réels. Ils seront les premiers à impulser des groupes de femmes dans les quartiers ou les entreprises où ils assument très bien leur double rôle d'encadrement et de division de la classe ouvrière. Sous prétexte qu'il y a moins de femmes dans les syndicats et que les femmes font moins de politique que leurs maris, on voit arriver les gauchistes se chargeant de faire "l'éducation politique et syndicale des masses" (comme si la conscience de classe était affaire de pédagogie. Dans le fait que les ouvrières sont moins encadrées que les ouvriers par les syndicats, les gauchistes y voient une faiblesse de la conscience de classe et une masse à manœuvrer. Pourtant, dans les luttes importantes, plus enracinées dans la réalité de leur exploitation quotidienne, les ouvrières se trouvent être souvent les plus combatives et les moins soumises aux mystifications syndicales. Mais les gauchistes jouent, là encore, très bien leur rôle de rabatteurs de la gauche : en mettant en avant des revendications "spécifiques" aux femmes, qu'ils veulent faire reprendre en charge par les syndicats, ils s'en font des auxiliaires et des conseillers dévoués, ils redorent leur blason, ils se veulent plus "à gauche" que les syndicats. Mais ces revendications sont de bien faibles choses, elles se résument à: "je veux être exploitée comme les autres, je veux qu'on m'aménagé ma double journée' En fait, ils voient la libération de la femme dans l'aménagement du salariat. Là où le système d'encadrement du capital est insuffisant, les gauchistes sont là pour colmater les brèches. Ils entreprennent aussi des luttes sur la contraception et l'avortement et font apparaître comme des victoires les lois qui sont votées. Alors que c'est au contraire un besoin de plus en plus pressant pour le capital de limiter les naissances, de rationaliser la reproduction de la force de travail... Ce qu'ils montrent comme victoire dans les pays occidentaux, -libération' de la femme, "libre disposition de son corps"- apparaît avec son vrai visage et sa barbarie dans d'autres pays (stérilisation forcée aux Indes, contraception à outrance aux Antilles, etc. Même si elle se cache sous le visage du gauchisme, la mystification féministe contribue d'une part à maintenir le prolétariat sur un terrain bourgeois, en faisant croire qu'il lui est possible d'aménager ses conditions de vie à l'intérieur du capital et, d'autre part, contribue à renforcer les divisions que sécrète le capital dans les rangs du prolétariat. C'est à cela que nous assistons quand nous voyons des "femmes" s'organiser en tant que femmes dans les entreprises et les quartiers. Le seul critère d'adhésion à cette forme d'organisation est d'être "une femme", indépendamment de toute considération de classe. Avec cette vision on arrive à faire une théorie marxisante (mais jamais marxiste), à savoir que les femmes sont une interclasse : les femmes de bourgeois étant des bourgeoises, les femmes d'ouvriers étant des ouvrières, mais toutes les deux ayant des revendications communes. On aboutit ainsi à une dissolution d'une partie du prolétariat : les ouvrières dans une catégorie sociale : les femmes, et d'opposer sous prétexte de revendications spécifiques, la femme au mari, l'ouvrière à l'ouvrier, comme l'attestent certains groupes qui, faisant "du travail de masse", écrivent des tracts sur le "chômage spécifique des femmes". Ces groupes parachutés n'arrivent à se poser les problèmes qu'en termes psychologiques : le "désir" de parler de soi et la "culpabilité" de ne pas agir là où ils sont (groupes de conscience)[1]. Leur "théorie" ne reste qu'une description de l'oppression sociale des femmes: rapports au travail, au mari, aux petits chefs, aux enfants et aboutit le plus souvent à une dénonciation hystérique des rapports qu'impose le capital. Alors que seul le prolétariat est la classe révolutionnaire, les femmes en s'organisant en tant que femmes, ne peuvent que se couper de toute perspective révolutionnaire et, de fait, servir de masse de manœuvre à la gauche de l'appareil politique du capital. Leur activité "politique" se résume à soutenir des fractions de la bourgeoisie contre d'autres: soutien des luttes antifascistes au Chili, en Espagne, au Portugal, etc... Depuis quelques années, on n'entend plus parler du MLF. En effet ce type de mouvement paraît à l'avant-scène quand la classe ouvrière est faible ou qu'elle a subi un reflux de ses luttes comme après 68. Mais aujourd'hui, la crise s'accentue et les luttes ouvrières reprennent à un niveau mondial, renvoyant aux poubelles de l'histoire les déchets qui n'auraient jamais dû les quitter. Dans ses luttes, le prolétariat doit tendre à l'unité la plus complète, tous ceux qui essaient de le diviser s'en font les pires ennemis. Le féminisme comme mystification de la classe ouvrière n'est pas déterminant, il ne prend tout son sens qu'en s'intégrant à tout l'arsenal bourgeois mis en avant par les gauchistes.

J. S. T.

 

[1] Ces groupes de conscience où l'on vient parler de ses problèmes ne sont en fait rien d'autre que des "courriers du cœur" améliorés au langage plus élaboré.

Rubrique: 

Luttes parcellaires