Résolution sur la situation internationale 1993

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Depuis près de dix ans, la décom­position étend son emprise sur toute la société. De façon crois­sante, l'ensemble des phénomènes et des événements mondiaux ne peut se comprendre que dans ce cadre. Cependant, la phase de décomposition appartient à la pé­riode de décadence du capitalisme et les tendances propres à l'ensemble de cette période ne dis­paraissent pas, loin de là. Ainsi, dans l'examen de la situation mon­diale, il importe de distinguer les phénomènes qui relèvent de la pé­riode de décadence en général de ceux qui appartiennent spécifi­quement à sa phase ultime, la dé­composition, dans la mesure, no­tamment, où leurs impacts respec­tifs sur la classe ouvrière ne sont pas identiques et peuvent même agir en sens opposé. Et il en ainsi tant sur le plan des conflits impé­rialistes que de la crise économique qui constituent les éléments essen­tiels déterminant le développement des luttes de la classe ouvrière et de sa conscience.

L'évolution des conflits impérialistes

1) Rarement, depuis la fin de la se­conde guerre mondiale, le monde a connu une multiplication et une in­tensification des conflits guerriers comme celles auxquelles on assiste aujourd'hui. La guerre du Golfe, au début de 1991, était sensée ins­taurer un « nouvel ordre mondial » basé sur le «Droit». Depuis, la foire d'empoigne qui devait succé­der à la fin du partage du monde entre deux mastodontes impéria­listes n'a cessé de s'étendre et de s'exacerber. L'Afrique et l'Asie du Sud-Est, traditionnels terrains des affrontements impérialistes, ont continué à plonger dans les convulsions et la guerre. Libéria, Rwanda, Angola, Somalie, Afgha­nistan, Cambodge : ces pays sont aujourd'hui synonymes d'affronte­ments armés et de désolation malgré tous les « accords de paix » et les interventions de la « commu­nauté internationale » patronnées directement ou indirectement par l’ONU. A ces «zones des tem­pêtes » sont venues s'ajouter le Caucase et l'Asie centrale qui payent au prix fort des massacres interethniques la disparition de l'URSS. Enfin, le havre de stabilité qu'avait constitué l'Europe depuis la fin de la seconde guerre mon­diale est maintenant plongé dans un des conflits les plus meurtriers et barbares qui soient. Ces affron­tements expriment de façon tra­gique les caractéristiques du monde capitaliste en décomposi­tion. Ils résultent, pour une bonne part, de la situation nouvelle créée par ce qui constitue, à ce jour, la manifestation la plus importante de cette nouvelle phase de la déca­dence capitaliste : l'effondrement des régimes staliniens et du bloc de l'Est. Mais, en même temps, ces conflits sont encore aggravés par une des caractéristiques générales et fondamentales de cette déca­dence : l'antagonisme entre les différentes puissances impéria­listes. Ainsi, la prétendue « aide humanitaire » en Somalie n'est qu'un prétexte et un instrument de l'affrontement des deux principales puissances qui s'opposent au­jourd'hui en Afrique : les Etats-Unis et la France. Derrière, les différentes cliques qui se disputent le pouvoir à Kaboul, se profilent les intérêts des puissances régio­nales comme le Pakistan, l'Inde, l'Iran, la Turquie, l'Arabie Saou­dite, puissances qui, elles-mêmes, inscrivent leurs intérêts et leurs antagonismes à l'intérieur de ceux qui partagent les « Grands » comme les Etats-Unis ou l'Allemagne. Enfin, les convulsions qui ont mis à feu et à sang l’ex-Yougoslavie, à quelques centaines de kilomètres de l'Euro­pe «avancée», traduisent, elles aussi, les principaux antagonismes qui aujourd'hui divisent la planète.

2)   L'ex-Yougoslavie est devenue un enjeu primordial dans les rivalités entre les principales puissances du monde. Si les affrontements et les massacres qui s'y déroulent depuis deux ans ont trouvé un terrain favo­rable avec des antagonismes eth­niques ancestraux mis sous l'éteignoir par le régime stalinien, et que l'effondrement de celui-ci a fait ressurgir, les calculs sordides des grandes puissances ont consti­tué un facteur de premier ordre d'exacerbation de ces antago­nismes. C'est bien parce que l'Allemagne à encouragé la séces­sion des Républiques du Nord, Slovénie et Croatie, afin de se constituer un débouché vers la Méditerranée, que s'est ouverte la boîte de Pandore yougoslave. C'est bien parce que les autres Etats eu­ropéens, ainsi que les Etats-Unis, étaient opposés à cette offensive allemande qu'ils ont directement, ou indirectement par leur immobi­lisme, encouragé la Serbie et ses milices à déchaîner la « purification ethnique » au nom de la «défense des minorités». En fait, l'ex-Yougoslavie constitue une sorte de résumé, une illustration parlante et tragique de l'ensemble de la situation mondiale dans le domaine des conflits impérialistes.

3)   En premier lieu, les affronte­ments qui ravagent aujourd'hui cette partie du monde sont une nouvelle confirmation de la totale irrationalité économique de la guerre impérialiste. Depuis long­temps, et à la suite de la « Gauche communiste de France », le CCI a relevé la différence fondamentale opposant les guerres de la période ascendante du capitalisme, qui avaient une réelle rationalité pour le développement de ce système, et celles de la période de décadence qui ne font qu'exprimer la totale absurdité économique d'un mode de production à l'agonie. Si l'aggravation des antagonismes impérialistes a comme cause ultime la fuite en avant de toutes les bour­geoisies nationales placées devant l'impasse totale de l'économie ca­pitaliste, les conflits guerriers ne sauraient apporter la moindre « solution » à la crise, aussi bien pour l'ensemble de l'économie mondiale que pour celle d'un quel­conque pays en particulier. Comme le notait déjà Internatio­nalisme en 1945, ce n'est plus la guerre qui est au service de l'économie, mais bien l'économie qui s'est mise au service de la guerre et de sa préparation. Et ce phénomène n'a fait que s'amplifier depuis. Dans le cas de l'ex-Yougoslavie, aucun des protagonistes ne peut espérer le moindre profit éco­nomique de son implication dans le conflit. C'est évident pour la tota­lité des Républiques qui se font la guerre à l'heure actuelle : les des­tructions massives des moyens de production et de la force de travail, la paralysie des transports et de l'activité productive, l'énorme ponction que représentent les ar­mements au détriment de l'économie locale ne vont bénéfi­cier à aucun des nouveaux Etats en présence. De même, contrairement à l'idée qui a eu cours même au sein du milieu politique proléta­rien, cette économie totalement ravagée ne pourra en aucune façon constituer un quelconque marché solvable pour la production excédentaire des pays industrialisés. Ce ne sont pas des marchés que les grandes puissances se disputent sur le territoire de l'ex-Yougoslavie mais des positions stratégiques destinées à préparer ce qui est de­venu la principale activité du capitalisme décadent : la guerre impé­rialiste à une échelle toujours plus vaste.

