Brexit: le capitalisme britannique se bat pour limiter les dégâts

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Après avoir remplacé David Cameron comme Premier ministre britannique, Theresa May a déclaré : “Brexit veut dire Brexit”. Elle a répété ce mantra sous plusieurs formes, pendant les mois qui ont suivi. Cela n’a pas aidé à comprendre dans quelle direction la politique gouvernementale britannique allait s’orienter mais a plutôt contribué à entretenir les incertitudes.

La classe dominante britannique ne s’attendait pas à la victoire du “oui” au Brexit. Dans les mois qui ont suivi, il est devenu évident qu’il n’y avait pas de plan en vue de cette éventualité. Le gouvernement Cameron n’avait pris aucune disposition en ce sens. Ceux qui ont fait campagne pour quitter l’Union européenne sont revenus avec des slogans tels que “350 millions de livres de plus par semaine pour la NHS” mais n’ont pas proposé de mesures concrètes. La bourgeoisie britannique a en partie perdu le contrôle de son appareil politique et a cherché des stratégies pour limiter les dégâts sur l’économie, pour stabiliser une situation qui entraîne, surtout depuis l’arrivée du président Trump aux États-Unis, le développement rapide de perturbations et d’incertitudes.

L’avenir radieux” de Theresa May

Le Livre blanc de février 2017 du gouvernement utilise près de 25 000 mots pour essayer de résoudre un torrent de contradictions. Dans un discours de janvier, Theresa May a déclaré : “le peuple britannique (…) a voté pour façonner un avenir meilleur.” Le but du Livre blanc est de préparer la voie pour une “sortie de l’UE douce et bénéfique pour les deux parties” et “éviter une rupture traumatisante”. Il reste à voir dans quelle mesure cet avenir sera effectivement “radieux”.

On peut y lire que “nous ne chercherons pas à être des membres du Marché unique, mais nous poursuivrons au contraire un nouveau partenariat stratégique avec l’UE, incluant un accord de libre-échange et un nouvel accord douanier.” Ainsi, le Royaume-Uni va quitter le Marché unique et trouver un compromis avec les 27 pays restants. Pour quitter l’UE, l’accord de seulement 20 pays sur 28 est requis, alors qu’un accord commercial nécessite l’accord des 27 États de l’UE. En ce qui concerne le commerce, le gouvernement pense qu’ “un système basé sur des règles internationales est fondamental pour soutenir le libre-échange et prévenir le protectionnisme”. Néanmoins, pour la Grande-Bretagne, pour qui les États-Unis sont le plus grand marché d’exportation, la présidence de Trump n’est pas, dans le cadre de rapport d’État à État, une perspective réjouissante, car ce pays semble aller dans une direction protectionniste en mettant en avant “L’Amérique d’abord” et en renégociant les accords commerciaux. Dans le même sens, l’Institut des études fiscales a suggéré que la perte de marchés aurait un énorme impact sur l’économie britannique bien que les contributions au budget européen vont cesser.

Theresa May propose une alternative au Marché unique : “si nous étions exclus du Marché unique, nous serions libres de changer les bases du modèle économique britannique.” Le chancelier de l’Échiquier, Philip Hammond, s’adressant à Welt am Sonntag du 15 janvier 2017, a déclaré : “Si nous n’avons pas l’accès au Marché européen, si nous en sommes exclus, si la Grande-Bretagne doit quitter l’Union sans accord sur l’accès aux marchés, nous pourrions subir des dommages économiques au moins sur le court terme. Dans ce cas, nous pourrions être obligés de changer notre modèle pour retrouver de la compétitivité. Et vous pouvez être sûrs que nous ferons tout ce que nous avons à faire.” La proposition de “faire quelque chose de différent” a été accueillie avec beaucoup de réserve. Est-ce que le Royaume-Uni va devenir un paradis fiscal ? Va-t-il s’enferrer dans une guerre commerciale et tarifaire ? Il y a vraiment beaucoup de possibilités, dont la moindre n’est pas de susciter au Royaume-Uni un renouveau de la production manufacturière, en dépit de vagues promesses en ce sens.