4) La situation dans l'ex-Yougoslavie vient également confirmer un point que le CCI avait souligné de­puis longtemps :la   fragilité   de l'édifice européen. Celui-ci, avec ses différentes institutions (l'Orga­nisation Européenne de Coopéra­tion Economique chargée d'administrer le plan Marshall et qui se transformera ultérieurement en l'OCDE, l'Union de l'Europe Occidentale fondée en 1949, la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier entrée en ac­tivité en 1952 et qui deviendra, cinq ans plus tard, la Communauté Economique Européenne) s'était constitué essentiellement comme instrument du bloc américain face à la menace du bloc russe. L'intérêt commun des différents Etats d'Europe occidentale face à cette menace (qui n'excluait pas la tenta­tive de certains d'entre eux, comme la France de De Gaulle, de limiter l'hégémonie américaine) avait constitué un facteur puissant de stimulation de la coopération, no­tamment économique, entre ces Etats. Une telle coopération n'avait pas été en mesure de sur­ monter les rivalités économiques entre eux, résultat qui ne peut être atteint dans le capitalisme, mais avait permis l'instauration d'une certaine « solidarité » face à la concurrence commerciale du Ja­pon et des Etats-Unis. Avec l'effondrement du bloc de l'Est, les bases de l'édifice européen se sont trouvées bouleversées. Désormais, l'Union Européenne, que le traité de Maastricht de la fin 1991 a fait succéder à la CEE, ne saurait plus  être considérée comme un instru­ment d'un bloc occidental qui a lui même cessé d'exister. Au contraire, cette structure est deve­nue le champ clos des antago­nismes impérialistes que la dispari­tion de l'ancienne configuration du monde a mis au premier plan ou fait surgir. C'est bien ce que les affrontements en Yougoslavie ont mis en évidence lorsqu'on a vu s'étaler la profonde division des Etats européens incapables de mettre en oeuvre la moindre poli­ tique commune face à un conflit qui se développait à leur porte. Aujourd'hui, même si « l'Union eu­ropéenne » peut encore être mise à profit par l'ensemble de ses parti­cipants comme rempart contre la concurrence commerciale du Ja­pon et des Etats-Unis ou comme instrument contre l'immigration et contre les combats de la classe ou­vrière, sa composante diploma­tique et militaire fait l'objet d'une dispute qui ne pourra aller qu'en s'exacerbant entre ceux (particulièrement la France et l'Allemagne) qui veulent lui faire jouer un rôle comme structure ca­pable de rivaliser avec la puissance américaine (préparant la constitu­tion d'un futur bloc impérialiste) et les alliés des Etats-Unis (essentiellement la Grande-Bre­tagne et les Pays-Bas) qui conçoi­vent leur présence dans les instances de décision comme moyen de réfréner une telle tendance. ([1])

5) L'évolution du conflit dans les Balkans est venue également illus­trer une des autres caractéristiques de la situation mondiale : les en­traves sur le chemin de la reconsti­tution d'un nouveau système de blocs impérialistes. Comme le CCI l'a souligné dès la fin de 1989, la tendance vers un tel système a été mise à l'ordre du jour dès que l'ancien a disparu avec l'effondrement du bloc de l'Est. L'émergence d'un candidat à la direction d'un nouveau bloc impé­rialiste, rivalisant avec celui qui se­rait dirigé par les Etats-Unis, s'est rapidement confirmée avec l'avancée des positions de l'Allemagne en Europe centrale et dans les Balkans alors que la li­berté de manoeuvre militaire et di­plomatique de ce pays était encore limitée par les contraintes héritées de sa défaite dans la seconde guerre mondiale. L'ascension de l'Allemagne s'est largement ap­puyée sur sa puissance économique et financière, mais elle a pu aussi bénéficier du soutien de son vieux complice au sein de la CEE, la France (action concertée par rap­port à l'Union européenne, créa­tion d'un corps d'armé commun, etc.). Cependant, la Yougoslavie a mis en relief toutes les contradic­tions qui divisent ce tandem : alors que l'Allemagne apportait un sou­ tien sans faille à la Slovénie et à la Croatie, la France a maintenu pendant une longue période une politique pro-serbe la faisant s'aligner, dans un premier temps, sur la position de la Grande-Bre­tagne et des Etats-Unis, ce qui a permis à cette puissance d'enfoncer un coin au sein de l'alliance privilégiée entre les deux principaux pays européens. Même si ces deux pays ont consacré des efforts particuliers à ce que le san­glant imbroglio yougoslave ne vienne pas compromettre leur co­opération (par exemple, le soutien de la Buba au Franc français à chacune des attaques de la spécula­tion contre ce dernier), il est de plus en plus clair qu'ils ne mettent  pas les mêmes espoirs dans leur al­liance. L'Allemagne, du fait de sa puissance économique et de sa po­sition géographique, aspire au lea­dership d'une « Grande Europe » qui ne serait elle-même que l'axe central d'un nouveau bloc impé­rialiste. Si elle est d'accord pour faire jouer un tel rôle à la structure européenne, la bourgeoisie fran­çaise, qui depuis 1870 a pu consta­ter la puissance de sa voisine de l'Est, ne veut pas se contenter de la place de second plan que celle-ci se propose de lui accorder dans leur alliance. C'est pour cela que la France n'est pas intéressée à un développement trop important de la puissance militaire de l'Allemagne (accès à la Méditerranée, acquisition de l'arme nu­cléaire, notamment) qui viendrait dévaloriser les atouts dont elle dis­ pose encore pour tenter de mainte­nir une certaine parité avec sa voi­sine dans la direction de l'Europe et à la tête de la contestation de l'hégémonie américaine. La ré­union de Paris du 11 mars entre Vance, Owen et Milosevic sous la présidence de Mitterrand, est ve­nue, une nouvelle fois, illustrer cette réalité. Ainsi, une des condi­tions pour que se reconstitue un nouveau partage du monde entre deux blocs impérialistes, l'accroissement très significatif des capacités militaires de l'Allemagne, porte avec elle la me­nace de difficultés sérieuses entre les deux pays européens qui sont candidats au leadership d'un nou­veau bloc. Le conflit dans l'ex-Yougoslavie est donc venu confirmer que la tendance vers la recons­titution d'un tel nouveau bloc, mise à l'ordre du jour par la disparition de celui de l'Est en 1989, n'était nullement assurée de parvenir à son terme : la situation géopoli­tique spécifique des deux bourgeoi­sies qui s'en font les principaux protagonistes vient encore s'ajouter aux difficultés générales propres à la période de décomposi­tion exacerbant le « chacun pour soi » entre tous les Etats.

6) Le conflit dans l’ex-Yougoslavie, enfin, vient confirmer une des autres caractéristiques majeures de la situation mondiale : les limites de l'efficacité de l'opération « Tempête du Désert » de 1991 des­tinée à affirmer le leadership des Etats-Unis sur le monde. Comme le CCI l'a affirmé à l'époque, cette opération de grande envergure n'avait pas comme principale cible le régime de Saddam Hussein ni même les autres pays de la périphé­rie qui auraient pu être tentés d'imiter l'Irak. Pour les Etats- Unis, ce qu'il s'agissait avant tout d'affirmer et de rappeler, c'était son rôle de « gendarme du monde » face aux convulsions découlant de l'effondrement du bloc russe et particulièrement d'obtenir l'obéissance de la part des autres puissances occidentales qui, avec la fin de la menace venue de l'Est, se sentaient pousser des ailes. Quelques mois à peine après la guerre du Golfe, le début des af­frontements en Yougoslavie est venu illustrer le fait que ces mêmes puissances, et particulièrement l'Allemagne, étaient bien détermi­nées à faire prévaloir leurs intérêts impérialistes au détriment de ceux des Etats-Unis. Depuis, ce pays, s'il a réussi à mettre en évidence l'impuissance de l'Union euro­péenne par rapport à une situation qui est de son ressort et le manque d'harmonie qui règne dans les rangs de cette dernière, y compris entre les meilleurs alliés que sont la France et l'Allemagne, n'est pas parvenu à contenir réellement l'avancée des autres impérialismes, particulièrement celui de ce dernier pays qui est, dans l'ensemble, parvenu à ses fins dans l'ex-Yougoslavie. Un tel échec est évidemment grave pour la première puissance mondiale puisqu'il ne peut que conforter la tendance de nombreux pays, sur tous les continents, à mettre à profit la nouvelle donne mondiale pour desserrer l'étreinte que leur a imposée l'Oncle Sam pendant des décennies. C'est pour cette raison que ne cesse de se dé­velopper l'activisme des Etats-Unis autour de la Bosnie après qu'ils aient fait étalage de leur force mili­taire avec leur massif et spectacu­laire déploiement « humanitaire » en Somalie et l'interdiction de l'espace aérien du sud de l'Irak.

7)   Cette dernière opération mili­taire, elle aussi, a confirmé un cer­tain nombre des réalités mises en évidence par le CCI auparavant. Elle a illustré le fait que la véritable cible visée par les Etats-Unis dans cette partie du monde n'est pas l'Irak, puisqu'elle a renforcé le ré­gime de Saddam Hussein tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, mais bien leurs « alliés » qu'elle a essayé, avec moins de succès qu'en 1991, d'entraîner une nouvelle fois (le troisième larron de « la coalition », la France, s'est contenté cette fois-ci d'envoyer des avions de recon­naissance). En particulier, elle a constitué un message en direction de l'Iran dont la puissance mili­taire montante s'accompagne du resserrement de ses liens avec certains pays européens, notamment la France. Cette opération est ve­nue confirmer également, puisque le Koweït n'était plus concerné, que la guerre du Golfe n'avait pas eu pour cause la question du prix du pétrole ou de la préservation par les Etats-Unis de leur « rente pétrolière » comme l'avaient af­firmé les gauchistes et même, à un moment donné, certains groupes du milieu prolétarien. Si cette puis­sance est intéressée à conserver et renforcer son emprise sur le Moyen-Orient et ses champs pé­troliers, ce n'est pas fondamenta­lement pour des raisons commer­ciales où strictement économiques. C'est avant tout pour être en me­sure, si le besoin s'en fait sentir, de priver ses rivaux japonais et euro­péens de leur approvisionnement d'une matière première essentielle pour une économie développée et plus encore pour toute entreprise militaire (matière première dont dispose d'ailleurs abondamment le principal allié des Etats-Unis, la Grande-Bretagne).

8)   Ainsi, les événements récents ont confirmé que, face à une exacerbation du chaos mondial et du « chacun pour soi » et à la mon­tée en force de ses nouveaux rivaux impérialistes, la première puissance mondiale devra, de façon croissance, faire usage de la force militaire pour préserver sa supré­matie. Les terrains potentiels d'affrontement ne manquent pas et ne font que se multiplier. Dès à présent, le sous-continent indien, dominé par l'antagonisme entre le Pakistan et l'Inde, se trouve de plus en plus concerné, comme en té­moignent par exemple les affron­tements dans ce dernier pays entre communautés religieuses qui, s'il sont bien un témoignage de la dé­composition, sont attisés par cet antagonisme. De même, l'Extrême-Orient est aujourd'hui le théâtre de manoeuvres impéria­listes de grande envergure comme, en particulier, le rapprochement entre la Chine et le Japon (scellé par la visite à Pékin, pour la pre­mière fois de l'histoire, de l'Empereur de ce dernier pays). Il est plus que probable que cette configuration des lignes de forces impérialistes ne fera que se confir­mer dans la mesure où :

  • il ne subsiste plus de contentieux entre la Chine et le Japon ;
  • chacun de ces deux pays conserve un contentieux avec la Russie (tracé de la frontière russo-chi­noise, question des Kouriles) ;
  • s'accroît la rivalité entre les Etats-Unis et le Japon autour de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique ;
  • la Russie est «condamnée», même si cela attise la résistance des « conservateurs » contre Elt­sine, à l'alliance américaine du fait même de l'importance de ses armements atomiques (dont les Etats-Unis ne peuvent tolérer qu'ils puissent passer au service d'une autre alliance).