Une des raisons pour lesquelles l’accès du Royaume-Uni au Marché unique paraît impossible à beaucoup de commentateurs est qu’il impliquerait une liberté de circulation pour les citoyens de l’UE. Theresa May a déclaré : “Nous voulons garantir les droits des citoyens européens qui vivent déjà en Grand-Bretagne” ; mais, en même temps, son gouvernement se prépare à utiliser ces trois millions de personnes comme monnaie d’échange. Liam Fox a présenté les émigrés européens en Grande-Bretagne comme “les cartes maîtresses” dans les négociations sur le Brexit. Un document issu d’une fuite du Comité pour les affaires légales du Parlement européen révèle qu’il pourrait y avoir un retour de boomerang de la part de l’UE.

Les contradictions dans la position du gouvernement reflètent la situation inconfortable dans laquelle se trouve le capitalisme britannique. “Nous allons reprendre le contrôle de nos lois”, clame Theresa May, mais, en même temps, “alors que nous adoptons le corps de la loi européenne dans nos règles internes, nous nous assurerons que les droits des travailleurs seront pleinement respectés.” Le but est de prendre tout ce qui est “bénéfique” dans l’UE tout en gardant les avantages de l’indépendance. La bourgeoisie britannique utilisera toutes les manœuvres possibles et rendra l’Europe responsable des éventuelles difficultés. Mais elle ne part pas en position de force.

L’adaptation à la crise

La bourgeoisie britannique s’est historiquement fait remarquer par la capacité de son appareil politique à défendre les intérêts du capital national. Le résultat du referendum a montré une perte de cohésion croissante au sein de la classe dominante, mais il a également montré sa capacité à s’adapter aux difficultés. La démonstration en a été faite après le referendum, avec le “choix” évident de Theresa May comme chef du Parti conservateur pour résoudre une crise gouvernementale temporaire. De même, les batailles légales et parlementaires ultérieures et le rôle des media doivent être appréhendés dans ce contexte. Le procès intenté contre le gouvernement, pour l’empêcher d’agir seul et conserver un rôle pour le Parlement, a provoqué une vague de colère chez les media populistes contre les juges de la cour d’appel : le Daily Mail les a présentés comme “ennemis du peuple”, alors que les media libéraux défendaient “l’indépendance du pouvoir judiciaire”.

Mais ce que l’on considérait comme une “crise constitutionnelle” s’est rapidement estompé. Lorsque l’appel du gouvernement à la Cour suprême a également été rejeté, il y a eu beaucoup moins d’hystérie. La Chambre des communes a fait son travail en entérinant les propositions de l’exécutif, malgré le fait que la majorité des membres du Parlement aurait préféré rester dans l’UE. Le Parti travailliste a été particulièrement utile. Jérémy Corbyn a imposé aux membres du Parlement l’obligation absolue de soutenir les étapes de la législation pour le Brexit. Corbyn a été loyalement soutenu par les trotskistes du Socialist Worker du 9 février 2017 : “Il a avec raison insisté pour que les députés travaillistes votent en faveur d’un projet de loi ouvrant le processus de sortie de l’UE”.

Ailleurs au Parlement, une source gouvernementale a déclaré : “Si les lords ne veulent pas affronter un appel public appelant à leur abolition, ils doivent se soumettre et protéger la démocratie, et accepter ce projet de loi.” Le secrétaire au Brexit, David Davis a appelé ses pairs à “faire leur devoir patriotique”. Les menaces à l’encontre de la Chambre des lords, de la part du Parti conservateur, sont la preuve des divisions qui existent au sein de la bourgeoisie, même si, à un niveau plus profond, elle est unie en tant que partie d’une classe capitaliste d’État.