Les antagonismes mettant aux prises la première puissance mon­diale et ses ex-alliés n'épargnent même pas le continent américain où les tentatives répétées de coup d'Etat contre Carlos Andres Perez au Venezuela aussi bien que la constitution de la NAFTA, au delà de leurs causes ou implications économiques et sociales, ont pour objet de faire pièce aux visées et à l'accroissement de l'influence de certains Etats européens. Ainsi, la perspective mondiale sur le plan des tensions impérialistes se carac­térise par une montée inéluctable de celles-ci avec une utilisation croissante de la force militaire par le Etats-Unis, et ce n'est pas la ré­cente élection du démocrate Clinton à la tête de ce pays qui saurait inverser une telle tendance, bien au contraire. Jusqu'à présent, ces ten­sions se sont développées essen­tiellement comme retombées de l'effondrement de l'ancien bloc de l'Est. Mais, de plus en plus, elles seront encore aggravées par la plongée catastrophique dans sa crise mortelle de l'économie capi­taliste.

L'évolution de la crise économique

9) L'année 1992 s'est caractérisée par une aggravation considérable de la situation de l'économie mon­diale. En particulier, la récession ouverte s'est généralisée pour at­ teindre des pays qu'elle avait épar­gné dans un premier temps, tel la France, et parmi les plus solides comme l'Allemagne et même le Ja­pon. Si l'élection de Clinton repré­sente la poursuite, et même le ren­forcement, de la politique de la première puissance mondiale sur l'arène impérialiste, elle symbolise la fin de toute une période dans l'évolution de la crise et des poli­ tiques bourgeoises pour y faire face. Elle prend acte de la faillite définitive des « reaganomics » qui avaient suscité les espoirs les plus fous dans les rangs de la classe do­minante et de nombreuses illusions parmi les prolétaires. Aujourd'hui, dans les discours bourgeois, il ne subsiste plus la moindre référence aux mythiques vertus de la « dérégulation » et du « moins d'Etat». Même des hommes poli­ tiques appartenant aux forces poli­ tiques qui s'étaient faites les apôtres des « reaganomics », tel Major en Grande-Bretagne, ad­ mettent, face à l'accumulation des difficultés de l'économie, la néces­sité de « plus d'Etat » dans celle-ci.

10)  Les « années Reagan », prolon­gées par les « années Bush », n'ont nullement représenté une inversion de la tendance historique, propre à la décadence capitaliste, de ren­forcement du capitalisme d'Etat. Pendant cette période, des mesures comme l'augmentation massive des dépenses militaires, le sauvetage du système de caisses d'épargne par l'Etat fédéral (qui représente un prélèvement de 1000 milliards de dollars dans son budget) ou la baisse volontariste des taux d'intérêt en dessous du niveau de l'inflation ont représenté un ac­croissement significatif  de l'intervention de  l'Etat dans l'économie  de  la première puis­sance mondiale. En fait, quels que soient les thèmes idéologiques em­ployés, quelles que soient les mo­dalités, la bourgeoisie ne peut jamais, dans  la période de décadence, renoncer à faire  appel  à l'Etat  pour  rassembler  les  morceaux d'une économie qui tend à l'éclatement, pour tenter de tricher avec les lois capitalistes (et c'est la seule instance qui puisse le faire, notamment  par  l'usage de la à planche à billets). Cependant, avec :

  • la nouvelle aggravation de la crise économique mondiale ;
  • le niveau critique atteint par le délabrement de certains secteurs cruciaux de l'économie américaine (systèmes de santé et d'éducation, infrastructures et équipements, recherche,...) favorisé par la politique « libérale » forcenée de Reagan et compagnie ;
  • l'explosion surréaliste de la spéculation au détriment des investissements productifs également encouragée par les « reaganomics » ;

L'Etat fédéral ne pouvait échapper à une intervention beaucoup plus ouverte, à visage découvert, dans  cette économie. En ce sens, la signification de l'arrivée du démocrate Clinton à la tête de l'exécutif américain ne saurait être réduite à de  seuls  impératifs  idéologiques. Ces impératifs ne sont pas négli­geables, notamment en vue de fa­voriser une plus grande adhésion de l'ensemble de la population des Etats-Unis à la politique impéria­liste de la bourgeoisie de ce pays. Mais, beaucoup plus fondamenta­lement, le « New Deal » de Clinton signale la nécessité d'une réorien­tation significative de la politique de cette bourgeoisie, une réorienta­tion que Bush, trop lié à la poli­tique précédente, était mal placé pour mettre en oeuvre.

11) Cette réorientation politique, contrairement aux promesses du candidat Clinton, ne saurait re­mettre en cause la dégradation des conditions de vie de la classe ou­vrière, qu'on qualifie de « classe moyenne » pour les besoins de la propagande. Les centaines de mil­liards de dollars d'économies an­noncées par Clinton fin février 1993, représentent un accroisse­ment   considérable   de   l'austérité destinée à soulager l'énorme déficit fédéral et à améliorer la compétiti­vité de la production US sur le marché mondial. Cependant, cette politique se confronte à des limites infranchissables. La réduction du déficit budgétaire, si elle est effec­tivement réalisée, ne pourra qu'accentuer les tendances au ra­lentissement de l'économie qui avait été dopée par ce même déficit pendant près d'une décennie. Un tel ralentissement, en réduisant les recettes fiscales (malgré l'augmentation prévue des impôts) conduira à aggraver encore ce défi­cit. Ainsi, quelles que soient les mesures appliquées, la bourgeoisie américaine se trouve confrontée à une impasse : en lieu et place d'une relance de l'économie et d'une ré­duction de son endettement (et particulièrement celui de l'Etat), elle est condamnée, à une échéance qui ne saurait être reportée bien longtemps, à un nouveau ralentis­sement de l'économie et à une aggravation irréversible de l'endettement.

12) L'impasse dans laquelle est placée l'économie américaine ne fait qu'exprimer celle de l'ensemble de l'économie mondiale. Tous les pays sont enserrés de façon crois­sante dans un étau dont les mâ­choires ont pour nom chute de la production  et explosion de l'endettement (et particulièrement celui de l'Etat). C'est la manifesta­tion éclatante de la crise de sur­production irréversible dans la­quelle s'enfonce le mode de pro­duction capitaliste depuis plus de deux  décennies. Successivement, l'explosion de l'endettement du « tiers-monde », après la récession mondiale de 1973-74, puis l'explosion de la dette américaine (tant interne qu'externe), après celle de 1981-82, avaient permis à l'économie mondiale de limiter les manifestations directes, et surtout de masquer  l'évidence, de cette surproduction. Aujourd'hui, les mesures draconiennes que se pro­pose d'appliquer la bourgeoisie US signent la mise au rebut définitive de la « locomotive » américaine qui avait tiré l'économie mondiale dans les années 1980. Le marché interne des Etats-Unis se ferme de plus en plus, et de façon irréver­sible. Et si ce n'est pas grâce à une meilleure compétitivité des mar­chandises made in US, ce sera à travers une montée sans précédent du protectionnisme dont Clinton, dès son arrivée, a donné un avant goût (augmentation des droits sur les produits agricoles, l'acier, les avions, fermeture des marchés pu­blics,...). Ainsi, la seule perspec­tive qui puisse attendre le marché mondial est celle d'un rétrécisse­ment croissant et irrémédiable. Et cela d'autant plus qu'il est confronté à une crise catastro­phique du crédit symbolisée par les faillites bancaires de plus en plus nombreuses : à force d'abuser d'une façon délirante de l'endettement, le système financier international se trouve au bord de l'explosion, explosion qui condui­rait à précipiter de façon apocalyp­tique l'effondrement des marchés et de la production.

13) Un autre facteur venant aggra­ver l'état de l'économie mondiale est le chaos grandissant qui se dé­veloppe dans les relations interna­tionales. Lorsque le monde vivait sous la coupe des deux géants im­périalistes, la nécessaire discipline que devaient respecter les alliés au sein de chacun des blocs ne s'exprimait pas seulement sur le plan militaire et diplomatique, mais aussi sur le plan économique. Dans le cas du bloc occidental, c'est à travers des structures comme l'OCDE, le FMI, le G7 que les alliés, qui étaient en même temps les principaux pays avancés, avaient établi, sous l'égide du chef de file américain, une coordination de leurs politiques économiques et un modus vivendi pour contenir leurs rivalités commerciales. Au­jourd'hui, la disparition du bloc occidental, faisant suite à l'effondrement de celui de l'Est, a porté un coup décisif à cette co­ordination (même si se sont main­tenues les anciennes structures) et laisse le champ libre à l'exacerbation du « chacun pour soi » dans les relations écono­miques. Concrètement, la guerre commerciale ne peut que se dé­chaîner encore plus, venant aggra­ver les difficultés et l'instabilité de l'économie mondiale qui se trou­vent à son origine. C'est bien ce que manifeste la paralysie actuelle dans les négociations du GATT. Celles-ci avaient officiellement pour objet de limiter le protection­nisme entre les « partenaires » afin de favoriser les échanges mondiaux et donc la production des diffé­rentes économies nationales. Le fait que ces négociations soient de­venues une foire d'empoigne,  les antagonismes impérialistes se superposent aux simples rivalités commerciales, ne peut que provo­quer l'effet inverse : une plus grande désorganisation encore de ces échanges, des difficultés ac­crues pour les économies natio­nales.

14) Ainsi, la gravité de la crise a at­teint, avec l'entrée dans la dernière décennie du siècle, un degré quali­tativement supérieur à tout ce que le capitalisme avait connu jusqu'à présent. Le système financier mon­dial marche au bord du précipice au risque permanent et croissant d'y sombrer. La guerre commer­ciale va se déchaîner à une échelle jamais vue. Le capitalisme ne pourra trouver de nouvelle « locomotive » pour remplacer la locomotive américaine désormais hors d'usage. En particulier, les marchés pharamineux qu'étaient sensés représenter les pays ancien­nement dirigés par des régimes staliniens n'auront jamais existé que dans l'imagination de quelques secteurs de la classe dominante (et aussi dans celle de certains groupes du milieu prolétarien). Le déla­brement sans espoir de ces écono­mies, le gouffre sans fond qu'elles représentent pour toute tentative d'investissement se proposant de les redresser, les convulsions poli­tiques qui agitent la classe domi­nante et qui viennent encore am­plifier la catastrophe économique, tous ces éléments indiquent qu'elles sont en train de plonger dans une situation semblable à celle du Tiers-monde, que loin de pouvoir constituer un ballon d'oxygène pour les économies les plus développées, elles deviendront un fardeau croissant pour elles. Enfin, si, dans ces dernières, l'inflation a quelque chance d'être contenue, comme c'est la cas jusqu'à présent, cela ne traduit au­cunement un quelconque dépasse­ment des difficultés économiques qui se trouvaient à son origine. C'est au contraire l'expression de la réduction dramatique des mar­chés qui exerce une puissante pres­sion à la baisse sur le prix des mar­chandises. La perspective de l'économie mondiale est donc à une chute croissante de la produc­tion avec la mise au rebut d'une part toujours plus importante du capital investi (faillites en chaîne, désertification industrielle, etc.) et une réduction drastique du capital variable, ce qui signifie, pour la classe ouvrière, outre des attaques accrues contre tous les aspects du salaire, des licenciements massifs, une montée sans précédent du chômage.

Les perspectives du combat de classe

15) Les attaques capitalistes de tous ordres qui se déchaînent au­jourd'hui, et qui ne peuvent que s'amplifier, frappent un prolétariat qui a été sensiblement affaibli au cours des trois dernières années, un affaiblissement qui a affecté aussi tien sa conscience que sa combati­vité.