Les options impérialistes de la bourgeoisie britannique se rétrécissent

Malgré toutes les déclarations de “liberté pour le Royaume-Uni”, en janvier 2017, la visite de Theresa May aux États-Unis et en Turquie a montré la réalité de la position de l’impérialisme britannique. Elle a tendu la main à Donald Trump et essayé de grappiller tout ce qui était possible. La prétendue “relation spéciale” entre les États-Unis et la Grande-Bretagne a toujours été en réalité au bénéfice des premiers et il semble peu probable que ce déséquilibre soit corrigé dans un avenir proche. En Turquie, Theresa May a “adressé un sévère avertissement au président turc Recep Tayyip Erdogan concernant le respect des droits de l’Homme hier, alors qu’elle s’apprêtait à signer un contrat de 100 millions de livres pour un marché d’avions de combat dont le 10 Downing Street espère qu’il permettra à la Grande-Bretagne de devenir le principal partenaire de défense Turque” (The Guardian du 28 /01 /17).

Voilà le visage international que montre actuellement la bourgeoisie anglaise. Les perspectives en dehors de l’UE sont incertaines, elle tente désespérément de recevoir des miettes de l’impérialisme américain, les perspectives pour son secteur financier ne sont pas assurées, mais, au moins, elle peut compter sur la vente d’armes à un pays en conflit. Un document gouvernemental divulgué a donné la liste des industries prioritaires pour les pourparlers sur le Brexit. Parmi les hautes priorités figurent l’aérospatiale, le transport aérien, les services financiers, les transports terrestres (transport ferroviaire exclu), les assurances et les infrastructures bancaires et commerciales. Les priorités inférieures comprennent l’acier, le pétrole et le gaz, les télécommunications, les services postaux et environnementaux, l’eau, les services médicaux et l’éducation. Dans les coulisses se prennent les décisions concernant quels secteurs peuvent survivre ou être sacrifiés et quels secteurs ont besoin d’un soutien plus conséquent.

Dans le Telegraph du 11 février 2017, le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ne sous-estime pas la capacité de la bourgeoisie anglaise à intriguer et conspirer : “les Anglais vont tenter sans trop d’effort de diviser les 27 États-­membres restants.” Et le gouvernement anglais est en position de repli, car comme le dit May : “pour la Grande-Bretagne, pas d’accord du tout vaut mieux qu’un mauvais accord.” Telle est la position d’un “Brexit dur” auquel la bourgeoisie anglaise semble se rallier. L’impitoyable détermination de la bourgeoisie anglaise ne faiblit pas mais sa capacité à fonctionner de façon cohérente dans une période de décomposition croissante s’est abaissée.

Les problèmes auxquels la classe ouvrière doit faire face en Grande-Bretagne font écho à ceux qu’elle rencontre internationalement. En 1989, les transitions dans les régimes d’Europe de l’Est se sont faites sous les yeux d’une classe ouvrière spectatrice, qui n’a joué aucun rôle indépendant. Au cours des deux dernières années, nous avons assisté au développement du terrorisme aux portes de l’Europe de l’Ouest, au referendum sur l’Europe, à l’élection de Donald Trump et à la résurgence du Front national de Marine Le Pen. Là non plus, la classe ouvrière n’a pas été un facteur actif dans cette situation, malgré les changements énormes et le mécontentement de la population contre les élites. La bourgeoisie va tenter d’utiliser la décomposition de son système contre la classe ouvrière, que ce soit par la promotion de l’option populiste ou par des campagnes et des confrontations anti-populistes. Mais, alors que la bourgeoisie défend une société en déclin, la classe ouvrière, elle, a la capacité de créer de nouvelles relations sociales basées sur la solidarité et non sur l’exploitation et le nihilisme.

Car, 15 février 2015

(D’après World Revolution, organe de presse du CCI au Royaume-Uni)

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