C’est l'effondrement des régimes staliniens d'Europe et la disloca­tion de l'ensemble du bloc de l'Est à la fin de 1989, qui a constitué le facteur  essentiel  de recul de la conscience dans le prolétariat. L'identification, par tous les secteurs bourgeois, pendant un demi-siècle, de ces régimes au « socialisme », le fait que ces régimes ne soient pas tombés sous les coups de la lutte de classe ouvrière mais à la suite d'une implosion de leur économie, a permis le déchaînement de campagnes massives sur la « mort du communisme », sur la «victoire définitive de l'économie libérale» et de la «démocratie», sur la  perspective  d'un  « nouvel ordre mondial » fait de paix,  de prospérité et de respect du Droit. Si la très grande majorité des prolé­taires des grandes concentrations industrielles avait  cessé,   depuis longtemps, de se faire des illusions sur les prétendus « paradis socia­listes», la disparition sans gloire des régimes staliniens a toutefois porté un coup décisif à l'idée qu'il pouvait exister autre chose sur la terre  que  le  système  capitaliste, que l'action du prolétariat pouvait conduire à une alternative à ce sys­tème.  Et une telle  atteinte  à la conscience dans la classe s'est trouvée encore aggravée par l'explosion de l'URSS, à la suite du putsch manqué d'août  1991, une explosion qui touchait le pays qui avait été le théâtre de la révolution prolétarienne au début du siècle.

D'autre part, la crise du Golfe à partir de l'été 1990, l'opération « Tempête du désert » au début 1991, ont engendré un profond sen­timent d'impuissance parmi les prolétaires qui se sentaient totalement incapables d'agir ou de peser par rapport à des événements dont ils étaient conscients de la gravité, mais qui restaient du ressort exclu­sif de « ceux d'en haut ». Ce senti­ment a puissamment contribué à affaiblir la combativité ouvrière dans un contexte où cette combati­vité avait déjà été altérée, bien que de façon moindre, par les événe­ments de l'Est, l'année précédente. Et cet affaiblissement de la comba­tivité a été encore aggravé par l'explosion de l'URSS, deux ans après l'effondrement de son bloc, de même que par le développement au même moment des affronte­ments dans l’ex-Yougoslavie.

16) Les événements qui se sont pré­cipités après l'effondrement du bloc de l'Est, en apportant sur toute une série de questions un dé­menti aux campagnes bourgeoises de 1989, ont contribué à saper une partie des mystifications dans lesquelles avait été plongée la classe ouvrière. Ainsi, la crise et la guerre du Golfe ont commencé à porter des coups décisifs aux illusions sur l'instauration d'une « ère de paix » que Bush avait annoncée lors de l'effondrement du rival impérialiste de l'Est. En même temps, le com­portement barbare de la « grande démocratie » américaine et de ses acolytes, les massacres perpétrés contre les soldats irakiens et les populations civiles ont participé à démasquer les mensonges sur la « supériorité » de la démocratie, sur la victoire du « droit des nations » et des « droits de l'homme ». Enfin, l'aggravation catastrophique de la crise, la récession ouverte, les fail­lites, les pertes enregistrées par les entreprises considérées comme les plus prospères, les licenciements massifs dans tous les secteurs et particulièrement dans ces entre­prises, la montée inexorable du chômage, toutes ces manifestations des contradictions insurmontables que  rencontre  l'économie capitaliste sont en train de régler leur compte aux mensonges sur la « prospérité » du système  capita­liste, sur sa capacité à surmonter les difficultés qui avaient englouti son prétendu rival « socialiste ». La classe ouvrière n'a pas encore di­géré l'ensemble des coups qui avaient été portés à sa conscience dans  la  période  précédente.   En particulier, l'idée qu'il peut exister une alternative au capitalisme ne découle pas automatiquement du constat croissant de la faillite de ce système et peut très bien déboucher sur le désespoir. Mais, au sein de la classe, les conditions d'un rejet des mensonges bourgeois, d'un ques­tionnement en profondeur sont en train de se développer.

17) Cette réflexion dans la classe ouvrière prend place à un moment où l'accumulation des attaques ca­pitalistes et leur brutalité crois­sante l'obligent à secouer la tor­peur qui l'avait envahie pendant plusieurs années. Tour à tour :

  • l'explosion de combativité ou­vrière en Italie durant l'automne 1992 (une combativité qui, de­puis, ne s'est jamais complète­ment éteinte) ;
  • à un degré moindre mais signifi­catif, les manifestations massives des ouvriers anglais durant la même période, à l'annonce de la fermeture de la plupart des mines ;
  • la combativité exprimée par les prolétaires d'Allemagne à la fin de l'hiver suite à des licenciements massifs, notamment dans ce qui constitue un des symboles de l'industrie capitaliste, la Ruhr;
  • d'autres manifestations de com­bativité ouvrière, de moindre en­vergure mais qui se sont multi­pliées dans plusieurs pays d'Europe, notamment en Es­pagne, face à des plans d'austérité de plus en plus draconiens ; sont venues mettre en évidence que le prolétariat était en train de des­ serrer l'étau qui l'étreignait depuis le début des années 1990, qu'il se libérait de la paralysie qui l'avait contraint de subir sans réaction les attaques portées dès ce moment-là par la bourgeoisie. Ainsi, la situa­tion présente se distingue fonda­mentalement de celle qui avait été mise en évidence au précédent congrès du CCI lorsqu'il avait constaté que : «... les appareils de gauche de la bourgeoisie ont tenté déjà depuis plusieurs mois de lancer des mouvements de lutte prématurés afin d'entraver cette réflexion [au sein du prolétariat] et de semer un surcroît de confusion dans les rangs ouvriers. ». En particulier, l'ambiance d'impuissance qui pré­dominait alors parmi la majorité des prolétaires, et qui favorisait les manoeuvres bourgeoises visant à provoquer des luttes minoritaires destinées à s'enliser dans l'isolement, tend de plus en plus à laisser la place à la volonté d'en découdre avec la bourgeoisie, de répliquer avec détermination à ses attaques.

18) Ainsi, dès à présent, le proléta­riat des principaux pays industria­lisés est en train de redresser la tête confirmant ce que le CCI n'a cessé d'affirmer : « le fait que la classe ouvrière détient toujours entre ses mains les clés de l’avenir» (Résolution du 9e Congrès du CCI) et qu'il avait annoncé avec confiance : « ... c'est bien parce que le cours historique n'a pas été ren­versé, parce que la bourgeoisie n'a pas réussi avec ses multiples cam­pagnes et manoeuvres à infliger une défaite décisive au prolétariat des pays avancés et à l'embrigader der­rière ses drapeaux, que le recul subi par ce dernier, tant au niveau de sa conscience que de sa combativité, sera nécessairement surmonté. » ((Résolution du 29 mars 1992, Revue Internationale n°70). Cependant, cette reprise du combat de classe s'annonce difficile. Les premières tentatives faites par le prolétariat depuis l'automne 1992 mettent en évidence qu'il subit encore le poids du recul. En bonne partie, 'expérience, les leçons acquises au cours des luttes du milieu des an­nées 1980, n'ont pas encore été réappropriés par la grande majorité des ouvriers. En revanche, la bour­geoisie a, dès maintenant, fait la preuve qu'elle avait tiré les ensei­gnements des combats précédents :

  • en organisant, depuis un long moment, toute une série de cam­pagnes destinées à faire perdre aux ouvriers leur identité de classe, particulièrement des cam­pagnes anti-fascistes et anti-ra­cistes de même que des cam­pagnes visant à leur bourrer le crâne avec le nationalisme ;
  • en prenant rapidement, grâce aux syndicats, les devants des expres­sions de combativité ;
  • en radicalisant le langage de ces organes d'encadrement de la classe ouvrière ;
  • en donnant d'emblée, là où c'était nécessaire comme en Italie, un rôle de premier plan au syndica­lisme de base ;
  • en organisant ou en préparant, dans un certain nombre de pays, le départ du gouvernement des partis « socialistes » afin de pouvoir mieux jouer la carte de la gauche dans l'opposition ;
  • en veillant à éviter, grâce à une planification internationale de ses attaques, un développement si­multané des luttes ouvrières dans les différents pays ;
  • en organisant un black-out systé­matique sur celles-ci.

De plus, la bourgeoisie s'est mon­trée capable d'utiliser le recul de la conscience dans la classe pour in­troduire de faux objectifs et reven­dications dans les luttes ouvrières (partage du travail, « droits syndi­caux», défense de l'entreprise, etc.).

19) Plus généralement, c'est en­core un long chemin qui attend le prolétariat avant qu'il ne soit ca­pable d'affirmer sa perspective révolutionnaire. Il devra déjouer les pièges classiques que toutes les forces de la bourgeoisie dispose­ront systématiquement sous ses pas. En même temps, il sera confronté à tout le poison que la décomposition du capitalisme fait pénétrer dans les rangs ouvriers, et que la classe dominante (dont les difficultés politiques liées à la dé­composition n'affectent pas sa ca­pacité de manoeuvre contre son ennemi mortel) utilisera de façon cynique :

  • l'atomisation, la « débrouille » in­dividuelle, le « chacun pour soi », qui tend à saper la solidarité et l'identité de classe et qui, même dans les moments de combativité, favorisera le corporatisme ;
  • le désespoir, le manque de pers­pective qui continuera de peser, même si la bourgeoisie ne pourra pas utiliser une nouvelle fois une occasion comme l'effondrement du stalinisme ;
  • le processus de lumpénisation ré­sultant d'une ambiance dans la­quelle le chômage massif et de longue duré tend à couper une partie significative des chômeurs, et particulièrement les plus jeunes, du reste de leur classe;
  • la montée de la xénophobie, y compris parmi des secteurs ou­vriers importants, facilitant gran­dement, en retour, les campagnes anti-racistes et anti-fascistes des­tinées non seulement à diviser la classe ouvrière, mais également à la ramener derrière la défense de l'Etat démocratique ;
  • les émeutes urbaines, qu'elles soient spontanées ou provoquées par la bourgeoisie (comme celles de Los Angeles au printemps 1992), qui seront utilisées par cette dernière pour tenter de dé­voyer le prolétariat de son terrain de classe ;
  • les différentes manifestations de la pourriture de la classe domi­nante, la corruption et la gangstérisation de son appareil politique, qui, s'ils sapent sa crédibilité aux yeux des ouvriers, favorisent en même temps les campagnes de di­version en faveur d'un Etat « propre » (ou « vert ») ;
  • l'étalage de toute la barbarie dans laquelle plonge non seulement le « tiers-monde » mais également une partie de l'Europe, comme l’ex-Yougoslavie, ce qui est ter­rain béni pour toutes les cam­pagnes « humanitaires » visant à culpabiliser les ouvriers, à leur faire accepter la dégradation de leurs propres conditions de vie, mais également à recouvrir d'un voile pudique et justifier les me­nées impérialistes des grandes puissances.

20) Ce dernier aspect de la situa­tion présente met en relief la com­plexité de la question de la guerre comme facteur dans la prise 3e conscience du prolétariat. Cette complexité a déjà été amplement analysée par les organisations communistes, et notamment par le CCI, dans le passé. Pour l'essentiel, elle consiste dans le fait que, si la guerre impérialiste constitue une des manifestations majeures de la décadence du capi­talisme, symbolisant en particulier l'absurdité d'un système à l'agonie et indiquant la nécessité de le renverser, son impact sur la conscience dans la classe ouvrière dépend étroitement des circonstances dans lesquelles elle se déchaîne. Ainsi, la guerre du Golfe, il y a deux ans, a apporté auprès des ouvriers des pays avancés (pays qui étaient pratiquement tous impli­qués dans cette guerre, directement ou indirectement) une contribution sérieuse au dépassement des illu­sions semées par la bourgeoisie l'année précédente participant ainsi à la clarification de la conscience du prolétariat. En re­vanche, la guerre dans l'ex-Yougoslavie n'a aucunement contribué à éclaircir la conscience dans le prolétariat, ce qui est confirmé par le fait que la bourgeoisie n'a pas éprouvé le besoin d'organiser des manifestations pacifistes alors que plusieurs pays avancés (comme la France et la Grande-Bretagne) ont, dès à présent, envoyé des milliers d'hommes sur le terrain. Et il en est de même de l'intervention massive du gendarme US en Somalie. Il apparaît ainsi que, lorsque le jeu sordide de l'impérialisme peut se dissimuler derrière les paravents « humanitaires », c'est-à-dire tant qu'il lui est permis de présenter ses interventions guerrières comme destinées à soulager l'humanité des calamités résultant de la décomposition capitaliste, il ne peut pas, dans la période actuelle, être mis à profit par les grandes masses ou­vrières pour renforcer leur conscience et leur détermination de classe. Cependant, la bourgeoi­sie ne pourra pas en toutes circons­tances dissimuler le visage hideux de sa guerre impérialiste derrière le masque des «bons sentiments». L'inéluctable aggravation des an­tagonismes entre les grandes puis­sances, en contraignant celles-ci, même en l'absence de prétexte « humanitaire » (comme on l'a déjà vu avec la guerre du Golfe), à des interventions de plus en plus di­rectes, massives et meurtrières (ce qui constitue, en fin de compte, une des caractéristiques majeures de toute la période de décadence du capitalisme), tendra à ouvrir les yeux des ouvriers sur les véritables enjeux de notre époque. Il en est de la guerre comme des autres mani­festations de l'impasse historique du système capitaliste : lorsqu'elles relèvent spécifiquement de la dé­ composition de ce système, elles se présentent aujourd'hui comme un obstacle à la prise de conscience dans la classe ; ce n'est que comme manifestation générale de l'ensemble de la décadence qu'elles peuvent constituer un élément positif dans cette prise de conscience. Et cette potentialité tendra à deve­nir de plus en plus réalité à mesure que la gravité de la crise et des at­taques  bourgeoises,   ainsi  que le développement des luttes ouvrières, permettront aux masses prolétariennes d'identifier le lien qui unit l'impasse économique du capitalisme et sa plongée dans la barbarie guerrière.

21) Ainsi, l'évidence de la crise mortelle du mode de production capitaliste, manifestation première de sa décadence, les terribles conséquences qu'elle aura pour tous les secteurs de la classe ou­vrière, la nécessité pour celle-ci de développer, contre ces consé­quences, les luttes dans lesquelles elle recommence à s'engager, vont constituer un puissant facteur dans sa prise de conscience. L'aggravation de la crise fera de plus en plus l'évidence qu'elle ne découle pas d'une « mauvaise ges­tion», que les bourgeois « vertueux » et les Etats « propres » sont aussi incapables que les autres de la surmonter, qu'elle exprime l'impasse mortelle de tout le capi­talisme. Le déploiement massif des combats ouvriers constituera un puissant antidote contre les effets délétères de la décomposition, permettant de surmonter progressivement, par la solidarité de classe que ces combats impliquent, l'atomisation, le « chacun pour soi » et toutes les divisions qui pè­sent sur le prolétariat : entre caté­gories, branches d'industrie, entre immigrés et nationaux, entre chômeurs et ouvriers au travail. En particulier, si, du fait du poids de la décomposition, les chômeurs n'ont pu, au cours de la décennie passée, et contrairement aux an­nées 1930, entrer dans la lutte (sinon de façon très ponctuelle), s'ils ne pourront jouer un rôle d'avant garde comparable à celui des soldats dans la Russie de 1917 comme on aurait pu le prévoir, le développement massif des luttes prolétariennes leur permettra, no­tamment dans les manifestations de rue, de rejoindre le combat gé­néral de leur classe, et cela d'autant plus que, parmi eux, la proportion de ceux qui ont déjà une expérience du travail associé et de la lutte sur le lieu de travail ne pourra aller qu'en croissant. Plus généralement, si le chômage n'est pas un problème spécifique des sans travail mais bien une question affectant et concernant toute la classe ouvrière, notamment en ce qu'il constitue une manifestation tragique et évidente de la faillite historique du capitalisme, c'est bien ces mêmes combats à venir qui permettront à l'ensemble du prolétariat d'en prendre pleine­ment conscience.

22) C'est aussi,  et fondamentale­ment, à travers ces combats face aux attaques incessantes contre ses conditions de vie que le prolétariat devra surmonter les séquelles de l'effondrement du stalinisme qui a porté un coup d'une telle violence à son appréhension de sa perspec­tive, à sa conscience qu'il existe une alternative révolutionnaire à la société capitaliste moribonde. Ces combats « redonneront confiance à la classe ouvrière, lui rappelleront qu'elle constitue, dès à présent, une force considérable dans la société et permettront à une masse croissante d'ouvriers de se tourner de nouveau vers la perspective du renversement du capitalisme » (Résolution du 29 mars 1992). Et plus cette perspective sera présente dans la conscience ouvrière, plus la classe disposera d'atouts pour déjouer les pièges bourgeois, pour développer pleinement ses luttes, pour les prendre efficacement en mains, les étendre et les généraliser. Pour dé­velopper cette perspective,  la classe  n'a  pas  seulement pour tâche de se remettre de la désorientation subie dans la dernière pé­riode et de se réapproprier les le­çons de ses combats des années 1980 ; elle devra aussi renouer le fil historique de ses traditions com­munistes. L'importance centrale de ce développement de la conscience ne peut que souligner l'immense responsabilité qui repose sur la mi­norité révolutionnaire dans la pré­sente période. Les communistes doivent prendre une part active à tous les combats de classe afin d'en impulser les potentialités, de favo­riser au mieux la récupération de la conscience du prolétariat érodée !par l'effondrement du stalinisme, de contribuer à lui redonner confiance en lui-même et de mettre en évidence la perspective révolutionnaire que ces  combats contiennent implicitement. Cela va de pair avec la dénonciation de la barbarie militaire du capitalisme décadent et, plus globalement, la mise en garde contre la menace que ce système en décomposition fait peser sur la survie même de l'humanité. L'intervention déter­minée de l'avant garde communiste est une condition indispensable du succès définitif du combat de classe prolétarien.CCI, avril 1993.


[1] Il apparaît ainsi une nouvelle fois que les antagonismes impérialistes ne recouvrent pas automatiquement les rivalités commer­ciales, même si, avec l'effondrement du bloc de l'Est, la carte impérialiste mondiale d'aujourd'hui est plus proche que la précé­dente de la carte de ces rivalités, ce qui permet à un pays comme les Etats-Unis d'utiliser, notamment dans les négociations du GATT, sa puissance économique et commerciale comme instrument de chan­tage auprès de ses ex-alliés. De même que la CEE pouvait être à la fois un instrument du bloc impérialiste dominé par la puissance américaine tout en favorisant la concur­rence commerciale de ses membres contre cette dernière, des pays comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas peuvent très bien s'appuyer aujourd'hui sur l'Union euro­péenne pour faire valoir leurs intérêts com­merciaux face à cette puissance tout en se faisant les représentants de ses intérêts im­périalistes en Europe.

 

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